LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique, pris en sa quatrième branche :
Vu l'article 1382 du code civil ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que, le 25 septembre 2001, M. X... a saisi le conseil de prud'hommes de Pau d'une demande en contestation de la cause réelle et sérieuse du licenciement prononcé le 12 septembre 2001 par la société Halliburton Inc. Energy Services ; que, par arrêt du 21 janvier 2009, la cour d'appel de Toulouse, statuant sur les demandes relatives au préjudice subi par le salarié du fait de l'absence de cotisation aux organismes de retraite de base et complémentaire, a ordonné avant dire droit, une expertise; que, par arrêt du 7 septembre 2011, la cour d'appel a condamné l'employeur à payer au salarié la somme de 60 000 euros en réparation du préjudice causé par le non paiement des cotisations aux régimes de retraite de base des différents pays de l'Union européenne dans lesquels il a résidé et au régime de retraite complémentaire français ;
Attendu que, pour rejeter la demande de la société Halliburton de déduire de l'évaluation du préjudice subi les sommes perçues du fait des cotisations versées par l'employeur à des fonds de pension américains, l'arrêt retient que, pendant sa période de travail en France du 1er février 2000 au 12 septembre 2000, M. X... ressortissait de l'application des dispositions de l'article L. 921-1 du code de la sécurité sociale et devait obligatoirement être affilié aux régimes général et complémentaire de retraite obligatoires ; que pendant sa période de travail dans les autres Etats membres de l'Union européenne, il ressortissait des seuls régimes de retraite de base dès lors que les cotisations aux régimes de retraite complémentaire ne sont pas obligatoires dans ces Etats ; que les sommes versées au titre des fonds de pension Halliburton Saving Plan et Swiss Life ne se substituent donc pas aux prestations que le salarié doit percevoir au titre des régimes de retraite de base des différents pays membres de l'Union européenne et au titre du régime de retraite complémentaire français ; que dans l'appréciation du préjudice subi par le salarié il n'y a donc pas lieu de tenir compte des sommes qu'il a perçues au titre des fonds de pension ;
Qu'en statuant ainsi, alors que la perte subie par le salarié doit être évaluée en considération des droits auxquels il peut prétendre et des sommes perçues du fait des cotisations versées par son employeur à des fonds de pension, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il soit nécessaire de statuer sur les autres branches du moyen :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a condamné l'employeur à payer au salarié la somme de 60 000 euros en réparation du préjudice causé par le non-paiement des cotisations aux régimes de retraite de base des différents pays de l'Union européenne dans lesquels il a résidé et au régime de retraite complémentaire français, l'arrêt rendu le 7 septembre 2011, entre les parties, par la cour d'appel de Toulouse ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Bordeaux ;
Condamne M. X... aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-six juin deux mille treize.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Thouin-Palat et Boucard, avocat aux Conseils pour la société Halliburton Inc Energy services
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR condamné la société Halliburton à payer à M. X... la somme de 60 000 euros en réparation du préjudice causé par le non paiement des cotisations aux régimes de retraite de base des différents pays de l'Union européenne dans lesquels il a résidé et au régime de retraite complémentaire français, et d'AVOIR ce faisant refusé de faire venir en déduction du préjudice les sommes que le salarié a perçues et percevra des fonds de pension privés au financement desquels l'employeur a participé ;
AUX MOTIFS QUE : "Attendu que même si M. X..., né le 31 mars 1953, n'aura 60 ans qu'en 2013 et ne peut donc pas encore prétendre à la liquidation de ses droits à pension, son préjudice est actuel et certain et correspond à la perte de ses droits aux prestations correspondant aux cotisations non versées ; que ce préjudice doit être apprécié en tenant compte de la perte des droits aux prestations correspondant aux cotisations non versées aux caisses de retraite mais aussi du fait que pendant les périodes de cotisations omises, le salaire de M. X... n'a pas été amputé du montant des cotisations salariales ; Attendu que l'expert a exactement retenu une période d'activité de 87 trimestres (21,75 années) dans les différents pays de l'Union européenne dont 38 trimestres pour lesquels des cotisations ont été versées en Allemagne ; que la preuve du paiement des cotisations au régime allemand est rapportée par un courrier de l'organisme AOK en date du 17 octobre 2008 (pièce n° 62A de la société Halliburton) ; Attendu qu'en comparant les différents régimes l'expert a justement considéré que le régime allemand était le plus avantageux puisqu'à l'âge de 65 ans M. X... percevrait 12 469 euros par an en Allemagne et 8 954 euros par an en France (+ 1 562 euros au titre de la retraite complémentaire ARGIRC), les régimes espagnols et italiens étant encore moins avantageux ; que selon l'expert l'avantage du système allemand résulte également de son plafond élevé et de son taux de cotisation qui est inférieur à la moyenne européenne ; Attendu que le supplément de retraite que percevrait M. X... à l'âge de 65 ans, si toutes les cotisations avaient été payées au régime général de base allemand, a été évalué par l'expert à la somme de 7 023 euros par an ; qu'en fonction de son espérance de vie à l'âge de 65 ans (18,2 ans), le capital représentatif d'une rente annuelle (au taux de 4 %) de 7 023 euros s'élèverait en 2018 à 89 583 euros (62 940 euros au 31 décembre 2009) ; Attendu qu'en tenant compte des cotisations salariales que M. X... n'a pas payées pendant 49 trimestres dans les différents Etats de l'Union européenne dans lesquels il a travaillé, son préjudice peut être évalué à la somme de 60 000 euros ; Attendu que les pièces que Me Lenfant a adressées à l'expert le 26 novembre 2009 sont jointes au dossier de la société Halliburton avec une traduction française (pièce n° 69) ; que M. X... n'est donc pas fondé à demander que ces pièces soient écartées des débats ; Attendu que la société Hallirburton ne peut pas prétendre qu'il "y a lieu de considérer, comme la cour l'a déjà jugé dans son arrêt, et comme l'expert l'a compris, que doivent être déduites les sommes perçues au titre des plans du calcul de l'éventuel préjudice" ; qu'en effet, le dispositif de l'arrêt du 21 janvier 2009 ne contient aucune décision relative au mode d'évaluation du préjudice mais se borne à ordonner une mesure d'expertise ; que l'arrêt n'a donc pas autorité de chose jugée sur le mode d'évaluation du préjudice peu important que la mission donnée à l'expert ait porté sur la recherche des participations financières d'Halliburton à des fonds de pensions et sur la détermination du préjudice financier résultant du choix de la société Halliburton de financer des régimes privés ou des fonds de pension plutôt que de cotiser aux régimes de retraite obligatoire dans les Etats dans lesquels M. X... a travaillé ; Attendu que les dispositions de l'article L. 921-1 du code de la sécurité sociale, qui font obligation à l'employeur d'affilier les salariés soumis à titre obligatoire à l'assurance vieillesse du régime général de sécurité sociale ou des assurances sociales agricoles à une institution de retraite complémentaire française sont d'ordre public ; que pendant sa période de travail en France du 1er février 2000 au 12 septembre 2001 (7 trimestres), M. X... ressortissait de l'application des dispositions de l'article L. 921-1 du code de la sécurité sociale et devait obligatoirement être affilié aux régimes général et complémentaire de retraite obligatoires ; que pendant sa période de travail dans les autres Etats membres de l'Union européenne, il ressortissait des seuls régimes de retraite de base dès lors que les cotisations aux régimes de retraite complémentaire ne sont pas obligatoires dans ces Etats que les sommes versées au titre des fonds de pension Halliburton Saving Plan et Swiss Life ne se substituent donc pas aux prestations que M. X... doit percevoir au titre des régimes de retraite de base des différents pays membres de l'Union européenne et au titre du régime de retraite complémentaire français ; qu'il convient d'ailleurs d'observer que du 1er janvier 1988 au 30 juin 1997, soit pendant 9 ans et 6 mois, M. X... a simultanément cotisé au régime de retraite de base allemand et adhéré aux fonds de pension américains ; Attendu que dans l'appréciation du préjudice subi par M. X... il n'y a donc pas lieu de tenir compte des sommes qu'il a perçues au titre des fonds de pension" ;
1°/ ALORS QUE la décision ordonnant une expertise n'a pas, en principe, autorité de la chose jugée qu'il en va différemment lorsque pour déterminer la mission de l'expert, les juges du fond ont dû préalablement trancher une partie du principal ; qu'en l'espèce, dans son arrêt du 21 janvier 2009, la cour d'appel avait ordonné à l'expert de rechercher si, au cours des périodes référencées, la société Halliburton "a(vait) participé financièrement à des régimes d'assurance privés ou à des fonds de pension ayant pour objet de mettre à disposition de M. Jean-Marc X... des revenus notamment au moment de sa retraite" ; que ce chef du dispositif reposait sur des motifs faisant apparaître que la cour d'appel avait pris parti sur cette question discutée par les parties ; que l'arrêt précité énonce en effet que "doivent être déduites, en effet, dans le calcul du préjudice les sommes que M. Jean-Marc X... percevra ou a perçues au titre des assurances retraite privée au financement desquelles la société Halliburton a participé" ; qu'en déniant toute autorité de la chose jugée au chef de l'arrêt du 21 janvier 2009, ordonnant à l'expert de chiffrer les revenus versés par les fonds de pension au salarié en vue de les déduire de la réparation qui pourrait être mise à la charge de l'employeur, la cour d'appel a violé l'article 480 du code de procédure civile, 1351 du code civil, ensemble l'article 1er du premier protocole additionnel de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
2°/ ALORS QUE, en toute hypothèse, l'autorité de chose jugée s'attache au motif d'une décision lorsqu'il traduit une véritable décision de la part des juges ; que, dans son arrêt du 21 janvier 2009, la cour d'appel de Toulouse s'était prononcée de la sorte : "M. Jean-Marc X... demande la réparation du préjudice subi par lui du fait qu'il n'a pas été couvert pour les périodes pour lesquelles il a travaillé dans les Etats de l'UE par le régime de protection sociale de l'Etat de son lieu de travail. Le préjudice qu'il subit n'est pas équivalent aux sommes qu'il aurait perçues par le jeu du système de coordination mis en place par le règlement n° 1408/71 et par le règlement n° 572/74. Doivent être déduites, en effet, dans le calcul du préjudice les sommes que M. Jean-Marc X... percevra ou a perçues au titre des assurances retraite privée au financement desquelles la société Halliburton a participé : plan de retraite off shore Swiss life et fonds d'héritage faisant partie du plan d'épargne retraite HES. En effet, si les systèmes américains ne correspondent pas aux systèmes de protection des différents pays d'affectation, ils aboutissent cependant, au moment de la retraite, à des versements de sommes qui, à ce titre, doivent être pris en considération ; de la même manière, les fonds de pension au financement desquels la société Halliburton a participé et qui ont été retirés par anticipation par M. Jean-Marc X... doivent être pris en compte" (arrêt, p 23, paragraphe 7 et suivants) ; que la cour avait ainsi tranché la question du point de savoir si les sommes relatives aux fonds de pension devaient être déduites des dommages-et-intérêts, et ce aux termes d'une décision ayant autorité de chose jugée, peu important que celle-ci n'ait pas été reformulée par le dispositif de l'arrêt qui ordonnait une mesure d'expertise ; qu'en décidant au contraire que sa précédente décision n'était pas revêtue de l'autorité de chose jugée, la cour d'appel a violé l'article 480 du code de procédure civile, 1351 du code civil, ensemble l'article 1er du premier protocole additionnel de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
3°/ ALORS QUE la prévisibilité et la sécurité juridique gouvernent l'équité de la procédure que méconnaît ces impératifs le juge qui se contredit au détriment d'une partie ; qu'en confiant, dans un premier temps, à l'expert le soin d'évaluer l'incidence des plans souscrits auprès des fonds de pension pour, dans un second temps, décider de ne pas tenir compte de cette incidence, la cour d'appel de Toulouse a méconnu l'article 6 paragraphe 1er de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
4°/ ET ALORS QUE violent le principe de la réparation les juges du fond qui refusent de prendre en compte les droits dont la victime dispose et qui sont de nature à diminuer l'ampleur de son préjudice ; qu'en refusant de déduire des sommes allouées au salarié en réparation du préjudice que lui aurait causé le non-paiement des cotisations aux régimes de retraite de base, les sommes perçues par ce dernier au titre des assurances retraite privée, au financement desquelles l'employeur avait participé, la cour d'appel de Toulouse a violé l'article 1382 du code civil, ensemble l'article 1er du premier protocole additionnel de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.