La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

18/05/2011 | FRANCE | N°10-83353

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 18 mai 2011, 10-83353


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :

Statuant sur le pourvoi formé par :
- La société Nycomed France,

contre l'ordonnance du premier président de la cour d'appel de VERSAILLES, en date du 19 février 2010, qui a confirmé l'ordonnance du juge des libertés et de la détention ayant autorisé l'autorité de la concurrence à effectuer à des opérations de visite et saisie de documents en vue de la recherche de la preuve de pratiques anticoncurrentielles ;

Vu les mémoires produits, en demande et en défense ;

Sur le mo

yen unique de cassation, pris de la violation des articles 6 et 8 de la Convention de sauv...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :

Statuant sur le pourvoi formé par :
- La société Nycomed France,

contre l'ordonnance du premier président de la cour d'appel de VERSAILLES, en date du 19 février 2010, qui a confirmé l'ordonnance du juge des libertés et de la détention ayant autorisé l'autorité de la concurrence à effectuer à des opérations de visite et saisie de documents en vue de la recherche de la preuve de pratiques anticoncurrentielles ;

Vu les mémoires produits, en demande et en défense ;

Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 6 et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, L. 450-4 du code de commerce, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;

"en ce que l'ordonnance attaquée a confirmé celle du juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance de Nanterre, en date du 29 avril 2009, ayant notamment autorisé une visite et saisie dans les locaux de la société Nycomed afin de rechercher la preuve des agissements qui entrent dans le champ des pratiques prohibées par les articles L. 420-1, L 420-2 du code de commerce, 81 et 82 du Traité de la communauté européenne relevés dans le secteur de la commercialisation de produits pharmaceutiques confrontés à l'arrivée des génériques, ainsi que toute manifestation de ces comportements prohibés ;

"aux motifs que les pièces produites à l'appui de la requête ont permis au premier juge de vérifier que la société Janssen-Cilag est la filiale européenne d'une société américaine classée au 7ème rang des laboratoires pharmaceutiques mondiaux qui commercialise le médicament "Durogesic dispositif transdermique" pour un chiffre d'affaires annuel en France de 90 millions et occupe une place prépondérante sur le secteur de ce traitement des douleurs, situation susceptible d'entrer dans le champ d'application des articles L. 420-1 et L. 420-2 du code de commerce ; que n'est pas contesté le fait, avancé par la société Ratiopharm dans sa plainte, selon lequel le brevet sur le fentanyl, principe actif du médicament commercialisé par la société Janssen-Cilag est expiré, permettant ainsi la mise sur le marché de médicaments génériques ; qu'il est, par ailleurs, constant que la société Nycomed qui commercialisait déjà dans d'autres pays européens un produit fentanyl a demandé à l'AFSSAPS une inscription au répertoire des génériques de deux produits à base de fentanyl (Fentanyl Nicomed et Matrifen) ; que, dans ce contexte, il ressort des pièces produites par l'administration à l'appui de sa requête, en dehors de toute appréciation subjective sur les intentions des différents acteurs économiques, que :
- la société Ratiopharm qui commercialisait déjà des génériques du produit concerné dans plusieurs pays européens a sollicité auprès de l'AFSSAPS une autorisation de mise sur le marché français qui a obtenu une décision favorable de la Commission européenne le 23 octobre 2007 et deux avis favorables de la commission d'AMM de l'AFSSAPS les 24 janvier et 27 mars 2008 ;
- Ies 25 mars et 14 avril 2008, la société Janssen-Cilag a adressé à l'AFSSAPS deux courriers dénonçant des risques pour les patients en cas de substitution du produit générique de Ratiopharm au médicament princeps ;
- le 17 juillet 2008, l'AFSSAPS a modifié son avis, puis a finalement accordé les AMM les 28 et 29 juillet 2008, soit plus de neuf mois après la décision favorable de la Commission européenne ;
- au cours de l'année 2008, la société Janssen-Cilag a diffusé dans la presse, puis directement auprès de pharmaciens et de médecins, un message suggérant que le directeur général de l'AFSSAPS mettait particulièrement en garde contre la substitution du médicament Durogesic par le médicament générique ; que l'ambiguïté de la présentation des propos prêtés au directeur général de l'AFSSAPS a conduit cette agence par un courrier du 12 février 2009 à rappeler que sa mise en garde concernait toutes les substitutions de produits de Fentanyl, du produit princeps vers les génériques comme l'inverse ;
- des pharmaciens ont attesté avoir reçu des appels téléphoniques insistant sur les risques professionnels qu'ils courraient en délivrant des produits génériques fentanyl ;
- la part de marché avancée par la société Ratiopharm sur les trois premiers mois de commercialisation de son produit générique paraît particulièrement faible au regard des résultats obtenus dans les autres pays européens au cours des deux premières années d'exploitation ;
- répondant à une consultation pour un marché concernant 29 centres hospitaliers, concurremment à la société Ratiopharm, la société Janssen-Cilag a proposé un prix très inférieur à celui proposé dans le cadre d'un marché similaire, l'année précédente soit avant la mise sur le marché du produit fentanyl Ratiopharm ;
que, dans ce contexte et simultanément aux faits imputés à la société Janssen-Cilag et susceptible de constituer des pratiques anticoncurrentielles, les pièces produites établissent que la société Nycomed ayant obtenu, conformément à sa demande, le 25 juin 2008 une AMM pour un produit générique fentanyl (Matrifen), déjà commercialisé dans d'autres pays européens, susceptible d'être substitué au médicament de la société Janssen-Cilag renonçait à son inscription au répertoire des génériques ; que tant la concordance entre la nature du produit objet des agissements imputés à la société Janssen-Cilag et celui que prétendait commercialiser la société Nycomed au titre de générique, que la concordance chronologique entre les agissements prêtés à la première et le changement d'orientation de la seconde dans ses choix de commercialisation ou que les motifs allégués par la société Nycomed à l'appui de sa demande de retrait du répertoire des génériques de son produit fentanyl qui n'évoquent pas un changement de stratégie commerciale, mais infirment purement et simplement la position médicale soutenue dans la demande initiale constituent des indices d'une participation de la société Nycomed aux faits anti-concurrentiels soupçonnés ; qu'indépendamment d'une analyse de la portée isolée de chacun de ces faits qui n'incombe pas au juge saisi en application de l'article L. 450-4 du code de commerce, leur réalité qui ne fait l'objet d'aucune contestation de la part des sociétés concernées et leur chronologie suffit à constituer un faisceau d'indices permettant de présumer la participation de la société Nycomed à une pratique anticoncurrentielle ; que dans ce contexte, la référence par l'administration aux rapports préliminaire et définitif de la Commission européenne n'avait pour seul objet que d'éclairer la culture du juge saisi sur des pratiques rencontrées dans le secteur économique auquel appartient la société Nycomed ; que la référence, dans l'ordonnance, à une donnée chiffrée qui n'apparaissait pas dans les pièces soumises à l'examen du juge n'altère pas la pertinence des autres indices retenus et recensés ci-dessus qui suffisent à justifier l'autorisation accordée ; que l'autorisation accordée par le premier juge est expressément et suffisamment limitée au "secteur de la commercialisation de produits pharmaceutiques confrontés à l'arrivée des génériques" ; que la variété des noms susceptibles d'être utilisés par les laboratoires pour identifier leurs produits ou les commercialiser suffit à expliquer que le juge n'ait pas restreint la portée de son ordonnance en citant certains de ces noms ; que la référence aux "spécialités dont le brevet est expiré ou dont l'échéance est proche" limite clairement le champ des investigations autorisées ; que les moyens relatifs à la validité de l'ordonnance rendue le 29 avril 2009 doivent en conséquence être rejetés ;

"1°) alors que le juge qui autorise une visite et une saisie de documents à la requête de l'administration doit vérifier de manière concrète que la demande qui lui est soumise est bien fondée au regard des pièces figurant effectivement dans le dossier produit devant lui ; que méconnait l'obligation qui lui est ainsi faite le juge qui, tout en reprenant dans son ordonnance quasiment mot pour mot les affirmations de la requête de l'administration, se réfère à des données chiffrées figurant dans celle-ci qui n'apparaissent dans aucune des pièces du dossier jointes à la requête ; qu'en l'espèce, le juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance de Nanterre a motivé son ordonnance sur la base « d'un extrait de la synthèse du rapport préliminaire de la Commission européenne du 28 novembre 2008 dans le secteur pharmaceutique au sujet des accords entre laboratoires pour retarder l'apparition des génériques », et a indiqué que celui-ci avait relevé « que 200 accords entre les entreprises pharmaceutiques avaient été conclus entre 2000 et juin 2008, concernant 49 molécules dont 63 % étaient des « best-sellers » qui devaient perdre leur protection entre 2000 et 2007 » et « que parmi ces accords, 48 % limitaient la possibilité d'entrée du générique sur le marché, tandis que 22 % prévoyaient, en plus de cette limitation, des compensations financières à verser au génériqueur (annexe à la requête n° 28) » alors que ni la synthèse du rapport préliminaire de la commission européenne constituant la pièce n° 28 annexée à la requête, ni aucun des autres éléments annexés à la requête ne faisait état de ce que « 22 % d'accords prévoyaient, en plus de cette limitation, des compensations financières à verser au génériqueur » ; qu'ainsi que le faisait valoir la société Nycomed, il en résultait que le juge avait méconnu l'obligation qu'il avait de vérifier que la demande qui lui était soumise était fondée sur des pièces figurant effectivement dans le dossier, ce qui justifiait l'annulation de son ordonnance ; qu'en rejetant ce moyen au motif que « la référence, dans l'ordonnance, à une donnée chiffrée qui n'apparaissait pas dans les pièces soumises à l'examen du juge n'alté(rait) pas la pertinence des autres indices retenus et recensés ci-dessus qui suffisent à justifier l'autorisation accordée » la cour d'appel a statué par un motif inopérant en violation des textes susvisés ;

"2°) alors que, pour être proportionnée au but poursuivi, et donc régulière, l'ordonnance autorisant la visite et la saisie doit circonscrire précisément la mesure ordonnée et en conséquence définir le marché pertinent concerné par les pratiques anticoncurrentielles présumée dont la preuve est recherchée ; que ni les marchés pharmaceutiques confrontés à l'arrivée des génériques, ni « les spécialités dont le brevet est expiré ou dont l'échéance est proche » ne constitue un marché déterminé ; qu'en retenant que l'autorisation accordée par le premier juge serait suffisamment limitée au « secteur de la commercialisation de produits pharmaceutiques confrontés à l'arrivée des génériques » et que « la référence aux spécialités dont le brevet est expiré ou dont l'échéance est proche » limite clairement le champ des investigations autorisées, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

"3°) alors qu'enfin, la portée de l'autorisation de visite et saisie doit être déterminée précisément par le dispositif de l'ordonnance ; qu'en retenant que l'autorisation délivrée était suffisamment limitée au regard des motifs figurant à la page 9 de l'ordonnance, limitant le champ des investigations autorisées, la cour d'appel a derechef violé les textes susvisés" ;

Attendu que, pour confirmer la décision du juge des libertés et de la détention autorisant l'autorité de la concurrence à procéder à des opérations de visite et de saisie de documents en vue de la recherche de pratiques anticoncurrentielles, l'ordonnance attaquée prononce par les motifs repris au moyen ;

Attendu qu'en statuant ainsi, le premier président de la cour d'appel, a, sans insuffisance ni contradiction et répondant aux chefs péremptoires dont il était saisi, souverainement caractérisé, après s'être référé, en les analysant, aux éléments d'information fournis par l'administration, l'existence de présomptions de pratiques anticoncurrentielles, justifié sa décision ;

D'où il suit que le moyen ne saurait être admis ;

Et attendu que l'ordonnance est régulière en la forme ;

REJETTE le pourvoi ;

Ainsi jugé et prononcé par la Cour de cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;

Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Dulin conseiller doyen faisant fonction de président en remplacement du président empêché, M. Bayet conseiller rapporteur, Mme Desgrange conseiller de la chambre ;

Greffier de chambre : Mme Randouin ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : 10-83353
Date de la décision : 18/05/2011
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Criminelle

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Versailles, 19 février 2010


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 18 mai. 2011, pourvoi n°10-83353


Composition du Tribunal
Président : M. Dulin (conseiller doyen faisant fonction de président)
Avocat(s) : SCP Baraduc et Duhamel, SCP Hémery et Thomas-Raquin

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2011:10.83353
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award