LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que la société Créo Emea a vendu, avec réserve de propriété, un matériel d'imprimerie à la société ICD Printing qui a été mise en redressement puis liquidation judiciaires par jugements des 8 février et 20 décembre 2007, sans avoir payé la totalité du prix ; que la société Kodak graphic communications, devenue la société Kodak (société Kodak), a déclaré la créance du solde de celui-ci, a été admise à ce titre au passif et a demandé que le matériel lui soit restitué ;
Sur la recevabilité du premier moyen, contestée par la défense :
Attendu que la société ICD Printing et son liquidateur contestent la recevabilité de ce moyen au motif que la société Kodak ne s'est pas prévalue, devant les juges du fond, de l'autorité de chose jugée attachée à la décision d'admission quant à la transmission à son profit de la créance de la société Créo Emea avec la réserve de propriété ;
Mais attendu qu'il résulte des conclusions d'appel de la société Kodak que celle-ci a soutenu que la réserve de propriété était mentionnée sur la facture initiale de la société Créo Emea et que la décision d'admission de la créance du solde du prix facturé signifie qu'il est définitivement jugé que la société Kodak était propriétaire de la créance à la date à laquelle elle l'a déclarée ; que le moyen est recevable ;
Sur ce moyen :
Vu les articles 1351 et 1692 du code civil, ensemble l'article L. 624-2 du code de commerce, dans sa rédaction issue de la loi du 26 juillet 2005 de sauvegarde des entreprises ;
Attendu que l'autorité de chose jugée de la décision d'admission au passif d'une créance prononcée au bénéfice du créancier déclarant s'étend à la reconnaissance à ce créancier de la qualité de titulaire de la créance admise et de ses accessoires ;
Attendu que pour rejeter la demande de la société Kodak tendant à la restitution du matériel objet de la clause de réserve de propriété, l'arrêt retient qu'elle ne démontre pas venir, notamment par voie de cession de créance, aux droits de la société Créo Emea ;
Attendu qu'en statuant ainsi, alors qu'elle constatait que la société Kodak avait été admise au passif de la société ICD Printing au titre de la créance du solde du prix du matériel vendu à celle-ci avec réserve de propriété, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé les textes susvisés ;
Et sur le second moyen, pris en sa première branche :
Vu l'article 625 du code de procédure civile ;
Attendu que la cassation intervenue sur le premier moyen entraîne, par voie de conséquence, celle du chef de l'arrêt condamnant la société Kodak à payer au liquidateur la somme de 25 000 euros au titre de la contre-valeur du matériel ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la seconde branche du second moyen :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 29 avril 2010, entre les parties, par la cour d'appel de Douai ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Douai, autrement composée ;
Condamne la société ICD Printing et Mme Froment Salomon, ès qualités, aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-huit juin deux mille onze.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par Me Ricard, avocat aux Conseils pour la société Kodak
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir, confirmant le jugement entrepris, débouté la société KODAK de sa demande en restitution du matériel vendu à la société ICD PRINTING, d'avoir, ajoutant au jugement entrepris, condamné la société KODAK à payer à Maître FROMENT SALOMON ès qualités la somme de 25 000 euros au titre de la contre valeur du matériel et d'avoir débouté la société KODAK de sa demande de dommages-intérêts et d'indemnité procédurale ;
AUX MOTIFS QUE « selon bon de commande n°04.2796 en date du 24 septembre 2004, la société ICD PRINTING a commandé à la société CREO EMEA SA un matériel d'imprimerie CTP pour un montant de 253 186,16 € TTC. Le document précise que "le droit de propriété sur les produits passera de CREO EMEA au client au moment du paiement par ce dernier de toutes les sommes dues à CREO EMEA à quelque titre que ce soit" Le matériel a été livré le 21 décembre 2004. La facture n° 100500850 S datée du même jour comporte une clause de réserve de propriété jusqu'à complet paiement. Le 8 février 2007, le Tribunal de Commerce de Douai a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'égard de la société ICD PRINTING, procédure convertie en liquidation judiciaire le 20 décembre 2007. Le 6 avril 2007, la société KODAK GRAPHIC COMMUNICATIONS SAS (RCS 317 235 992) a déclaré sa créance entre les mains de Maître X..., mandataire judiciaire, à hauteur de 125 370,05 € TTC, dont 124 644,97 € TTC au titre de la facture du 21 décembre 2004, laquelle a été admise au passif par décision du juge commissaire. Concomitamment, elle a formulé auprès de l'administrateur judiciaire qui l'a refusée une demande de restitution du matériel. Par ordonnance du 16 juillet 2007, le juge-commissaire a également rejeté la demande de restitution au motif "qu'il n'est pas démontré que KODAK GRAPHIC COMMUNICATIONS vienne, d'une manière ou d'une autre, aux droits de la société CREO EMEA". Saisi d'un recours, le tribunal a rendu la décision déférée. Il est justifié par les extraits K bis produits que : - la SAS KODAK POLYCHROME GRAPHICS (RCS 317 235 992) a changé de dénomination sociale pour devenir la SAS KODAK GRAPHIC COMMUNICATIONS (RCS 317 235 992) avant d'être absorbée par la SAS KODAK GRAPHIC COMMUNICATIONS (RCS 339 807 190) ; - la société KODAK GRAPHIC COMMUNICATIONS (RCS 339 807 190) a transmis son patrimoine à la SA KODAK (RCS 542 097 530) laquelle est devenue la SAS KODAK (RCS 542 097 530) ; - la réalisation de la transmission universelle du patrimoine de la société CREO FRANCE (RCS 324 167 378) a été réalisée le 31 octobre 2006 au profit de la SAS KODAK GRAPHIC COMMUNICATIONS (RCS 317 235 992) et publiée le 8 mars 2007. L'appelante soutient que le 27 février 2006, la société CREO EMEA a cédé la créance qu'elle détenait sur la société ICD PRINTING à la société KODAK POLYCHROME GRAPHICS SAS, cession qui aurait été notifiée le 19 janvier 2006. Toutefois la facture n° 100500850 S du 21 décembre 2004, établie en anglais et non traduite, émane dune société de droit belge CREO EMEA SA (RC Nivelles 73153), distincte de la société CREO FRANCE, et la cession de l'ensemble des droits et obligations de la société CREO EMEA SA à la société KODAK POLYCHROME GRAPHICS invoquée dans les lettres du 19 janvier 2006 et 1er octobre 2007 n'est pas démontrée par les pièces versées aux débats. Il convient, par suite, de confirmer le jugement. Maître X... sollicite à titre reconventionnel le paiement de la contre valeur du matériel repris par la société KODAK GRAPHIC COMMUNICATION. Il sera fait droit à sa demande à hauteur de 25 000 € , en l'absence d'autre élément quant au prix, dès lors qu'il n'est pas contesté que l'appelante a pris possession du matériel et que sa qualité de propriétaire n'est pas reconnue. La société KODAK GRAPHIC COMMUNICATIONS sera déboutée de sa demande en dommages et intérêts pour résistance abusive. Il n'est pas inéquitable de laisser à la charge de chacune des parties, les frais non dans les dépens engagés à l'occasion de la présente procédure. » (arrêt p.3 et 4) ;
ET AUX MOTIFS ADOPTÉS QUE « monsieur le juge commissaire dans son ordonnance du 16 juillet 2007 a rejeté la demande de la Sté KODAK en estimant que les documents commerciaux qui lui avaient été transmis ne démontraient pas qu'il existait un lien juridique entre les sociétés CREO EMEA et la société KODAK. / Les pièces produites aux débats de l'instance n'apportent aucune preuve supplémentaire qui serait susceptible de confirmer le bien fondé de la demande. / La créance réclamée par KODAK et admise au passif de la procédure collective pour un montant de 125 370,05 euros ne constitue pas un argument juridique nouveau et n'est pas de nature à établir que les droits de CREO ont été transmis à une société tiers. / Le courrier transmis par la société CREO à la société ICD PRINTING le 19 janvier 2006 est par ailleurs tout à fait insuffisant pour démontrer la transmission d'un droit. / De la même manière, de simples extraits modèles K Bis ne constituent en aucun cas l'assurance que des prérogatives juridiques aient pu faire l'objet d'une transmission au profit de la Sté KODAK demanderesse à l'instance. / Dans ces conditions, le Tribunal ne peut que confirmer la décision du juge commissaire qui avait rejeté la demande de la Sté KODAK qui souhaitait faire valoir la clause de réserve de propriété sur un matériel vendu à la Sté ICD PRINTING» (jugement p.4) ;
ET QUE « l'ensemble des documents commerciaux, factures, formulaires de commande, porte la mention de la Sté CREO EMEA, sans qu'il soit démontré à aucun moment une quelconque relation avec la société KODAK, d'autre part, vu qu'il n'est pas démontré que la société KODAK viennent d'une manière ou d'une autre aux droits de la société CREO EMEA » (ordonnance du juge commissaire) ;
ALORS QUE l'admission par le juge commissaire d'une créance au passif du débiter acquiert l'autorité de chose jugée ; qu'en retenant, pour débouter la société KODAK de sa demande de revendication du matériel vendu avec clause de réserve de propriété par la société CREO EMEA à la société ICD PRINTING, que la société KODAK ne justifiait pas de la cession à son profit de la créance détenue par la société CREO EMEA sur la société ICD PRINTING et résultant de la facture n°100500850°S du 21 décembre 2004 quand elle constatait par ailleurs que la créance déclarée par la société KODAK GRAPHIC COMMUNICATIONS, aux droits de laquelle se trouve la société KODAK, au titre de ladite facture avait été admise au passif de la société ICD PRINTING par décision du juge-commissaire du 6 juillet 2007, la cour d'appel a violé l'article 1351 du code civil ;
ALORS QUE la réserve de propriété constitue l'accessoire de la créance dont elle garantit le paiement ; qu'en refusant de faire droit à l'action en revendication de la société KODAK après avoir pourtant constaté que sa créance au titre du solde du prix de vente résultant de la facture du 21 décembre 2004 du matériel livré sous clause de réserve de propriété jusqu'à complet paiement avait été admise au passif par décision du juge commissaire, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquence légales de ses constatations, a violé les articles 1249, 1250 et 2367 du code civil, ensemble l'article L. 624-16 du code de commerce.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir, ajoutant au jugement entrepris, condamné la société KODAK à payer à Maître FROMENT SALOMON ès qualités la somme de 25 000 euros au titre de la contre valeur du matériel ;
AUX MOTIFS QUE « Maître X... sollicite à titre reconventionnel le paiement de la contre valeur du matériel repris par la société KODAK GRAPHIC COMMUNICATION. / Il sera fait droit à sa demande à hauteur de 25 000 euros, en l'absence d'autre élément quant au prix, dès lors qu'il n'est pas contesté que l'appelant a pris possession du matériel et que sa qualité de propriétaire n'est pas reconnue » (arrêt p.3 et 4) ;
ALORS QUE la cour d'appel a condamné la société KODAK à verser une somme de 25 000 euros à Maître X... ès qualité en retenant que la qualité de propriétaire de la société KODAK sur le matériel qu'elle avait repris n'était pas reconnue ; que dès lors, la cassation sur le premier moyen qui fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir rejeté la demande de la société KODAK en revendication du matériel sur le fondement de la clause de réserve de propriété entraînera, par voie de conséquence nécessaire, la cassation de l'arrêt en ce qu'il a condamné la société KODAK à payer à Maître X... ès qualités une somme de 25 000 euros au titre de la contre valeur du matériel en application de l'article 625 du code de procédure civile ;
ALORS QUE, en toute hypothèse, le juge tranche le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables ; qu'en s'abstenant de préciser le fondement juridique de la condamnation de la société KODAK, la cour d'appel a violé l'article 12 du code de procédure civile.