LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique, pris en sa première branche :
Vu la loi des 16-24 août 1790, ensemble l'article L. 451-1 du code rural ;
Attendu que la société coopérative des artisans bouchers-charcutiers de Touraine (COOP-BCT) a conclu avec la ville de Tours, le 19 mai 2000, un bail emphytéotique d'une durée de trente ans à compter du 1er janvier 2000, par lequel elle a été autorisée, moyennant un loyer annuel de 100 francs TTC, à construire sur un terrain relevant du domaine privé de la commune, un bâtiment à usage d'atelier et de découpe de viande ; que l'opération a été financée selon contrat de crédit bail du 1er décembre 2000 d'une durée de quinze ans, par la société Auxicomi, aux droits de laquelle se trouve la société Oséo financement à laquelle le bail emphytéotique a été transféré par acte notarié distinct du même jour avec l'agrément de la ville de Tours, de sorte que la société Oséo financement s'est retrouvée titulaire des droits restant à courir au titre du bail et propriétaire des constructions édifiées en vertu de la convention de crédit bail ; que la résiliation de la convention de crédit bail étant intervenue lors du prononcé de la liquidation judiciaire de la société COOP-BCT, la ville de Tours a notifié à la société Oséo, le 18 octobre 2007, la résiliation unilatérale du bail ; que la société Oséo a saisi un tribunal de grande instance de demandes en paiement d'une indemnité de résiliation et de dommages-intérêts en réparation de son préjudice lié à l'immobilisation de ses droits ; que par ordonnance du 10 décembre 2009, un juge de la mise en état a rejeté l'exception d'incompétence de la juridiction de l'ordre judiciaire soulevée par la commune ;
Attendu que pour accueillir l'exception d'incompétence des juridictions de l'ordre judiciaire soulevée par la commune, l'arrêt attaqué retient que la clause du contrat de bail stipulant l'interdiction pour la société de céder tout ou partie de son droit au bail sans l'accord préalable et écrit de la ville et de modifier l'utilisation du site pour des fins autres que celles contractuellement prévues sans autorisation préalable, conférant à la personne publique le droit de s'opposer à la libre cession du bail par le cocontractant, constituait une clause exorbitante du droit commun, caractérisant l'existence d'un contrat administratif ;
Qu'en statuant ainsi, alors que le fait qu'une clause déroge au statut des baux emphytéotiques en limitant le droit de libre cession du co-contractant, ne suffit pas, à lui seul, à emporter la qualification de clause exorbitante du droit commun, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 16 juin 2010, entre les parties, par la cour d'appel d'Orléans ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Bourges ;
Condamne la ville de Tours aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du six juillet deux mille onze.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
.Moyen produit par la SCP Laugier et Caston, avocat aux Conseils, pour la société Oséo financement.
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR dit que le bail emphytéotique consenti par la commune de Tours à la société COOP BCT relève de la compétence du juge administratif, d'AVOIR déclaré la juridiction de l'ordre judiciaire incompétente pour connaître des demandes de la société OSEO FINANCEMENT, et d'AVOIR renvoyé les parties à mieux se pourvoir ;
AUX MOTIFS QU'un contrat ne présentant pas un caractère administratif par nature, conclu par une personne morale de droit public, relève de la compétence de la juridiction de l'ordre administratif s'il contient une clause exorbitante du droit commun, c'est à dire une clause qui a pour objet de conférer à une partie des droits et de mettre à la charge de l'autre partie des obligations, étrangers par leur nature à ceux qui sont susceptibles d'être consentis par quiconque dans le cadre des lois civiles et commerciales ; que le contrat stipule, en son article 8, que la société ne pourra ni céder tout ou partie de son droit au bail sans l'accord préalable et écrit de la Ville, ni modifier l'utilisation du site pour des fins autres que celles prévues dans le présent bail sans en avoir été préalablement autorisée par la Ville ; qu'il est de jurisprudence que, le bail emphytéotique conférant au preneur un droit réel susceptible d'hypothèque, toute clause insérée dans un tel bail et limitant la cession n'est pas autorisée en vertu du droit commun et fait perdre à cette convention la qualification découlant de l'article L. 451-1 du Code rural ; qu'une telle clause est donc dérogatoire au droit commun, alors même qu'elle trouve sa place dans le statut du bail emphytéotique administratif puisque l'article 1311-3 du Code général des collectivités territoriales dispose que les droits résultant du bail (ne) peuvent être cédés, avec l'agrément de la collectivité territoriale, (qu') à une personne subrogée au preneur dans les droits et obligations découlant de ce bail ; qu'ainsi, le contrat en cause contenant une clause exorbitante du droit commun doit être considéré comme relevant de la compétence du juge administratif, en sorte qu'il convient de déclarer la juridiction de l'ordre judiciaire incompétente pour en connaître et de renvoyer les parties à mieux se pourvoir ;
1°) ALORS QU' une clause d'un bail emphytéotique consenti par une collectivité territoriale sur un bien appartenant à son domaine privé, qui limite le droit du preneur de céder le bail ainsi que son utilisation, notamment en ce qu'elle prévoit que le bénéficiaire du bail ne pourra ni céder tout ou partie du droit au bail sans accord préalable et par écrit de la Ville, ni modifier l'utilisation du site pour des fins autres que celles prévues au bail déroge au droit commun des baux emphytéotiques et peut avoir pour effet de faire perdre au bail la qualification de bail emphytéotique, mais ne constitue pas, en elle-même, une clause exorbitante du droit commun, faisant du bail un contrat administratif et rendant les tribunaux administratifs compétents pour connaître des litiges nés de son exécution ; qu'en décidant le contraire, la Cour d'appel a violé la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III, ensemble les articles L. 451-1 du Code rural et L. 1311-1 et suivants du Code général des collectivités territoriales ;
2°) ALORS QUE la Cour d'appel, ayant explicitement retenu l'analyse selon laquelle le bail litigieux ne constituait pas un contrat administratif par détermination de la loi, et en tout cas pas un bail emphytéotique administratif, n'a pu, en raison de la seule insertion d'une clause réservant à la collectivité territoriale le pouvoir d'agréer toute cession de ce bail ou encore de donner son accord pour une utilisation différente des lieux, considérer qu'une telle clause faisait obstacle à ce que le contrat puisse être de droit privé et n'a, partant, pas donné de base légale à sa décision au regard de la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III, ensemble les articles L. 451-1 du Code rural et L. 1311-1 et suivant du Code général des collectivités territoriales.