LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Pau, 12 juillet 2010), que Mme X..., locataire de locaux à usage commercial de quincaillerie, droguerie, articles de ménage, appartenant aux consorts Y..., a, se prévalant des dispositions de l'article L. 145-51 du code de commerce, notifié à ceux-ci, par acte du 10 juillet 2008, son intention de céder son droit au bail à M. Z... pour l'exploitation d'une activité de café restaurant ; que les bailleurs ont assigné Mme X... pour voir juger, d'une part, que cette dernière, en situation de cumul emploi retraite, ne remplissait pas les conditions prévues par le texte, d'autre part, que l'activité envisagée était incompatible avec la destination, les caractères et la situation de l'immeuble ;
Sur le premier moyen :
Attendu que les consorts Y... font grief à l'arrêt de rejeter leur demande de nullité de la demande de cession et déspécialisation présentée par Mme X..., alors, selon le moyen, que le régime prévu par l'article L. 145-51 du code de commerce, qui est destiné à faciliter le départ à la retraite du preneur à bail commercial, n'est pas ouvert à celui qui perçoit déjà d'une pension de retraite de base au moment où il signifie son intention de céder son droit au bail ; qu'en l'espèce, l'arrêt attaqué a relevé que la preneuse à bail percevait une pension de retraite de base depuis le 1er mai 2005, cependant qu'elle avait signifié le 10 juillet 2008 son intention de céder son droit au bail ; qu'en affirmant néanmoins que la preneuse pouvait se prévaloir dudit régime de déspécialisation, au prétexte qu'elle poursuivait son activité commerciale au titre d'un cumul emploi retraite et était en mesure de demander à bénéficier de sa retraite complémentaire définitive, la cour d'appel a violé, par fausse interprétation, l'article L. 145-51 du code de commerce ;
Mais attendu qu'ayant relevé que Mme X... se trouvait en situation de cumul de la retraite de base et d'une activité professionnelle dans les conditions ouvertes par la loi du 21 août 2003 portant réforme des retraites et qu'elle était en mesure de demander à bénéficier de sa retraite complémentaire, la cour d'appel en a déduit à bon droit qu'elle disposait de la faculté de céder son droit au bail avec déspécialisation, ouverte au commerçant qui, ayant demandé à faire valoir ses droits à la retraite, entend se retirer de la vie active ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé de ce chef ;
Sur le second moyen :
Attendu que les consorts Y... font grief à l'arrêt de les condamner à payer à Mme X... une somme à titre de dommages et intérêts, alors, selon le moyen, que le bailleur qui exerce son droit de contester la demande du locataire tendant à céder son bail dans les conditions prévues par l'article L. 145-51 du code de commerce n'engage sa responsabilité que s'il fait dégénérer en abus l'exercice de ce droit ; que lorsque la légitimité de la prétention d'une partie a été reconnue par la juridiction de premier degré, une action en justice ne peut, sauf circonstances particulières qu'il appartient aux juges du fond de justifier, constituer un tel abus ; qu'en l'espèce, les premiers juges avaient fait droit à la contestation par les bailleurs de la demande de la locataire tendant à céder son bail dans les conditions prévues par l'article susvisé ; que l'arrêt infirmatif attaqué a néanmoins condamné les bailleurs à payer des dommages-intérêts à la locataire à raison du préjudice causé par la non réalisation du projet de cession litigieux, sans justifier d'aucune circonstance particulière qui aurait fait dégénérer en abus l'exercice du droit de contester le projet de cession envisagé ; qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a violé l'article 1382 du code civil ;
Mais attendu qu'ayant constaté que l'activité envisagée par le cessionnaire pressenti du droit au bail de Mme X... n'était manifestement pas incompatible avec la destination, les caractères et la situation de l'immeuble, la cour d'appel a pu retenir que la contestation injustifiée du projet de cession par les bailleurs, revenant sur un accord préalable qui avait conduit la locataire à cesser son exploitation, avait provoqué l'échec de cette cession et entraîné un préjudice, caractérisé par une perte de chance, dont ils devaient réparation ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé de ce chef ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne les consorts Y... aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne les consorts Y... à payer à Mme X... la somme de 2 500 euros ; rejette la demande des consorts Y... ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-trois novembre deux mille onze.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Gatineau et Fattaccini, avocat aux Conseils pour les consorts Y...
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt infirmatif attaqué d'AVOIR jugé l'article L. 145-51 du Code de commerce, tel qu'il est issu de la loi du 30 décembre 1985, applicable à la demande de déspécialisation formulée par Madame X... suivant signification du 10 juillet 2008 et d'AVOIR en conséquence débouté les consorts Y... de leur demande de nullité de cette demande, jugé le refus de déspécialisation opposé par les consorts Y... injustifié et condamné ceux-ci à payer à Madame X... la somme de 65 000 euros à titre de dommages et intérêts ;
AUX MOTIFS QUE « sur I'application de l'article L. 145-51 du code de commerce : Cet article, situé effectivement dans la section relative à la déspécialisation, comme le font remarquer les consorts Y..., dispose que : Lorsque le locataire ayant demandé à bénéficier de ses droits à la retraite.. .a signifié à son propriétaire... son intention de céder son bail en précisant la nature des activités dont l'exercice est envisagé ainsi que le prix proposé, le bailleur a, dans un délai de deux mois, une priorité de rachat aux conditions fixées dans la signification. A défaut d'usage de ce droit par le bailleur, son accord est réputé acquis si, dans Ie même délai de deux mois, il n'a pas saisi le tribunal de grande instance. Si Madame X... a signifié aux bailleurs par acte du 10 juillet 2008 son intention de céder son droit au bail à la SARL Z... moyennant le prix de 130.000 €, en exposant qu'âgée de 63 ans, elle a été admise à bénéficier de ses droits à la retraite, sa situation n'était pas précisément celle-la, puisque en réalité Madame X... : - était retraitée active par un cumul emploi retraite depuis le 1er mai 2005 (attestation de RSI Aquitaine du 8 avril 2009), -ne bénéficiait que de la retraite de base du régime RSI depuis le 1er mai 2009 (attestation RSI du 10 avril 2009), -ne percevra sa retraite complémentaire RSI qu'après cessation définitive de son activité commerciale (même attestation). Ce dispositif de cumul emploi retraite a été institué par la loi du 21 août 2003 portant réforme des retraites, permettant à compter du 1er janvier 2004 de demander et de percevoir une retraite ORGANIC de base et de poursuivre ou de reprendre notamment, une activité commerciale dans la limite d'un plafond de ressources, la perception de la retraite complémentaire restant subordonnée à la cessation totale de l'activité. En l'espèce Madame X... a bénéficié de ce dispositif depuis le 1er mai 2005, en percevant une retraite de base d'un montant mensuel de 675,37 €, majoration du conjoint comprise, tel que cela figure dans la notification de ses droits pour l'année 2008 jointe à la signification du 10 juillet 2008 faite aux bailleurs, elle justifie qu'elle est toujours inscrite au registre du commerce et des sociétés pour le fonds de commerce qu'elle exploite avenue de la gare à Coarraze. L'article L. 145-51 du code de commerce, s'agissant des dispositions concernant le locataire ayant demandé à bénéficier de ses droits à la retraite, a été institué par la loi du 30 décembre 1985 pour faciliter la cession du droit au bail de ces locataires, au moment de leur départ à la retraite, avec un régime particulier de déspécialisation. Contrairement à I'appréciation restrictive et littérale du premier juge, on ne peut pas considérer que I'article L. 145-51 du code de commerce, dans sa rédaction issue de la loi du 30 décembre 1985, interdirait à un locataire ayant bénéficié d'une seule retraite de base, mais poursuivant son activité commerciale au titre d'un cumul emploi retraite autorisé par une loi postérieure du 21 août 2003, et en mesure de demander à bénéficier de sa retraite complémentaire définitive, de solliciter la déspécialisation auprès de son bailleur, dans le but de faciliter la cession de son droit au bail, dans la mesure où ce mécanisme n'était pas institué, que cette évolution correspond aux objectifs de la loi du 30 décembre 1985. Par conséquent il convient de dire que Madame X..., qui a porté sa situation à la connaissance de son bailleur selon signification du 10 juillet 2008 en toute clarté et bonne foi, pouvait prétendre à l'application de l'article L. 145-51 du code de commerce » ;
ALORS QUE le régime de déspécialisation prévu par l'article L. 145-51 du Code de commerce, qui est destiné à faciliter le départ à la retraite du preneur à bail commercial, n'est pas ouvert à celui qui perçoit déjà d'une pension de retraite de base au moment où il signifie son intention de céder son droit au bail ; qu'en l'espèce, l'arrêt attaqué a relevé que la preneuse à bail percevait une pension de retraite de base depuis le 1er mai 2005, cependant qu'elle avait signifié le 10 juillet 2008 son intention de céder son droit au bail ; qu'en affirmant néanmoins que la preneuse pouvait se prévaloir dudit régime de déspécialisation, au prétexte qu'elle poursuivait son activité commerciale au titre d'un cumul emploi retraite et était en mesure de demander à bénéficier de sa retraite complémentaire définitive, la Cour d'appel a violé, par fausse interprétation, l'article L. 145-51 du Code de commerce.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
,invoqué à titre subsidiaireIL EST FAIT GRIEF à l'arrêt infirmatif attaqué d'AVOIR condamné les consorts Y... à payer à Madame X... la somme de 65 000 euros à titre de dommages et intérêts ;
AUX MOTIFS QUE « les bailleurs doivent réparation au locataire du préjudice causé par la non réalisation du projet de cession de droit au bail. Madame X... produit l'acte de cession de droit au bail du 27 mai 2008 au profit de la SARL Z..., sous conditions suspensives de l'obtention par le cessionnaire d'un prêt bancaire de 130.000 €, et de l'autorisation du propriétaire des locaux relative à la cession et à l'activité exercée de bar-restaurant. Elle produit un avenant signé le 9 juillet 2008 de prorogation du délai de levée d'option au 30 septembre 2008, considérant que la société Z... avait remis au rédacteur de l'acte l'attestation du CREDIT AGRICOLE confirmant l'accord du prêt pour le financement de cette acquisition, mais qu'en revanche les consorts Y... n'ont pas souhaité donner leur accord à la cession pour l'activité de bar-restaurant, une notification de cession de bail étant en cours de signification afin de faire courir le délai de deux mois pour exercer leur priorité de rachat (signification effectuée le lendemain 10 juillet 2008). Madame X... produit également l'attestation du CREDIT AGRICOLE du 17 juin 2008 relative à l'accord de financement pour la SARL Z... à hauteur de 134.000 €, et une attestation du gérant de cette société du 22 avril 2009 par laquelle il précise que, après la signature de l'avenant, devant le refus des bailleurs, de guerre lasse, j'ai été dans l'obligation de renoncer à mon achat, ce que je déplore, ajoutant qu'il avait concrétisé son projet en achetant un fonds de commerce de traiteur-boucherie-charcuterie à Pau. Par conséquent le préjudice subi par Madame X..., consistant dans la perte de la perception du prix de la cession envisagée, est directement en lien de causalité avec le refus injustifié des bailleurs ; il ne s'agit cependant que de la perte d'une chance, qui sera réparée, compte tenu des circonstances en l'espèce, à hauteur de la moitié du prix de cession, soit 65.000 €. Par contre le coût des travaux d'amélioration des locaux, les dépenses relatives à l'engagement d'un personnel pendant l'été 2009 et les frais liés à l'exploitation du commerce ne peuvent être considérés comme relevant de ce préjudice » ;
ALORS QUE le bailleur qui exerce son droit de contester la demande du locataire tendant à céder son bail dans les conditions prévues par l'article L. 145-51 du Code de commerce n'engage sa responsabilité que s'il fait dégénérer en abus l'exercice de ce droit ; que lorsque la légitimité de la prétention d'une partie a été reconnue par la juridiction de premier degré, une action en justice ne peut, sauf circonstances particulières qu'il appartient aux juges du fond de justifier, constituer un tel abus ; qu'en l'espèce, les premiers Juges avaient fait droit à la contestation par les bailleurs de la demande de la locataire tendant à céder son bail dans les conditions prévues par l'article susvisé ; que l'arrêt infirmatif attaqué a néanmoins condamné les bailleurs à payer des dommages et intérêts à la locataire à raison du préjudice causé par la non réalisation du projet de cession litigieux, sans justifier d'aucune circonstance particulière qui aurait fait dégénérer en abus l'exercice du droit de contester le projet de cession envisagé ; qu'en statuant comme elle l'a fait, la Cour d'appel a violé l'article 1382 du Code civil.