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07/03/2012 | FRANCE | N°11-80127

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 07 mars 2012, 11-80127


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :

Statuant sur le pourvoi formé par :

- Le rapporteur général de l'Autorité de la concurrence,

contre l'ordonnance du premier président de la cour d'appel de VERSAILLES, en date du 16 avril 2010, qui a annulé les ordonnances du juge des libertés et de la détention ayant autorisé des opérations de visite et saisie en vue de rechercher la preuve de pratiques anticoncurrentielles ;

Vu les mémoires en demande, en défense et les observations complémentaires produits ;

Sur la receva

bilité du pourvoi formé par le rapporteur général de l'Autorité de la concurrence, contesté...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :

Statuant sur le pourvoi formé par :

- Le rapporteur général de l'Autorité de la concurrence,

contre l'ordonnance du premier président de la cour d'appel de VERSAILLES, en date du 16 avril 2010, qui a annulé les ordonnances du juge des libertés et de la détention ayant autorisé des opérations de visite et saisie en vue de rechercher la preuve de pratiques anticoncurrentielles ;

Vu les mémoires en demande, en défense et les observations complémentaires produits ;

Sur la recevabilité du pourvoi formé par le rapporteur général de l'Autorité de la concurrence, contestée en défense :

Attendu que, bien que la déclaration de pourvoi contestée mentionne que celui-ci a été formé par l'Autorité de la concurrence représentée par Mme Sarouda rapporteur, dûment mandatée, il résulte du pouvoir annexé à cette déclaration qu'il émanait du rapporteur général de l'Autorité de la concurrence ;

D'où il suit que le pourvoi est recevable ;

Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles L. 450-4 et R. 450-2 du code de commerce, 56 du code de procédure pénale, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;

"en ce que l'ordonnance attaquée a annulé l'ordonnance du 30 juin 2006 et l'ordonnance rectificative du 10 juillet 2006 rendues par le juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance de Nanterre et a ordonné en conséquence la restitution des documents saisis ;

"aux motifs que l'ordonnance n° 2008-1161 du 13 novembre 2008 a ouvert la voie de l'appel contre les ordonnances du juge des libertés et de la détention autorisant des opérations de visites et saisies domiciliaires sur le fondement de l'article L. 450-4 du code de commerce ; que, pour être effectif, ce recours exige que l'appelant puisse prendre connaissance des pièces qui ont été soumises au juge et qui ont motivé la décision contestée ; que tel est l'objet de la liste des annexes accompagnant la requête et du dépôt au greffe des pièces correspondantes ; qu'en l'espèce, il ressort expressément des motifs de l'ordonnance rendue le 30 juin 2006 que le juge a fondé sa décision notamment sur la présentation d'un procès-verbal de réception par le Conseil de la concurrence d'une demande de clémence, dont l'identité de l'auteur était apparente ; que le juge mentionne en effet "le procès-verbal de réception du Conseil de la concurrence (page I), qui justifie que le demandeur de clémence ou ses conseils ont été reçus par le Conseil de la concurrence, nous a été présenté et nous avons pu le consulter; que ce document a pour seul intérêt de mentionner le nom du demandeur de clémence ; que ce dernier s'est par ailleurs engagé à faire des recherches documentaires afin d'étayer ses déclarations et de répondre à son obligation de collaboration loyale et totale" ; que cette pièce n'est pas mentionnée dans la liste des pièces annexées à la requête initiale ; que l'Autorité de la concurrence reconnaît expressément que les dispositions relatives à la possibilité qui lui est donnée de produire des pièces anonymisées n'ont pas d'incidence en l'espèce ; qu'en effet, elle a choisi de soumettre au juge non pas un document celant le nom de l'entreprise concernée, comme elle aurait pu le faire, mais un procès-verbal mentionnant clairement le nom du demandeur de clémence ; que cette pièce, manifestement destinée à conforter la copie anonymisée de la procédure écrite introduite par le demandeur de clémence - seul document incluant des éléments de fait sur les infractions suspectées - a nécessairement eu une incidence sur l'appréciation du premier juge, ainsi qu'il ressort des motifs de la décision, notamment quant aux réelles possibilités pour le demandeur de clémence de procéder à une recherche documentaire complémentaire ; qu'en acceptant de prendre en compte cette pièce sans veiller à ce qu'elle soit portée sur la liste des annexes à la requête, le premier juge a laissé créer une situation pouvant faire échec aux droits de la défense en ce que le caractère contradictoire ne pouvait être rétabli en cas de recours ; qu'il n'appartient pas à un juge d'exclure la possibilité d'un débat contradictoire sur une des pièces produites par une partie au motif que cette pièce aurait une valeur probante limitée, en l'espèce, à l'identification du demandeur de clémence ; que la requête en rectification présentée par la DNECCRF et le Conseil de la concurrence et qui a donné lieu à l'ordonnance du 10 juillet 2006 confirme que l'administration entend exclure du débat contradictoire susceptible d'être ouvert en cas de recours la pièce litigieuse pourtant présentée au premier juge ; que sa substitution par une copie anonymisée n'est pas indifférente aux droits des sociétés appelantes dès lors que l'administration s'est prévalue devant le premier juge de l'identité du demandeur de clémence et que cet élément de fait a participé à l'appréciation par le juge du bien fondé de la requête initiale ; que, si une décision de rectification d'une erreur matérielle affectant une décision de justice et imputable à la juridiction est effectivement une mesure d'administration judiciaire qui n'est pas susceptible de recours de façon autonome, tel n'est pas le cas de la décision rendue le 10 juillet 2006 dont toutes les parties conviennent qu'elle n'a pas pour objet de rectifier l'ordonnance initiale mais qui a pour objet la rectification d'une erreur de l'administration dans la présentation des pièces annexées à sa requête initiale ; qu'il n'appartient pas au juge de retirer de débats éventuels une pièce qui lui a été soumise ; que les deux ordonnances critiquées forment désormais un tout dès lors qu'elles déterminent le contenu du dossier sur lequel s'appuie le recours des sociétés appelantes ; que la référence aux mérites et contraintes de la procédure de demande de clémence n'a pas d'incidence sur la solution du présent litige, dès lors que l'administration aurait pu préserver l'anonymat de l'intéressé lorsqu'elle a soutenu sa requête initiale ou présenter celle-ci sur d'autres éléments de fait ; que l'ensemble de ces motifs conduit à annuler les ordonnances rendues les 30 juin 2006 et 10 juillet 2006 ; que sur le défaut de motif de l'ordonnance du 30 juin 2006, examiné à titre surabondant, selon l'article L. 450-4, alinéa 2, du code de commerce lorsque la visite vise à permettre la constatation d'infractions aux dispositions du livre IV du code de commerce en train de se commettre, la demande d'autorisation peut ne comporter que les indices permettant de présumer, en l'espèce, l'existence des pratiques dont la preuve est recherchée ; qu'après avoir fait référence à des pratiques anticoncurrentielles susceptibles d'être imputées à un grand nombre de sociétés parmi les majors du secteur des produites d'entretien et des insecticides ménagers et/ou du secteur des produits d'hygiène et du soin du corps et consistant notamment en des contacts réguliers et échanges d'information lors de réunions périodiques qui se seraient tenues entre 2004 et le mois de février 2006, date à laquelle des visites et saisies ont été opérées sur autorisation judiciaire dans le secteur des produits d'entretien et des insecticides ménagers, le premier juge a indiqué qu'il n' était) pas exclu que ces agissements perdurent dans le secteur des produits d'hygiène et du soin du corps nonobstant les investigations déjà réalisées dans le secteur des produits d'entretien et des insecticides ménagers ; sans faire référence à la moindre circonstance de fait, postérieure au mois de février 2006, susceptible d'étayer une poursuite effective des agissements dénoncés antérieurement sur un autre secteur d'activité ; que dans ces circonstances, la décision attaquée n'est pas suffisamment motivée au regard du texte susvisé et doit être annulée ;

"1) alors qu'un procès-verbal de demande de clémence d'une entreprise souhaitant garder l'anonymat, où son nom dès lors ne figure pas, dénonçant l'existence de pratiques anticoncurrentielles commises par des sociétés dans le cadre d'une entente, permet au juge d'autoriser des visites et saisies dans ces sociétés ; qu'il importe peu que ce procès-verbal, bien que non annexé à la requête, ait été présenté au juge dans une version non anonymisée, dès lors que le juge n'a pas cité le nom du demandeur de clémence dans sa décision et que, à la suite d'une requête en rectification d'erreur matérielle, ce document a été retiré des pièces du dossier de la procédure et remplacé par le même procès-verbal désormais anonymisé ; qu'à défaut, les entreprises soupçonnées de participer aux pratiques prohibées pourraient exiger de connaître le nom du demandeur de clémence et prendre des mesures de représailles à son égard ; qu'en jugeant néanmoins que l'autorisation n'était pas régulière, tandis que l'identité du demandeur de clémence pouvait être révélée au juge de l'autorisation sans être accessible aux entreprises visitées, le délégué du premier président a violé les textes susvisés ;

"2) alors que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision ; que l'insuffisance ou la contradiction de motifs équivaut à leur absence ; que, pour infirmer l'autorisation de visites et saisies dans les locaux des sociétés L'Oréal, Lascad et Gemey Maybelline Garnier, le délégué du premier président a affirmé qu'il n'existait aucun élément de nature à laisser supposer que les pratiques illicites se seraient poursuivies au-delà du mois de février 2006 ; qu'en statuant ainsi, tandis qu'il résulte des constatations de l'ordonnance attaquée, ainsi que des ordonnances entreprises et des pièces de la procédure, que l'autorisation de visite et de saisie se fondait sur une demande de clémence reçue le 28 février 2006 par le Conseil de la concurrence, dénonçant des faits ayant débuté en octobre 2003 et encore encours à l'époque de leur dénonciation, le délégué du premier président n'a pas justifié sa décision" ;

Vu l'article 593 du code de procédure pénale ;

Attendu que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision ; que l'insuffisance ou la contradiction de motifs équivaut à leur absence ;

Attendu qu'il résulte de l'ordonnance attaquée et des pièces de procédure qu'à la suite des opérations de visite et saisie effectuées dans les locaux de sociétés soupçonnées de pratiques anticoncurrentielles dans le secteur des produits d'entretien et insecticides ménagers, une entreprise de ce secteur a formé une demande de clémence et dénoncé, suivant procès-verbal du 28 février 2006, des faits similaires dans le domaine des produits d'hygiène et de soins du corps ; que, par ordonnance du 30 juin 2006, sur requête conjointe du directeur régional, chef de la direction nationale des enquêtes de concurrence, de consommation et de répression des fraudes, et du rapporteur général du Conseil de la concurrence, le juge des libertés et de la détention a autorisé des opérations de visite et saisie pour rechercher la preuve de ces pratiques ; que, saisi ultérieurement d'une requête pour que le procès-verbal contenant le nom du demandeur de clémence soit retiré des pièces annexées à la demande d'autorisation et remplacé par sa version anonymisée, le juge des libertés et de la détention, par ordonnance du 10 juillet 2010, a fait droit à cette requête ;

Attendu que, pour annuler lesdites ordonnances, l'ordonnance énonce que le premier juge a fondé sa décision sur le procès-verbal litigieux, ayant relevé que ce document avait pour seul intérêt de mentionner le nom du demandeur de clémence ; que le premier président ajoute que la prise en compte de cette pièce, sans qu'elle soit mentionnée dans les annexes de la requête, a fait échec aux droits de la défense, le juge ne pouvant exclure la possibilité d'un débat contradictoire sur une pièce produite par une partie au motif que cette pièce aurait une valeur probante limitée ;

Mais attendu qu'en prononçant ainsi, par des motifs contradictoires, et alors que le juge peut faire état de déclarations anonymes, dès lors qu'elles lui sont soumises au moyen de documents établis et signés par les agents de l'administration, permettant d'en apprécier la teneur, et corroborés par d'autres éléments d'information, le juge n'a pas justifié sa décision ;

D'où il suit que la cassation est encourue ;

Par ces motifs :

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'ordonnance susvisée de la cour d'appel de Versailles, en date du 16 avril 2010, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi,

RENVOIE la cause et les parties devant la juridiction du premier président de la cour d'appel de Paris, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Versailles et sa mention en marge ou à la suite de l'ordonnance annulée ;

Ainsi jugé et prononcé par la Cour de cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;

Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Louvel président, Mme Canivet-Beuzit conseiller rapporteur, M. Dulin conseiller de la chambre ;

Greffier de chambre : Mme Randouin ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : 11-80127
Date de la décision : 07/03/2012
Sens de l'arrêt : Cassation
Type d'affaire : Criminelle

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Versailles, 16 avril 2010


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 07 mar. 2012, pourvoi n°11-80127


Composition du Tribunal
Président : M. Louvel (président)
Avocat(s) : SCP Baraduc et Duhamel, SCP Hémery et Thomas-Raquin

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2012:11.80127
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