LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique, ci-après annexé :
Attendu qu'ayant relevé que la bailleresse était informée, avant même le renouvellement du bail le 22 janvier 1993, de ce que M. Gilles X... exerçait son activité agricole sous forme d'une EARL à associé unique, ce qui impliquait nécessairement que l'épouse ne serait pas associée de cette personne morale, qu'elle a laissé le bail se renouveler, à compter du 1er octobre 2001, en connaissance de cause et retenu souverainement qu'il n'était pas démontré, au regard des procès-verbaux de constat produits par la commune, que l'épandage de lisier par les preneurs était de nature à compromettre la bonne exploitation du fonds loué, ni qu'il constituait une méthode culturale prohibée, la cour d'appel, qui a pu en déduire que la commune ne pouvait se prévaloir, pour s'opposer à la cession, de la mauvaise foi des preneurs tenant à ce que Mme X... n'avait pas la qualité d'associée des personnes morales ayant successivement bénéficié de la mise à disposition du bien affermé, a, par ces seuls motifs et sans violer le principe de la contradiction, légalement justifié sa décision ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la commune de Brouchy aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne la commune de Brouchy à payer aux époux X... la somme de 2 500 euros ; rejette la demande de la commune de Brouchy ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du cinq juin deux mille treize.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Boulloche, avocat aux Conseils, pour la commune de Brouchy
Le moyen de cassation fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir autorisé Monsieur Gilles X... et Madame Annie Y... épouse X... à céder à leur fils Monsieur Mathieu X... le bail conclu le 22 janvier 1993 avec la commune de BROUCHY, portant sur une parcelle de terre sise à BROUCHY au lieudit « le marais », cadastrée section ZM n° 5 pour une superficie de 3 ha 50 a,
Aux motifs que la faculté accordée au preneur par l'article L. 411-35 du code rural de céder son bail au profit de ses descendants ayant atteint l'âge de la majorité constitue une dérogation, sous réserve des dispositions des articles L 418-1 à L 418-5 du même code qui sont sans application en l'espèce, au principe général d'incessibilité du bail rural qui ne peut bénéficier qu'au preneur qui a satisfait à toutes les obligations nées de son bail et qui ne doit pas nuire aux intérêts légitimes du bailleur appréciés uniquement au regard de la bonne foi du cédant et des conditions de mise en valeur de l'exploitation par le cessionnaire éventuel ;
qu'en l'espèce la Commune de BROUCHY s'oppose à la cession par les époux X...- Y... de leur bail à leur fils M. Mathieu X..., d'une part, en imputant aux preneurs divers manquements à leurs obligations nées de la convention du 22 janvier 1993 les privant de la faculté offerte par l'article L 411-35 du code rural et, d'autre part, en faisant valoir qu'il n'est pas démontré que le cessionnaire désigné satisfait aux exigences légales pour bénéficier de la transmission du bail ;
que l'appelante fait reproche aux preneurs de ne pas respecter l'obligation solidaire d'exploitation leur incombant, d'un défaut d'information quant à la mise à disposition du bien affermé au profit successivement du GAEC X..., de l'EARL X... Gilles et de la SCEA L'EPINETTE DU MARAIS et aux modification intervenues au sein de deux dernières de ces personnes morales en 2004, 2006 et 2011, du non paiement de divers impôts et taxes et d'une mauvaise exploitation de la parcelle litigieuse ;
Que la commune de BROUCHY soutient en premier lieu que les époux X...- Y... ne sont pas de bonne foi dès lors que preneurs solidaires aux termes du bail du 22 janvier 1993 le bien en faisant l'objet a été mis à la disposition du GAEC L'EPINETTE DU MARAIS sans que l'épouse soit associée au sein de ces personnes morales ; que cependant il résulte de la délibération du Conseil Municipal de la Commune de BROUCHY du 20 novembre 1992, dont il n'est pas démontré qu'elle aurait fait l'objet d'un recours en annulation, que le bail du 22 janvier 1993 constitue le renouvellement d'une convention antérieure et que dès avant ce renouvellement « en faveur de M. et Mme Gilles X... » la bailleresse était parfaitement informée de ce que M. Gilles X... exercerait son activité agricole sous forme d'une EARL à associé unique ce qui lui a été confirmé par l'information relative à la mise à disposition du bail dont elle a été destinataire le 29 janvier 1993, ce qui impliquait nécessairement que l'épouse ne serait pas associée de cette personne morale et nonobstant la connaissance de cette situation la bailleresse a laissé le bail se renouveler à compter du 01 octobre 2001, la transformation le 2 juillet 2006 de l'EARL X... Gilles en SCEA L'EPINETTE DU MARAIS n'emportant quant à la situation des preneurs que la continuation d'un état de fait déjà connu de la bailleresse et accepté par elle antérieurement à l'acte du 22 janvier 1993 ; que la Commune de BROUCHY ne peut imputer aux époux X...
Y...un comportement constitutif de mauvaise foi à raison pour l'épouse de l'absence de qualité d'associée des personnes morales ayant successivement bénéficié de la mise à disposition du bien affermé ;
que la Commune de BROUCHY fait ensuite grief aux époux X...- Y... de manquements à leurs obligations commis à l'occasion de la mise à disposition de la parcelle faisant l'objet du bail litigieux et résultant soit d'un défaut d'accord de la bailleresse alors que celui-ci est prévu par le bail soit d'un défaut d'information quant à la mise à disposition elle-même ou aux modifications intervenues en 2004, 2008 et 2011 au sein de la personne morale en bénéficiant ;
Que toutefois, le bail n'impose l'autorisation de bailleresse qu'en cas d'apport du droit au bail conformément aux dispositions de l'article L 411-38 du code rural et non en cas, comme en l'espèce, de mise à disposition du bien affermé ce qui serait ajouter aux dispositions d'ordre public de l'article L 411-37 du même code qui n'imposent que l'information du bailleur ;
- M. Gilles X..., alors qu'il est établi par la délibération du Conseil Municipal de la Commune de BROUCHY du 20 novembre 1992 que la bailleresse était informée de la mise à disposition de la parcelle litigieuse au profit du GAEC X... antérieurement au renouvellement le 22 janvier 1993 du bail dont elle faisait l'objet, a :
* aux termes d'un courrier non daté mais adressé au Maire de la Commune de BROUCHY en envoi recommandé avec demande d'avis de réception posté le 28 janvier 1993 et distribué le 29 janvier suivant avisé la bailleresse de la transformation du GAEC X... en EARL X... Gilles à associé unique et de la mise à disposition du bien dont il était locataire au profit de cette dernière, étant relevé que cette information a été donnée antérieurement à la transformation du GAEC en EARL décidée par l'assemblée générale extraordinaire du 28 février 1993 et qu'elle est ainsi conforme aux prévisions de l'article L 411-37 du Code Rural dans sa rédaction antérieure à la loi n° 99-574 du 9 juillet 1999 alors applicable, sans que l'absence d'indication du bien concerné puisse avoir été de nature à induire la Commune de BROUCHY en erreur dès lors que celle-ci ne soutient pas et a fortiori ne démontre pas qu'elle donnait alors à bail aux époux X...- Y... d'autres biens que la parcelle faisant l'objet du bail du 22 janvier 1993,
* par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, du 18 août 2006, remise à son destinataire le 21 août suivant, informe le Maire de la Commune de BROUCHY de la transformation à compter du 2 juillet 2006 de l'EARL X... Gilles en SCEA L'EPINETTE DU MARAIS et de la mise à disposition au profit de cette dernière de la parcelle ZM n° 5 faisant l'objet du bail liant les parties, ces informations étant délivrées dans le délai de deux mois prévu par l'article L 411-37 précité dans sa rédaction issue de la loi n° 89-574 du 9 juillet 1999.
- l'article L 411-37 alinéa 2 du Code Rural, alors que la bailleresse fait exclusivement grief aux preneurs de ne pas l'avoir avisée des modifications intervenues au sein des sociétés ayant successivement bénéficié de la mise à disposition de la parcelle affermée le 22 janvier 1993 afférentes aux mises à jour des statuts opérées en 2004 (EARL X... Gilles), 2006 et 2011 (SCEA L'EPINETTE DU MARAIS), au changement dans les organes de gestion survenu le 7 mars 2011 et à la réduction du capital social décidée à cette dernière date, ne prévoit d'information du bailleur en cas de modification depuis l'avis de mise à disposition que si celle-ci concerne le nom de la société, le tribunal de commerce auprès duquel elle est immatriculée ou les parcelles mises à disposition étant rappelé que par lettre recommandée avec demande d'avis de réception à elle remise le 21 août 2006 soit dans le délai de deux mois fixé par la loi la Commune de BROUCHY a été avisée de la transformation de l'EARL X... Gilles en SCEA et de la modification de sa dénomination en L'EPINETTE DU MARAIS ;
Attendu que la bailleresse impute à faute aux époux X...- Y... le non paiement des taxes de remembrement, d'impôts, de frais de la Chambre d'Agriculture et de frais UAFR ; que la bailleresse ne produit aux débats aucune demande ou mise en demeure de payer qui aurait été adressée aux preneurs ni même aucun décompte précis et détaillé des sommes qui lui resteraient dues à ces titres et se borne à faire état d'un courrier qu'elle a adressé le 2 novembre 2009 à son propre avocat, et non aux preneurs, faisant état d'une somme de 4. 321, 45 € qui lui serait due au titre " d'impôts + frais Chambre d'Agriculture, frais UAFR MUILLE BROUCHY, impôts réglés par la commune au lieu de l'AFR de BROUCHY " sans aucunement préciser la période au titre de laquelle cette somme a été arrêtée ce qui ne permet pas de vérifier la pertinence de ce document et au contraire les époux X...- Y... communiquent régulièrement les demandes de paiement acquittées que le comptable public chargé du recouvrement des sommes exigibles en vertu du bail a adressé au GAEC X... puis à l'EARL X... Gilles, bénéficiaires de la mise à disposition du bail et comme tels tenus indéfiniment et solidairement avec les preneurs de l'exécution des clauses de celui-ci au titre des années 1992 à 2007 ; qu'en cet état l'absence de paiement imputé aux preneurs dont il n'est pas démontré qu'ils ont été destinataires d'une demande ou de demandes régulières de règlement de la somme de 4. 321, 45 € ne peut leur être imputée à faute et justifier qu'ils soient privés de la faculté de céder leur bail dans les conditions de l'article L 411-35 du Code Rural ;
Attendu qu'il est encore fait reproche aux preneurs de fautes commises dans l'exploitation du bien loué résultant de la présence sur celui-ci de résidus de lisiers en surface à la suite d'épandages effectués par la SCEA L'EPINETTE DU MARAIS sur la parcelle contiguë, de la création par celle-ci sur la parcelle ZM n° 5 d'une carrière sauvage d'exploitation de craon, de la détérioration de chemins ruraux et de la suppression de bornes ;
Attendu que la Commune de BROUCHY fonde ses écritures sur les procès-verbaux de constat dressés par Me A..., Huissier de justice, le 31 décembre 2008, et par Me BILLET, Huissier de justice, les 27 août 2010 et 24 novembre 2010 ; que toutefois, d'une part, il n'est aucunement démontré que l'épandage de lisier soit de nature à compromettre la bonne exploitation du fonds loué ou celle des parcelles voisines et qu'il constituerait une méthode culturale prohibée, et, d'autre part, le pré-rapport d'expertise judiciaire rédigé le 24 août 2011 par Me B..., désigné à la requête de la bailleresse par ordonnance de référé rendue le 8 avril 2011 par le Président du Tribunal de grande instance d'AMIENS à l'effet de constater les dégradations et emprises critiquées ne permet pas de retenir à l'encontre des preneurs ou de la SCEA L'EPINETTE DU MARAIS les griefs allégués à leur encontre, étant par ailleurs observé que la carrière sauvage évoquée se trouve, tout comme les chemins ruraux, hors l'emprise du bail litigieux ;
Attendu qu'ainsi, alors que l'appelante aux termes de ses écritures indique renoncer au moyen pris d'une cession de bail d'ores et déjà réalisée au profit de M. Mathieu X..., il apparaît que ne peut être imputé aux époux X...
Y... un comportement de nature à leur interdire de céder leur bail (arrêt p. 4 à 7) ;
Alors que, d'une part, la renonciation à invoquer un manquement du preneur à ses obligations ne se présume pas et ne saurait résulter du seul renouvellement tacite du bail en connaissance de ce manquement ; que le preneur d'un fonds rural est tenu de l'exploiter et s'il le met à disposition d'une société à objet agricole dont il est associé, il a, restant seul titulaire du bail, l'obligation de continuer à se consacrer à son exploitation ; qu'en l'espèce, la clause de solidarité stipulée dans le bail faisait obligation à l'un ou l'autre des preneurs d'exécuter toutes les obligations du bail et notamment pour chacun d'exploiter les terres louées, de sorte que le manquement à une telle obligation caractérise la mauvaise foi des preneurs les privant de la faculté de céder leur bail ; qu'il est constant qu'en dépit de la clause de solidarité incluse au bail, seul Monsieur X... se consacrait à l'exploitation des terres ; qu'en refusant le droit à la commune de BROUCHY de se prévaloir d'un tel manquement au seul motif qu'elle a laissé le bail se renouveler nonobstant la connaissance de cette situation, la cour d'appel a méconnu le principe selon lequel la renonciation à un droit ne se présume pas et a violé l'article L 411-35 du code rural ;
Alors que, d'autre part, la commune de BROUCHY faisait valoir dans ses conclusions d'appel que les preneurs s'étaient livré à un épandage de lisier sur la parcelle donnée à bail alors pourtant que l'épandage de lisier devait répondre à une réglementation stricte, ce d'autant que la parcelle ZM n° 5 était située en zone vulnérable aux nitrates ; qu'en écartant la faute des preneurs résultant de l'épandage de lisier, au motif qu'il n'était pas démontré que cette opération compromette la bonne exploitation du fonds ou constitue une méthode culturale prohibée, sans rechercher, ainsi qu'il lui était demandé, si cet épandage s'était fait dans le respect de la réglementation en vigueur, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
Alors qu'enfin, le juge ne peut se fonder sur des documents fournis par les parties que si celles-ci ont pu en débattre contradictoirement ; qu'en l'espèce, pour décider que les griefs allégués par la commune de BROUCHY à l'encontre des époux X...
Y... n'étaient pas établis, la cour d'appel s'est fondée sur un pré-rapport d'expertise judiciaire rédigé le 24 août 2011 par M. B... ; qu'il n'est pas établi, notamment par un bordereau de pièces, que les époux X...
Y... aient régulièrement communiqué cette pièce qu'ils n'ont d'ailleurs pas invoquée dans leurs écritures ; qu'en se fondant cependant sur ce document pour apprécier les griefs formulés à l'encontre des preneurs, la cour d'appel a violé les articles 6 de la convention européenne des droits de l'homme, 16, 56 et 132 du code de procédure civile.