LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique, pris en sa première branche :
Vu l'article 16 du code de procédure civile ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que la société Transports Carpaye (la société Carpaye) a conclu avec la société Total Réunion (la société Total) un contrat de fourniture exclusive de produits pétroliers, avec prêt de matériel, pour une durée de 10 ans ; qu'après avoir suspendu ses livraisons et subordonné leur reprise au règlement de factures impayées, la société Total a consenti à la société Carpaye un échéancier pour régler sa dette, laquelle a été soldée ; que la société Total, reprochant à son cocontractant de ne pas avoir respecté la clause d'approvisionnement exclusif prévue dans leurs accords, l'a fait assigner aux fins de résiliation judiciaire du contrat et paiement de dommages-intérêts ;
Attendu que pour rejeter les demandes de la société Total, l'arrêt retient que l'approvisionnement exclusif étant l'objet principal du contrat, l'absence de contrepartie en justifie la nullité et qu'il s'ensuit que les demandes de la société Total doivent être rejetées ;
Attendu qu'en statuant ainsi, sans inviter les parties à s'expliquer sur ce moyen relevé d'office, alors que la société Carpaye s'était bornée à faire valoir que la clause d'exclusivité était nulle au regard de l'article 50, alinéa 1er, de l'ordonnance du 30 juin 1945, en raison de son caractère anti-concurrentiel, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il a déclaré l'appel formé par la société Transports Carpaye recevable, l'arrêt rendu le 31 mai 2010, entre les parties, par la cour d'appel de Saint-Denis de la Réunion ; remet, en conséquence, sur les autres points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Saint-Denis de la Réunion, autrement composée ;
Laisse à chaque partie la charge de ses dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-neuf novembre deux mille onze.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Potier de La Varde et Buk-Lament, avocat aux Conseils, pour la société Total Réunion
La société Total Réunion fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir prononcé la nullité du contrat d'approvisionnement du 26 août 2004 et de l'avoir en conséquence déboutée de ses demandes de résiliation du contrat et de paiement de dommages et intérêts ;
AUX MOTIFS QU'aux termes du contrat intervenu le 26 août 2004, la Société TOTAL REUNION a déclaré mettre à la disposition de la Société TRANSPORTS CARPAYE des équipements destinés à la distribution des carburants, lubrifiants ou gaz qu'elle lui livrera ; qu'en contrepartie, la Société TRANSPORTS CARPAYE s'engageait à réserver l'exclusivité pendant 10 ans de l'approvisionnement de ses sites d'exploitation en produits pétroliers à la Société TOTAL REUNION ; que la Société TRANSPORTS CARPAYE est une société de transports et non de distribution ; que le carburant acheté à la Société TOTAL REUNION était donc destiné, non pas à la revente, mais au ravitaillement de ses cars ; que les équipements mis à sa disposition étaient constitués par des cuves et des pompes sans aucune mesure avec ceux nécessaires à l'exploitation d'une station-service ; que la modestie des équipements mis à disposition de la Société TRANSPORTS CARPAYE confère à l'avantage procuré par la clause d'approvisionnement exclusif un caractère excessif sinon abusif d'autant que par l'application de cette clause d'exclusivité, la Société TOTAL REUNION avait le moyen d'entraver l'exercice de l'activité de transports de son cocontractant ; que l'approvisionnement exclusif étant l'objet principal du contrat, l'absence de contrepartie en justifie la nullité ; qu'il s'ensuit que les demandes de résiliation et de paiement de dommages-intérêts pour résiliation abusive du contrat d'approvisionnement exclusif doivent être rejetées ; que l'annulation du contrat d'approvisionnement exclusif impose la restitution du matériel mis à disposition de la Société TRANSPORTS CARPAYE par la Société TOTAL REUNION ; qu'il appartient à cette dernière de prendre toutes dispositions nécessaires pour récupérer son matériel ;
ALORS QU'en se fondant d'elle-même, pour prononcer la nullité du contrat d'approvisionnement exclusif en produits pétroliers conclu entre les société Total Réunion et Transports Carpaye, sur la modestie des équipements mis à la disposition de la seconde par la première et sur l'absence de contrepartie qui en résulterait, la cour d'appel, qui n'a pas invité les parties à s'expliquer sur ce moyen qu'elle relevait d'office, a violé l'article 16 du code de procédure civile ;
ALORS QUE, en tout état de cause, la contradiction de motifs équivaut à une absence de motifs ; que la cour d'appel qui, a tout d'abord relevé «qu'en contrepartie» de la mise à disposition par la société Total Réunion d'équipements destinés à la distribution de carburants, lubrifiants ou gaz, la société Transports Carpaye s'engageait à s'approvisionner exclusivement auprès d'elle (p. 4 § 1) et a ensuite énoncé que l'approvisionnement exclusif n'avait pas de contrepartie (p. 4 § 4), s'est contredite, et a ainsi violé l'article 455 du code de procédure civile ;
ALORS QUE, plus subsidiairement, en se bornant à relever, pour dire que la clause d'approvisionnement exclusif n'avait pas de contrepartie, que les équipements mis à disposition de la société Transports Carpaye par la société Total Réunion étaient modestes, sans rechercher si, corrélativement, l'obligation d'approvisionnement de la première ne l'était pas également, de sorte qu'il existait un équilibre entre les obligations réciproques des parties, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1131 du code civil.