LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Donne acte à la société Poumo d'amour du désistement de son pourvoi en ce qu'il est dirigé contre la société Ajour EARL, la société du Stade SCEA, M. X..., M. Y..., mandataire judiciaire, pris en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société GIL productions, la société Soleil Les Alpilles ;
Sur le premier moyen :
Vu les articles 1604, 1147 et 1148 du code civil ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que la société Poumo d'amour (l'acheteur) a acheté en septembre 2002 à la société Seminis Vegetable Seeds France, devenue la société Monsanto (le vendeur), des graines d'une nouvelle variété de tomates dénommée "Source" dont le rendement fut défectueux l'été suivant ; que l'acheteur, avec d'autres producteurs, a obtenu la désignation d'un expert judiciaire puis a assigné le vendeur en paiement de dommages-intérêts sur le fondement du manquement à l'obligation de délivrance ;
Attendu que pour condamner le vendeur à réparer partiellement le préjudice subi par l'acheteur, l'arrêt retient que le vendeur n'a procédé, avant la commercialisation, qu'à des essais incomplets et peu convaincants vu les notes moyennes obtenues et que la variété "Source", peu vendue après 2003, était inadaptée aux cultures longues , mais qu'il doit être tenu compte de l'incidence de la canicule durant l'été 2003, de la technique culturale et de l'utilisation de l'eau, de sorte que la responsabilité du vendeur ne peut être retenue que pour moitié ;
Attendu qu'en se déterminant ainsi, sans caractériser un fait fautif imputable personnellement à l'acheteur, qui ne peut résulter d'une appréciation générale selon laquelle une partie des dommages subis par les agriculteurs est due à l'incidence du climat, la technique culturale et l'utilisation de l'eau, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a condamné la société Monsanto à payer, avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation, la somme de 25 000 euros à la société Poumo d'amour, l'arrêt rendu le 25 mars 2010, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ; remet, en conséquence, sur ce point la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence, autrement composée ;
Condamne la société Monsanto venant aux droits de la société Seminis Vegetable Seeds France aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, la condamne à payer à la société Poumo d'amour la somme de 2 500 euros et rejette sa demande ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du cinq juin deux mille douze.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par Me Haas, avocat aux Conseils, pour la société Poumo d'amour
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt attaqué D'AVOIR dit que la société Monsanto n'était responsable que partiellement des dommages subis par la société Poumo d'Amour ;
AUX MOTIFS QUE l'ensemble des intimés agit sur le fondement de l'article 1604 du code civil, qui impose au vendeur de délivrer à l'acheteur une chose conforme à ce qui était prévu lors de la commande et il appartient aux intéressés de rapporter la preuve de la non-conformité qu'ils invoquent ; que les divers essais officiels de la variété BS 9122 « Source » de 2001 à 2003 ont conduit aux conclusions suivantes ; - centre de Balandran en 2001 : culture longue ; notes moyenne à favorable, note favorable en été, mais à revoir ; - site de Ste Livrade en 2001 : culture longue ; notes favorables en été ; - site de Balandran en 2002 : culture longue ; notes moyenne à favorable, y compris en été ; - site de Ste Livrade en 2002 : culture longue ; notes défavorable, moyenne, favorable en été ; -site d'Alenya en 2002 : culture longue ; note moyenne en été ; - site de Balandran en 2003 : culture longue ; note moyenne en été, et note finale globale défavorable ; - site de Ste Livrade en 2003 : culture longue ; note défavorable en été ; - site d'Alenya en 2003 : culture longue ; note moyenne en été ; qu'une partie de ces conclusions est donc postérieure à l'achat des semences de la société Seminis par ses adversaires, et ne pouvait de ce fait être connue de ces derniers lors de leur achat ; que par ailleurs la plaquette commerciale de la variété « Source » datée de juillet 2003 précise que celle-ci « est parfaite en culture courte mais également en culture longue notamment greffée », tandis qu'une fiche indique « bonne tenue de la vigueur toute la saison - bien adaptée aux cultures longues » ; que les premières réclamations des intimées sont intervenues le 26 août 2003 pour la société GJL Productions, le lendemain pour la société Ajour, et le 13 septembre suivant pour M. X..., soit assez rapidement après la canicule de l'été de cette année-là ; que les revues spécialisées « Le 13 des serres » et « Réussir fruits et légumes » parues en 2003, indépendantes des parties au litige, ont mentionné : - la première : sur trois variétés de tomate (« Clotilde », « Labell » et « Source ») du cul noir qui résulte dans la plupart des cas d'un défaut d'assimilation du calcium, dont les raisons sont les mauvaises gestions du climat, de la ferti-irrigation et de l'entretien des cultures ; - la seconde datée d'octobre : une canicule ayant entraîné des chutes de rendement pour les tomates ; que les ventes de la variété « Source » après 2003 ont certes continué mais avec une nette diminution (11.545,76 et 58,40 en 2004 ; 3.544,01 et 17,10 en 2005), tandis que, selon la revue « Le 13 des serres » de mars 2004, cette variété n'est plus cultivée ; que parmi les conclusions de l'expert judiciaire du 18 avril 2006 figurent les points suivants : - le cul noir, ou nécrose apicale, semble étroitement lié à un manque de calcium, des manques d'eau entre deux irrigations trop éloignées, des excès de salinité et d'azote, ainsi que des attaques de certains parasite telluriques ; - la variété « Source » n'est pas à préconiser pour des rotations culturales longues ; - l'exploitant assume l'incidence du climat et la technique culturale, mais est épaulé par les techniciens et commerciaux des producteurs de semences, et a son attention captée par des visites d'essai qui n'ont eu lieu en l'espèce que pour la société Ajour ; - les conclusions des essais de 2002 pouvaient conduire à préconiser la variété « Source » pour des cultures de courte durée ; les résultats globaux des essais ont été connus le 3 novembre 2002, c'est-à-dire après les achats de semences par les intimés ; - les rendements de 2003 ont été en général inférieurs à ceux de 2002 ; qu'en ce qui concerne la société Soleil des Alpilles, laquelle ne s'était pas jointe aux cinq autres intimés lors de la procédure de référé-expertise de 2004, elle a fait réaliser une expertise par M. A... au contradictoire de la société Seminis ; que le rapport du 17 juin 2004 précise notamment que la variété « Source » s'est beaucoup moins bien comportée que celle « Cheers » ; qu'il résulte de l'ensemble de ces éléments : - qu'une nouvelle expertise est inopportune : les faits sont anciens (sept ans), M. A... et Mme B... ont participé à l'expertise judiciaire tandis que leurs rapports cités par le jugement sont postérieurs à la fin de celleci, l'expert judiciaire n'est plus en fonctions, et le problème de la société Soleil des Alpilles non traité par cet expert l'a été par M. A... au contradictoire de la société Seminis ; - que la responsabilité des dommages subis par les intimés n'est à imputer que pour moitié (le reste étant l'incidence du climat vu la canicule de l'été 2003, la technique culturale et l'utilisation de l'eau) à la société Monsanto (essais avant commercialisation incomplets et peu convaincants vu les notes obtenues qui sont surtout moyennes, variété vendue essentiellement en 2003 mais très peu ou même pas du tout par la suite, inadaptation de cette variété aux cultures longues) ;
ALORS QUE le vendeur, débiteur de l'obligation de délivrer une chose conforme aux stipulations contractuelles, doit réparer le préjudice subi par l'acheteur du fait de l'inexécution de son obligation, sauf à justifier d'une cause étrangère, c'est-à-dire d'un cas de force majeure ou d'une faute du créancier de nature à l'exonérer, en tout ou partie, de sa responsabilité ; qu'après avoir constaté que la venderesse n'avait pas exécuté son obligation de délivrer une chose conforme, la cour d'appel l'a exonérée pour moitié de sa responsabilité au vu des circonstances climatiques, de la technique culturale utilisée et de l'utilisation de l'eau ; qu'en se déterminant ainsi sans préciser en quoi ces éléments étaient constitutifs, soit d'un cas de force majeure, soit d'un fait fautif imputable à l'acheteur, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1604, 1147 et 1148 du code civil.
DEUXIEME MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt attaqué D'AVOIR fixé le montant des dommages-intérêts dus par la société Monsanto à la société Poumo d'Amour à la somme de 25.000 euros ;
AUX MOTIFS QUE l'expert judiciaire a déploré que les intimés sauf la société Soleil des Alpilles n'aient pas communiqué tous les justificatifs suffisants concernant leurs préjudices, et la cour d'appel déplore que certains de ces justificatifs aient été produits après le dépôt du rapport d'expertise soit trop tardivement ; qu'un complément d'expertise est toutefois inutile car il appartient à ces intimés de rapporter la preuve de ce qu'ils avancent ; qu'il y a donc lieu de fixer ces préjudices comme suit, en diminuant les chiffres retenus par l'expert et le jugement puisque le premier a suffisamment travaillé mais les a fixés parfois sans véritable certitude : pour la société Poumo d'Amour à la somme de 50.000 euros soit après partage une créance de 25.000 euros ;
ALORS, 1°), QUE la société Poumo d'Amour faisait valoir que l'expert judiciaire était en possession de l'ensemble des éléments de preuve de nature à prouver la réalité et le quantum des préjudices dont elle demandait réparation (conclusions signifiées le 22 février 2010, p. 14) ; qu'en affirmant cependant de façon générale que certains des justificatifs n'avaient été produits par les intimés qu'après le dépôt du rapport d'expertise, sans faire de distinction entre les différentes parties intimées ni répondre au moyen de la société Poumo d'Amour aux termes duquel elle soutenait le contraire, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
ALORS, 2°) et en tout état de cause, QU'il appartient aux juges du fond de se prononcer sur les éléments de preuve régulièrement versés aux débats et soumis à leur examen ; qu'en écartant comme tardifs les éléments de preuve produits après le dépôt du rapport d'expertise, la cour d'appel a violé l'article 1353 du code civil ;
ALORS, 3°), QUE si les juges du fond peuvent s'écarter, en tout ou partie, de l'avis des experts judiciaires, encore faut-il qu'ils énoncent les motifs qui, en dehors de cet avis, ont déterminé leur conviction ; qu'en constatant le caractère incertain du quantum des préjudices fixés par l'expert et en le réduisant arbitrairement, sans qu'il soit possible de déterminer sur quels éléments elle s'est fondée pour ce faire, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences de l'article 455 du code de procédure civile.