LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Donne acte aux sociétés Compagnie des travaux mécaniques, CTM Debrie, Technique vidéo services et D2A du désistement de leur pourvoi en ce qu'il est dirigé contre les sociétés Crédit du Nord, Crédit lyonnais et Société générale ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que les sociétés Compagnie des travaux mécaniques, CTM Debrie et Technique vidéo services (les sociétés), victimes de détournements commis par leur comptable salariée, ont fait assigner leurs experts-comptables successifs, M. X... et la société Fiduciaire Paris Ouest, en paiement de dommages-intérêts, en leur imputant un défaut de surveillance ayant permis les détournements de fonds ; qu'une expertise comptable a été ordonnée ;
Sur le moyen unique, pris en sa deuxième branche :
Vu l'article 1147 du code civil ;
Attendu que pour rejeter la demande, l'arrêt retient qu'aucune mission de vérification à partir des talons de chèques et de contrôle par sondage n'avait été confiée aux experts-comptables et que le désordre de la comptabilité des sociétés avait contraint la société Fiduciaire Paris Ouest à passer jusqu'à quatre cents écritures correctrices ;
Attendu qu'en statuant ainsi, alors que l'expert-comptable, investi d'une mission de présentation des comptes annuels, doit vérifier la vraisemblance et la cohérence des comptes de son client en procédant à des contrôles par sondage des pièces comptables, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
Et sur le moyen, pris en sa quatrième branche :
Vu l'article 1147 du civil ;
Attendu que pour statuer comme il fait, l'arrêt retient que les contrôles préconisés par l'expert judiciaire, à savoir la vérification de la comptabilisation à partir des talons de chèques et le contrôle par sondages des factures des fournisseurs, n'auraient pas permis, de façon certaine, de découvrir les détournements de fonds et d'en prévenir le renouvellement, compte tenu de l'ingéniosité du procédé mis en place par Mme Y... ;
Attendu qu'en statuant ainsi, alors qu'elle constatait que la comptable salariée établissait une ligne comptable au nom du fournisseur, sans facture réelle correspondante, et inscrivait en comptabilité un chèque comme remis au fournisseur, voire portait la mention « annulé » sur les souches de chèques ou les faisait disparaître, les chèques étant libellés à son ordre, à celui de Mme Z... ou à celui de commerçants auprès desquels elle procédait à des achats, ce dont il résultait que le contrôle des factures des fournisseurs et de la comptabilisation des chèques aurait permis de mettre à jour ses agissements, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il rejette les demandes des sociétés Compagnie des travaux mécaniques, CTM Debrie, Technique vidéo services et D2A à l'encontre de M. X... et de la société Fiduciaire Paris Ouest, l'arrêt rendu le 10 avril 2012, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Versailles, autrement composée ;
Condamne M. X... et de la société Fiduciaire Paris Ouest aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette leur demande et les condamne à payer aux sociétés Compagnie des travaux mécaniques, CTM Debrie, Technique vidéo services et D2A la somme globale de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du treize novembre deux mille treize.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par Me Le Prado, avocat aux Conseils, pour les sociétés Compagnie des travaux mécaniques, CTM Debrie, D2A et Technique vidéo services
Le moyen reproche à l'arrêt infirmatif attaqué :
D'AVOIR rejeté la demande des sociétés CTM, CTM DEBRIE et TVS aux fins de voir condamner in solidum Monsieur X... et la société FIDUCIAIRE PARIS OUEST à payer la somme principale de 165.113,97 ¿ à la société CTM, celle de 85.331,76 ¿ à la société CTM DEBRIE et celle de 159.616,28 ¿ à la société TVS ;
AUX MOTIFS QU'« il résulte des pièces du dossier que Madame Y... établissait une ligne comptable au nom d'un fournisseur, sans facture réelle correspondante, inscrivait en comptabilité un chèque comme remis au fournisseur ou faisait apparaître la mention annulé sur les souches de chèques correspondantes, ou même les faisait disparaître, les chèques étant libellés à son ordre, à celui de Madame Z... ou de commerçants auprès desquels elle procédait à des achats ; que le montant du préjudice retenu par le Tribunal correctionnel et non contesté par Madame Y... s'élève à la somme de 2.501.209,20 francs, et les biens ainsi acquis par la prévenue comme quatre véhicules automobiles, deux motocyclettes, et une remorque porte-bateau ; que Madame Y... avait été plusieurs fois condamnée, notamment pour des faits qualifiés d'abus de confiance en 1975 et 1981, falsification de chèques et usage en 1977, et, en dernier lieu, le 21 janvier 1993 par le Tribunal correctionnel de Pontoise, à la peine de trois ans d'emprisonnement pour abus de confiance et escroquerie ; que selon le rapport de Monsieur A... en date du 21 mars 2002, l'état de la comptabilité de la société CTM a toujours été problématique. Madame B... n'avait pas cru nécessaire de formaliser par écrit ses observations. Il est aussi incontestable que le dirigeant était informé de la situation défaillante de la comptabilité ; qu'aucune faute engageant la responsabilité de la société Fiduciaire Paris Ouest ne peut être retenue dans le recrutement de Madame Y..., la grave négligence de Monsieur C... dans le contrôle des antécédents et la surveillance de sa salariée étant seule à l'origine de son préjudice, alors qu'il se devait de surveiller l'usage des chéquiers et de contrôler les relevés bancaires, aucune mission de vérifications à partir des talons de chèques et de contrôle par sondage n'ayant été confiée aux experts-comptables ; que le désordre avéré de la comptabilité s'est traduit par la nécessité pour la société Fiduciaire Paris Ouest de passer jusqu'à quatre cents écritures correctrices ; que cet élément, par ses conséquences sur le temps de présence de l'expert-comptable et son coût corrélatif, ne pouvait passer inaperçu, sauf négligence fautive du dirigeant des sociétés ; qu'il n'est, au demeurant, pas démontré que la mise en place des contrôles préconisés par l'expert aurait permis, de façon certaine, de découvrir les détournements et d'en prévenir le renouvellement, compte tenu de l'ingéniosité du procédé mis en place par Madame Y... ; qu'ainsi, la faute des sociétés CTM, CTM Debrie et TVS, lesquelles se sont abstenues durant plusieurs années de contrôler a minima l'activité de leur salariée et de procéder à la vérification de leurs comptes, sans pour autant en confier la mission à un tiers, a seule permis la réalisation des détournements ; que ces sociétés, disposant d'un titre à rencontre de Madame Y..., ne font pas apparaître dans leurs demandes chiffrées le montant des sommes récupérées par l'attribution définitive du cautionnement, et ont également négligé de recouvrer le surplus sur Madame Y..., dont elles ne démontrent pas l'insolvabilité, contredite par les éléments du dossier pénal ; qu'en considération de ces éléments, le jugement sera réformé sur le partage de responsabilité et la condamnation à réparation de la société Fiduciaire Paris Ouest et de Monsieur X..., et les demandes des sociétés CTM, CTM Debrie et TVS rejetées » ;
1°) ALORS QUE les sociétés CTM, CTM DEBRIE et TVS faisaient valoir qu'à supposer que Monsieur X... et la société FIDUCIAIRE PARIS OUEST se soient heurtés, dans l'exécution de leur mission, à un éventuel désordre de la comptabilité, il leur appartenait de signaler par écrit au chef d'entreprise les dangers de cette situation et, en l'absence de remise en ordre, de refuser de poursuivre leur mission ; qu'elles en déduisaient qu'à défaut d'avoir satisfait à cette obligation, les experts-comptables avaient commis une faute en relation de cause à effet avec les détournements de fonds pratiqués par leur comptable salariée, Madame Y... ; qu'en se bornant néanmoins à relever, pour écarter toute faute des experts-comptables, que le dirigeant avait été informé verbalement de la situation défaillante de la comptabilité, que ces désordres les avaient obligés à passer jusqu'à quatre cents écritures correctrices, qu'ils n'avaient pas pour mission de vérifier les talons de chèques ni d'effectuer des contrôles par sondage et qu'il n'était pas démontré que la mise en place des contrôles préconisés par l'expert judiciaire aurait permis, de façon certaine, de prévenir les détournements de fonds auxquels s'était livrée Madame Y..., sans répondre aux conclusions des sociétés CPM, CTM DEBRIE et TVS relatives à la faute des experts-comptables tirée de l'absence de mise en garde écrite et de la poursuite de leur mission dans des conditions incompatibles avec sa bonne exécution, la Cour d'appel a violé l'article 455 du Code de procédure civile ;
2°) ALORS QUE l'expert-comptable, investi d'une mission de présentation des comptes annuels, doit vérifier la vraisemblance et la cohérence des comptes de l'entreprise en procédant à des contrôles par sondage, portant notamment sur les talons de chèques et les factures des fournisseurs ; que le désordre de la comptabilité du client ne le dispense pas d'effectuer ces contrôles ; qu'en relevant néanmoins, pour écarter toute faute de Monsieur X... et de la société FIDUCIAIRE PARIS OUEST dans la survenance des détournements de fonds commis au préjudice des sociétés CTM, CTM DEBRIE et TVS, que les experts-comptables n'étaient pas investis d'une mission de vérification à partir des talons de chèques et de contrôle par sondage et que le désordre de la comptabilité des sociétés CTM, CTM DEBRIE et TVS avait contraint la société FIDUCIAIRE PARIS OUEST à passer jusqu'à quatre cents écritures correctrices, bien que les experts-comptables aient eu l'obligation de procéder à des contrôles par sondage pour s'assurer de la vraisemblance et de la cohérence de la comptabilité tenue par leurs clientes, et ce quel que soit l'état de cette comptabilité, la Cour d'appel a violé l'article 1147 du Code civil ;
3°) ALORS QUE si les juges du fond ne sont pas liés par l'avis des experts qu'ils ont commis, ils sont tenus, lorsqu'ils écartent celui-ci en totalité ou en partie, d'énoncer les motifs qui ont déterminé leur conviction ; qu'en l'espèce, l'expert judiciaire indiquait que les détournements de fonds réalisés par Madame Y... auraient pu être révélés par deux moyens, dont un qui « aurait pu permettre de déceler les fraudes de façon certaine » ; qu'il ajoutait que ces deux contrôles, qui « auraient dû être effectués par sondages » « dans le cadre de diligences normales », ne l'avaient pas été par Monsieur X... ni par la société FIDUCIAIRE PARIS OUEST, alors qu'ils « auraient dû permettre de déceler ces fraudes » ; qu'en se bornant néanmoins à affirmer, pour écarter toute responsabilité des experts-comptables dans la survenance des détournements commis au préjudice des sociétés CTM, CTM DEBRIE et TVS, qu'il n'était pas démontré que la mise en place des contrôles préconisés par l'expert judiciaire aurait permis, de façon certaine, de découvrir les détournements et d'en prévenir le renouvellement, compte tenu de l'ingéniosité du procédé mis en place par Madame Y..., sans motiver sur ce point sa décision pourtant radicalement contraire au rapport d'expertise, la Cour d'appel a entaché sa décision d'un défaut de motifs, en violation de l'article 455 du Code de procédure civile ;
4°) ALORS QU'en affirmant que les contrôles préconisés par l'expert judiciaire, à savoir la vérification de la comptabilisation à partir des talons de chèques et le contrôle par sondages des factures des fournisseurs, n'auraient pas permis, de façon certaine, de découvrir les détournements de fonds et d'en prévenir le renouvellement, compte tenu de l'ingéniosité du procédé mis en place par Madame Y..., après avoir pourtant constaté que cette dernière établissait une ligne comptable au nom du fournisseur, sans facture réelle correspondante, et inscrivait en comptabilité un chèque comme remis au fournisseur, voire portait la mention « annulé » sur les souches de chèques ou les faisait disparaître, les chèques étant libellés à son ordre, à celui de Madame Z... ou à celui de commerçants auprès desquels elle procédait à des achats, ce dont il résultait que le contrôle des factures des fournisseurs et de la comptabilisation des chèques aurait permis de mettre à jour les agissements de Madame Y..., la Cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé l'article 1147 du Code civil ;
5°) ALORS QUE le juge ne peut modifier l'objet du litige, tel qu'il résulte des prétentions des parties ; qu'en relevant néanmoins, pour rejeter la demande en réparation formée par les sociétés CTM, CTM DEBRIE et TVS contre Monsieur X... et la société FIDUCIAIRE PARIS OUEST, que ces sociétés ne faisaient pas apparaître dans leurs demandes chiffrées le montant des sommes récupérées par l'attribution définitive du cautionnement versé par Madame Y... dans le cadre de l'instance pénale ayant conduit à sa condamnation du chef d'escroquerie, bien que Monsieur X... et la société FIDUCIAIRE PARIS OUEST aient sollicité la confirmation du jugement entrepris en ce qu'il avait chiffré le préjudice à la somme de 401 624,34 euros sans prendre en considération un quelconque cautionnement, la Cour d'appel a méconnu les limites du litige, en violation des articles 4 et 5 du Code de procédure civile ;
6°) ALORS QU'en se bornant à relever, pour rejeter la demande en réparation des sociétés CTM, CTM DEBRIE et TVS, que ces sociétés ne faisaient pas apparaître dans leurs demandes chiffrées le montant des sommes récupérées par l'attribution définitive du cautionnement versé par Madame Y... dans le cadre de l'instance pénale, sans indiquer sur quels éléments elle se fondait pour affirmer que ledit cautionnement avait fait l'objet d'une attribution définitive, la Cour d'appel a privé sa décision de motifs, en violation de l'article 455 du Code de procédure civile ;
7°) ALORS QUE la victime d'un fait dommageable est en droit d'obtenir la réparation intégrale de son préjudice auprès de n'importe lequel des responsables de son dommage ; qu'en relevant néannmoins, pour rejeter la demande en réparation formée par les sociétés CTM, CTM DEBRIE et TVS contre Monsieur X... et la société FIDUCIAIRE PARIS OUEST, que ces sociétés, disposant d'un titre à l'encontre de Madame Y..., avaient négligé de recouvrer leur créance sur leur ancienne comptable, dont elles ne démontraient pas l'insolvabilité, contredite par les éléments du dossier pénal, la Cour d'appel, qui s'est prononcée par un motif inopérant, a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du Code civil.