COUR DE CASSATION
12 CRD 022Audience publique du 19 novembre 2012Prononcé au 17 décembre 2012
La commission nationale de réparation des détentions instituée par l'article 149-3 du code de procédure pénale, composée lors des débats de M. Straehli, président, M. Cadiot, conseiller, M. Laurent, conseiller référendaire, en présence de Mme Valdès-Boulouque, avocat général et avec l'assistance de Mme Bureau, greffier, a rendu la décision suivante :
ACCUEIL PARTIEL du recours formé par Gérard X..., contre la décision du premier président de la cour d'appel de Montpellier en date du 26 avril 2012 qui lui a alloué une indemnité de 36 000 euros en réparation de son préjudice moral, 4 591,92 euros en réparation de son préjudice matériel, 59,80 euros au titre de ses frais de défense sur le fondement de l'article 149 du code précité ainsi qu'une somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Les débats ayant eu lieu en audience publique le 19 novembre 2012, l'avocat du demandeur ne s'y étant pas opposé ;
Vu les dossiers de la procédure de réparation et de la procédure pénale ;
Vu les conclusions de Me de Caunes, avocat au barreau de Toulouse, représentant M. X... ;
Vu les conclusions de l'agent judiciaire de l'Etat ;
Vu les conclusions du procureur général près la Cour de cassation ;
Vu les conclusions en réponse de Me de Caunes ;
Vu la notification de la date de l'audience, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, au demandeur, à son avocat, à l'agent judiciaire de l'Etat et à son avocat, un mois avant l'audience ;
M. Gérard X... ne comparaît pas personnellement. Il est représenté à l'audience par Me de Caunes conformément aux dispositions de l'article R.40-5 du code de procédure pénale ;
Sur le rapport de M. le conseiller Cadiot, les observations de Me de Caunes, avocat représentant le demandeur et celles de Me Couturier-Heller, avocat représentant l'agent judiciaire de l'Etat, les conclusions de Mme l'avocat général Valdès-Boulouque, l'avocat du demandeur ayant eu la parole en dernier ;
Après en avoir délibéré conformément à la loi, la décision étant rendue en audience publique ;
LA COMMISSION NATIONALE DE REPARATION DES DETENTIONS,
Attendu que le premier président de la cour d'appel de Montpellier a alloué par ordonnance du 26 avril 2012 à M. Gérard X..., qui a subi de manière ininterrompue une détention d'un an, un mois et dix-neuf jours ayant été condamné le 29 mars 2010 à la peine de 12 ans de réclusion criminelle du chef de viol aggravé et écroué par la cour d'assises des Pyrénées-Orientales puis acquitté le 17 mai 2011 par arrêt désormais définitif de la cour d'assises de l'Aude statuant en appel, les sommes de 36 000 euros en réparation du préjudice moral, de 4 591,92 euros en réparation du préjudice économique et de 1 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile mais a écarté, d'une part, les demandes de remboursement des frais de déplacement exposés par les membres de la famille pour des visites en détention et a cantonné, d'autre part, le remboursement des frais de défense à la somme de 59,80 euros au motif que le surplus n'était pas facturé à l'intéressé mais à sa soeur qui l'avait acquitté ;
Attendu que M. X... a régulièrement frappé de recours le 7 mai 2012 cette décision dont la notification est intervenue le 3 mai 2012 ;
Attendu que reprenant ses demandes initiales, sauf à porter de 84 000 euros à 84 800 euros celle au titre du préjudice moral, il sollicite 52 000 euros pour réparer son préjudice économique, 4 733,37 euros en remboursement de ses frais de défense, 14 412,32 euros en remboursement des frais de déplacement de sa famille et 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ; qu'il fait valoir, au terme de conclusions déposées le 6 juin 2012 et d'un mémoire en réponse à l'agent judiciaire de l'Etat déposé le 26 septembre 2012, la privation des liens familiaux avec son fils fragile physiquement et psychologiquement ainsi que l'importance du choc carcéral aggravé par la nature de la prévention et trois changements successifs d'établissement subi à l'âge de 50 ans, étant indemne de tout passé judiciaire, le laissant affecté d'une dépression sévère et d'une hypertension artérielle mal équilibrée ; qu'il évalue son préjudice matériel sur la base du tiers d'une capitalisation selon l'euro de rente de son âge lors de l'incarcération jusqu'à 65 ans, âge potentiel de la retraite, faisant ressortir que son médecin psychiatre se proposait juste avant l'incarcération de l'employer comme jardinier et que ses chances de retrouver un emploi sont faibles ; qu'il indique, quant aux frais de défense, que sa soeur a suppléé son impécuniosité en les réglant mais qu'il s'est engagé à les lui rembourser en cas d'acquittement ; qu'il souligne enfin que les déplacements de ses proches pour le visiter en détention dont il demande l'indemnisation sur la base des barèmes kilométriques fiscaux entrent dans le cadre de la réparation intégrale d'une détention injustifiée et que ces visites lui étaient psychologiquement salutaires ;
Attendu que l'agent judiciaire de l'Etat, qui conclut au rejet du recours au terme d'écritures déposées le 8 août 2012, soutient, d'une part, que les éléments aggravants du choc carcéral ont été pris en compte par le premier président dans l'évaluation qu'il a faite du préjudice moral et ne sauraient justifier une élévation du montant alloué, d'autre part, que M. X... n'établit pas que la détention provisoire soit à l'origine d'une perte de chance de trouver un emploi ni ne justifie de recherches pour en trouver un ; qu'il ajoute que les frais exposés par ses proches pour visiter le détenu ne constituent pas un préjudice personnel de celui-ci et que les frais de défense ont été facturés au nom de la soeur de l'intéressé, lequel ne démontre pas les lui avoir remboursés ;
Attendu que le procureur général retient que les réparations allouées le sont en conformité de la jurisprudence de la Commission nationale et que les demandes qui ont été rejetées le sont en conséquence d'une insuffisance de preuve ;
Vu les articles 149 à 150 du code de procédure pénale ;
Attendu qu'une indemnité est accordée, à sa demande, à la personne ayant fait l'objet d'une détention provisoire, au cours d'une procédure terminée à son égard, par une décision de non-lieu, de relaxe, ou d'acquittement devenue définitive ; que cette indemnité est allouée en vue de réparer intégralement le préjudice personnel, matériel et moral, directement causé par la privation de liberté ;
Attendu que l'ordonnance attaquée alloue une juste indemnisation du préjudice moral eu égard au temps de détention subi et aux circonstances aggravantes de ce préjudice tenant à l'absence d'antécédents carcéraux de M. X..., à une pénibilité de la détention accrue par la nature de la prévention, les changements d'établissements pénitentiaires, l'état dépressif préexistant de l'intéressé et ses charges de famille, l'existence d'un lien entre l'hypertension artérielle et l'épisode carcéral n'étant en revanche pas envisagée par le certificat médical hospitalier produit ; que M. X... étant depuis plusieurs années au chômage lors de son incarcération, la réparation du préjudice économique a été déterminée avec pertinence par le premier juge sur la base de la perte des indemnités servies par Pôle-emploi en écartant l'hypothétique extrapolation présentée en demande à partir d'une promesse d'embauche en qualité de jardinier souscrite au profit de l'intéressé par son psychiatre traitant qui ne l'a pas concrétisée ;
Attendu, qu'il est constant que le fils de l'intéressé, était, au contraire des autres membres de la famille, économiquement dépendant de son père sous le toit duquel il résidait, bien que jeune majeur ; que ses visites en détention sont attestées et datées par des documents pénitentiaires ; que la distance entre l'établissement d'affectation du détenu et le domicile familial est connue ; qu'en cet état, la circonstance que ce fils soit dépourvu du permis de conduire ainsi que d'un véhicule personnel ne prive pas le demandeur du droit d'obtenir du juge de la réparation de la détention, tenu d'indemniser l'ensemble des préjudices spécifiques qu'elle induit, le remboursement du coût des trajets du visiteur qu'il a néssairement supporté ; qu'en l'absence d'autre élément d'appréciation, le coût peut être raisonnablement calculé par référence à un véhicule de faible cylindrée sur la distance considérée à partir de la référence officielle que constitue le barème fiscal des frais kilométriques établi et publié par l'Etat ; que la somme de 2 675,92 euros sera dès lors allouée de ce chef, les frais de visite des autres personnes, économiquement indépendantes du détenu, ne pouvant en revanche être pris en compte ;
Attendu que le remboursement des honoraires versés à un avocat et des frais exposés au titre de la défense ne peut concerner, devant la commission de céans, que les prestations directement liées à la privation de liberté ; que tel n'est pas le cas en l'espèce de la facture d'un montant de 2 000 euros établie le 5 août 2010 relative à une provision sur honoraires dont l'emploi demeure indéterminé ; qu'en revanche les autres factures produites correspondent à des démarches ou actes précis spécifiquement destinés à contester la détention de M. X... ; que la circonstance que ces factures soient libellées à l'ordre de la soeur de l'intéressé qui en a assumé le paiement en raison de l'impécuniosité de son frère ne justifie pas d'en écarter l'indemnisation dès lors que le bénéficiaire a expressément souscrit une promesse nominative de remboursement produite aux débats ; qu'une somme de 2 733,37 euros sera en conséquence allouée de ce chef, celle de 59,80 euros prise en compte par le premier président étant maintenue ;
Attendu que le recours de M. X... ayant prospéré, il lui sera également alloué la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
PAR CES MOTIFS :
DIT recevable le recours de M. Gérard X... ;
L'ACCUEILLE pour partie et, statuant à nouveau des seuls chefs des frais de déplacement pour visite de son fils en détention et des frais de défense ;
ALLOUE en conséquence les sommes :
• de 2 675,92 euros (deux mille six cent soixante quinze euros et quatre-vingt douze centimes) en réparation du premier de ces chefs de préjudice ;
• de 2 733,37 euros (deux mille sept cent trentre trois euros et trente sept centimes) en réparation du second, la somme de cinquante neuf euros et quatre vingt centimes allouée par le premier président étant maintenue ;
• de 1 500 euros (mille cinq cents euros) au titre de l'article 700 du code de procédure civile, la somme allouée à ce titre par le premier président étant maintenue ;
REJETTE toute autre demande ;
LAISSE les dépens à la charge du Trésor public ;
Ainsi fait, jugé et prononcé en audience publique le 17 décembre 2012 par le président de la commission nationale de réparation des détentions ;
En foi de quoi la présente décision a été signée par le président, le rapporteur et le greffier présent lors des débats et du prononcé.