LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le premier moyen :
Vu l'article 2244 dans sa rédaction applicable en la cause ;
Attendu que si, en principe, l'interruption de la prescription ne peut s'étendre d'une action à une autre, il en est autrement lorsque les deux actions tendent à un seul et même but de sorte que la seconde est virtuellement comprise dans la première ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, qu'en 1991, la société Etablissements Rebours (la société) a assigné les sociétés Sipa, Pari, Fives Celes, Hema et l'association Adria, ainsi que leur assureur respectif en responsabilité et en dommages-intérêts ; qu'un premier arrêt du 6 février 1996 a constaté le droit à réparation de la société et qu'un arrêt du 2 mai 2000 a fixé le montant de sa créance de dommages-intérêts en réparation de son préjudice matériel ; que le 16 février 2010, la société Etablissements Rebours a assigné les mêmes parties en réparation de son préjudice d'exploitation ;
Attendu que pour déclarer irrecevable comme prescrite l'action de la société, l'arrêt relève que cette dernière a, dans l'assignation délivrée en 1991, puis lors des instances successives d'appel, constamment réaffirmé qu'elle entendait réclamer l'indemnisation de son préjudice d'exploitation dans le cadre d'une instance séparée de sorte qu'elle ne peut prétendre à l'extension de l'effet interruptif de prescription ;
Attendu qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 30 octobre 2012, entre les parties, par la cour d'appel d'Angers ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel d'Angers, autrement composée ;
Condamne les sociétés Mutuelle centrale de réassurance, Axa France, GAN Eurocourtage vie, XL Insurance Company limited, Generali assurances IARD, Allianz IARD, Hema, Pari, Fives Celes et l'association Adria aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du dix-huit mars deux mille quatorze.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Fabiani et Luc-Thaler, avocat aux Conseils, pour la société Etablissements Rebours
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Le moyen fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir déclaré prescrite l'action que la Société REBOURS a engagée les 15, 16 et 19 février 2010 à l'encontre de l'Association ADRIA, de la Société FIVES CELES, de la Société PARI et de la Société HEMA ;
Aux motifs que « le délai de prescription a donc été interrompu par l'assignation du 27 mai 1997, contrairement à ce que soutiennent les parties ; qu'il est constant qu'aucun acte interruptif n'a été accompli au cours des dix années qui ont suivi ; que l'appelante se prévaut de l'assignation délivrée les 4, 5 et 6 juin 1991 qui, selon elle, visait à faire reconnaître un principe de créance, son droit à indemnisation du fait des désordres survenus sur la chaîne de production d'omelettes pré-cuites, ce que contestent les intimées qui soulignent qu'elle n'a eu de cesse de revendiquer l'exercice d'une action séparée pour l'indemnisation de son préjudice d'exploitation ; qu'il est exact que la Société Rebours a, dans les motifs de l'assignation, puis au cours des instances successives devant la cour d'appel, constamment réaffirmé qu'elle entendait réclamer l'indemnisation de son préjudice d'exploitation dans le cadre d'une instance séparée ; que pour ce motif, et comme l'avait déjà relevé la cour dans son arrêt du 2 mai 2000, elle n'est pas fondée à se prévaloir de la jurisprudence aux termes de laquelle l'interruption de la prescription s'étend d'une action à une autre, même si chacune d'entre elles provient de causes distinctes, lorsqu'elles tendent vers un seul et même but de telle sorte que la seconde est virtuellement comprise dans la première ; que, toutefois, la lecture de cette assignation et du jugement du 27 janvier 1993 fait apparaître que l'appelante réclamait également la condamnation in solidum d'Adria et des sociétés intervenantes à lui payer un million de francs " en remboursement des coûts internes supportés par l'entreprise en raison des dysfonctionnements de la chaîne ", et celle de l'arrêt du 6 février 1996, qu'elle avait réitéré cette demande en cause d'appel ; que cet arrêt avait d'ailleurs fixé comme mission à l'expert d'évaluer non seulement le coût des travaux de remise en état mais également les surcoûts engendrés par les dysfonctionnements et les manques à gagner ; qu'il résulte de l'arrêt du 2 mai 2000 que c'est sur la requête de la Société Rebours que le conseiller de la mise en état avait réduit la mission de l'expert au premier point par une ordonnance du 4 juillet 1997 ; qu'or, ce poste de préjudice, qui correspond à la partie du rapport de Monsieur X... relative au surcoût des désordres pendant la période de fonctionnement de la chaîne, de 1989 à 1991, est inclus dans la demande formulée dans le cadre du présent litige, à hauteur de 22. 211. 000 francs (cf. page 19 des conclusions, " coûts supplémentaires et frais financiers ") ; qu'il s'ensuit que l'appelante est fondée à invoquer l'interruption de la prescription par l'assignation des 4, 5 et 6 juin 1991 mais seulement en ce qui concerne la demande au titre des coûts supplémentaires induits par les désordres pendant le fonctionnement de la chaîne, les autres demandes étant prescrites depuis le 27 mai 2007 comme il a été vu plus haut ; qu'en revanche, c'est l'arrêt du 6 février 1996, devenu définitif par suite de l'arrêt de la cour de cassation du 30 mars 1999, qui a mis un terme définitif à ce litige, l'arrêt de 2000, devenu définitif en 2004, concernant l'indemnisation du préjudice matériel ; que l'assignation délivrée le 16 7 février 2010 l'a donc été après l'expiration du délai de dix ans ; que le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a déclaré l'action irrecevable comme prescrite » ;
Alors que l'interruption de la prescription consécutive à l'introduction d'une première action s'étend à une toute action engagée postérieurement dès lors que les deux actions, bien qu'ayant une cause distincte, tendent à un seul et même but, de sorte que la seconde est virtuellement comprise dans la première ; que l'action en réparation d'un préjudice pour pertes d'exploitation découlant de la défectuosité d'une chaîne de fabrication industrielle tend au même but que l'action antérieure en réparation du préjudice matériel consécutif à cette même défectuosité, et est virtuellement comprise dans cette dernière ; que pour déclarer irrecevable comme prescrite l'action en réparation du préjudice pour pertes d'exploitation formée par la Société REBOURS, l'arrêt énonce que cette dernière ne pouvait se prévaloir de la règle de l'extension de l'interruption de la prescription à une procédure ultérieure au motif qu'elle aurait indiqué dans la première procédure qu'elle entendait réclamer l'indemnisation de son préjudice d'exploitation dans le cadre d'une instance séparée ; qu'en statuant ainsi, par un motif impropre à établir l'impossibilité d'étendre à la présente procédure engagée par la Société REBOURS l'effet interruptif de prescription produit par la procédure antérieurement engagée en 1991 et achevée en 2004, la Cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard des articles 2241 et 2242 du Code civil.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
Le moyen fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir condamné la Société REBOURS à payer aux Sociétés ADRIA, FIVES CELES, PARI et HEMA la somme de 5. 000 euros à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive ;
Aux motifs qu'« il est indéniable que la Société Rebours a manqué de cohérence dans la conduite de son procès en responsabilité en adoptant des positions successives contradictoires. Comme le fait observer la Société Hema, la cour ayant définitivement jugé, dans le dispositif de l'arrêt du 6 février 1996, que la Société Sipa pouvait seule être tenue, en sa qualité de maître d'oeuvre, de " l'ensemble des dysfonctionnements atteignant la chaîne, comprenant les coûts de reprise et le préjudice subi du fait des surcoûts en matières premières et en personnel et le préjudice constituant le manque à gagner par rapport aux prévision contractuelles ", c'est-à-dire du préjudice matériel et du préjudice d'exploitation, la demande était susceptible en tout état de cause de se heurter à l'autorité de chose jugée. Par ailleurs, il résulte de l'arrêt de mai 2000 qu'elle avait demandé la modification de la mission de l'expert judiciaire parce que l'évaluation des surcoûts et du manque à gagner était devenue inutile dans la mesure où la Société Sipa était en liquidation judiciaire et n'était pas assurée. Il ne faisait donc pas difficulté pour elle alors qu'elle ne pouvait pas réclamer l'indemnisation de son préjudice d'exploitation aux sociétés sous-traitantes. Enfin, dans le contexte qui vient d'être évoqué, elle n'hésite pas à réclamer une somme exorbitante 19 ans après l'arrêt définitif de la chaîne de production, sur la base d'un rapport non contradictoire établi en 2006, et avec les intérêts au taux légal depuis 21 ans ; qu'elle a agi ainsi au détriment des intimées qui sont fondées à invoquer un préjudice distinct des frais qu'elles ont dû exposer pour assurer leur défense » ;
Alors que l'exercice d'une action en justice ne dégénère en abus que s'il constitue un acte de malice ou de mauvaise foi, s'il est consécutif à une erreur grave équipollente au dol, ou s'il intervient au prix d'une légèreté blâmable ; que pour condamner la Société REBOURS pour procédure abusive, l'arrêt retient en premier lieu que la Société REBOURS avait manqué de cohérence dans la conduite de son procès en responsabilité en adoptant des positions successives contradictoires, dès lors que l'arrêt d'appel du 6 février 1996 avait définitivement jugé que la Société SIPA pouvait seule être tenue, en sa qualité de maître d'oeuvre, de " l'ensemble des dysfonctionnements atteignant la chaîne, comprenant les coûts de reprise et le préjudice subi du fait des surcoûts en matières premières et en personnel et le préjudice constituant le manque à gagner par rapport aux prévision contractuelles ", c'est-à-dire du préjudice matériel et du préjudice d'exploitation, la demande étant susceptible en tout état de cause de se heurter à l'autorité de chose jugée, et qu'il résulte de l'arrêt de mai 2000 que la Société REBOURS avait demandé la modification de la mission de l'expert judiciaire parce que l'évaluation des surcoûts et du manque à gagner était devenue inutile dans la mesure où la Société SIPA était en liquidation judiciaire et n'était pas assurée, ce dont il s'évinçait qu'elle ne pouvait pas réclamer l'indemnisation de son préjudice d'exploitation aux sociétés soustraitantes, et en second lieu que la Société REBOURS n'hésitait pas à réclamer une somme exorbitante 19 ans après l'arrêt définitif de la chaîne de production, sur la base d'un rapport non contradictoire établi en 2006, et avec les intérêts au taux légal depuis 21 ans ; qu'en statuant ainsi, par des motifs impropres à établir un quelconque abus de la Société REBOURS dans l'exercice de son droit d'agir, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 32-1 du Code de procédure civile, ensemble l'article 1382 du Code civil.