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21/05/2014 | FRANCE | N°13-14635

France | France, Cour de cassation, Chambre sociale, 21 mai 2014, 13-14635


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le moyen unique :Attendu, selon l'arrêt attaqué (Nîmes, 22 janvier 2013), que M. X..., engagé le 1er août 2006 en qualité de médecin généraliste par l'association hospitalière Sainte-Marie, a été licencié pour faute grave par lettre du 20 mai 2010 ; Attendu que le salarié fait grief à l'arrêt de retenir la faute grave et de le débouter de l'ensemble de ses demandes, alors, selon le moyen :1°/ que ne constitue pas un motif de licenciement et a fortiori une faute grave l'acte d'un médecin qui se ratt

ache directement à sa liberté de prescription médicale à l'égard d'un pat...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le moyen unique :Attendu, selon l'arrêt attaqué (Nîmes, 22 janvier 2013), que M. X..., engagé le 1er août 2006 en qualité de médecin généraliste par l'association hospitalière Sainte-Marie, a été licencié pour faute grave par lettre du 20 mai 2010 ; Attendu que le salarié fait grief à l'arrêt de retenir la faute grave et de le débouter de l'ensemble de ses demandes, alors, selon le moyen :1°/ que ne constitue pas un motif de licenciement et a fortiori une faute grave l'acte d'un médecin qui se rattache directement à sa liberté de prescription médicale à l'égard d'un patient dans le respect des données acquises de la science ; qu'en décidant en l'espèce que le licenciement du médecin salarié est fondé sur une faute grave en raison des prescriptions prétendument erronées administrées par celui-ci à deux patientes, sans caractériser que ces prescriptions étaient contraires aux données acquises de la science, la cour d'appel a violé les articles L. 1232-1 et L. 1234-1 du code du travail ;
2°/ que le salarié soutenait dans ses conclusions d'appel que les attestations fournies par l'employeur pour tenter d'établir la réalité des griefs qui lui étaient reprochés étaient nécessairement partisanes et en conséquence dépourvues de crédibilité et de force probante, s'agissant d'attestations fournies par deux salariés de l'association hospitalière, n'ayant pas au demeurant la qualité de médecin généraliste, et par un ancien salarié de celle-ci ; qu'en se fondant essentiellement sur ces documents pour apprécier la réalité et la gravité des faits reprochés au salarié, sans apprécier le degré de crédibilité de ceux-ci, la cour d'appel n'a pas répondu à ce moyen péremptoire, en méconnaissance des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile ; 3°/ que l'insuffisance professionnelle ne constitue pas une faute grave ; qu'en qualifiant en l'espèce les faits reprochés au salarié de fautes professionnelles, constituées par des erreurs de prescriptions médicales à l'égard de deux patientes, de sorte qu'elle caractérisait nécessairement une insuffisance professionnelle, tout en décidant que le licenciement est fondé sur une faute grave, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations en violation des articles L. 1232-1 et L. 1234-1 du code du travail ;4°/ que la faute grave est celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise ; qu'en l'espèce, en s'abstenant de rechercher, comme il lui était pourtant demandé, si l'employeur ne s'était pas privé de la possibilité d'invoquer une faute grave en maintenant le salarié dans ses fonctions et en le laissant continuer à assurer seul, pendant plus de quinze jours, des gardes au sein de la clinique, au cours desquelles il était susceptible d'engager la responsabilité de cette dernière par ses actes, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard des articles L. 1232-1 et L. 1234-1 du code du travail ;
Mais attendu qu'ayant retenu que les erreurs reprochées au praticien procédaient d'une grave négligence mettant en péril la santé de patientes, la cour d'appel a pu en déduire que ce manquement aux obligations professionnelles constituait une faute grave rendant impossible le maintien du salarié dans l'entreprise, peu important que celui-ci n'ait pas fait l'objet d'une mesure de mise à pied, la cour d'appel ayant fait ressortir que la procédure de licenciement a été engagée dès que l'employeur a été en mesure de connaître la réalité et la gravité des faits ; que le moyen n'est pas fondé ; PAR CES MOTIFS :REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. X... aux dépens ; Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt et un mai deux mille quatorze.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt :


Moyen produit par Me Spinosi, avocat aux Conseils, pour M. X.... Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir dit le licenciement de M. X... fondé sur une faute grave et d'avoir en conséquence débouté celui-ci de l'ensemble de ses demandes ; Aux motifs que « Il est reproché à Monsieur X... deux fautes professionnelles : - Une augmentation inappropriée de dose médicamenteuse (Préviscan et Digoxine) à l'égard d'une patiente ;- Non prise en charge d'un cas d'hypernatrémie d'une patiente qui a dû être hospitalisée.
Ces faits avaient été dénoncés le 26 mars 2010 à l'employeur par Messieurs Y..., médecin chef du secteur GO2, et Z..., chef de secteur GO3, coordonnateur. Ils mentionnent dans ce courrier : « Je vous écris pour vous informer d'incidents concernant l'activité professionnelle du Docteur X.... Ces incidents, erreurs de prescription ou négligences d'anomalie sur un bilan, auraient pu avoir des conséquences graves sur l'état de santé des patientes intéressées sans la vigilance d'autres personnels soignants qui ont pu mettre en oeuvre des actions de correction. » Il convient de relever en liminaire qu'aucune disposition n'impose la saisine préalable par l'Ordre des Médecins dans le cadre d'une procédure disciplinaire exercée par l'employeur à l'encontre d'un médecin salarié.L'article R.4127-95 du code de la santé publique se borne à rappeler les devoirs de médecin exerçant sous contrat de travail en ces termes :
« Le fait pour un médecin d'être lié dans son exercice professionnel par un contrat ou un statut à un autre médecin, une administration, une collectivité ou tout autre organisme public ou privé n'enlève rien à ses devoirs professionnels et en particulier à ses obligations concernant le secret professionnel et l'indépendance de ses décisions. En aucune circonstance, le médecin ne peut accepter de limitation à son indépendance dans son exercice médical de la part du médecin, de l'entreprise ou de l'organisme qui l'emploie. Il doit toujours agir, en priorité, dans l'intérêt de la santé publique et dans l'intérêt des personnes et de leur sécurité au sein des entreprises ou des collectivités où il exerce. »Au demeurant, Monsieur X... avait saisi le conseil de l'Ordre des Médecins de dénonciation à l'encontre de Messieurs Y... et Z... et il lui a été répondu qu'il devait formaliser sa plainte par écrit afin de recueillir avant tout les observations des mis en cause. Monsieur X... n'a pas poursuivi dans ses démarches. Par ailleurs, il ne saurait être utilement soutenu que le principe de la liberté de prescription affranchit le médecin de toute erreur de prescription ou de traitement au regarde des données acquises de la science.Concernant l'administration du Préviscan, le dictionnaire Vidal indique que, chez un malade déjà traité au moyen de ce médicament, l'ajustement des doses se fait par paliers de 5 mg, soit ¿ de comprimé. Le Dr B..., ancien médecin chef du centre, indiquait dans un courrier de consultation que le Dr X... n'avait pas respecté les préconisations du Vidal. Le Dr B... rappelait que : « le Dictionnaire VIDAL est très clair sur ce point. Chez une malade déjà traitée par Previscan, l'ajustement des doses s'effectue par paliers de 5 mg (soit ¿ de comprimé). Sur ce point, il apparaît que le Dr X... n'a pas respecté les préconisations du Dictionnaire qui fait référence. » Concernant l'administration de Dogoxine, cet ancien praticien ajoutait :« ¿ C'est un médicament dont la demi vie plasmatique est de 1 jour et demi dont un risque d'accumulation ; c'est pourquoi il est nécessaire de procéder à des augmentations progressives de manière à éviter une possible toxicité cardiaque. Le doublement de la dose de Dogoxine administrée à la malade par le Docteur X... risquait donc d'avoir des conséquences fâcheuses¿. Son utilisation implique un examen clinique : auscultation cardiaque, mesure de la tension artérielle, prise du pouls (dont le rythme ne doit pas être inférieur à 60 par minute). Cet examen n'a semble-t-il pas été fait. En conclusion, il apparaît que compte tenu de la toxicité potentielle du Préviscan et de la Digoxine, les augmentations des doses prescrites étaient hors des recommandations du Dictionnaire VIDAL, c'est-à-dire hors AMM (Autorisation de Mise sur le Marché). En outre, il semble ne pas y avoir de mention d'examen clinique dans le dossier de la malade. » Concernant la seconde patiente, le Docteur B... relevait que : « En pratique courante, une élévation excessive du sodium sanguin (hypernatrémie) chez une personne âgée en état d'agitation évoque immédiatement l'éventualité d'une déshydratation, ceci implique : examen clinique, pouls, TA, recherche d'une sécheresse des muqueuses et de la peau, bilan sanguin, exploration rénale, réhydratation par voie orale ou veineuse. Le Docteur X... semble avoir fait preuve dans ce cas d'une négligence surprenante ». Monsieur X..., sans d'ailleurs contester ces faits, soutient que l'employeur aurait dû recourir à une expertise médicale pour établir la réalité des manquements ainsi reprochés. Or, les éléments de preuve fournis par l'employeur suffisent à établir la réalité des fautes reprochées à l'intimé et ce dernier ne produit aucun élément de nature à contrarier l'avis des trois praticiens qui ont pointé ces erreurs. La cour relève qu'il n'a pas cru utile de produire ne serait-ce qu'une consultation de la part d'un autre praticien pour infirmer les propos qu'il dénonce en vain.Ces fautes de nature professionnelles étaient susceptibles d'engager la responsabilité de l'employeur vis-à-vis des patientes ainsi traitées et justifiaient la sanction ainsi prononcée.
Le fait que ces erreurs n'aient engendré aucune conséquence dommageable n'est pas de nature à exonérer Monsieur X... de ses fautes. En outre, interpellé par une infirmière sur l'aberration des traitements ordonnés, Monsieur X... n'a pas réagi, amenant celle-ci à faire appel au cadre-médecin afin de rectifier cette erreur de posologie. Par ailleurs, l'employeur n'est pas tenu de procéder à une mise à pied conservatoire avant d'engager la procédure de licenciement pour faute grave d'autant que l'employeur devait s'assurer au préalable de la réalité et de la gravité des faits dénoncés et que Monsieur X... avait posé des congés du 11 au 17 avril 2010. Monsieur X... ne fait plus état dans ses dernières écritures de faits de harcèlement et ne formule aucune demande en ce sens. L'équité n'impose pas de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en l'espèce » ;Alors, d'une part, que ne constitue pas un motif de licenciement et a fortiori une faute grave l'acte d'un médecin qui se rattache directement à sa liberté de prescription médicale à l'égard d'un patient dans le respect des données acquises de la science ; qu'en décidant en l'espèce que le licenciement du médecin salarié est fondé sur une faute grave en raison des prescriptions prétendument erronées administrées par celui-ci à deux patientes, sans caractériser que ces prescriptions étaient contraires aux données acquises de la science, la Cour d'appel a violé les articles L.1232-1 et L.1234-1 du code du travail ;
Alors, d'autre part, que l'exposant soutenait dans ses conclusions d'appel (p. 12) que les attestations fournies par l'employeur pour tenter d'établir la réalité des griefs qui lui étaient reprochés étaient nécessairement partisanes et en conséquence dépourvues de crédibilité et de force probante, s'agissant d'attestations fournies par deux salariés de l'association hospitalière, n'ayant pas au demeurant la qualité de médecin généraliste, et par un ancien salarié de celle-ci ; qu'en se fondant essentiellement sur ces documents pour apprécier la réalité et la gravité des faits reprochés au salarié, sans apprécier le degré de crédibilité de ceux-ci, la Cour d'appel n'a pas répondu à ce moyen péremptoire, en méconnaissance des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile ; Alors, en outre, que l'insuffisance professionnelle ne constitue pas une faute grave ; qu'en qualifiant en l'espèce les faits reprochés au salarié de fautes professionnelles, constituées par des erreurs de prescriptions médicales à l'égard de deux patientes, de sorte qu'elle caractérisait nécessairement une insuffisance professionnelle, tout en décidant que le licenciement est fondé sur une faute grave, la Cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations en violation des articles L.1232-1 et L.1234-1 du code du travail ;Alors, en tout état de cause, que la faute grave est celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise ; qu'en l'espèce, en s'abstenant de rechercher, comme il lui était pourtant demandé, si l'employeur ne s'était pas privé de la possibilité d'invoquer une faute grave en maintenant le salarié dans ses fonctions et en le laissant continuer à assurer seul, pendant plus de quinze jours, des gardes au sein de la clinique, au cours desquelles il était susceptible d'engager la responsabilité de cette dernière par ses actes, la Cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard des articles L.1232-1 et L.1234-1 du code du travail.


Synthèse
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 13-14635
Date de la décision : 21/05/2014
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Sociale

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Nîmes, 22 janvier 2013


Publications
Proposition de citation : Cass. Soc., 21 mai. 2014, pourvoi n°13-14635


Composition du Tribunal
Président : M. Bailly (conseiller doyen faisant fonction de président)
Avocat(s) : Me Spinosi, SCP Gatineau et Fattaccini

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2014:13.14635
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