LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Montpellier, 1er juillet 2009), que Mme X..., engagée le 1er février 1973 par la société Z... primeurs en dernier lieu employée de bureau, déclarée inapte définitivement le 1er octobre 2007, a été licenciée le 19 octobre suivant après refus du poste de reclassement ;
Attendu que la société fait grief à l'arrêt de dire le licenciement nul et de la condamner à payer des dommages-intérêts alors, selon le moyen :
1°/ que la présomption de harcèlement moral cède lorsque l'employeur établit que les agissements qui lui sont reprochés sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement ; qu'en l'occurrence, ayant fait valoir que, si elle avait fait des remontrances à Mme X..., c'était en raison d'erreurs que cette dernière avait commises dans l'exécution de ses tâches, ainsi qu'en attestaient trois salariés de l'entreprise, la cour d'appel, en omettant d'examiner ce moyen qui était pourtant de nature à établir l'existence d'un élément objectif justifiant le comportement de l'employeur et à renverser la présomption de harcèlement, a entaché sa décision d'un défaut de réponse à conclusions et méconnu les exigences de l'article 455 du code de procédure civile ;
2°/ que la qualification de harcèlement moral suppose qu'un lien de causalité soit établi entre les agissements imputables à l'employeur et, notamment, l'état de santé du salarié ; qu'en se bornant à indiquer que le docteur Y..., psychiatre, avait indiqué que « sa patiente » avait elle-même évoqué « un harcèlement de travail », ce qui était manifestement insuffisant à permettre de constater l'existence du lien de causalité requis, et en délaissant par ailleurs les conclusions par lesquelles elle faisait état de l'existence d'un état dépressif chez la salariée imputable à des causes étrangères à l'entreprise, la cour d'appel a privé sa décision de motifs en violation de l'article 455 du code de procédure civile ;
Mais attendu qu'appréciant souverainement les éléments de preuve qui lui étaient soumis, la cour d'appel retient que la salariée s'était vu imposer des horaires " extensibles ", variant d'un jour à l'autre et qu'elle n'était pas en mesure de prévoir fût-ce la veille, qu'elle subissait l'attitude désobligeante et même insultante du gérant de l'entreprise lequel la traitait de nulle, d'incapable, de bonne à rien et lui parlait vulgairement et que ces mauvaises relations avaient déstabilisé son état psychologique jusqu'à aboutir à l'arrêt de travail et à l'inaptitude ; qu'elle relève encore que l'employeur, qui se bornait à contester le caractère probant des pièces adverses et à produire des attestations d'autres salariés soulignant son comportement courtois à leur égard, ne démontrait pas que ces agissements n'étaient pas constitutifs de harcèlement ou procédaient d'éléments étrangers à celui-ci ; qu'ayant ainsi caractérisé l'existence d'un harcèlement moral ayant provoqué l'inaptitude subie par la salariée, l ‘ arrêt n'encourt pas les griefs du moyen ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Z... primeurs aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne la société Z... primeurs à payer à Mme X... la somme de 2 500 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-deux mars deux mille onze.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Piwnica et Molinié, avocat aux Conseils pour la société Z... primeurs
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir dit nul le licenciement de Madame X... et condamné la SARL Z... Primeurs à lui payer la somme de 50. 000 euros de dommages et intérêts ;
AUX MOTIFS QUE selon l'article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptibles de porter atteinte à ses droits ou à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ; qu'en vertu des dispositions de l'article L. 1152-3 toute rupture d'un contrat de travail qui résulterait d'agissements de harcèlement moral subis par le salarié est nul de plein droit ; qu'enfin, en application de l'article L. 1154-1 du code du travail, le salarié qui se dit victime d'un harcèlement moral doit établir des faits permettant de présumer l'existence d'un tel harcèlement ; qu'au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement ; que la salariée soutient en premier lieu avoir fait l'objet d'un déclassement, pour avoir été affectée, après avoir exercé des fonctions de comptable à un poste subalterne ; que les pièces produites ne permettent pas d'établir que Yvonne X..., engagée en qualité d'aide-comptable poste correspondant à la qualification d'employée de bureau visée au contrat à durée indéterminée du 20 décembre 2003 et mentionné sur les bulletins de salaire, ait été employée à d'autres tâches, relevant d'une qualification inférieure ; qu'ainsi les plannings afférents aux semaines 1 à 14 de l'année 2007, précisant outre les horaires, les tâches à accomplir, précisent : banque – saisie – comptage pour ce qui concerne la salariée, lesquelles missions correspondent bien à un emploi d'aide-comptable ; qu'Yvonne X... affirme par ailleurs que lui ont été imposés des horaires « extensibles », sans délai de prévenance, et qu'elle était parfois privée d'un repos hebdomadaire ; que l'examen du planning des semaines 1 à 14 de l'année 2007 révèle que les horaires de travail de la salariée diffèrent d'une semaine à l'autre, et d'un jour à l'autre, de sorte qu'elle travaille soit le matin, soit l'après-midi ; que les horaires de travail sont chaque jour différents ; que de plus l'amplitude n'est pas précisée au planning s'agissant des horaires de l'après-midi ; qu'à titre d'exemple, au cours de la semaine du 22 janvier 2007 au 27 janvier 2007, le planning d'Yvonne X... mentionne : le mardi de 9h30 à 12 h, de 16h à la clôture, étant observé qu'elle est également prévue le dimanche 21 janvier 2007 du 20 h jusqu'à « la fin du travail » ; que les plannings des autres semaines versés aux débats sont établis sur le même mode, indiquant des horaires variables d'un jour l'autre, la salarié étant tenue d'occuper son poste jusqu'à « la fin du travail » ; qu'Yvonne X... produit également l'édition des badgeages pour la période du 1er décembre 2006 au 31 décembre 2006, duquel il résulte, notamment que ses horaires de travail sont quotidiennement modifiés, qu'elle a, ainsi quitté son poste de travail le vendredi 1er décembre à 21h19, le dimanche 3 à 23h29, le lundi 4 à 21h05, le mercredi 6 à 21h03, le vendredi 8 à 22h11, le dimanche 10 à 0h23, le dimanche 27 à 23h40 ; que l'employeur de son côté ne rapporte pas la preuve de l'observation du délai de prévenance fixé à 7 jours par l'accord d'entreprise des modifications de la durée hebdomadaire du travail ; qu'au demeurant un tel délai ne pouvait être respecté, dans la mesure où l'horaire dépendait selon les plannings fournis de la « fin du travail » ; qu'il s'en suit qu'Yvonne X... a bien travaillé selon un horaire « extensible », variant d'un jour à l'autre, et qu'elle n'était pas en mesure de prévoir, fût-ce la veille ; que la salariée qui reproche au gérant de la société Z... Primeurs une attitude désobligeante, voire insultante à son égard, produit, pour étayer ses affirmations diverses attestations : José A..., ancien salarié précise que « Rémi Z... n'arrêtait pas de la traiter de nulle, d'incapable et de bonne à rien » ; qu'Anne B..., ancienne salariée, relate avoir « croisé plusieurs fois Yvonne allant aux toilettes pour pleurer discrètement » ; Christian C..., ancien salarié, indique que « Rémi Z... me parlait vulgairement … son comportement était différent selon la personne mais pour Yvonne X... il était identique que pour moi » ; que René D..., prêtre, relate que, depuis des années, Yvonne X... lui a parlé de ses mauvaises relations avec le « patron » lui confiant qu'elle partait au travail en pleurant, et précise avoir constaté une détérioration progressive de l'état psychologique de la salariée pour laquelle l'arrêt de travail a été une « libération » ; qu'il n'existe aucun motif de mettre en doute la sincérité de ces témoins ; que le refus de José A... de répondre à la sommation interpellative diligentée par huissier de justice à l'initiative de l'employeur n'est pas de nature à ôter crédit à son témoignage ; qu'Yvonne X... produit ensuite les pièces suivantes ; deux attestations délivrées par Christian E..., ancien salarié retraité de l'entreprise, et Rosana F..., affirmant l'un que Rémi Z... avait tenté de le persuader d'établir une attestation, qu'il avait lui même rédigée, l'autre qu'elle avait subi des pressions notamment la venue d'un huissier à son domicile et des menaces, par Rémi Z..., de plainte pour faux témoignage ; une attestation établie par Christian E..., ancien délégué du personnel, indiquant que Yvonne X... lui avait fait part de ses problèmes, mais n'ayant pas trouvé le courage, craignant le résultat de l'entrevue, de suivre son conseil de rencontrer le « patron » ; une attestation délivrée par le docteur G..., médecin du travail, précisant que lors de la visite annuelle de mars 2003, la salariée lui avait fait part des difficultés rencontrées avec l'employeur, et qu'elle l'avait reçue en urgence, le 27 février 2007, à la suite d'une altercation avec celui-ci ; que l'employeur se borne, d'une part à contester le caractère probant des pièces adverses et à produire de nombreuses attestations de salariés soulignant le comportement courtois et compréhensif à leur égard de Rémi Z... et affirmant n'avoir subi aucun harcèlement moral ; que ces éléments ne suffisent pas à exclure l ‘ existence, à l'encontre de Yvonne X..., d'un tel harcèlement ; que force est donc de constater que la salariée s'est vu imposer des horaires de travail incompatibles avec toute vie privée et a subi l'attitude dénigrante et insultante de son employeur, que dès lors sont caractérisés des agissements réitérés de harcèlement moral ayant eu pour effet une dégradation des condition de travail de la salariée de nature à porter atteinte à sa dignité et à altérer sa santé ; qu'il convient en effet d'observer que le premier arrêt de travail et ses prolongations ont pour origine un état dépressif, que le docteur Y..., psychiatre, fait état d'une dépression majeure avec angoisse importante, sa patiente évoquant un harcèlement de travail, le retour dans cet établissement étant formellement proscrit, et préconise le déclenchement d'une procédure d'inaptitude ; que le médecin du travail, à l'issue de la deuxième visite de reprise a émis un avis d'inaptitude définitive à tout poste dans l'entreprise et s'est déclaré défavorable, pour ce motif, au poste de reclassement proposé : qu'en conséquence, un lien existe bien entre l'inaptitude de Yvonne X... et les conditions de travail qui étaient les siennes au sein de la société Z... Primeurs, l'inaptitude ayant pour origine une atteinte à sa santé mentale résultant du harcèlement moral dont elle a été victime ;
ALORS QUE, D'UNE PART, la présomption de harcèlement moral cède lorsque l'employeur établit que les agissements qui lui sont reprochés sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement ; qu'en l'occurrence, l'exposante ayant fait valoir que, si elle avait fait des remontrances à Madame X..., c'était en raison d'erreurs que cette dernière avait commises dans l'exécution de ses tâches, ainsi qu'en attestaient trois salariés de l'entreprise, la cour d'appel, en omettant d'examiner ce moyen qui était pourtant de nature à établir l'existence d'un élément objectif justifiant le comportement de l'employeur et à renverser la présomption de harcèlement, a entaché sa décision d'un défaut de réponse à conclusions et méconnu les exigences de l'article 455 du code de procédure civile ;
ET ALORS QUE, D'AUTRE PART, la qualification de harcèlement moral suppose qu'un lien de causalité soit établi entre les agissements imputables à l'employeur et, notamment, l'état de santé du salarié ; qu'en se bornant à indiquer que le docteur Y..., psychiatre, avait indiqué que « sa patiente » avait elle-même évoqué « un harcèlement de travail », ce qui était manifestement insuffisant à permettre de constater l'existence du lien de causalité requis, et en délaissant par ailleurs les conclusions par lesquelles l'exposante faisait état de l'existence d'un état dépressif chez la salariée imputable à des causes étrangères à l'entreprise, la cour d'appel a privé sa décision de motifs en violation de l'article 455 du code de procédure civile.