Arrêt n° 606 P + B + R + I Pourvoi n° N 11-14. 637
LA COUR DE CASSATION, siégeant en ASSEMBLEE PLENIERE, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par :
1°/ M. Dominique X..., domicilié...,
2°/ la société Docteur Dominique X..., société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est ...,
contre l'arrêt rendu le 15 février 2011 par la cour d'appel de Paris (pôle 1, chambre 3), dans le litige l'opposant :
1°/ à la société Auféminin. com, société anonyme, dont le siège est 78 avenue des Champs-Elysées, 75008 Paris,
2°/ à Mme Sylvie Y..., domiciliée..., ..., 75019 Paris (aide juridictionnelle totale, décision du bureau d'aide juridictionnelle du 27 juin 2011),
défenderesses à la cassation ;
M. X... et la société Dominique X... se sont pourvus en cassation contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris en date du 19 mars 2009 (11e chambre civile, section B) ;
Cet arrêt a été cassé le 8 avril 2010 par la première chambre civile de la Cour de cassation ;
La cause et les parties ont été renvoyées devant la cour d'appel de Paris, autrement composée, qui, saisie de la même affaire, a statué, par arrêt du 15 février 2011 ;
Un pourvoi ayant été formé contre l'arrêt du 15 février 2011, la première chambre civile de la Cour de cassation a, par arrêt du 29 mars 2012, décidé le renvoi de l'affaire devant l'assemblée plénière ;
Les demandeurs invoquent, devant l'assemblée plénière, le moyen de cassation annexé au présent arrêt ;
Ce moyen unique a été formulé dans un mémoire déposé au greffe de la Cour de cassation par Me Bouthors, avocat de M. X... et de la SELARL Docteur Dominique X... ;
Deux mémoires en défense ont été déposés au greffe de la Cour de cassation par la SCP Piwnica et Molinié, avocat de la société Auféminin. com et par la SCP Defrenois et Levis, avocat de Mme Y... ;
Des observations complémentaires ont été déposées par la SCP Piwnica et Molinié ;
Le rapport écrit de Mme Feydeau, conseiller, et l'avis écrit de M. Marin, procureur général, ont été mis à la disposition des parties ;
Sur quoi, LA COUR, siégeant en assemblée plénière, en l'audience publique du 1er février 2013, où étaient présents : M. Lamanda, premier président, MM. Lacabarats, Louvel, Terrier, Espel, Mme Flise, présidents, M. Pluyette, conseiller doyen remplaçant M. Charruault, président empêché, Mme Feydeau, conseiller rapporteur, MM. Bargue, Dulin, Bailly, Bizot, Petit, Garban, André, Mme Fossaert-Sabatier, M. Montfort, Mme Terrier-Mareuil, M. Laborde, conseillers, M. Marin, procureur général, Mme Tardi, directeur de greffe ;
Sur le rapport de Mme Feydeau, conseiller, assistée de Mme Dibie, auditeur au service de documentation, des études et du rapport, et de Mme Gérard, greffier en chef au service de documentation, des études et du rapport, les observations de Me Bouthors et de la SCP Piwnica et Molinié-la SCP Defrenois et Levis, présente à la barre, s'en rapportant à ses observations écrites-, l'avis de M. Marin, procureur général, auquel les parties, invitées à le faire, n'ont pas souhaité répliquer, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Sur le moyen unique :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 15 février 2011), rendu sur renvoi après cassation (1re Civ., 8 avril 2010, pourvoi n° 09-14. 399), que Mme Y... a fait diffuser sur le forum du site Internet " Aufeminin. com " des propos faisant état de pratiques commerciales malhonnêtes imputées à M. X... ; que celui-ci et la société Docteur Dominique X... (la société) ont fait assigner Mme Y... et la société " Aufeminin. com SA " du chef de diffamation et d'injures en raison de passages déterminés de ces propos ; que, par ordonnance du 19 décembre 2007, le juge de la mise en état a annulé l'assignation en son ensemble en raison de son imprécision ;
Attendu que M. X... et la société font grief à l'arrêt de confirmer l'ordonnance, alors, selon le moyen :
1°/ que satisfait aux prescriptions de l'article 53 de la loi du 29 juillet 1881 la citation introductive d'instance qui indique exactement au défendeur les faits et les infractions qui lui sont reprochés et le met ainsi en mesure de préparer utilement sa défense sans qu'il soit nécessaire que la citation précise ceux des faits qui constitueraient des injures et ceux qui constitueraient des diffamations ; qu'en présence de propos échelonnés sur la toile et liés par un même dessein, la citation introductive qui articulait les propos poursuivis et précisait les qualifications requises ne pouvait être déclarée imprécise ; qu'en se déterminant comme elle l'a fait, la cour de renvoi a violé les dispositions de l'article 53 de la loi du 29 juillet 1881, ensemble l'article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
2°/ que la régularité de l'acte introductif d'instance en matière de presse au regard de l'article 53 de la loi du 29 juillet 1881 s'apprécie de manière distributive sous le rapport de la précision des faits et de leur qualification ; qu'il suit de là que l'assignation ne peut être déclarée nulle dans son ensemble à raison de la double qualification retenue pour certaines imputations ; qu'en annulant pour ce motif l'assignation dans son ensemble sans établir que l'imprécision prétendue de certains griefs affecterait également les nombreux autres griefs articulés par les requérants, qu'elle n'a en conséquence pas examinés, la cour a violé le texte susvisé, ensemble les articles 6, 10 et 13 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
3°/ que le grief d'imprécision prétendu est lui-même déduit de motifs inopérants puisque les énonciations retenues comme identiques par la cour sous des qualifications différentes procédaient elles-mêmes d'itérations distinctes par leur date et leur contexte ; qu'en identifiant à tort ces énonciations cependant distinctes, notamment par leur date d'apparition sur le forum, la cour s'est déterminée par des motifs inopérants, violant ainsi l'article 53 de la loi de 1881, ensemble les articles 6, 10 et 13 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Mais attendu que selon l'article 53 de la loi du 29 juillet 1881, qui doit recevoir application devant la juridiction civile, l'assignation doit, à peine de nullité, préciser et qualifier le fait incriminé et énoncer le texte de loi applicable ; qu'est nulle une assignation retenant pour le même fait la double qualification d'injure et de diffamation ;
Et attendu qu'ayant constaté que des propos identiques ou quasiment identiques, même figurant pour certains dans des commentaires publiés à des dates distinctes, se trouvaient poursuivis sous deux qualifications différentes, la cour d'appel en a déduit à bon droit, sans encourir les griefs du moyen, que ce cumul de qualifications étant de nature à créer pour les défenderesses une incertitude préjudiciable à leur défense, l'assignation était nulle en son entier ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. X... et la société Docteur Dominique X... aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la société Auféminin. com et celle présentée par M. X... et la société Docteur Dominique X... ;
Vu les articles 700 du code de procédure civile et 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991, rejette la demande de la SCP Defrenois et Levis ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, siégeant en assemblée plénière, et prononcé le quinze février deux mille treize par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Moyen annexé au présent arrêt
Moyen produit par Me Bouthors, avocat aux Conseils, pour M. X... et la SELARL Dominique X...
Le moyen reproche à l'arrêt confirmatif attaqué d'avoir annulé l'assignation introductive d'instance du 14 juin 2007 à raison de son imprécision prétendue sur les faits poursuivis des chefs de diffamation et d'injures ;
aux motifs que M. Dominique X... et la société Docteur Dominique X... font valoir que dans le corps principal de l'assignation sont distingués clairement d'une part les propos poursuivis sous la qualification de diffamation et d'autre part ceux relevant de l'injure, qu'un seul passage est indiqué comme constitutif de diffamation puis d'injure, que des passages non identiques à la fois dans leur rédaction mais surtout dans leur localisation dans les écrits incriminés sont différents et ne peuvent par définition être doublement qualifiés et que la double qualification d'un fait n'impliquerait, à supposer l'atteinte aux droits de la défense avérée, que la nullité de l'assignation limitée à celui-ci et non en son entier ; que la SA Auféminin. com répond qu'il est impossible de poursuivre un fait unique sous une double qualification sans que soit créée dans l'esprit de prévenus une incertitude préjudiciable aux droits de la défense, que la solution de l'arrêt de la Cour de cassation est critiquable et ne doit pas être suivie par la cour de renvoi, qu'en permettant aux demandeurs de ne pas spécifier quels propos relèveraient de la diffamation de ceux relevant de l'injure, elle met à néant la possibilité pour le défendeur d'articuler une offre de preuves puisqu'il ne sait pas avec certitude quelles allégations il doit prouver, qu'elle remet en cause l'uniformisation des procédures civiles et pénales en matière de presse initiée depuis plus de quinze ans, qu'en l'espèce, les demandeurs poursuivent non pas des faits distincts mais des faits identiques sous des qualifications différentes et que la constatation d'un grief emporte nullité de l'acte en son entier ; que Mme Sylvie Y... soutient de son côté que les faits ne sont pas qualifiés avec précision puisque les mêmes propos se retrouvent tant dans le paragraphe consacré à la diffamation que dans celui de l'injure, que les demandeurs ont choisi la facilité en s'abstenant de qualifier les propos litigieux et en laissant au juge le choix de la qualification juridique, que la Cour de cassation est allée à l'encontre de la volonté du législateur en validant l'assignation, que cela entrave ses droits de la défense dans la mesure où même en prouvant la véracité des propos et en échappant ainsi à la condamnation pour diffamation, elle peut être condamnée pour les mêmes propos au titre de l'injure, que des propos ne peuvent être à la fois diffamatoires et injurieux, qu'ils ne peuvent à la fois imputer la commission de faits précis et ne renfermer l'imputation d'aucun fait et que non seulement l'assignation ne respecte pas les formes imposées par la loi du 29 juillet 1881 mais contrevient également à l'article 6-3 de la Convention européenne des droits de l'homme ; qu'aux termes de l'article 53 de la loi du 29 juillet 1881, à peine de nullité de la poursuite, la citation doit préciser et qualifier le fait incriminé et indiquer le texte de loi applicable à la poursuite ; que ce formalisme est applicable aux instances civiles ; qu'il a pour finalité de permettre au défendeur de savoir quels sont les faits qui lui sont reprochés et leur qualification et de choisir les moyens de sa défense, lesquels ne sont pas identiques suivant la qualification, l'article 55 l'autorisant à prouver la vérité des faits diffamatoires dans le délai légal de dix jours ; qu'un même fait ne peut dès lors être poursuivi cumulativement ou alternativement sous la double qualification d'injure et de diffamation ; que la citation doit préciser, en conséquence, ceux des faits qui constitueraient des injures et ceux qui constitueraient une diffamation ; qu'il résulte en l'espèce de l'assignation en date du 14 juin 2007 que les propos « je dénonce les pratiques commerciales malhonnêtes... » et « il faut mettre fin à ces abus commerciaux qui ne sont pas dignes d'un médecin qui n'est autre qu'un Business Man » sont poursuivis comme diffamation pages 7 et 8 et comme injure page 9, que l'expression «... ... av. Marceau : à fuir ! ! ! ! ! ! » est poursuivie comme diffamation page 8 alors que celle « ... av. Marceau : des voleurs à fuir ! ! !... » l'est comme injure page 9 et qu'il en est de même du propos « rentabilisation business maximum » qualifié de diffamatoire page 8 et « Usine à Fric et Rentabilité Business Maximum » qualifié d'injure dans la même page ; qu'il s'en suit que des propos identiques ou quasiment identiques, mêmes figurant pour certains dans des commentaires publiés à des dates distinctes, se trouvent poursuivis sous deux qualifications différentes ; que ce cumul de qualifications est de nature à créer une incertitude pour les défenderesses préjudiciable à leur défense ; que l'assignation ne répond dès lors pas aux exigences de l'article 53 susvisé ; que ce vice affecte la validité de l'acte en son entier ; que l'ordonnance entreprise sera, en conséquence, confirmée en ce qu'elle a prononcé son annulation ;
1°) alors que d'une part, satisfait aux prescriptions de l'article 53 de la loi du 29 juillet 1881 la citation introductive d'instance qui indique exactement au défendeur les faits et les infractions qui lui sont reprochés et le met ainsi en mesure de préparer utilement sa défense sans qu'il soit nécessaire que la citation précise ceux des faits qui constitueraient des injures et ceux qui constitueraient des diffamations ; qu'en présence de propos échelonnés sur la toile et liés par un même dessein, la citation introductive qui articulait les propos poursuivis et précisait les qualifications requises ne pouvait être déclarée imprécise ; qu'en se déterminant comme elle l'a fait, la cour de renvoi a violé les dispositions de l'article 53 de la loi du 29 juillet 1881, ensemble l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme ;
2°) alors que, d'autre part, la régularité de l'acte introductif d'instance en matière de presse au regard de l'article 53 de la loi du 29 juillet 1881 s'apprécie de manière distributive sous le rapport de la précision des faits et de leur qualification ; qu'il suit de là que l'assignation ne peut être déclarée nulle dans son ensemble à raison de la double qualification retenue pour certaines imputations ; qu'en annulant pour ce motif l'assignation dans son ensemble sans établir que l'imprécision prétendue de certains griefs affecterait également les nombreux autres griefs articulés par les requérants, qu'elle n'a en conséquence pas examinés, la cour a violé le texte susvisé, ensemble les articles 6, 10 et 13 de la Convention européenne des droits de l'homme ;
3°) alors enfin que le grief d'imprécision prétendu est lui-même déduit de motifs inopérants puisque les énonciations retenues comme identiques par la cour sous des qualifications différentes procédaient elles-mêmes d'itérations distinctes par leur date et leur contexte ; qu'en identifiant à tort ces énonciations cependant distinctes, notamment par leur date d'apparition sur le forum, la cour s'est déterminée par des motifs inopérants, violant ainsi l'article 53 de la loi de 1881, ensemble les articles 6, 10 et 13 de la Convention européenne des droits de l'homme.