LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Met hors de cause le conseil général des Yvelines ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Versailles, 27 juin 2011), que la société Logirep, maître d'ouvrage, a fait édifier par la société Gagneraud père et fils (la société Gagneraud), sous la maîtrise d'oeuvre de M. X... et le contrôle technique de la société Bureau Veritas (le Bureau Veritas), un ensemble immobilier dont la réception est intervenue le 31 août 1990 ; qu'en 1993 et 1994, des déformations de la clôture de cet ensemble immobilier ainsi que du trottoir et de la chaussée de la voie publique le longeant se sont produites ; qu'en 1995, le conseil général des Yvelines (le conseil général) a fait procéder à la réfection de la voirie supprimant la déformation du trottoir et de la chaussée ; qu'à la suite d'une nouvelle déformation, la commune de Jouy-en-Josas a notifié à la société Logirep en 2001 et 2002 des arrêtés de péril imminent ; que le tribunal administratif, saisi d'une demande d'homologation de ces décisions, a ordonné une expertise ; que le juge des référés du tribunal de grande instance, saisi par le conseil général, a désigné le même expert, qui a déposé un rapport commun le 11 novembre 2005 ; qu'au vu de ce rapport mettant en cause des erreurs de conception et d'exécution du système de drainage périphérique d'un des bâtiments de l'ensemble immobilier, laissant s'écouler de fines particules de sable à l'origine de la décompression du sol situé sous la route, le conseil général a assigné, sur le fondement des articles 1382 et suivants du code civil, la société Logirep qui a appelé en garantie la société Gagneraud, le Bureau Veritas et M. X... ;
Sur le premier moyen :
Attendu que la société Logirep fait grief à l'arrêt de la déclarer responsable de l'entier dommage subi par le conseil général, alors, selon le moyen :
1°/ que la participation fautive de la victime à la production du dommage justifie que le gardien de la chose soit partiellement exonéré de sa responsabilité ; qu'en retenant que le Conseil général des Yvelines ne portait aucune part de responsabilité dans la survenance du sinistre parce que la société Logirep avait refusé, en 2001 et 2002, soit six ans après ces travaux, de se conformer aux arrêtés de péril qui lui avaient été notifiés, la cour d'appel a statué par des motifs inopérants et a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1384 du code civil ;
2°/ que la cour d'appel ne pouvait se contenter de relever, pour écarter tout partage de responsabilité entre la société Logirep et le Conseil général des Yvelines, qu'il avait été audacieux de la part de la société Logirep de soutenir que les travaux avaient été l'une des sources du désordre, sans rechercher, ainsi qu'il lui était demandé, si la décision de procéder, en 1995, à la réfection totale de la chaussée sans étude préalable destinée à identifier l'origine des affaissements, n'avait pas privé la société Logirep de la possibilité de rechercher, dès 1995 -et dans l'hypothèse où l'origine des désordres lui aurait été imputable- les solutions susceptibles d'y remédier de façon pérenne ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1384 du code civil ;
Mais attendu qu'ayant retenu que l'immeuble dont la société Logirep était gardienne était à l'origine des désordres qui ont affecté la route départementale, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de suivre les parties dans le détail de leur argumentation, a, abstraction faite d'un motif erroné mais surabondant, légalement justifié sa décision ;
Mais sur le second moyen :
Vu l'article 2270-1 du code civil applicable à la cause ;
Attendu que pour déclarer irrecevables les appels en garantie exercés par la société Logirep contre les constructeurs de l'immeuble, l'arrêt retient que l'action du conseil général a été intentée à la suite d'une nouvelle déformation de la chaussée survenue en 2001 et que le point de départ de la prescription est l'année 1991 ;
Qu'en statuant ainsi, alors que le délai de prescription de l'action en garantie formée par la société Logirep avait pour point de départ la date de l'assignation en responsabilité délivrée par le conseil général, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a déclaré irrecevables les appels en garantie, l'arrêt rendu le 27 juin 2011, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Versailles, autrement composée ;
Condamne la société Gagneraud construction, la société Bureau Veritas, Mme X..., en qualité d'héritière de M. X..., et la société Logirep aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne la société Logirep à payer la somme globale de 2 500 euros au conseil général des Yvelines ; condamne la société Gagneraud construction et la société Bureau Veritas à payer la somme globale de 2 500 euros à la société Logirep ; rejette les autres demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du treize février deux mille treize.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Bénabent, avocat aux Conseils, pour la société Logirep
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué d'avoir déclaré la société LOGIREP responsable de l'entier dommage subi par le Conseil Général des Yvelines et de l'avoir condamnée à payer à celui-ci la somme de 192.056 euros TTC avec indexation ;
AUX MOTIFS QU'« il convient de souligner qu'il résulte des constatations de l'expert Y..., particulièrement claires, précises et argumentées, que c'est l'immeuble dont la société LOGIREP est gardienne qui est la cause des désordres qui ont affecté la route départementale 448 ; que la société LOGIREP doit donc en être déclarée responsable sur le fondement de l'article 1384 du code civil ; que l'expert a motivé de façon convaincante le choix de la solution réparatoire qu'il suggère (consolidation du substratum de la chaussée par des injections) et que le montant de celle-ci, qui repose sur des devis précis et détaillés, n'est pas critiquable ; que les travaux ont été réalisés en cours d'expertise ; que le dommage s'est manifesté pleinement dès l'année 1991, ainsi que le relève l'expert aux pages 37 puis 71 à 73 de son rapport ; que la société LOGIREP, qui avait constaté l'existence des fuites de sablon dans le réseau de drainage de ses boxes et à travers le dallage de certains d'entre eux, n'a fait aucune déclaration de sinistre et a laissé passer le délai de la garantie décennale ; que l'expert note que la société LOGIREP disposait de services assez compétents pour évaluer la situation et prendre des mesures qui, à l'époque, ne lui auraient presque rien coûté ; (…) que la société LOGIREP ne démontre pas que le conseil général des Yvelines porterait une part de responsabilité dans la survenance du sinistre ; qu'en effet, c'est en raison de la carence manifeste de la société LOGIREP que la commune de Jouy-en-Josas a dû se résoudre à prendre un arrêté de péril relatif au danger d'effondrement sur la voie publique du mur de soutènement de l'immeuble appartenant à la société LOGIREP ; qu'au lieu d'entreprendre les travaux préconisés par l'expert désigné par le tribunal d'instance de Versailles dans le cadre de la procédure de péril imminent, la société LOGIREP a préféré former un recours gracieux contre l'arrêté de péril ; qu'a été notifié le 25 novembre 2002 à la société LOGIREP un nouvel arrêté de péril imminent la mettant en demeure de «faire cesser le péril résultant de l'état du mur de clôture en bordure de la rue Charles de Gaulle en l'étayant et de rassembler toutes les pièces relatives aux ouvrages de drainage mis en place à la périphérie et sous le dallage du sous-sol et de passer commande à une ou des entreprises spécialisées de leur choix pour rechercher par tous les moyens qui lui sembleront adaptés les éventuels défauts d'étanchéité aux éléments fins du sol dans ces ouvrages, tout particulièrement au voisinage de la zone où la clôture s'effondre » ; qu'en désespoir de cause, le conseil général des Yvelines a procédé à la reprise de la déformation de la chaussée et du trottoir au cours de l'année 1995 ; qu'il est audacieux de la part de la société LOGIREP de soutenir que ces travaux ont été l'une des sources du désordre» ;
ET AUX MOTIFS ADOPTES QUE « conformément aux dispositions de l'article 1384 du code civil, on est responsable du dommage causé notamment par le fait des choses que l'on a sous sa garde. Et il est de principe qu'il s'agit d'une disposition générale visant tant les choses mobilières que les choses immobilières. L'application de ce texte est toutefois exclue lorsqu'il existe des dispositions spéciales applicables à des hypothèses particulières ; qu'il en est ainsi des dommages causés par la ruine d'un bâtiment causée par suite du défaut d'entretien ou par le vice de sa construction qui relèvent des dispositions de l'article 1386 du code civil, dont l'application exclut celle de l'article 1384 du code civil ; qu'en l'espèce, le CONSEIL GENERAL DES YVELINES a évoqué la notion de ruine, non pas comme un élément qui justifierait l'application de l'article 1386 du code civil, mais comme un exemple de cas dans lequel la jurisprudence applique l'article 1384 du code civil. Mais c'est bien sur le fondement de l'article 1384 qu'il a formé sa demande ; qu'à cet égard, l'expert a indiqué, sans être contredit par les parties, qu'il était clair dès avant l'expertise que le système de drainage périphérique du bâtiment A drainait du silt en même temps que l'eau de la nappe et par ailleurs que l'état fissuré de la dalle de certains emplacements du parking permettait également le passage d'eau chargée en éléments fins. Il a précisé qu'un calcul approximatif de débit permettait de conclure que l'ensemble était bien de nature à créer une zone de décompression sous la D448 provoquant le tassement de la route et du trottoir ainsi que le basculement de la grille de la propriété LOGIREP et que c'est ce dernier phénomène qui a inquiété à nouveau la municipalité de JOUY EN JOSAS et entraîné la cascade d'arrêtés de péril tout à fait justifiés ; qu'il résulte donc bien de ses explications que c'est l'immeuble dont la société LOGIREP est gardienne qui est la cause des désordres qui ont affecté la route et qui font l'objet de la présente procédure, de sorte que cette société doit en être déclarée responsable sur le fondement de l'article 1384 du code civil ; que l'expert a ensuite très précisément expliqué le choix de la solution réparatoire dont le montant s'élève à 192.056 euros TTC, non contestés en tant que tels. Cette somme sera donc mise à la charge de la société LOGIREP » ;
1°) ALORS QUE, D'UNE PART, la participation fautive de la victime à la production du dommage justifie que le gardien de la chose soit partiellement exonéré de sa responsabilité ; qu'en retenant que le Conseil général des Yvelines ne portait aucune part de responsabilité dans la survenance du sinistre parce que la société Logirep avait refusé, en 2001 et 2002, soit six ans après ces travaux, de se conformer aux arrêtés de péril qui lui avaient été notifiés, la Cour d'appel a statué par des motifs inopérants et a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1384 du Code civil ;
2°) ALORS QUE, D'AUTRE PART, la Cour d'appel ne pouvait se contenter de relever, pour écarter tout partage de responsabilité entre la société Logirep et le Conseil Général des Yvelines, qu'il avait été audacieux de la part de la société Logirep de soutenir que les travaux avaient été l'une des sources du désordre, sans rechercher, ainsi qu'il lui était demandé, si la décision de procéder, en 1995, à la réfection totale de la chaussée sans étude préalable destinée à identifier l'origine des affaissements, n'avait pas privé l'exposante de la possibilité de rechercher, dès 1995 – et dans l'hypothèse où l'origine des désordres lui aurait été imputable – les solutions susceptibles d'y remédier de façon pérenne ; qu'en statuant ainsi, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1384 du Code civil.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué d'avoir déclaré irrecevables les appels en garantie exercés par la société LOGIREP contre la SAS Gagneraud Construction, M. Jacques X... et la SA Bureau Véritas ;
AUX MOTIFS PROPRES QUE « le dommage s'est manifesté pleinement dès l'année 1991, ainsi que le relève l'expert aux pages 37 puis 71 à 73 de son rapport ; que la société LOGIREP, qui avait constaté l'existence des fuites de sablon dans le réseau de drainage de ses boxes et à travers le dallage de certains d'entre eux, n'a fait aucune déclaration de sinistre et a laissé passer le délai de la garantie décennale ; que l'expert note que la société LOGIREP disposait de services assez compétents pour évaluer la situation et prendre les mesures qui, à l'époque, ne lui auraient presque rien coûté ; que la société LOGIREP, assignée en référé par le Conseil général des Yvelines en septembre 2003 (ce qui a abouti à l'ordonnance du 25 septembre 2003) n'a, à son tour, assigné en référé la société GAGNERAUD PERE et FILS , Monsieur Jacques X... et le BUREAU VERITAS que le 1er septembre 2004 (ce qui a abouti à l'ordonnance du 21 octobre 2004) ; que la société LOGIREP justifie avoir réglé au Conseil général des Yvelines les causes du jugement entrepris le 25 mai 2010 et estime, dès lors, qu'elle se trouve subrogée dans les droits de celui-ci à l'encontre de ses locateurs d'ouvrage ; que, certes, le maître de l'ouvrage qui a indemnisé son voisin pour les dommages que lui a causés la construction de son immeuble est subrogé à hauteur du paiement effectué dans les droits de ce dernier à l'encontre des constructeurs et de leurs assureurs, mais ce à la condition que son action récursoire ne soit pas prescrite ; qu'en l'espèce, il résulte de l'article 2270-1 du code civil avant son abrogation par l'ordonnance du 17 juin 2008 que « les actions en responsabilité civile extra-contractuelle se prescrivent par dix ans à compter de la manifestation du dommage ou de son aggravation » ; qu'il en résulte que la société LOGIREP n'est plus en droit d'exercer son action extra-contractuelle à l'encontre de M. Jacques X..., de la société GAGNERAUD CONSTRUCTION intervenant aux lieu et place de la société GAGNERAUD PERE et FILS et du BUREAU VERITAS ; que la société LOGIREP reconnaît elle-même dans ses écritures (page 6 de ses dernières conclusions) qu' ‘'elle n'est pas en mesure d'exercer une action sur le fondement de l'article 1792 du code civil au titre de la responsabilité contractuelle'' » ;
ET AUX MOTIFS ADOPTÉS QUE « outre que la société LOGIREP avait un lien de droit avec chacun des appelés en garantie, ce qui aurait justifié un recours contre eux sur le fondement de la responsabilité contractuelle, il convient de relever que, comme ils le soulèvent, conformément aux dispositions de l'article 2270-1 du code civil les actions en responsabilité extra-contractuelle se prescrivent par dix ans à compter de la manifestation du dommage ou de son aggravation ; en l'espèce, il est acquis aux débats que le dommage s'est manifesté en 1991 ; il est tout aussi acquis qu'aucun acte interruptif de prescription n'a été diligenté avant 2003, date à laquelle la prescription était déjà acquise de sorte que l'action est irrecevable comme prescrite » ;
ALORS QUE, D'UNE PART, le délai de prescription d'une action en garantie a pour point de départ la date de l'assignation principale constituant le fondement de l'appel en garantie ; qu'après avoir constaté que la société LOGIREP n'avait été assignée par le Conseil général des Yvelines qu'en 2003 en référé et le 4 septembre 2006 au fond, et qu'elle avait elle-même assigné en garantie la société Gagneraud, M. Jacques X... et le Bureau Véritas les 1er et 2 août 2007, la Cour d'appel ne pouvait déclarer cette action prescrite par application de l'article 2270-1 du code civil sans méconnaître les conséquences légales de ses propres constatations au regard de ce texte dans sa rédaction applicable à la cause ;
ALORS QUE, D'AUTRE PART, en toute occurrence le point de départ des actions en responsabilité extra contractuelle ne se situe qu'au jour de la manifestation du dommage ou de son aggravation ; qu'ayant elle-même constaté que l'action principale du Conseil général des Yvelines était intervenue « à la suite d'une nouvelle déformation » de la chaussée survenue en 2001, après une réfection effectuée en 1995 (arrêt page 8 al. 2 et 3), la Cour d'appel ne pouvait fixer le point de départ de la prescription à « l'année 1991 » sans méconnaître les conséquences légales de ses propres constatations au regard de l'article 2270-1 du code civil dans sa rédaction applicable à la cause ;
ALORS QU'ENFIN, en énonçant que « le dommage s'est manifesté pleinement dès l'année 1991 » après avoir elle-même constaté que l'action en réparation avait été formée par le Conseil général des Yvelines « à la suite d'une nouvelle déformation » survenue en 2001 après des réfections effectuées en 1995, la Cour d'appel s'est contredite en violation de l'article 455 du code de procédure civile.