LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que M. X... a été engagé à compter du 22 janvier 1999 en qualité de responsable d'unité par la société Allia-Tech ; qu'il a saisi la juridiction prud'homale le 2 juillet 2001 d'une demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail reprochant à son employeur le non-paiement de ses salaires depuis janvier 2001 ; qu'il a été licencié pour faute grave le 18 juillet 2001 ; qu'une ordonnance de non-lieu ayant été rendue le 7 juillet 2008 par le tribunal de grande instance sur une plainte pour vol, falsification de chèques et usage, faux et usage de faux le visant, il a demandé la réinscription de l'affaire au rôle, contestant également le bien-fondé de son licenciement ; que par jugement du 22 juin 2001 du tribunal de commerce, la société a été placée en redressement judiciaire, la SCP Lebreton-Zani étant nommée mandataire-liquidateur de la société ;
Sur le premier moyen :
Vu les articles L. 1221-1 du code du travail et 1134 du code civil ;
Attendu que pour rejeter la demande du salarié tendant à voir fixer à une certaine somme sa créance à titre d'arriérés de salaires, l'arrêt retient que M. X... est à l'origine de la création de la société Allia-Tech et que bien que salarié à compter de 1999, il s'est comporté en gérant de fait dès la création de l'entreprise ; que cette allégation est confirmée par les termes de l'ordonnance de non-lieu de laquelle il ressort que le gérant était peu présent à l'entreprise, que selon plusieurs témoins M. X... était gérant de fait et qu'il avait à sa disposition des chèques pré-signés du gérant ; que M. X... ne justifie pas avoir formé la moindre réclamation concernant à tout le moins la période de janvier à juin 2001 ;
Qu'en statuant ainsi par des motifs impropres à caractériser une immixtion de M. X... dans la gestion sociale de la société alors que ce dernier se prévalait d'un contrat de travail conclu en 1999, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
Et sur le second moyen :
Vu les articles L. 1234-1, L. 1234-5 et L. 1234-9 du code du travail ;
Attendu que pour dire le licenciement fondé sur une faute grave, l'arrêt retient que M. X... n'a pas contesté devant le premier juge le fait de s'être livré à plusieurs reprises à des voies de fait sur la personne du gérant ; que s'il les conteste désormais, il ressort néanmoins de l'ordonnance de non-lieu que le gérant a déposé deux mains courantes les 11 et 21 juin 2001 pour des faits de menaces et agressions physiques ou verbales ; que si ces faits ont été classés sans suite le 18 décembre 2001, ils ont fait l'objet le 18 décembre 2011 d'une "mise en garde judiciaire" par le délégué du procureur de la République ; que cette décision établit leur commission ; que le licenciement est fondé ;
Attendu cependant que "la mise en garde judiciaire" effectuée à l'occasion de la signification d'une ordonnance de non-lieu par le délégué du procureur de la République est dépourvue de l'autorité de la chose jugée au pénal sur le civil et n'emporte pas, par elle-même, preuve des faits imputés à un auteur ; qu'il en résulte qu'il revient à l'employeur qui invoque une faute grave à l'appui du licenciement d'un salarié pour ces mêmes faits d'en démontrer la réalité et la gravité ;
Qu'en statuant comme elle l'a fait, en déduisant de la seule "mise en garde judiciaire" effectuée, à la fois la réalité des faits reprochés au salarié et le fait qu'ils étaient constitutifs d'une faute grave, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 2 septembre 2011, entre les parties, par la cour d'appel de Bourges ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel d'Orléans ;
Condamne la SCP Lebreton-Zanni, en qualité de mandataire liquidateur de la société Allia-Tech aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne la SCP Lebreton-Zanni en qualité de mandataire liquidateur de la société Allia-Tech à payer la somme de 3 000 euros à M. X... ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé et signé par M. Ballouhey, conseiller le plus ancien en ayant délibéré, conformément à l'article 456 du code de procédure civile, en l'audience publique du vingt-cinq septembre deux mille treize.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Blanc et Rousseau, avocat aux Conseils, pour M. X....
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Il est reproché à l'arrêt attaqué d'avoir débouté M. X... de ses demandes tendant à voir fixer sa créance à 17.109,05 euros à titre d'arriérés de salaires, outre les congés payés y afférents ;
Aux motifs que le mandataire liquidateur de la Sarl Allia-Tech conteste l'absence de paiement de salaire, indique, sans être contredit, que M. X... est à l'origine de la création de la société et que, bien que salarié à compter de 1999, il s'est comporté en gérant de fait dès sa création ; que cette allégation est confirmée par les termes de l'ordonnance de non-lieu dont il ressort que M. Y... était peu présent dans l'entreprise, que selon plusieurs témoins, M. X... était gérant de fait et avait à sa disposition des chèques pré-signés du gérant ; (¿) que la demande du salarié est contredite par le fait qu'il se comportait en dirigeant de fait et avait à sa disposition des chèques pré signés du gérant lui permettant de se régler de ses salaires ; qu'il ne justifie pas avoir formé la moindre réclamation avant la procédure en référé et qu'à la suite de son licenciement il a, par courriers des 25 juillet et 28 août 2001, réclamé au mandataire judiciaire le paiement de ses salaires pour la période du 19 juin au 19 juillet 2001 à l'exclusion des salaires antérieurs ; qu'il échoue dans l'administration de la preuve qui lui incombe ;
Alors que 1°) la qualité de gérant de fait suppose l'immixtion dans des fonctions déterminantes pour la direction générale de l'entreprise, la réalisation d'actes de gestion et un pouvoir de décision et de contrôle effectif et constant ; qu'en l'espèce, la cour d'appel s'est fondée sur les circonstances que le mandataire liquidateur de la Sarl Allia-Tech indiquait, sans être contredit, que M. X... s'était comporté en gérant de fait dès sa création, allégation confirmée par les termes de l'ordonnance de non-lieu dont il ressort que M. Y... était peu présent dans l'entreprise, et que selon plusieurs témoins, M. X... était gérant de fait et avait à sa disposition des chèques pré-signés du gérant ; qu'en statuant ainsi, par des motifs impropres à caractériser une immixtion de M. X... dans la gestion de la société, l'exercice en toute indépendance d'une activité de direction et sa qualité de gérant de fait, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1221-1 du code du travail et 1134 du code civil ;
Alors que 2°) il incombe à celui qui invoque le caractère fictif d'un contrat apparent de travail d'en rapporter la preuve, qu'une telle preuve implique celle de l'absence de tout lien de subordination et ne peut résulter du seul exercice d'une qualité de dirigeant social qui n'est pas nécessairement exclusive de celle de salarié ; qu'en l'espèce, la cour d'appel s'est fondée sur les circonstances que le mandataire liquidateur de la Sarl Allia-Tech indiquait, sans être contredit, que M. X..., salarié s'était comporté en gérant de fait dès sa création, allégation confirmée par les termes de l'ordonnance de non-lieu dont il ressort que M. Y... était peu présent dans l'entreprise, et que selon plusieurs témoins, M. X... était gérant de fait et avait à sa disposition des chèques pré-signés du gérant ; qu'à supposer même que sa qualité de gérant de fait ait ainsi été légalement établie, en statuant par des motifs impropres à caractériser en quoi le contrat de travail de M. X..., salarié depuis 1999, était fictif, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1221-1 du code du travail et 1134 du code civil ;
Alors que 3°) en se fondant sur les circonstances que M. X... ne justifiait pas avoir formé la moindre réclamation avant la procédure en référé et qu'à la suite de son licenciement, il avait par courriers des 25 juillet et 28 août 2001 réclamé au mandataire judiciaire le paiement de ses salaires pour la période du 19 juin au 19 juillet 2001 à l'exclusion des salaires antérieurs, inopérantes pour en déduire que sa demande de rappel de salaires était infondée, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1221-1 et L. 3243-3 du code du travail et 1134 du code civil.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
Il est reproché à l'arrêt attaqué d'avoir débouté M. X... de ses demandes tendant à voir dire que son licenciement reposait sur une faute grave et à voir fixer sa créance aux sommes de 12.195,92 euros à titre d'indemnité de préavis, outre les congés payé afférents, 1.524,49 euros à titre d'indemnité de licenciement et 36.587,76 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
Aux motifs que M. X... a été licencié pour s'être livré à plusieurs reprises à des voies de fait sur le gérant et avoir utilisé des chèques de la société alors qu'il n'avait pas de délégation de signature et avoir imité la signature du gérant ; que M. X... n'a pas, devant les premiers juges, contesté le premier grief ; que devant la cour il soutient que ces faits n'auraient existé que dans l'imagination de M. Y... ; que cependant il ressort de l'ordonnance de non-lieu que M. Y... a déposé deux mains courantes les 11 et 21 juin 2001 pour des menaces et agressions physiques ou verbales ; que si ces faits ont été classés sans suite le 18 décembre 2001, ils ont fait l'objet le 19 décembre 2001 d'une « mise en garde judiciaire » par le délégué du procureur de la République ; que cette décision établit leur commission ; que le licenciement prononcé est fondé ;
Alors que 1°) il incombe à l'employeur seul de rapporter la preuve de la faute grave ; qu'en retenant que M. X... n'avait pas, devant le premier juge, contesté s'être livré à plusieurs reprises à des voies de faits sur le gérant, la cour d'appel a inversé la charge de la preuve et violé ainsi l'article 1315 du code civil ;
Alors que 2°) en retenant qu'il ressort de l'ordonnance de non-lieu que M. Y... a déposé deux mains courantes le 11 et 21 juin 2001 pour des menaces et agressions physiques ou verbales et que si ces faits ont été classés sans suite le 18 décembre 2001, ils ont fait l'objet le 19 décembre 2001 d'une « mise en garde judiciaire » par le délégué du procureur de la République, inopérantes pour établir en quoi les faits reprochés au salarié étaient établis, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1234-1, L. 1234-5 et L. 1234-9 du code du travail.