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16/05/2013 | FRANCE | N°11-28325

France | France, Cour de cassation, Chambre sociale, 16 mai 2013, 11-28325


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 18 octobre 2011), que Mme
X...
, engagée le 23 novembre 1999 en qualité d'assistante dentaire par la SELARL du Docteur Y... a été licenciée pour faute grave, le 3 juillet 2007 ;
Attendu que l'employeur fait grief à l'arrêt de dire le licenciement dénué de cause réelle et sérieuse alors, selon le moyen :
1°/ que la faute grave est celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputable au salarié qui constitue une violation

des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d'une...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 18 octobre 2011), que Mme
X...
, engagée le 23 novembre 1999 en qualité d'assistante dentaire par la SELARL du Docteur Y... a été licenciée pour faute grave, le 3 juillet 2007 ;
Attendu que l'employeur fait grief à l'arrêt de dire le licenciement dénué de cause réelle et sérieuse alors, selon le moyen :
1°/ que la faute grave est celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputable au salarié qui constitue une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise ; que caractérise une telle faute le fait pour une assistance dentaire de s'être livrée, à l'insu de l'employeur et dans le cabinet dentaire aux heures de fermeture-voire la nuit-à des actes médicaux qu'elle n'est pas autorisée à pratiquer, d'avoir établi et signé des ordonnances en vue de la délivrance de médicaments, enfin d'avoir de sa propre initiative, pris une empreinte sur une personne de sa famille en vue de la réalisation d'un appareil provisoire ; que pour décider le contraire, la cour d'appel a retenu que dès lors que le docteur Y... avait déjà délégué à ses assistantes certaines tâches comme la prise d'empreintes, le blanchiment ou le détartrage, il ne pouvait reprocher à la salariée d'avoir accompli de tels actes, à son insu et en son absence ; qu'en statuant ainsi quand la tolérance supposée de l'employeur pour des actes pratiqués en sa présence n'impliquait nullement son accord pour l'utilisation à son insu de son cabinet par son assistante en dehors des heures d'ouverture, à des fins personnelles, pas plus que la pratique par cette dernière d'actes ne relevant pas de sa compétence, la cour d'appel a violé les articles L. 1234-1, L. 1234-5 et L. 1234-9 du code du travail ;
2°/ que la pratique habituelle d'actes dentaires par une assistante dépourvue de la compétence requise, à l'insu de l'employeur, pendant les heures de fermeture du cabinet, à des fins personnelles et la délivrance d'ordonnances constituent une violation des obligations résultant du contrat de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise, quel qu'ait pu être le comportement antérieur de l'employeur ; qu'en retenant pour écarter la faute grave, que le docteur Y... avait déjà délégué à ses assistantes certaines tâches relevant de son ministère, la cour d'appel s'est déterminée par un motif inopérant et a violé les articles L. 1234-1, L. 1234-5 et L. 1234-9 du code du travail ;
3°/ que la cour d'appel qui constatait que Mme
X...
avait bien réalisé à titre habituel des actes réservés au seul chirurgien-dentiste, établi et parfois signé des ordonnances en vue de la délivrance de médicaments devait en déduire l'existence d'une faute grave ; qu'en retenant pour écarter la faute grave, que la salariée ne percevait aucune rémunération pour les patients qu'elle traitait seule, la cour d'appel s'est déterminée par un motif inopérant et a violé les articles L. 1234-1, L. 1234-5 et L. 1234-9 du code du travail ;
4°/ que constitue une faute grave la prise d'empreinte par une assistante dentaire sur une personne de sa famille et ayant donné lieu à la réalisation d'un appareil provisoire à l'insu de l'employeur ; qu'en retenant pour écarter la faute grave que la patiente de l'assistante était elle-même une patiente du docteur Y..., la cour d'appel s'est déterminée par un motif inopérant et a violé les articles L. 1234-1, L. 1234-5 et L. 1234-9 du code du travail ;
5°/ qu'il appartient au juge d'examiner tous les griefs invoqués dans la lettre de licenciement, laquelle en fixe précisément tous les motifs ; qu'en s'abstenant de vérifier si l'utilisation par Mme
X...
à des fins personnelles, du cabinet dentaire à l'insu de l'employeur ne constituait pas un élément objectif ayant entraîné la perte de confiance de l'employeur, et justifiant le licenciement, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1232-1 et L. 1232-6 du code du travail ;
Mais attendu qu'abstraction faite des motifs surabondants critiqués par les troisième et quatrième branches, et sans avoir à effectuer une recherche que ses constatations rendaient inutile, la cour d'appel, appréciant souverainement les éléments de fait et de preuve, a relevé que c'est sur les instructions expresses de l'employeur et le plus souvent en sa présence que la salariée réalisait à titre habituel des actes réservés au seul chirurgien dentiste et que le cabinet, qui recevait jusqu'à quarante patients par jour, était équipé de deux salles de soins communicantes, ce qui permettait à l'employeur de s'occuper d'un patient pendant que l'une des assistantes effectuait sur le second fauteuil des tâches relevant de la seule compétence du chirurgien dentiste ; qu'elle a pu en déduire que, par son comportement, l'employeur avait conforté la salariée dans l'idée qu'elle pouvait, y compris en son absence, accomplir les actes qu'il lui déléguait habituellement, en sorte qu'aucune faute grave ni sérieuse ne pouvait lui être reprochée ; que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la Société de chirurgiens dentistes du Docteur
Y...
aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la Société de chirurgiens dentistes du Docteur
Y...
et la condamne à payer à Mme X... la somme de 2 500 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du seize mai deux mille treize.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt :


Moyen produit par la SCP Didier et Pinet, avocat aux Conseils, pour la Société de chirurgiens dentistes du Docteur
Y...

Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'AVOIR dit le licenciement de madame
X...
dépourvu de cause réelle et sérieuse et condamné la Selarl du docteur Y... à verser à la salariée diverses sommes à titre de dommages et intérêts, indemnités de rupture et rappel de salaire pour la période de mise à pied.
AUX MOTIFS QUE la lettre de licenciement pour faute grave du 3 juillet 2007, qui fixe les limites du litige, énonce :
« J'ai pu avoir connaissance le 16 juin 2007 des faits d'une gravité telle qu'ils ont été de nature à justifier votre mise à pied immédiate à compter du 18 juin suivant.
Une voisine de l'immeuble m'a en effet rapporté qu'un soir, en rentrant du théâtre, vers 23h30, elle avait pu croiser dans le hall de l'immeuble la gardienne, madame Sylvie Z..., en pyjama, laquelle se plaignait de ne pouvoir dormir du fait du bruit causé par le fonctionnement de l'aspiration chirurgicale provenant de mon cabinet dentaire. Le moteur de l'aspiration se trouvant dans le jardin mitoyen à sa loge.
Dès lors, ces dernières ont immédiatement sonné à la porte du cabinet.
Quelle n'a pas été leur surprise de vous voir en tenue de travail avec des gants et un masque en pleine pratique d'acte.
Vous auriez selon les témoignages, semblé extrêmement irritée d'avoir été dérangée en les expédiant rapidement et en les informant que le bruit allait très vite cesser.
Selon leurs témoignages encore, il y aurait eu plusieurs personnes à l'intérieur du cabinet.
Cet évènement se serait produit alors que j'étais en congés.
Les gardiens de l'immeuble ont quant à eux confirmé que de tels évènements s'étaient régulièrement produits et que vous faisiez durant certains week-end ou en soirée, venir des personnes que vous connaissiez au cabinet, et ce toujours en mon absence, afin de pratiquer des actes.
Pour votre part, vous avez lors de l'entretien, nié purement et simplement la réalité de tels faits, ne manquant pas pour seule explication de tenir des propos parfaitement déplacés à mon égard.
Il est constant que :
- vous avez utilisé à des fins personnelles mon cabinet en abusant de ma confiance,
- vos compétences professionnelles ne vous autorisent pas à la pratique d'actes dentaires de quelque nature qu'ils soient,
- enfin ces actes que vous avez délibérément pratiqués à mon insu, ont été effectués en mon absence et en dehors des horaires d'ouverture du cabinet et peuvent être de nature à mettre en péril l'exercice de son activité professionnelle.
Ces faits sont par ailleurs révélateurs de la liberté d'initiative dans l'exercice de vos fonctions et pour laquelle j'ai dû récemment intervenir.
Enfin, j'ai été étonné de recevoir tout dernièrement, en provenance du laboratoire, un bridge provisoire, destiné à votre tante, à laquelle vous avez fait une prise d'empreinte de votre propre initiative et sans que j'en sois informé ou que je vous l'ai demandé.
Dès lors et compte tenu de ces éléments, je me trouve dans l'obligation de procéder à votre licenciement au regard de la gravité de ces faits qui sont constitutifs d'une faute grave.
Les conséquences de ces faits rendent impossible le maintien de votre activité au sein de mon cabinet même pendant le préavis ».
Il est ainsi reproché à la salariée :
- d'avoir utilisé à l'insu du dentiste le cabinet à des fins personnelles,
- d'avoir pratiqué illégalement et sans avoir la compétence requise des actes dentaires,
- d'avoir, de sa propre initiative, pris des empreintes et commandé un bridge provisoire destiné à sa tante.
La lettre de licenciement fixant les limites du litige, d'une part il n'y a pas lieu d'examiner les griefs formulés par l'employeur qui n'y figurent pas et, d'autre part, l'employeur peut mentionner dans la lettre de licenciement des griefs dont il n'a pas fait mention pendant l'entretien préalable.
Il ressort de l'enquête de police diligentée, spécialement des auditions de témoins (patients, voisins …), lesquels ont fourni pour la quasi-totalité des attestations en faveur de l'une ou l'autre des parties dans la présente procédure, ainsi que celles, concordantes, des deux autres assistantes de monsieur Y..., que, si madame
X...
, comme les deux autres assistantes, a bien réalisé à titre habituel des actes réservés au seul chirurgien dentiste, établi et parfois signé des ordonnances en vue de délivrance de médicaments, c'était sur les instructions expresses et le plus souvent en la présence de monsieur Y..., lequel a d'ailleurs reconnu avoir délégué certaines tâches relevant de son ministère à ses assistantes : prises d'empreintes, blanchiments, retrait d'excédent de ciment à la spatule.

Il en résulte également que monsieur Y..., qui était le seul praticien du cabinet, recevait jusqu'à quarante patients par jour, que son cabinet était équipé de deux salles de soins contiguës et communicantes, ce qui lui permettait de s'occuper d'un patient pendant que l'une des assistantes, dont madame
X...
, effectuait à côté, sur le second fauteuil, des tâches de blanchiment, de détartrage, de prise d'empreintes et de finitions pour la pose de couronnes, ce qui relevait de la seule compétence du chirurgien dentiste.
Dès lors, non seulement monsieur Y... ne peut reprocher à madame
X...
d'avoir agi à son insu, mais par son comportement il a conforté la salariée dans l'idée qu'elle pouvait, y compris en son absence, le cas échéant, accomplir les actes qu'il lui déléguait habituellement, étant précisé qu'ainsi que l'indiquent les enquêteurs, la salariée ne percevait aucune rémunération des patients qu'elle traitait seule.
Les deux premiers griefs invoqués à l'appui du licenciement de madame
X...
ne sont donc ni réels ni sérieux.
A supposer la réalité du grief relatif à la réalisation d'un bridge provisoire au profit d'une parente de madame
X...
établie, cette personne étant elle-même une patiente de monsieur Y..., ainsi que le relève celui-ci ce ne serait « qu'une illustration supplémentaire » des agissements qu'il reproche à la salariée, et par conséquent, compte tenu des développements ci-dessus, il ne constituerait pas un motif sérieux de licenciement.
Dans ces conditions, non seulement la faute grave n'est pas démontrée, mais il n'est établi aucune cause réelle et sérieuse de licenciement à l'encontre de madame
X...
.
Le jugement doit par conséquent être infirmé.
Le licenciement de madame
X...
étant dénué de cause réelle et sérieuse, il ouvre droit au profit de la salariée au paiement du salaire de la période de mise à pied et des indemnités de rupture, ainsi qu'à des dommages et intérêts.
Les montants réclamés par la salariée au titre du salaire de la période de mise à pied ainsi que l'indemnité compensatrice de préavis et des congés payés afférents ne sont pas discutés par l'employeur et ont été correctement calculés par l'appelante au vu de son ancienneté du montant de son salaire et des dispositions applicables.
Il sera fait droit à ses demandes de ces chefs.
1) ALORS QUE la faute grave est celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputable au salarié qui constitue une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise ; que caractérise une telle faute le fait pour une assistance dentaire de s'être livrée, à l'insu de l'employeur et dans le cabinet dentaire aux heures de fermeture – voire la nuit – à des actes médicaux qu'elle n'est pas autorisée à pratiquer, d'avoir établi et signé des ordonnances en vue de la délivrance de médicaments, enfin d'avoir de sa propre initiative, pris une empreinte sur une personne de sa famille en vue de la réalisation d'un appareil provisoire ; que pour décider le contraire, la cour d'appel a retenu que dès lors que le docteur Y... avait déjà délégué à ses assistantes certaines tâches comme la prise d'empreintes, le blanchiment ou le détartrage, il ne pouvait reprocher à la salariée d'avoir accompli de tels actes, à son insu et en son absence ; qu'en statuant ainsi quand la tolérance supposée de l'employeur pour des actes pratiqués en sa présence n'impliquait nullement son accord pour l'utilisation à son insu de son cabinet par son assistante en dehors des heures d'ouverture, à des fins personnelles, pas plus que la pratique par cette dernière d'actes ne relevant pas de sa compétence, la cour d'appel a violé les articles L. 1234-1, L. 1234-5 et L. 1234-9 du code du travail ;
2) ALORS QUE la pratique habituelle d'actes dentaires par une assistante dépourvue de la compétence requise, à l'insu de l'employeur, pendant les heures de fermeture du cabinet, à des fins personnelles et la délivrance d'ordonnances constituent une violation des obligations résultant du contrat de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise, quel qu'ait pu être le comportement antérieur de l'employeur ; qu'en retenant pour écarter la faute grave, que le docteur Y... avait déjà délégué à ses assistantes certaines tâches relevant de son ministère, la cour d'appel s'est déterminée par un motif inopérant et a violé les articles L. 1234-1, L. 1234-5 et L. 1234-9 du code du travail ;
3) ALORS QUE la cour d'appel qui constatait que madame
X...
avait bien réalisé à titre habituel des actes réservés au seul chirurgien-dentiste, établi et parfois signé des ordonnances en vue de la délivrance de médicaments devait en déduire l'existence d'une faute grave ; qu'en retenant pour écarter la faute grave, que la salariée ne percevait aucune rémunération pour les patients qu'elle traitait seule, la cour d'appel s'est déterminée par un motif inopérant et a violé les articles L. 1234-1, L. 1234-5 et L. 1234-9 du code du travail ;
4) ALORS QUE constitue une faute grave la prise d'empreinte par une assistante dentaire sur une personne de sa famille et ayant donné lieu à la réalisation d'un appareil provisoire à l'insu de l'employeur ; qu'en retenant pour écarter la faute grave que la patiente de l'assistante était elle-même une patiente du docteur Y..., la cour d'appel s'est déterminée par un motif inopérant et a violé les articles L. 1234-1, L. 1234-5 et L. 1234-9 du code du travail ;
5) ALORS QUE (subsidiairement) il appartient au juge d'examiner tous les griefs invoqués dans la lettre de licenciement, laquelle en fixe précisément tous les motifs ; qu'en s'abstenant de vérifier si l'utilisation par madame
X...
à des fins personnelles, du cabinet dentaire à l'insu de l'employeur ne constituait pas un élément objectif ayant entraîné la perte de confiance de l'employeur, et justifiant le licenciement, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1232-1 et L. 1232-6 du code du travail.


Synthèse
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 11-28325
Date de la décision : 16/05/2013
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Sociale

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Paris, 18 octobre 2011


Publications
Proposition de citation : Cass. Soc., 16 mai. 2013, pourvoi n°11-28325


Composition du Tribunal
Président : M. Frouin (conseiller le plus ancien faisant fonction de président)
Avocat(s) : SCP Didier et Pinet, SCP Lyon-Caen et Thiriez

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2013:11.28325
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