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17/10/2012 | FRANCE | N°11-14553

France | France, Cour de cassation, Chambre civile 1, 17 octobre 2012, 11-14553


LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur les trois moyens réunis :
Vu le principe de la séparation des autorités administrative et judiciaire, la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor An III, ensemble les articles L. 42-1 et L. 43 du code des postes et communications électroniques et les articles L. 2124-26 et L. 2331-1 du code général de la propriété des personnes publiques ;
Attendu qu'il résulte de ces dispositions que le législateur a organisé une police spéciale des communications électroniques confiée à

l'Etat ; qu'afin d'assurer sur l'ensemble du territoire national et conforméme...

LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur les trois moyens réunis :
Vu le principe de la séparation des autorités administrative et judiciaire, la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor An III, ensemble les articles L. 42-1 et L. 43 du code des postes et communications électroniques et les articles L. 2124-26 et L. 2331-1 du code général de la propriété des personnes publiques ;
Attendu qu'il résulte de ces dispositions que le législateur a organisé une police spéciale des communications électroniques confiée à l'Etat ; qu'afin d'assurer sur l'ensemble du territoire national et conformément au droit de l'Union européenne, d'une part, un niveau élevé et uniforme de protection de la santé publique contre les effets des ondes électromagnétiques émises par les réseaux de communications électroniques, qui sont identiques sur tout le territoire, d'autre part, un fonctionnement optimal de ces réseaux, notamment par une couverture complète de ce territoire, le législateur a confié aux seules autorités publiques qu'il a désignées le soin de déterminer et contrôler les conditions d'utilisation des fréquences ou bandes de fréquences et les modalités d'implantation des stations radioélectriques sur l'ensemble du territoire ainsi que les mesures de protection du public contre les effets des ondes qu'elles émettent et contre les brouillages préjudiciables ; que, par suite, l'action portée devant le juge judiciaire, quel qu'en soit le fondement, aux fins d'obtenir l'interruption de l'émission, l'interdiction de l'implantation, l'enlèvement ou le déplacement d'une station radioélectrique régulièrement autorisée et implantée sur une propriété privée ou sur le domaine public, au motif que son fonctionnement serait susceptible de compromettre la santé des personnes vivant dans le voisinage ou de provoquer des brouillages implique, en raison de son objet même, une immixtion dans l'exercice de la police spéciale dévolue aux autorités publiques compétentes en la matière ; que, nonobstant le fait que les titulaires d'autorisations soient des personnes morales de droit privé et ne soient pas chargés d'une mission de service public, le principe de la séparation des pouvoirs s'oppose à ce que le juge judiciaire, auquel il est ainsi demandé de contrôler les conditions d'utilisation des fréquences radioélectriques au regard des nécessités d'éviter les brouillages préjudiciables et de protéger la santé publique et, partant, de substituer, à cet égard, sa propre appréciation à celle que l'autorité administrative a portée sur les mêmes risques ainsi que, le cas échéant, de priver d'effet les autorisations que celle-ci a délivrées, soit compétent pour connaître d'une telle action ; qu'en revanche, le juge judiciaire reste compétent, sous réserve d'une éventuelle question préjudicielle, pour connaître des litiges opposant un opérateur de communications électroniques à des usagers ou à des tiers, d'une part, aux fins d'indemnisation des dommages causés par l'implantation ou le fonctionnement d'une station radioélectrique qui n'a pas le caractère d'un ouvrage public, d'autre part, aux fins de faire cesser les troubles anormaux de voisinage liés à une implantation irrégulière ou un fonctionnement non conforme aux prescriptions administratives ou à la preuve de nuisances et inconvénients anormaux autres que ceux afférents à la protection de la santé publique et aux brouillages préjudiciables ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que les époux X... ont, sur le fondement du trouble anormal de voisinage, fait assigner la société Orange France aux fins d'obtenir, d'une part, la démolition du pylône implanté par cette société et servant d'antenne de radiotéléphonie mobile, d'autre part, la réparation des divers préjudices d'ordre sanitaire, esthétique et financier causés par l'implantation de cette antenne ;
Attendu que pour dire la juridiction judiciaire compétente pour connaître de la demande de démolition de l'antenne de radiotéléphonie mobile mise en place par la société Orange France, l'arrêt retient que cette demande ne tend pas à remettre en cause les différentes autorisations administratives ni l'occupation privative du domaine public dont bénéficie l'opérateur de téléphonie mobile mais a seulement pour objet d'assurer la protection de leur propriété et de leurs personnes et d'obtenir les mesures propres à faire cesser le trouble et la réparation de leur préjudice ;
En quoi, la cour d'appel a violé le principe et les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a rejeté l'exception d'incompétence soulevée relativement à la demande de démolition du pylône servant d'antenne de radiotéléphonie mobile, implanté par la société Orange France, l'arrêt rendu le 1er février 2011, entre les parties, par la cour d'appel de Nîmes ;
Vu l'article L. 411-3 du code de l'organisation judiciaire ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
Dit la juridiction judiciaire incompétente pour connaître de ladite demande ;
Renvoie les parties à mieux se pourvoir sur ce point ;
Condamne M. et Mme X... aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix-sept octobre deux mille douze.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt :


Moyens produits par la SCP Coutard et Munier-Apaire, avocat aux Conseils, pour la société Orange France.
PREMIER MOYEN DE CASSATION :

PRIS DE CE QUE l'arrêt attaqué a confirmé le jugement ayant rejeté l'exception d'incompétence soulevée par la société ORANGE France au profit de la juridiction administrative, sur la demande des époux X... en démolition du pylône de radiotéléphonie mobile implanté à proximité de leur maison d'habitation et dommages et intérêts ;
AUX MOTIFS QUE :
« l'action engagée par les époux X... est fondée sur la responsabilité des troubles de voisinage, en application des dispositions des articles 1382 et 544 du Code civil, trouble qui serait causé par le pylône implanté par la société ORANGE à proximité de leur habitation, et qui engendrerait un risque sanitaire, un préjudice esthétique, et un préjudice financier (perte de valeur de leur immeuble) ;
« que la SA ORANGE est une personne morale de droit privé, qu'elle n'exploite ni exécute un service public de l'Etat ; que le pylône litigieux est situé sur une propriété privée ; qu'il ne constitue pas un ouvrage public » ;
ET AU MOTIF ADOPTE QUE :
« la procédure ne porte pas à l'évidence sur la remise en cause de l'existence d'un ouvrage public, l'antenne-relais « provisoire » dont la construction est contestée ne pouvant revêtir une telle qualification dès lors que son implantation, située sur une parcelle de terrain privé, ... (appartenant à Monsieur Amar Y...), ne relève nullement ni du domaine public, ni ne ressort de l'exécution d'un service public de l'Etat, comme cela serait par exemple le cas pour les ouvrages portant sur des installations électriques de l'ERDF » ;
ALORS QUE présentent le caractère d'ouvrages publics, notamment les biens immeubles résultant d'un aménagement, qui sont directement affectés à un service public, y compris s'ils appartiennent à une personne privée chargée de l'exécution de ce service public et sont situés sur une propriété privée ; que tel est bien le cas en l'espèce de l'antenne-relais de téléphonie mobile de la société ORANGE France, qui a un caractère immobilier non contesté, qui est directement affecté à une mission de service public confiée à la société ORANGE France relative notamment à l'obligation de couverture du réseau national de téléphonie mobile, à la continuité et à la neutralité du service public et à l'égalité des usagers dans l'acheminement des appels d'urgence et le respect de certaines prescriptions en matière de sécurité et de défense ; qu'ainsi, en jugeant que le pylône litigieux ne constitue pas un ouvrage public parce qu'il appartient à la société ORANGE France, personne privée, qui n'exploite ni exécute un service public de l'Etat et qu'il est situé sur une propriété privée, la Cour d'appel a violé le principe de la séparation des pouvoirs et les lois des 16 et 24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III.
DEUXIEME MOYEN DE CASSATION :

PRIS DE CE QUE l'arrêt attaqué a confirmé le jugement ayant rejeté l'exception d'incompétence soulevée par la société ORANGE France au profit de la juridiction administrative, sur la demande des époux X... en démolition du pylône de radiotéléphonie mobile implanté à proximité de leur maison d'habitation et dommages et intérêts ;
AUX MOTIFS QUE :
« l'action engagée par les époux X... est fondée sur la responsabilité des troubles de voisinage, en application des dispositions des articles 1382 et 544 du Code civil, trouble qui serait causé par le pylône implanté par la société ORANGE à proximité de leur habitation, et qui engendrerait un risque sanitaire, un préjudice esthétique, et un préjudice financier (perte de valeur de leur immeuble) ;……………………………………« que la demande des époux X... ne tend pas à remettre en cause les différentes autorisations administratives dont bénéficie l'opérateur de téléphonie mobile pour assurer la ouverture du réseau ni à remettre en cause l'occupation privative du domaine public hertzien par l'opérateur de téléphonie mobile, mais a seulement pour objet d'assurer la protection de leur propriété et de leur personne et d'obtenir les mesures propres à faire cesser le trouble et la réparation du préjudice qu'ils prétendent subir, étant rappelé que si en application de l'article L 2111-17 du Code général de la propriété des personnes publiques, les fréquences radioélectriques disponibles sur le territoire de la république relèvent du domaine public de l'Etat, l'utilisation, par les titulaires d'autorisation, de fréquences radioélectriques disponibles sur le territoire de la république, constitue un mode d'occupation privatif du domaine public de l'Etat ainsi que le stipule l'article L 2331-1 du Code général de la propriété des personnes publiques, qui attribue compétence à la juridiction administrative pour les litiges relatifs aux autorisations ou contrats comportant occupation du domaine public, quelle que soit leur forme ou leur dénomination, accordées ou conclues par les personnes publiques ou leurs concessionnaires est inopérant ; qu'il s'agit seulement en l'espèce de déterminer si la présence d'un émetteur installé à proximité de l'habitation des époux X... et sur une propriété privée, occasionne des troubles dépassant les inconvénients normaux de voisinage, qu'un tel litige entre personnes de droit privé ressort de la compétence de la juridiction judiciaire » ;
ET AU MOTIF ADOPTE QUE :
« la présente action, consécutive aux seuls effets de l'implantation de l'antenne, vise non seulement la réparation des éventuels dommages éventuellement causés à la santé du fait de l'exposition de la maison d'habitation et des occupants de ce lieu particulier aux ondes électromagnétiques provenant de l'antenne en question mais aussi en raison des répercussions négatives ayant trait à la valeur de la propriété et à la vue » ;
ALORS QUE lorsqu'un texte est clair, il doit être appliqué sans réserve ni exception ; que le pylône litigieux de téléphonie mobile a pour seul objet « l'utilisation » par la société ORANGE France de fréquences radioélectriques relevant du domaine public de l'Etat (article 2111-17 du CGPPP), « utilisation » qui constitue, selon l'article L 2124-26 dudit Code, « un mode d'occupation privatif du domaine public de l'Etat » ; qu'aux termes de l'article L 2331-1 du même Code, « sont portés devant la juridiction administrative, les litiges relatifs : 1° aux autorisations ou contrats comportant occupation du domaine public, quelle que soit leur forme ou leur dénomination, accordés ou conclus par les personnes publiques ou leurs concessionnaires » ; que ce dernier texte concerne tous les « litiges », sans exception, relatifs aux autorisations ou contrats portant occupation du domaine public de l'Etat, qu'ils émanent soit des parties soit de tiers, en sorte que c'est au prix d'une erreur de droit que la Cour d'appel a considéré que le moyen tiré des dispositions de l'article L 2331-1 du CGPPP est « inopérant », en ce qu'il s'agit seulement en l'espèce de déterminer si la présence d'un émetteur de téléphonie mobile installé à proximité de l'habitation des époux X... sur une propriété privée, occasionne des troubles dépassant les inconvénients normaux de voisinage, violant, en conséquence, par refus d'application, ledit texte.
TROISIEME MOYEN DE CASSATION :

PRIS DE CE QUE l'arrêt attaqué a confirmé le jugement ayant rejeté l'exception d'incompétence soulevée par la société ORANGE France au profit de la juridiction administrative, sur la demande des époux X... en démolition du pylône de radiotéléphonie mobile implanté à proximité de leur maison d'habitation et dommages et intérêts ;
AUX MOTIFS QUE :
« l'action engagée par les époux X... est fondée sur la responsabilité des troubles de voisinage, en application des dispositions des articles 1382 et 544 du Code civil, trouble qui serait causé par le pylône implanté par la société ORANGE à proximité de leur habitation, et qui engendrerait un risque sanitaire, un préjudice esthétique, et un préjudice financier (perte de valeur de leur immeuble) ;
« que la demande des époux X... ne tend pas à remettre en cause les différentes autorisations administratives dont bénéficie l'opérateur de téléphonie mobile pour assurer la ouverture du réseau ni à remettre en cause l'occupation privative du domaine public hertzien par l'opérateur de téléphonie mobile, mais a seulement pour objet d'assurer la protection de leur propriété et de leur personne et d'obtenir les mesures propres à faire cesser le trouble et la réparation du préjudice qu'ils prétendent subir » ;
ET AU MOTIF ADOPTE QUE :
« l'objet de la saisine du tribunal ne vise nullement à remettre en cause l'occupation privative par ORANGE du domaine public hertzien et de contester ainsi de quelconques autorisations qui ont pu être données à cette fin à l'opérateur de téléphonie mobile, mais concerne uniquement les conséquences du choix laissé à l'appréciation de l'opérateur de la localisation du lieu d'implantation de l'antenne-relais litigieux, choix qui est tout à fait susceptible de porter tort au voisinage immédiat » ;
ALORS QUE si les tribunaux judiciaires sont compétents pour se prononcer tant sur les dommages et intérêts alloués aux tiers lésés par le voisinage d'un établissement classé que sur les mesures propres à faire cesser le préjudice qu'il pourrait causer, c'est à la condition que ces mesures ne contrarieront point les prescriptions édictées par l'administration dans l'intérêt de la sûreté et de la salubrité publique ; que l'installation du pylône de téléphonie mobile en l'espèce a été décidée après accord de l'Agence Nationale des Fréquences (ANFr), en application de l'article L 43 et de l'arrêté pris en application de l'article R 20-44,11 du Code des postes et communications électroniques, cette autorisation valant spécialement pour l'emplacement proposé dans le cadre d'une procédure particulière COMSIS, en sorte que, contrairement à ce qu'affirme l'arrêt, la demande des époux X..., en démolition du pylône litigieux, dont l'implantation a été autorisée spécialement par l'établissement public précité, est de nature à remettre en cause les autorisations dont bénéficie l'opérateur de téléphonie mobile pour assurer la couverture du réseau, en sorte que la Cour d'appel a violé encore le principe de la séparation des pouvoirs, la loi des 16 et 24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III ainsi que l'article L 43-1 du CPCE précité.


Synthèse
Formation : Chambre civile 1
Numéro d'arrêt : 11-14553
Date de la décision : 17/10/2012
Sens de l'arrêt : Cassation partielle sans renvoi
Type d'affaire : Civile

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Nîmes


Publications
Proposition de citation : Cass. Civ. 1re, 17 oct. 2012, pourvoi n°11-14553


Composition du Tribunal
Président : M. Charruault (président)
Avocat(s) : Me Haas, SCP Coutard et Munier-Apaire

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2012:11.14553
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