COUR DE CASSATION 12 CRD 030 Audience publique du 28 janvier 2013 Prononcé au 25 mars 2013
La commission nationale de réparation des détentions instituée par l'article 149-3 du code de procédure pénale, composée lors des débats de M. Straehli, président, M. Kriegk, conseiller, Mme Leroy-Gissinger, conseiller référendaire, en présence de Mme Valdès-Boulouque, avocat général et avec l'assistance de Mme Bureau, greffier, a rendu la décision suivante :
ACCUEIL et rejets des recours formés par M. Hamadi X..., l'agent judiciaire de l'Etat, contre la décision du premier président de la cour d'appel d'Aix-en-Provence en date du 8 juin 2012 qui a alloué à M. Hamadi X... une indemnité de 30 000 euros en réparation de son préjudice moral et 5 794 euros en réparation de son préjudice matériel sur le fondement de l'article 149 du code précité ainsi qu'une somme de 700 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Les débats ayant eu lieu en audience publique le 28 janvier 2013 l'avocat du demandeur ne s'y étant pas opposé ;
Vu les dossiers de la procédure de réparation et de la procédure pénale ;
Vu les conclusions de Me Rebstock, avocat au barreau d'Aix-en-Provence, représentant M. X... ;
Vu les conclusions de l'agent judiciaire de l'Etat ;
Vu les conclusions du procureur général près la Cour de cassation ;
Vu la notification de la date de l'audience, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, au demandeur, à son avocat, à l'agent judiciaire de l'Etat et à son avocat, un mois avant l'audience ;
Monsieur X... ne comparaît pas personnellement. Il est représenté à l'audience par Me Cerda, substituant Me Rebstock, conformément aux dispositions de l'article R. 40-5 du code de procédure pénale ;
Sur le rapport de Mme le conseiller Leroy-Gissinger, les observations de Me Cerda, avocat substituant Me Rebstock représentant le demandeur et celles de Me Couturier-Heller, avocat représentant l'agent judiciaire de l'Etat, les conclusions de Mme l'avocat général Valdès-Boulouque, l'avocat du demandeur ayant eu la parole en dernier ;
Après en avoir délibéré conformément à la loi, la décision étant rendue en audience publique ;
LA COMMISSION NATIONALE DE REPARATION DES DETENTIONS,
Attendu que, par décision du 8 juin 2012, le premier président de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, saisi par M. Hamadi X... d'une requête en réparation du préjudice subi à raison d'une détention provisoire effectuée du 5 mai 2006 au 11 mai 2011, pour des faits pour lesquels il a fait l'objet d'une décision définitive d'acquittement, lui a alloué les sommes de 30 000 euros, en réparation de son préjudice moral, de 5 794 euros au titre des frais d'avocat qu'il a engagés ainsi que de 700 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Attendu que M. X... a formé un recours régulier contre cette décision, en sollicitant que l'indemnisation de son préjudice moral soit portée à la somme de 180 000 euros ; qu'il a conclu à la confirmation de la décision du premier président en ce qui concerne l'indemnisation de ses frais d'avocats et a sollicité la somme de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles engagés devant la commission ;
Attendu que l'agent judiciaire de l'Etat a également formé un recours régulier contre la décision du premier président, portant exclusivement sur la somme allouée au titre des frais d'avocats, demandant que celle-ci soit ramenée à 3 794 euros ;
Attendu que l'avocat général a conclu à une réévaluation de l'indemnisation du préjudice moral de M. X... et à la confirmation de la décision en ce qui concerne les frais d'avocats ;
Vu les articles 149 et 150 du code de procédure pénale ;
Attendu qu'une indemnité est accordée, à sa demande, à la personne ayant fait l'objet d'une détention provisoire terminée à son égard par une décision de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement devenue définitive ; que cette indemnité est allouée en vue de réparer intégralement le préjudice personnel, matériel et moral, directement causé par la privation de liberté ;
Sur la période de détention indemnisable :
Attendu qu'il n'est pas contesté que M. X... se trouvait en détention pour autre cause lorsqu'il a fait l'objet d'un mandat de dépôt au titre de la détention dont l'indemnisation est sollicitée et qu'il a été détenu pour autre cause du 24 septembre 2005 au 10 avril 2008 et du 8 janvier 2010 au 18 décembre 2010 ;
Attendu que M. X... fait valoir que l'une des peines exécutées durant ces périodes correspond à une condamnation prononcée au titre de faits commis alors qu'il se trouvait en détention provisoire ; que cependant, cette circonstance est sans incidence au regard de l'application des dispositions de l'article 149 du code de procédure pénale, qui exclut toute indemnisation pour la période pendant laquelle la personne est détenue pour autre cause ; qu'il s'ensuit que la durée de la détention indemnisable est en l'espèce, ainsi que l'a retenu le premier président, de deux ans, un mois et vingt-trois jours ;
Sur le préjudice moral :
Attendu qu'au soutien de son recours concernant ce chef de préjudice, M. X... fait valoir la très longue durée de sa détention provisoire, laquelle l'a empêché de bénéficier d'aménagements de peine pour d'autres condamnations ; qu'il soutient que son préjudice moral a été aggravé par l'importance de la peine qu'il encourait pour des faits qu'il avait toujours contesté avoir commis, par sa condamnation à une peine de vingt-deux ans de réclusion criminelle en première instance, ainsi que par les aléas procéduraux qui ont allongé la durée de sa détention, la cour d'assises d'appel initialement désignée s'étant déclarée incompétente ; qu'il invoque également le fait que sa détention s'est effectuée, pour la majeure partie, sous le régime de l'isolement ce qui a été source de détresse psychologique dont il subit encore les conséquences ;
Attendu que, pour fixer l'indemnisation du préjudice moral ayant résulté de la détention, il y a lieu de tenir compte de la situation personnelle de M. X... caractérisée par le fait qu'il était célibataire et sans enfant et n'avait occupé aucun emploi au cours des années ayant précédé son incarcération ; qu'il y a lieu également de retenir, comme le soutient l'agent judiciaire de l'Etat, que le choc carcéral ressenti par M. X... a été amoindri par le fait qu'il était déjà détenu lorsqu'il a été placé sous mandat de dépôt et qu'il avait été condamné antérieurement à des peines d'emprisonnement ; qu'en revanche, la longueur de la peine prononcée par la première cour d'assises constitue un élément aggravant du préjudice moral ; que, par ailleurs, même si son placement à l'isolement était justifié par son comportement durant la détention, il résulte du dossier que la longueur de la période durant laquelle il a été placé sous ce régime (plus de trois années) a été à l'origine de troubles psychologiques qui ont justifié qu'il fasse l'objet d'un suivi particulier par le service médical et psychiatrique de la maison d'arrêt à la fin de l'année 2010 ; que compte tenu de l'ensemble de ces éléments il y a lieu de porter à 46 000 euros l'indemnisation du préjudice moral de M. X... ;
Sur l'indemnisation des frais d'avocat :
Attendu que l'agent judiciaire de l'Etat conteste que l'indemnisation de ce chef puisse prendre en compte la facture d'honoraires du 27 septembre 2010, correspondant à deux demandes de mise en liberté, des 8 avril 2010 et 2 juillet 2010, au motif que celles-ci ont été faites alors que M. X... était détenu pour autre cause ;
Mais attendu qu'il n'est pas contesté que les demandes de mise en liberté facturées étaient relatives à la procédure ouvrant droit à réparation et que, même détenu pour autre cause, M. X... avait intérêt à voir lever son placement en détention en ce qui concernait cette procédure ; qu'il y a donc lieu de rejeter le recours de l'agent judiciaire de l'Etat de ce chef ;
Sur l'article 700 du code de procédure civile :
Attendu qu'il y a lieu d'accueillir la demande formulée à hauteur de 1 500 euros ;
PAR CES MOTIFS :
ACCUEILLANT le recours de M. Hamadi X..., et statuant à nouveau ;
Lui ALLOUE la somme de 46 000 euros (quarante six mille euros) en réparation de son préjudice moral ;
REJETTE le recours de l'agent judiciaire de l'Etat ;
ALLOUE à M. Hamadi X... la somme de 1 500 euros (mille cinq cents euros) sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
LAISSE les dépens à la charge du Trésor public ;
Ainsi fait, jugé et prononcé en audience publique le 25 mars 2013 par le président de la commission nationale de réparation des détentions ;
En foi de quoi la présente décision a été signée par le président, le rapporteur et le greffier présent lors des débats et du prononcé.