LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par :
- Le conseil national de l'ordre des pharmaciens, partie civile,
contre l'arrêt n° 267 de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de REIMS, en date du 15 décembre 2011, qui, dans l'information suivie contre Mme Sophie X... épouse Y... du chef d'exercice illégal de la pharmacie, a confirmé l'ordonnance de non-lieu rendue par le juge d'instruction ;
La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 29 octobre 2013 où étaient présents dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Louvel président, Mme Harel-Dutirou conseiller rapporteur, M. Arnould, conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : M. Bétron ;
Sur le rapport de Mme le conseiller référendaire HAREL-DUTIROU, les observations de la société civile professionnelle CÉLICE, BLANCPAIN et SOLTNER, la société civile professionnelle GHESTIN, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général LIBERGE ;
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 1er § 2 de la Directive n° 2001/83/CE du 6 novembre 2001 modifiée par la Directive n°2004/27/CE du 31 mars 2004, L. 4211-1, L. 5111-1 du code de la santé publique, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale et violation de la loi ;
"en ce que l'arrêt attaqué a dit n'y avoir lieu à suivre sur la plainte déposée le 23 décembre 1999 par le Conseil National de l'Ordre des Pharmaciens du chef d'exercice illégal de la profession de pharmacien à raison de la fabrication et de la commercialisation de l'alcool modifié à 70° de marque Phy et de l'eau oxygénée stabilisée 10 volumes de marque Phy ;
"aux motifs que, concernant l'alcool modifié à 70° : que cette substance étant vendue sous un emballage dépouillé de toute mention vantant une action thérapeutique, elle ne peut être considérée comme médicament par présentation ; attendu que la qualification de médicament par fonction ne peut pas non plus lui être décernée ; qu'en effet, si l'alcool à 70° possède une vertu thérapeutique propre à prévenir et à combattre une infection, cet effet antiseptique ne lui confère pas pour autant le pouvoir de modifier les fonctions physiologiques ; attendu qu'il n'y a donc là charges suffisantes de l'infraction poursuivie ; (¿) ; sur une nouvelle mise en examen : que la partie civile, relevant que Mme Y... a été poursuivie pour avoir proposé à la vente de l'eau oxygénée de marque Mercurochrome, alors qu'elle aurait mis en vente ce même produit, à concentration de 10 volumes, mais de marque Phy, demande qu'elle soit mise en examen de ce dernier chef ; Mais attendu que le produit en cause, sur l'emballage duquel il est expressément mentionné qu'il ne doit pas être utilisé sur une plaie et sur lequel ne figure aucune indication de nature thérapeutique, ne peut être regardé comme un médicament par présentation ; qu'il ne peut davantage être considéré comme un médicament par fonction, ses propriétés bactéricides, fongicides et hémostatiques, seraient-elles utilisées en médecine, n'étant pas curatives ou préventives à l'égard des maladies, ne permettant pas non plus un usage destiné à établir un diagnostic médical et n'ayant pas davantage la vertu de modifier de manière significative les fonctions physiologiques au sens de l'article L. 511-1 du code de la santé publique et de l'article L. 511-1 du même code, en vigueur à l'époque des infractions poursuivies ; Attendu qu'il n'y a donc pas, dans la vente d'un tel produit, indice graves et concordants d'exercice illégal de la pharmacie qui justifieraient une mise en examen » ;
"1°) alors que constitue un médicament par présentation toute substance ou composition présentée comme possédant des propriétés curatives ou préventives à l'égard des maladies humaines ou animales ; que la notion de médicament par présentation doit s'interpréter de manière extensive ; qu'ainsi, il y a lieu de considérer qu'un produit est présenté comme possédant des propriétés curatives ou préventives lorsque, d'une part, il est décrit ou recommandé expressément comme tel, éventuellement au moyen d'étiquettes, de notices ou d'une présentation orale ou, d'autre part, lorsqu'il apparaît, de manière implicite mais certaine, aux yeux d'un consommateur moyennement avisé, que ledit produit devrait, eu égard à sa présentation, avoir des propriétés curatives ou préventives ; qu'au cas présent, la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Reims a relevé, s'agissant de l'alcool à 70 degrés que : « cette substance étant vendue sous un emballage dépouillé de toute mention vantant une action thérapeutique, elle ne peut être considérée comme médicament par présentation » ; que, s'agissant de l'eau oxygénée, elle a retenu que : « le produit en cause, sur l'emballage duquel il est expressément mentionné qu'il ne doit pas être utilisé sur une plaie et sur lequel ne figure aucune indication de nature thérapeutique, ne peut être regardé comme un médicament par présentation » ; qu'en se bornant à écarter la qualification de médicament par présentation en envisageant les seules mentions explicites du conditionnement des produits litigieux, sans rechercher, comme elle y était invitée (mémoire de partie civile, pp. 23, 26, 30), si la qualification de médicament par présentation pouvait résulter d'éléments implicites tels que la présentation, les indications sur la composition, la posologie, les précautions d'emploi et les contre-indications, la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Reims a privé sa décision de base légale au regard des textes visés au moyen ;
"2°) alors que constitue un médicament par fonction toute substance ou composition pouvant être utilisée chez l'homme ou chez l'animal ou pouvant leur être administrée, en vue d'établir un diagnostic médical ou de restaurer, corriger ou modifier leurs fonctions physiologiques en exerçant une action pharmacologique, immunologique ou métabolique ; que, pour décider si un produit relève de la définition du médicament par fonction, les autorités nationales, agissant sous le contrôle du juge, doivent se prononcer au cas par cas, en tenant compte de l'ensemble des caractéristiques du produit, dont notamment sa composition, ses propriétés pharmacologiques, immunologiques ou métaboliques telles qu'elles peuvent être établies en l'état actuel de la connaissance scientifique, ses modalités d'emploi, l'ampleur de sa diffusion, la connaissance qu'en ont les consommateurs et les risques que peut entraîner son utilisation ; qu'en outre, l'existence de propriétés pharmacologiques, immunologiques ou métaboliques, qui constitue le critère déterminant sur la base duquel il convient d'apprécier si un produit constitue un médicament par fonction, doit être positivement établie par la science ; qu'au cas présent, pour écarter la qualification de médicament par fonction à l'égard de l'alcool à 70 degrés, la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Reims a relevé que : « si l'alcool à 70° possède une vertu thérapeutique propre à prévenir et à combattre une infection, cet effet antiseptique ne lui confère pas pour autant le pouvoir de modifier les fonctions physiologiques » ; qu'en se déterminant ainsi, alors que le constat de l'existence d'une vertu thérapeutique propre à prévenir et combattre l'infection ainsi que d'un effet antiseptique impliquait nécessairement l'existence d'une action pharmacologique, immunologique ou métabolique de nature à restaurer, corriger ou modifier les fonctions physiologiques, la cour n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé les textes visés au moyen ;
"3°) alors que, et en tout état de cause, pour écarter la qualification de médicament par fonction à l'égard de l'alcool à 70 degrés, la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Reims a relevé que : « si l'alcool à 70° possède une vertu thérapeutique propre à prévenir et à combattre une infection, cet effet antiseptique ne lui confère pas pour autant le pouvoir de modifier les fonctions physiologiques » ; qu'en se déterminant ainsi, la chambre de l'instruction de la cour d'appel, qui ne pouvait, sans se contredire, à la fois constater que les deux produits litigieux possédaient des propriétés thérapeutiques antiseptiques, désinfectantes et asséchantes et énoncer qu'ils n'étaient pas utilisés en vue de restaurer, modifier ou corriger les fonctions physiologiques, n'a pas justifié sa décision au regard des textes visés au moyen ;
"4°) alors qu'aux termes de l'article 593 du code de procédure pénale, les arrêts de la chambre de l'instruction sont déclarés nuls s'ils ne contiennent pas de motifs ou si leurs motifs sont insuffisants et ne permettent pas à la Cour de cassation d'exercer son contrôle et de vérifier si la loi a été respectée dans le dispositif ; qu'en particulier, les arrêts de la chambre de l'instruction sont déclarés nuls s'ils ne répondent pas aux articulations essentielles des mémoires des parties ; qu'au cas présent, pour conclure que l'eau oxygénée 10 volumes ne constituait pas un médicament par fonction, la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Reims a énoncé que « ses propriétés bactéricides, fongicides et hémostatiques, seraient-elles utilisées en médecine, n'étant pas curative ou préventive à l'égard des maladies, le permettant pas non plus un usage destiné à établir un diagnostic médical et n'ayant pas davantage la vertu de modifier de manière significative les fonctions physiologiques au sens de l'article L. 511-1 du code de la santé publique et de l'article L. 511 du même code, en vigueur à l'époque des infractions poursuivies » ; que, toutefois, dans son mémoire de partie civile, le CNOP produisait et analysait un rapport d'expertise pharmaco-toxicologique et microbiologique sur les produits antiseptiques, réalisé en 2009 par le docteur Hélène Z... et le professeur Sophie A..., attachées au laboratoire de pharmacologie et de toxicologie du CHU de Reims (mémoire de partie civile, p 23-33), et dont il résultait notamment que l'eau oxygénée 10 volumes présente des effets thérapeutiques et constitue un médicament par fonction ; qu'en s'abstenant de répondre à ce moyen péremptoire fondé sur des éléments sérieux d'expertise de nature à démontrer que le produit litigieux constituait un médicament par fonction, la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Reims a violé l'article 593 du code de procédure pénale ;
"5°) alors que, et en tout état de cause, que constitue un médicament par fonction toute substance ou composition pouvant être utilisée chez l'homme ou chez l'animal ou pouvant leur être administrée, en vue d'établir un diagnostic médical ou de restaurer, corriger ou modifier leurs fonctions physiologiques en exerçant une action pharmacologique, immunologique ou métabolique ; que, pour décider si un produit relève de la définition du médicament par fonction, les autorités nationales, agissant sous le contrôle du juge, doivent se prononcer au cas par cas, en tenant compte de l'ensemble des caractéristiques du produit, dont notamment sa composition, ses propriétés pharmacologiques, immunologiques ou métaboliques telles qu'elles peuvent être établies en l'état actuel de la connaissance scientifique, ses modalités d'emploi, l'ampleur de sa diffusion, la connaissance qu'en ont les consommateurs et les risques que peut entraîner son utilisation ; qu'au cas présent, pour conclure que l'alcool à 70 degrés ne constituait pas un médicament par fonction, elle a retenu que : « si l'alcool à 70° possède une vertu thérapeutique propre à prévenir et à combattre une infection, cet effet antiseptique ne lui confère pas pour autant le pouvoir de modifier les fonctions physiologiques » ; et pour conclure que l'eau oxygénée 10 volumes n'était pas un médicament par fonction, la cour d'appel a retenu que : « ses propriétés bactéricides, fongicides et hémostatiques, seraient-elles utilisées en médecine, n'étant pas curative ou préventive à l'égard des maladies, le permettant pas non plus un usage destiné à établir un diagnostic médical et n'ayant pas davantage la vertu de modifier de manière significative les fonctions physiologiques au sens de l'article L. 511-1 du code de la santé publique et de l'article L. 511 du même code, en vigueur à l'époque des infractions poursuivies » ; que pour les deux produits litigieux, la cour d'appel de Reims s'est donc bornée à envisager le critère des propriétés pharmacologiques, immunologiques ou métaboliques, sans envisager, comme elle y était pourtant invitée (mémoire de partie civile, p 23-33), les critères de la composition, des modalités d'emploi, de l'ampleur de la diffusion, de la connaissance que les consommateurs ont du produit et des risques que peut entraîner son utilisation ; qu'en se prononçant ainsi, sans procéder à l'analyse concrète qui lui incombait, la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Reims n'a pas donné de base légale à sa décision au regard des textes visés au moyen ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure que, le 23 décembre 1999, le conseil national de l'ordre des pharmaciens a porté plainte et s'est constitué partie civile du chef d'exercice illégal de la pharmacie, en raison notamment de la commercialisation par le magasin Bleue Para situé à Troyes (Aube), d'alcool modifié à 70° et d'eau oxygénée stabilisée 10 volumes de marque Phy qu'il considérait comme des médicaments ; qu'une information judiciaire a été ouverte ;
Attendu que, pour confirmer l'ordonnance de non lieu rendue par le juge d'instruction, l'arrêt prononce par les motifs reproduits au moyen ;
Attendu qu'en cet état, la chambre de l'instruction a justifié sa décision ;
D'où il suit que le moyen doit être écarté ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi ;
DIT n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le dix décembre deux mille treize ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;