LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de justice à PARIS, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant sur les pourvois formés par :
-M. Jean-Pierre X..., -Mme Fabienne Y..., tant en son nom personnel qu'ès qualités de représentant légal de son fils Morgan Y..., -Mme Nathalie Y... venant aux droits de M. Roger Y..., - Mme Théresa Z..., épouse Y..., - M. Julian Y..., - M. Pierre-Olivier Y..., parties civiles,
contre l'arrêt de la cour d'appel d' AIX-EN-PROVENCE, 7e chambre, en date du 6 février 2012, qui a condamné M. Alain A... pour homicide involontaire et, après relaxe de M. Christian B... de ce chef, a prononcé sur les intérêts civils ;
La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 23 avril 2013 où étaient présents dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Louvel président, M. Pers conseiller rapporteur, M. Arnould conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : Mme Téplier ;
Sur le rapport de M. le conseiller PERS, les observations de la société civile professionnelle DEFRÉNOIS et LÉVIS, la société civile professionnelle POTIER de la VARDE et BUK-LAMENT, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général LIBERGE ;
Joignant les pourvois en raison de la connexité ;
Vu les mémoires commun aux demandeurs, le mémoire en défense et les observations complémentaires produits ;
Attendu qu'il ressort de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure que lors d'une manifestation nautique et pyrotechnique organisée le 18 août 2001 par la commune de Hyères, M. Jean-Pierre Y..., qui assurait la manoeuvre d'un des bateaux, a été atteint par un feu type "marron d'air" et est décédé de ses blessures ; que six autres personnes ont été blessées à la suite de l'explosion du bateau ; que M. Alain A..., adjoint au maire chargé de l'organisation de la manifestation, M. Christian B..., agent commercial du fournisseur des artifices, et M. Patrick C..., artificier salarié du fournisseur, ont été cités devant la juridiction correctionnelle des chefs d'homicide et blessures involontaires ; qu'après avoir déclaré MM. A... et B... coupables d'homicide et blessures involontaires, le tribunal a ordonné des expertises médicales et alloué diverses sommes aux victimes ; que la cour d'appel, qui a constaté la prescription des contraventions de blessures involontaires et renvoyé M. B... des fins de la poursuite, a condamné M. A... pour homicide involontaire et, sur les intérêts civils, s'est déclarée incompétente après avoir constaté que les fautes commises par M. A... n'étaient pas détachables de ses fonctions ;
En cet état :
Sur le premier moyen de cassation, (sur la faute civile commise par M. B...) pris de la violation des articles 121-3, 221-6, 221-8, 221-10, 220-20, 222-44, 222-46 du code pénal, 470-1, 591 et 593 du code de procédure pénale, 1382 et 1383 du code civil, défaut de motifs, manque de base légale, défaut de réponse à conclusions ;
"en ce que l'arrêt attaqué a débouté M. Roger Y..., Mme Fabienne Y..., agissant tant en son nom personnel qu'en sa qualité de représentante légale de son fils mineur Morgan, M. X..., Mme Z..., veuve Y..., MM. Julian et Pierre-Olivier Y..., de leurs demandes dirigées contre M. B... ;
"aux motifs que, contrairement à ce qui s'était passé l'année précédente aucune démonstration de tir n'avait été effectuée et les participants n'avaient pas rencontrés l'artificier, il y avait eu quelques réunions avec rappel de consignes de sécurité, avoir un sceau d'eau à proximité, un extincteur et faire attention à la direction du tir mais tous les participants n'étaient pas présents à chacune d'elles, aucun n'avait été informé de la portée des marrons d'air et des distances à respecter entre les navires ; que M. A..., dans sa déclaration de l'événement à la préfecture, n'a mentionné que le feu d'artifice de la tour, en s'abstenant de faire état du spectacle nautique concomitant ; qu'ainsi, aucun plan de sécurité n'a été mis en place ; que, par ailleurs, l'arrêté préfectoral pris le 14 août 2001 interdit à tous navires et engins de toute nature excepté de la police et de surveillance de la manifestation de se trouver entre 22 heures et 23 heures sur le plan d'eau dans un rayon de 300 mètres et cette même distance pour cette manifestation est fixée par arrêté municipal du 5 juillet 2001 entre 20 heures et 24 heures ; que, durant ce spectacle tous les bateaux pirates de l'association la Partègue se trouvaient à moins de 300 mètres de la Tour Fondue ; que, selon M. E..., expert désigné, les bateaux devaient être distants d'au moins 50 mètres, pour éviter les tirs entre eux, mais, en l'occurrence, au moins deux bateaux étaient situés à moins de 50 mètres de l'Escapado ; que les marrons d'air, en cause, étaient des artifices de classe K3 qui avaient été livrés avec une étiquette d'emploi collée sur chacun d'eux et sur laquelle il est spécifié la nécessité d'opérer un recul de quinze mètres par l'utilisateur après la mise à feu qui devait être électrique ; que la convention signée entre la commune et M. B... fixe, quant à elle, la distance à 30 mètres ; que, en fait, leur tir à partir d'un bateau rendait ce recul impossible, par ailleurs, le mortier prévu par le fabricant était un mortier en carton qui devait être enterré au 2/3, ce qui ne pouvait non plus être mis en oeuvre, aussi des mortiers en acier avaient été confectionnés par les utilisateurs ; que M. B... avait proposé des mortiers compacts douze coups de minuit avec déclenchement électrique qui avaient été refusés par M. A... lequel avait été informé par M. B... du fait qu'il valait mieux un tir électrique, la commande initiale avait été modifiée par M. B... à la demande de M. A... afin que sur l'insistance des membres de l'association La Partègue ils soient dotés de marrons d'air comme l'année passée ; que la livraison a été effectuée en deux temps le jour de la représentation à M. C..., artificier auprès de qui les membres de l'association se sont ravitaillés, la distribution n'a été soumise à aucun contrôle, ni aucune règle ; qu'un rapport de la Drir Paca du 20 septembre 2001 révèle qu'il y avait trois types de marrons d'air utilisés et relevant d'artifices du groupe K3, l'un de forme cylindrique et de couleur bleue de fabrication espagnole pour la société Pieragric, les deux autres de forme ovoïde dans des enveloppes de couleur crème de fabrication chinoise pour la société Ukoba, société soeur (filiale) de Pyragric ; que, quant aux prétentions de M. Roger Y..., Mme Fabienne Y..., agissant tant en son nom personnel qu'en sa qualité de représentante légale de son fils mineur Morgan et M. X... dirigées contre M. B... relaxé, et présentées en application de l'article 470-1 du code de procédure pénale, la cour, qui doit, dans ce cas, statuer comme juridiction civile, relève que ces parties civiles ne précisent, nullement, le fondement juridique de leur action ni ne développent un quelconque moyen démontrant une faute civile, en relation avec les dommages qu'ils énoncent ; que, cela étant, les articles 1382 et 1383 du code civil ne peuvent être invoqués puisqu'il n'a pas été retenu la moindre faute délictuelle contre M. B... provenant de son chef ; qu'il ne peut être imputé à M. B... un quasi délit faisant grief aux parties civiles ensuite d'un manquement commis par celui-ci en sa qualité d'intermédiaire, dans le cadre des relations contractuelles intervenues entre la commune de Hyères et Pieragric, M. B... ayant conseillé l'acquisition d'un système, selon lui plus adapté à la configuration de l'événement, qui a été refusé et ayant seulement transmis une commande imposée par les acteurs de la manifestation et qui concernait des produits en vente libre dont l'utilisation était déterminée par le fabricant, les usagers devant prendre les mesures idoines pour leur sauvegarde ainsi que celle des autres participants au moment des tirs ; que pas plus la présomption de responsabilité du fait des choses (les feux d'artifice) telle qu'édictée par l'article 1384 du code civil ne peut être imputée à M. B..., puisqu'au moment des faits celui-ci n'en avait pas la garde ; que "par voie de conséquence, M. Roger Y..., Mme Fabienne Y..., agissant tant en son nom personnel qu'en sa qualité de représentante légale de son fils mineur Morgan et M. X... doivent être déboutés de leurs prétentions ;
1°) "alors que, malgré la relaxe du prévenu la faute civile doit être retenue à son encontre et donner lieu à l'allocation de dommages-intérêts quand est établie l'existence d'un lien de causalité entre l'imprudence commise par le prévenu et le dommage subi par la partie civile ; qu'il résultait des constatations de l'arrêt et des pièces de la procédure de nombreux éléments matériels permettant d'établir avec certitude l'existence d'un lien de causalité entre les imprudences commises par M. B... et le dommage causé à M. Roger Y..., à Mme Fabienne Y... et à M. X..., M. B... était artificié, M. B... ne pouvait ignorer que les artifices seraient tiré des bateaux, M. B..., connaissant la réglementation en matière d'artifices, savait, d'une part, que les artifices vendus étaient dangereux et, d'autre part, que ces artifices ne seraient pas utilisés dans des conditions assurant la sécurité des personnes participant à la manifestation ; que la cour d'appel en refusant cependant de retenir la responsabilité civile du prévenu, n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations ;
2°) "alors que la cour d'appel dans son dispositif a débouté Mme Z..., veuve Y..., MM. Julian et Pierre-Olivier Y... de leurs demandes de dommages-intérêts dirigées contre M. B..., sans préciser dans ses motifs sur quels éléments elle se fondait pour rejeter une telle demande ; que ce faisant, la cour d'appel a privé sa décision de motif ;
3°) "alors que Mme Z..., veuve Y..., MM. Julian et Pierre-Olivier Y... faisaient valoir dans leurs conclusions d'appel que M. B... avait commis une faute civile, engageant sa responsabilité civile ; que la cour d'appel, en ne s'expliquant pas sur la responsabilité civile de M. B... vis-à-vis de Mme Z..., veuve Y..., MM. Julian et Pierre-Olivier Y... n'a pas légalement justifié sa décision" ;
Attendu que, pour débouter l'ensemble des parties civiles de leurs demandes de réparation fondée sur les dispositions de l'article 470-1 du code de procédure pénale, l'arrêt attaqué retient qu'aucune faute civile ne peut être invoquée, au titre des articles 1382 et 1383 du code civil , qu'il ne peut pas être imputé un manquement à M. B... en sa qualité d'intermédiaire dès lors qu'il avait conseillé l'acquisition d'un système autre qui a été refusé, qu'il a seulement transmis une commande imposée par les acteurs de la manifestation et qui concernait des produits en vente libre, les usagers devant prendre des mesures adaptées pour la sauvegarde de tous, qu'enfin au moment des faits M. B... n'avait pas la garde des artifices ;
Attendu qu'en prononçant ainsi, la cour d'appel, qui a répondu aux conclusions de l'ensemble des parties civiles, n'encourt pas les griefs visés au moyen ;
D'où il suit que le moyen ne saurait être admis ;
Sur le second moyen de cassation, (sur la compétence de la juridiction répressive pour statuer sur les intérêts civils pour les six parties civiles à l'encontre de M. A...), pris de la violation des articles 121-3, 221-6, 221-8, 221-10, 220-20, 222-44, 222-46 du code pénal, 470-1, 591 et 593 du code de procédure pénale, 1382 et 1383 du code civil, défaut de motifs, manque de base légale, défaut de réponse à conclusions ;
"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré la juridiction répressive non compétente pour statuer sur les prétentions de M. Roger Y..., Mme Fabienne Y..., agissant tant en son nom personnel qu'en sa qualité de représentante légale de son fils mineur Morgan, et M. X..., Mme Z..., veuve Y..., MM. Julian et Pierre-Olivier Y..., dirigées contre M. Alain A... ;
"aux motifs qu'il y a lieu de distinguer, les situations juridiques de chacun des prévenus, au regard de la qualité, en vertu de laquelle ils sont intervenus et des règles d'ordre public qui régissent les compétences d'attribution des ordres juridictionnels ; que M. A..., qui a été déclaré coupable de l'homicide involontaire de M. Y..., a agi dans le cadre de son mandat électif, que les fautes caractérisées retenues à son encontre, ont été commises dans l'exercice de sa mission de service public et n'en sont aucunement détachables, il s'en suit que la présente juridiction n'a pas compétence pour apprécier les prétentions relatives à l'indemnisation de leurs préjudices de Mme Z..., veuve Y..., MM. Julian et Pierre-Olivier Y..., lesquelles ressortissent des attributions de la juridiction administrative ; que, pour le même motif d'incompétence d'attribution, les demandes de M. Roger Y..., Mme Fabienne Y..., agissant tant en son nom personnel qu'en sa qualité de représentante légale de son fils mineur Morgan et M. X... en ce qu'elles sont présentées contre M. A..., au demeurant relaxé de l'infraction en vertu de laquelle ils agissaient, ne peuvent être appréciées par la présente juridiction répressive ;
1°) "alors que, l'article 470-1 du code de procédure pénale, prévoit que, lorsque le tribunal, saisi de poursuites exercées pour une infraction non intentionnelle au sens des alinéas 2, 3 et 4 de l'article 121-3 du code pénal, prononce une relaxe, il demeure compétent sur la demande de la partie civile ou de son assureur formulée avant la clôture des débats, pour accorder en application des règles du code civil, réparation de tous les dommages résultant des faits qui ont fondé la poursuite ; que ce texte, qui déroge aux règles normales de compétence, permet à la juridiction pénale de statuer sur la réparation du dommage causé par une faute civile de négligence, même si l'auteur de cette faute l'a commise en accomplissant une mission de service public ; qu'en décidant néanmoins que seule la juridiction administrative était compétente pour statuer sur les conséquences dommageables de la faute commise par le prévenu, adjoint au maire, la cour d'appel a violé les dispositions précitées ;
2°) "alors que, l'agent d'un service public n'est personnellement responsable des conséquences dommageables de l'acte délictueux qu'il a commis que si cet acte constitue une faute détachable de ses fonctions ; que la cour d'appel, pour dire que la juridiction répressive n'était pas compétente pour apprécier les demandes de dommages-intérêts à l'encontre du prévenu, adjoint au maire, M. A..., s'est contentée d'affirmer péremptoirement que le prévenu, ayant agi, dans le cadre de son mandat électif, les fautes caractérisée retenues à son encontre avaient été commises dans sa mission de service public et n'étaient pas détachables de sa fonction, sans rechercher, comme elle y était pourtant invitée, si la faute imputée au prévenu, adjoint au maire, présentait le caractère d'une faute personnelle détachable du service ; que ce faisant elle a méconnu les textes susvisés" ;
Attendu que, pour se déclarer incompétente pour statuer sur les demandes de réparation des parties civiles, la cour d'appel retient que M. A..., qui a été déclaré coupable d'homicide involontaire, a agi dans le cadre de son mandat électif, que les fautes caractérisées retenues à son encontre ont été commises dans l'exercice de sa mission de service public et n'en sont aucunement détachables et qu'il s'ensuit que les demandes des parties civiles relèvent des juridictions administratives ;
Attendu qu'en l'état de ces énonciations, et dès lors que les dispositions de l'article 470-1 du code de procédure pénale n'apportent pas d'exception à la compétence de la juridiction administrative, la cour d'appel a justifié sa décision ;
D'où il suit que le moyen doit être écarté ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE les pourvois ;
DIT n'y avoir lieu, à application des dispositions de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le vingt-deux mai deux mille treize ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;