LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Vu leur connexité, joint les pourvois n° J 12-29. 703 à P 12-29. 707, D 12-29. 721 à G 12-29. 725, N 12-29. 729 à R 12-29. 732 ;
Attendu, selon les arrêts attaqués (Amiens, 30 novembre 2011), que la société Filature française de Mohair (FFM), qui exerce son activité dans son usine de Péronne, a, le 1er décembre 2008, présenté au comité d'entreprise un projet de cessation d'activité et de licenciement pour motif économique de l'ensemble de son personnel ;
Sur le premier moyen :
Attendu que les salariés font grief aux arrêts de les déclarer irrecevables en leurs demandes dirigées contre les sociétés FFM finance et Dewavrin et de les débouter de leurs demandes de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, alors, selon le moyen :
1°/ qu'en statuant de la sorte sans s'expliquer, comme elle y était invitée par les écritures d'appel des salariés, sur le degré d'indépendance de l'encadrement de la société FFM et sur le fait que les sociétés Dewavrin, FFM et FFM finance avaient des dirigeants communs, toutes circonstances susceptibles de démontrer la confusion d'activité, d'intérêt et de direction entre ces sociétés et leur qualité de co-employeurs, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1221-1 du code du travail ;
2°/ qu'indépendamment de tout jugement quant à l'opportunité de la filialisation des activités industrielles du groupe Dewavrin-FFM, il appartenait à la cour d'appel de rechercher si ce choix juridique n'avait pas été retenu dans le seul intérêt de la société mère, bénéficiaire de la cession de ces actifs, démontrant dès lors la confusion d'intérêt entre ces trois entités ; que faute d'avoir procédé à cette recherche, à laquelle, encore une fois, l'invitaient les écritures d'appel, la cour d'appel a de plus fort privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1221-1 du code du travail ;
Mais attendu que la cour d'appel a constaté que la société FFM finances, dont la seule activité était liée à la propriété du bâtiment exploité par la société FFM n'avait aucun salarié et aucune activité opérationnelle tandis que la société Dewavrin, société mère des nombreuses autres sociétés filiales du groupe n'avait que deux salariés pour gérer la stratégie de ce groupe ; que l'affirmation selon laquelle la société FFM n'avait pas de clients propres n'était corroborée par aucune pièce, que M. X... détenait moins de 6 % des actions de la société Dewavrin, que la société FFM disposait à l'inverse des sociétés Dewavrin et FFM finances d'une équipe de direction comprenant notamment un directeur du site, un directeur commercial et un directeur des relations humaines et que si la société Dewavrin en qualité de société mère détenant l'entier capital de la société FFM s'intéressait nécessairement aux affaires de celle-ci, une telle situation ne caractérisait pas le co-emploi, la confusion des intérêts entre les sociétés FFM, FFM finances et Dewavrin, n'étant pas autrement caractérisée que par la possession par cette dernière du capital des deux autres, que la preuve n'était pas rapportée de l'existence d'une immixtion des sociétés Dewavrin, et FFM finances dans la gestion de la société FFM et en particulier dans les procédures qui ont conduit à la cessation d'activité de cette dernière tant en ce qui concerne le plan de sauvegarde de l'emploi que les licenciements ; que procédant ainsi aux recherches que le moyen lui reproche de ne pas avoir faites, elle a légalement justifié sa décision ;
Sur le second moyen :
Attendu que les salariés font grief aux arrêts de les déclarer irrecevables en leurs demandes de dommages et intérêts pour non-respect de l'ordre des licenciements, alors, selon le moyen :
1°/ que la cour d'appel qui a déclaré irrecevable la demande des salariés sans relever l'existence d'une fin de non-recevoir, en raison du caractère inopérant du moyen allégué, ce qui relève du fond du droit, a privé sa décision de base légale au regard de l'article 122 du code de procédure civile ;
2°/ que le juge doit se placer à la date de l'engagement de la procédure de licenciement ou de rupture du contrat de travail ; que la cour d'appel qui a constaté que la rupture des contrats de travail était intervenue à des dates variables et que l'activité de l'entreprise avait été poursuivie jusqu'à fin 2009, ce dont il résultait que les procédures tendant à la rupture du contrat de travail de l'ensemble des salariés n'avaient pas été engagées simultanément et qu'à chaque étape de ce processus, l'employeur devait opérer un choix parmi les salariés à licencier, ne pouvait dès lors écarter les règles relatives à l'ordre des licenciements sans méconnaître ses propres énonciations et violer l'article L. 1233-5 du code du travail ;
Mais attendu que les critères d'ordre des licenciements pour motif économique ne s'appliquent que si l'employeur doit opérer un choix parmi les salariés à licencier ; que tel n'est pas le cas lorsqu'il décide de cesser son activité et de licencier tous ses salariés, peu important que, pour les besoins de l'arrêt d'activité, les notifications des licenciements ne soient pas simultanées ; qu'après avoir constaté que l'employeur avait décidé d'une cessation d'activité et du licenciement de tous ses salariés, le plan de sauvegarde de l'emploi prévoyant le départ de trente-trois salariés le 27 décembre 2008, de dix le 31 janvier 2009 et de vingt le 28 février 2009, la minorité de salariés restant devant être licenciée au fur et à mesure des besoins de la liquidation des stocks et de la vente des machines, c'est à bon droit que la cour d'appel a décidé qu'il n'y avait pas lieu à l'application des critères d'ordre ; qu'abstraction faite de l'erreur matérielle commise par le premier juge et critiquée par la première branche, le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE les pourvois ;
Condamne les demandeurs aux dépens ;
Vu les articles 700 du code de procédure civile et 37 de la loi du 10 juillet 1991, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du cinq février deux mille quatorze.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits aux pourvois par la SCP Roger, Sevaux et Mathonnet, avocat aux Conseils, pour Mmes Y..., G..., H..., I..., J..., K..., Z..., L..., M..., N..., O..., MM. A..., B... et C....
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief aux arrêts attaqués d'avoir déclaré les salariés irrecevables en leurs demandes dirigées contre les sociétés FFM Finance et Dewavrin et de les avoir débouté de leurs demandes de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
1°) Aux motifs, sur les qualités de co-employeurs des sociétés FFM, FFM Finance et Dewavrin, que l'existence d'une confusion des activités des trois sociétés n'est pas démontrée dès lors que la société FFM Finance, dont la seule activité était liée à la propriété du bâtiment exploité par la société FFM, n'avait aucun salarié et aucune activité opérationnelle, tandis que la société Dewavrin, société mère des nombreuses autres sociétés filiales du groupe oeuvrant dans le commerce des laines brutes et la production des peignés de laine, n'avait que 2 salariés pour gérer la stratégie de ce groupe ; qu'à cet égard, le fait que l'objet social de ces sociétés soit identique ne saurait impliquer la confusion de leurs activités ; que l'affirmation selon laquelle la société FFM n'avait pas de clients propres n'est corroborée par aucune pièce, étant observé que cette société était la seule parmi les intimées à disposer d'un directeur commercial ; que le rapport du directoire de la société Dewavrin produit aux débats n'est pas démonstratif d'une confusion de ses activités avec celles de la société FFM dès lors qu'il a été établi pour une assemblée générale du 25 mars 2011, soit plus de 2 ans après la cessation totale d'activité de la société FFM et que les opérations relatives à cette dernière concernent la liquidation des stocks, la vente des machines, et les négociations sur la cession du site de Péronne qui n'appartenait d'ailleurs pas à la société FFM ; que s'agissant de la confusion des directions, la preuve n'est pas rapportée de l'existence d'une immixtion des sociétés Dewavrin et FFM Finance dans la gestion de la société FFM et en particulier dans les procédures qui ont conduit à la cessation d'activité de cette dernière, tant en ce qui concerne le plan de sauvegarde de l'emploi que les licenciements ; qu'il convient de préciser en outre que Monsieur X... ne détient que moins de 6 % des actions de la société Dewavrin que la société FFM disposait, à l'inverse des sociétés Dewavrin et FFM Finance, d'une équipe de direction comprenant notamment M. D..., directeur du site, M. E..., directeur commercial, et M. F..., directeur des relations humaines, et enfin que si la société Dewavrin en qualité de société mère détenant l'entier capital de la société FFM s'intéressait nécessairement aux affaires de celle-ci, une telle situation ne caractérise pas le coemploi ; que la confusion des intérêts des sociétés FFM, FFM Finance, et Dewavrin n'est pas autrement caractérisée par la possession par cette dernière du capital des deux autres ; que le résultat comptable de 7 millions d'euros de la société FFM Finance en 2006 correspond pour partie à la cession des actifs à la SAS FFM qui venait d'être créée pour reprendre l'activité du site de Péronne et pour partie à une reprise de provision pour hausse des prix (à hauteur de 5. 645. 000 euros) qui devait nécessairement être rapportée au résultat, son fondement ayant disparu du fait du transfert de l'activité à la nouvelle société ; que cette opération comptable, conséquence d'un choix juridique de création de cette nouvelle société dont la Cour n'a pas à apprécier l'opportunité, outre qu'elle est bien antérieure à la décision de cessation d'activité du site de Péronne, ne démontre pas une confusion d'intérêts entre les sociétés FFM et FFM Finance ; que les qualités de coemployeurs des sociétés FFM, FFM Finance et Dewavrin n'étant pas établies, le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a déclaré irrecevables les demandes de l'appelante à l'encontre de ces deux dernières ;
2°) Aux motifs, sur le motif économique du licenciement, que la cessation d'activité de l'entreprise, quand elle n'est pas due à une faute de l'employeur ou à sa légèreté blâmable, constitue un motif économique de licenciement ; qu'en l'espèce il résulte des pièces versées aux débats que la société FFM a connu une baisse importante de son activité du fait de la concurrence internationale, en particulier entre 2004 et 2008, un endettement conséquent et des pertes de près de 5 millions d'euros en septembre 2008 ; que de même le groupe Dewavrin, ainsi qu'il résulte de la lecture de ses résultats consolidés, a accusé des pertes constantes depuis 2003 et en particulier en 2007 et 2008 (plus de 15 millions d'euros de pertes au cours de cette dernière année), de nombreuses sociétés de ce groupe étant contraintes de mettre fin à leurs activités tant en France qu'à l'étranger ; que le secteur lainier, alors activité essentielle du groupe a en effet connu de grandes difficultés pour les raisons ci-dessus exposées, ce qui a conduit le groupe Dewavrin à réorienter son activité dans le secteur cosmétique ; que par ailleurs, si un rapprochement avait bien été effectué entre le groupe Dewavrin et le groupe Samil par la création d'une société holding dénommée Ubuntu qui détenait notamment les actions d'une société Alpha Tops Uk, cette opération n'a pas donné les résultats escomptés, ce qui a conduit à une scission février 2008, soit antérieurement aux démonstration de l'existence à un moment quelconque d'un groupe Dewavrin/ Alpha Tops, ni d'une délocalisation de la production qui aurait été pratiquée par le groupe Dewavrin ; que le fait que l'activité se soit poursuivie, selon les cas après acceptation de la convention de reclassement personnalisé ou après la rupture de contrat de travail, ne remet pas en cause le motif de la rupture dès lors que, dans le premier cas, d'une part il s'agit d'une rupture d'un commun accord et non d'un licenciement et que d'autre part, il est constant que la société FFM a cessé définitivement son activité à la fin de l'année 2009, et, dans le second cas, dès lors que la société FFM a dû nécessairement assurer la production relative aux dernières commandes en cours, valoriser le stock de marchandises et nettoyer terrains et constructions avant de cesser définitivement son activité à la fin de 2009 ;
Alors, d'une part, qu'en statuant de la sorte sans s'expliquer, comme elle y était invitée par les écritures d'appel des salariés, sur le degré d'indépendance de l'encadrement de la société FFM et sur le fait que les sociétés Dewavrin, FFM et FFM Finance avaient des dirigeants communs, toutes circonstances susceptibles de démontrer la confusion d'activité, d'intérêt et de direction entre ces sociétés et leur qualité de co-employeurs, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1221-1 du Code du travail ;
Alors, d'autre part, qu'indépendamment de toute jugement quant à l'opportunité de la filialisation des activités industrielles du groupe Dewavrin-FFM, il appartenait à la Cour d'appel de rechercher si ce choix juridique n'avait pas été retenu dans le seul intérêt de la société mère, bénéficiaire de la cession de ces actifs, démontrant dès lors la confusion d'intérêt entre ces trois entités ; que faute d'avoir procédé à cette recherche, à laquelle, encore une fois, l'invitaient les écritures d'appel des exposants, la Cour d'appel a de plus fort privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1221-1 du Code du travail ;
SECOND MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief aux arrêts attaqués d'avoir déclaré les salariés irrecevables en leurs demandes de dommages et intérêts pour non-respect de l'ordre des licenciements ;
Aux motifs, que les règles relatives au critère d'ordre des licenciements n'ont vocation à s'appliquer que lorsque l'employeur doit opérer un choix parmi les salariés licenciés ; que tel n'est pas le cas en l'espèce dès lors que la société FFM, ayant décidé de cesser totalement son activité, a mis fin au contrat de travail de l'ensemble de ses salariés, soit par rupture d'un commun accord entre les parties, soit par licenciement ;
Et aux motifs, le cas échéant repris des premiers juges, que les critères de licenciement de l'article L. 1233-5 du Code du travail ont pour objet de fixer l'ordre de priorité des licenciements du personnel en tenant compte des critères professionnels et sociaux ; qu'il ne faut pas confondre l'ordre des licenciements au sens de l'article L. 1233-5 et le calendrier des licenciements ; que dès lors les critères d'ordre de licenciement sont inopérants lorsqu'il y a cessation totale d'activité et licenciement de la totalité du personnel ; qu'en conséquence, il y a lieu de dire que la demande à l'encontre de la société FFM SAS pour violation des critères fixant l'ordre des licenciements est irrecevable ;
Alors, d'une part, que la Cour d'appel qui a déclaré irrecevable la demande des salariés sans relever l'existence d'une fin de non-recevoir, en raison du caractère inopérant du moyen allégué, ce qui relève du fond du droit, a privé sa décision de base légale au regard de l'article 122 du Code de procédure civile ;
Alors, d'autre part, que le juge doit se placer à la date de l'engagement de la procédure de licenciement ou de rupture du contrat de travail ; que la Cour d'appel qui a constaté que la rupture du contrat de travail des exposants était intervenue à des dates variables et que l'activité de l'entreprise avait été poursuivie jusqu'à fin 2009, ce dont il résultait que les procédures tendant à la rupture du contrat de travail de l'ensemble des salariés n'avaient pas été engagées simultanément et qu'à chaque étape de ce processus, l'employeur devait opérer un choix parmi les salariés à licencier, ne pouvait dès lors écarter les règles relatives à l'ordre des licenciements sans méconnaître ses propres énonciations et violer l'article L. 1233-5 du Code du travail.