LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Reims, 21 mars 2011) que la Caisse d'épargne de Champagne Ardenne aux droits de laquelle vient la Caisse d'épargne et de prévoyance de Lorraine Champagne Ardenne (la Caisse) a chargé la SCP Caucheteux-Warin aux droits de laquelle vient la société Actijuris Ardennes, huissier de justice, de l'exécution sur les comptes de tiers d'une saisie conservatoire autorisée le 6 mars 2003 pour sûreté de la somme de 3 300 000 euros ; que cette mesure réalisée le 25 mars 2003 auprès de différents établissements bancaires a été irrévocablement jugée nulle, l'absence de signification de la requête ayant empêché les débiteurs de connaître les arguments du créancier ; que la Caisse a recherché la responsabilité de l'huissier de justice ;
Attendu que la société Actijuris Ardennes fait grief à l'arrêt de la condamner à payer à la Caisse la somme de 71 789,56 euros avec intérêts au taux légal à compter du 16 juillet 2007, alors, selon le moyen :
1°/ qu'il incombait à la Caisse de rapporter la preuve de l'existence et de l'étendue du préjudice qu'elle prétendait avoir subi et dont elle soutenait qu'il résultait de la perte d'une chance de recouvrer une créance en raison de la faute imputée à l'huissier de justice ; qu'un tel préjudice doit être mesuré à la chance perdue et ne peut être égal à l'avantage qu'aurait procuré cette chance si elle s'était réalisée ; qu'en condamnant cependant de ce chef l'huissier de justice à payer à la Caisse la somme totale de "71 789,56 euros" incluant celle de "68 138,41 euros" au titre du principal des "sommes saisies conservatoirement en vain" - et celle de 3 651,15 euros, correspondant aux frais estimés inutilement exposés - au surplus, après avoir énoncé "qu'il est certain que la Caisse a donc bien perdu toute chance de recouvrer la somme de 68 138,41 euros", la cour d'appel a violé les articles 1147 et 1149 du code civil ;
2°/ qu'en omettant de s'expliquer sur le moyen pertinent de nature à influer sur la solution du litige et pris par l'huissier de justice de ce que la Caisse ne justifiait pas avoir pratiqué d'autres mesures d'exécution à l'encontre de son créancier, postérieurement à l'annulation de la saisie conservatoire et à l'acquisition de son titre exécutoire, à l'aune de quoi devait être appréciée la réalité et l'étendue de la perte de chance alléguée, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civil ;
Mais attendu qu'en dépit de l'usage non approprié ou inopportun du mot "chance" tant dans les conclusions d'appel que dans l'arrêt, il résulte néanmoins clairement de ces écrits que la Caisse a sollicité non pas l'indemnisation d'une perte de chance, mais celle d'un préjudice né, actuel, direct et certain, allouée à bon droit par la cour d'appel ; que le moyen n'est donc fondé en aucune de ses branches ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Actijuris Ardennes aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la société Actijuris Ardennes, la condamne à payer à la société Caisse d'épargne et de prévoyance de Lorraine Champagne Ardenne la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du trente mai deux mille douze.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Tiffreau, Corlay et Marlange, avocat aux Conseils pour la société Actijuris Ardennes.
Il est reproché à la Cour d'appel d'AVOIR, par infirmation du jugement entrepris, condamné la SELARL ACTIJURIS ARDENNES, venant aux droits de la SCP CAUCHETEUX-WARIN, huissier de justice associés, à payer à la CAISSE D'EPARGNE ET DE PREVOYANCE LORRAINE CHAMPAGNE ARDENNE, venant aux droits de la CAISSE D'EPARGNE ET DE PREVOYANCE CHAMPAGNE ARDENNE, la somme de 71.789,56 € avec intérêts au taux légal à compter du 16 juillet 2007,
AUX MOTIFS QU'« il est certain que la CAISSE D'EPARGNE DE CHAMPAGNE ARDENNE a été privée de la possibilité de recouvrer la somme de 68.138,41 € en raison de l'annulation des six procès-verbaux de dénonciation de saisie conservatoire délivrés par la Caisse d'épargne de Champagne Ardenne aux époux X... pour les saisies opérées le 25 mars 2003 entre les mains des banques précitées, les nullités de ces dénonciations ayant entraîné la caducité des saisies conservatoires dénoncées dans lesdits actes ; qu'en effet, contrairement à ce qu'a énoncé le Tribunal, la saisie conservatoire n'est pas « destinée uniquement à rendre les biens visés par la procédure indisponibles », car elle permet au créancier démuni d'un titre exécutoire, lorsque sa créance est en péril, de rendre indisponibles les créances de son débiteur jusqu'à ce qu'il ait pu obtenir une décision passée en force de chose jugée lui permettant de se les faire attribuer ; que, lorsque le créancier a obtenu un titre exécutoire, il signifie celui-ci au tiers saisi en la forme d'un acte de conversion en saisie attribution dont copie est notifiée au débiteur, cet acte contenant une demande en paiement qui emporte attribution immédiate de la créance saisie, à concurrence du montant de la condamnation et dans la limite des sommes dues par le tiers ; en l'espèce, que la CAISSE D'EPARGNE DE CHAMPAGNE ARDENNE, qui n'était donc exposée à aucun risque de se trouver en concours avec d'autres créanciers et qui a obtenu un titre exécutoire le 7 novembre 2003, a donc bien perdu tout chance de recouvrer la somme de 68.138,41 € en raison de la faute, telle que caractérisée commise par l'huissier commis par elle ; que le Tribunal ne pouvait débouter la CEPLCA de ses demandes au motif qu'elle ne justifiait pas qu'en l'état actuel de la procédure, elle n'avait pas recouvré la somme dont elle prétendait avoir été privée par l'annulation des procès-verbaux de saisie conservatoire ; qu'en effet, la mise en jeu de la responsabilité de l'huissier n'est pas subordonnée à une poursuite préalable contre d'autres débiteurs ; au vu des observations qui précèdent, que le jugement déféré sera infirmé en ce qu'il a débouté la CEPLCA de l'ensemble de ses demandes ; que, statuant à nouveau, il y a lieu de condamner la SELARL ACTIJURIS ARDENNES, venant aux droits de la SCP CAUCHETEUX-WARIN, à payer à la CEPLCA, venant aux droits de la Caisse d'épargne et de prévoyance de Champagne Ardenne, la somme de 71.789,56 €, augmentée des intérêts au taux légal à compter du 16 juillet 2007, date de l'assignation valant mise en demeure, ladite somme se décomposant ainsi : sommes saisies conservatoirement en vain, 68.138,41 €, indemnité pour frais irrépétibles à laquelle a été condamnée la banque le 10 septembre 2003, 1.300 €, dépens du jugement du 10 septembre 2003, 115.76 e, frais de la procédure de saisie conservatoire annulée, 1.517,79 €, honoraires de l'avocat de la banque, 717,60 € (…) »,
ALORS QUE 1°) il incombait à la caisse d'épargne et de prévoyance de rapporter la preuve de l'existence et de l'étendue du préjudice qu'elle prétendait avoir subi et dont elle soutenait qu'il résultait de la perte d'une chance de recouvrer une créance en raison de la faute imputée à l'huissier de justice ; qu'un tel préjudice doit être mesurée à la chance perdue et ne peut être égale à l'avantage qu'aurait procuré cette chance si elle s'était réalisée ; qu'en condamnant cependant de ce chef l'huissier de justice à payer à la caisse d'épargne et de prévoyance la somme totale de « 71.789,56 € » (motifs, p. 9 et dispositif, p. 10), incluant celle de « 68.138,41 € » au titre du principal des « sommes saisies conservatoirement en vain » (motifs, p. 9) - et celle de 3.651,15 €, correspondant aux frais estimés inutilement exposés - au surplus, après avoir énoncé « qu'il est certain que la CAISSE D'EPARGNE DE CHAMPAGNE ARDENNE a donc bien perdu toute chance de recouvrer la somme de 68.138,41€ » (motifs, p. 8), la Cour d'appel a violé les articles 1147 et 1149 du Code civil.
ALORS QUE 2°), en omettant de s'expliquer sur le moyen pertinent de nature à influer sur la solution du litige et pris par l'huissier de justice (v. ses conclusions d'appel, p. 8) de ce que la caisse d'épargne et de prévoyance ne justifiait pas avoir pratiqué d'autres mesures d'exécution à l'encontre de son créancier, postérieurement à l'annulation de la saisie conservatoire et à l'acquisition de son titre exécutoire, à l'aune de quoi devait être appréciée la réalité et l'étendue de la perte de chance alléguée, la Cour d'appel a violé l'article 455 du Code de procédure civil.