LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique, ci-après annexé, pris en ses diverses branches :
Attendu que, le 20 janvier 1992, un avion s'est écrasé à proximité du Mont Sainte-Odile ; que le 31 janvier suivant s'est créée l'association ECHO (l'association) regroupant des familles de victimes ; que l'information pénale ouverte immédiatement a été clôturée le 8 décembre 2005 par une ordonnance renvoyant plusieurs prévenus devant le tribunal correctionnel de Colmar qui, par jugement en date du 7 novembre 2006, a relaxé les prévenus et a accordé à l'association une somme de 500 000 euros au titre des frais irrépétibles ; que, par arrêt en date du 14 mars 2008, la cour d'appel a confirmé cette décision sur le plan pénal et a débouté l'association de l'ensemble de ses demandes ; que cette dernière a recherché la responsabilité de l'État pour fonctionnement défectueux du service public de la justice ;
Attendu que l'association fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué (Colmar, 18 septembre 2009) d'avoir rejeté son action en responsabilité contre l'État sur le fondement de l'article L. 781-1 du code de l'organisation judiciaire, devenu l'article L. 141-1 du même code ;
Attendu que l'arrêt retient, par motifs adoptés, qu'à aucun moment la procédure pénale n'est restée en souffrance sans qu'aucune diligence ne soit accomplie, que c'est au contraire la multiplication des diligences, et plus particulièrement des expertises, qui est à l'origine de la longueur de la procédure critiquée, que le rapport final de la commission d'enquête ainsi que l'ordonnance de renvoi permettent d'établir que de telles expertises étaient néanmoins indispensables en raison du caractère éminemment et exclusivement technique des faits ainsi qu'en l'absence de cause évidente susceptible d'expliquer l'accident survenu et que l'analyse de la chronologie des faits ne permet pas de stigmatiser une lenteur fautive imputable aux experts dans l'accomplissement de leur mission ; qu'ayant ainsi caractérisé la complexité de l'affaire, la cour d'appel a pu en déduire que le délai de traitement de la l'affaire n'était pas déraisonnable ; qu'elle a, dès lors, par ce seul motif et abstraction faite des motifs surabondants critiqués par les autres branches du moyen, légalement justifié sa décision ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne l'association ECHO aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-trois février deux mille onze.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Gaschignard, avocat aux Conseils pour l'association Entraide de la catastrophe du Mont Sainte-Odile.
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir débouté l'association ECHO de ses demandes tendant à obtenir la condamnation de l'Etat français à une provision à valoir sur les dommages-intérêts dus à raison de la durée excessive de la procédure,
AUX MOTIFS PROPRES QU'en ce qui concerne la durée de la procédure d'instruction, le jugement entrepris a relevé de façon précise et détaillée les nombreuses difficultés auxquelles se sont heurtés les différents experts et le magistrat instructeur ainsi que les évolutions du dossier nécessitant au fur et à mesure des investigations complémentaires ; qu'aucune carence ne peut être constatée, seules la complexité de l'enquête et les questions soulevées par les parties étant à l'origine de la durée exceptionnelle des opérations d'expertise dont l'Etat ne peut être tenu pour responsable ; que l'enquête administrative initiale ne faisant état que de probabilités, était loin d'être suffisante pour établir la vérité et les causes réelles de l'accident et les expertises judiciaires successives, dont les missions évoluaient en fonction des connaissances acquises n'étaient ni inutiles ni dilatoires ; que la demande portant sur un montant forfaitaire et provisionnel de 1.524.490,20 € pour le préjudice moral et matériel subi par l'Association ECHO sans explications particulières, n'est nullement justifiée ; que d'une part, l'association ECHO, en tant que personne morale, n'est pas susceptible d'éprouver un préjudice moral qui ne pourrait être que celui de ses membres, lesquels n'agissent pas personnellement dans la présente instance ; que d'autre part, les frais de fonctionnement de l'association ne sont pas imputables à la durée de la procédure pénale ; qu'en ce qui concerne les honoraires d'avocat exposés par l'association jusqu'en 2003, il n'est produit aucun justificatif de leur montant ; qu'en outre, il résulte de l'arrêt du 14 mars 2008, qui a autorité de chose jugée, que cette demande de l'association a été rejetée tant sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile que de l'article 475-1 du code de procédure pénale ;
ET AUX MOTIFS ADOPTES QUE le 20 janvier 1992, à 19 heures 20, un avion AIRBUS A 320 de la compagnie AIR INTER, s'est écrasé sur le mont «la BLOSS », entraînant le décès de 87 personnes et faisant 4 blessés graves ainsi que blessés légers ; qu'après clôture de l'instruction, par ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel en date du 8 décembre 2005, le début de l'audience de jugement en première instance a été fixé au 2 mai 2006 ; qu'il convient d'indiquer de prime abord qu'il est incontestable que la procédure pénale a été très longue, prolongeant la souffrance et le désarroi des victimes et de leurs ayants droits dans leur légitime exigence de vérité, de connaissance et de compréhension des causes de l'accident, ainsi que d'identification des éventuels responsables ; que pour autant, sur le plan juridique, le seul constat de la durée de cette procédure ne saurait permettre d'en tirer la conclusion automatique, de ce qu'il y aurait eu violation du délai raisonnable, dysfonctionnement du service public de la Justice ; qu'il résulte des pièces versées aux débats et il n'est nullement contesté qu'à aucun moment la procédure pénale n'est restée en souffrance sans qu'aucune diligence ne soit accomplie ; que c'est au contraire la multiplication des diligences et plus particulièrement des expertises qui est à l'origine de la longueur de la procédure critiquée ; que le rapport final de la commission d'enquête ainsi que l'ordonnance de renvoi permettent d'établir que de telles expertises étaient néanmoins indispensables en raison du caractère éminemment et exclusivement technique des faits ainsi qu'en l'absence de cause évidente susceptible d'expliquer l'accident survenu ; que par ailleurs, la multiplication des expertises, des compléments d'expertises, les divergences d'opinion, discussions et contradictions ne traduisent nullement en l'espèce une inaptitude des experts à conclure dans un délai raisonnable ou encore leur incapacité à mettre en oeuvre une démarche scientifique mais reflètent au contraire la conjonction de difficultés auxquelles ils se sont heurtés et leur volonté de n'omettre aucune hypothèse, d'être le plus exhaustif possible en ce qu'il est de leur mission de fournir aux non techniciens que sont les magistrats, l'ensemble des éléments et informations qui pourraient leur être utiles aux fins d'apprécier les responsabilités des personnes mises en cause ; que les experts ont tout d'abord été confrontés au fait que l'AIRBUS A 320 présentait à l'époque un caractère tout à fait innovant, sinon révolutionnaire et qu'il n'avait ainsi pas encore atteint sa maturité en particulier du fait des nombreux logiciels embarqués ; qu'en outre, cet accident s'est inscrit dans un contexte, une conjoncture économique et sociale bien particulière, en ce qu'à l'occasion de la mise en service de cet appareil novateur qu'était l'A 320, il régnait un climat social difficile lié à la décision de réduire l'équipage à seulement deux pilotes, de sorte qu'immédiatement des polémiques se sont élevées quant à une possible erreur humaine et que les investigations ont donc dû s'orienter tant du côté des facteurs humains que du côté des facteurs techniques, multipliant de fait les hypothèses à formuler et à vérifier au regard du peu d'éléments matériels dont disposaient les experts ; qu'ainsi une expertise complémentaire (en 1995) a été rendue nécessaire à cet égard ; qu'à ces difficultés d'ordre général se sont ajoutées des difficultés plus spécifiques, liées directement à l'accident en cause, en ce que l'enregistreur de paramètres (DFDR), plus communément connu sous le nom de « boite noire » et l'enregistreur de paramètres non protégé (QAR) avaient gravement été endommagés par le crash ; qu'il en est résulté une incertitude totale concernant les actions de l'équipage, empêchant formellement d'établir quelles étaient les données du plan vol affichées sur l'écran ; que l'élaboration de conclusions quant aux causes de l'accident a ainsi nécessairement dû passer par l'analyse d'une masse importante de données à décrypter qui a ensuite dû donner lieu à la formulation de toutes les hypothèses en lien avec ces éléments, puis, dans la mesure du possible, aux vérifications afférentes ; qu'il y a lieu de souligner que la mission confiée aux experts n'est pas restée figée pendant les quatorze années de procédure, mais qu'elle a au contraire évolué, voire changé au gré des premières conclusions émises, des observations formulées par les parties (prévenus ou parties civiles) ou par les experts eux-mêmes, ainsi que des nouvelles informations qui ont pu se faire jour en raison d'un plus grand recul par rapport à la connaissance générale de l'avion et de l'avancée des recherches, de la découverte progressive de nouveaux éléments ; qu'en outre, l'analyse de la chronologie des faits ne permet pas de stigmatiser une lenteur fautive imputable aux experts dans l'accomplissement de leur mission ; que le premier rapport afférent à l'expertise confiée à Messieurs X... et Y... n'a été déposé qu'en janvier 1995 mais l'ampleur de la mission et les difficultés particulières de la cause relevées dans les développements qui précèdent, justifient et expliquent un tel délai, exclusif de toute négligence ou inaptitude ; que par la suite, les délais ont été beaucoup plus courts (rapport complémentaire en novembre de la même année, expertise complémentaire ordonnée en mai 1996 avec un rapport déposé par chacun des deux experts désignés en juillet de la même année, soit moins de deux mois après avoir reçu leur mission, nouvelle expertise ordonnée, sur le VOR, en juillet 1996 avec un dépôt de rapport en novembre 1996, nouvelle ordonnance du juge d'instruction en janvier 1997, dépôt de rapports complémentaires successivement en mai et octobre 1997 ainsi que de deux rapports complémentaires en novembre 1997, expertise ordonnée par la chambre d'accusation de Colmar en mai 1998 à la demande de l'association ECHO avec une désignation de deux nouveaux experts en octobre 98, ayant donné lieu au dépôt d'un rapport en mars 2001, expertise de reconstitution en juin 2001, suite à la découverte de nouveaux éléments susceptibles de remettre en cause les précédentes conclusions, nouvelle expertise en avril-mai 2003 suivie d'un rapport en août 2004 ; que ce ne sont pas les expertises en elles-même qui ont été d'une longueur anormale mais que c'est leur multiplication, nécessaire au regard des circonstances particulières de la cause, qui est à l'origine de la durée de la procédure pénale ; que l'association ECHO fait valoir que les causes principales de l'accident étaient déjà explicitées dans le rapport de l'enquête administrative ; que c'est cependant faire abstraction du fait que le rapport de la commission d'enquête mentionne expressément les limites de son analyse et précise que le déroulement des faits retenus n'est que le scénario qu'elle estime probable de sorte qu'il ne peut être affirmé que les causes de l'accident étaient connues au moment du dépôt du rapport final de la commission alors que de nombreuses interrogations sur des points essentiels restaient sans réponse, nécessitant de fait des investigations supplémentaires dès lors qu'une information judiciaire était ouverte en raison des exigences procédurales du système pénal français ;
que des corrections et précisions à ces conclusions de la commission d'enquête ont pu être apportées par les experts judiciaires, notamment quant à la pente de descente de l'avion au-dessus de la Bloss, à l'inclinaison de l'appareil ; que la durée de la procédure ne saurait s'apprécier à l'aune du résultat dès lors qu'il est démontré que tous les moyens ont été mis en oeuvre pour établir les causes de l'accident et partant les responsabilités encourues et qu'il n'est nullement avéré que les diligences accomplies étaient inutiles sinon dilatoires ;
1° ALORS QUE toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue dans un délai raisonnable ; que quelle que soit la complexité des investigations et des expertises qui peuvent s'avérer utiles pour disposer du maximum d'éléments susceptibles d'éclairer les circonstances d'un accident, ne peut être regardé comme raisonnable un délai de près de quinze ans entre l'ouverture d'une information judiciaire et l'intervention d'un jugement en première instance ; qu'en retenant, par motifs adoptés, que «le seul constat de la durée de cette procédure ne saurait permettre d'en tirer la conclusion automatique, de ce qu'il y aurait eu violation du délai raisonnable» quand seul le comportement fautif de la victime serait susceptible de constituer une cause exonératoire de responsabilité, la cour d'appel a violé, par refus d'application, les articles L. 141-1 du Code de l'organisation judiciaire et 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme ;
2° ALORS subsidiairement QUE les juges du fond ne peuvent écarter toute violation du délai raisonnable de jugement sans constater qu'à chaque étape de la procédure, le dossier a évolué avec la célérité que sont en droit d'attendre les justiciables ; que l'association exposante faisait valoir en particulier que plusieurs des experts commis par les magistrats instructeurs avaient rendu leurs rapports bien après qu'avait expiré le délai qui leur avait été imparti en application de l'article 160 du Code de procédure pénale ; qu'en écartant la demande par des motifs abstraits tirés de la complexité des données techniques à prendre en considération et de la multiplicité des investigations rendues nécessaires sans rechercher si le magistrat instructeur avait veillé à ce que les experts rendent leurs conclusions dans les délais qui leur étaient impartis, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 141-1 du Code de l'organisation judiciaire et 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme ;
3° ALORS QUE l'agent judiciaire du Trésor, dans ses conclusions devant la cour d'appel de Colmar ne contestait nullement qu'une association pût souffrir un préjudice moral en raison de la durée excessive de la procédure ; qu'en relevant d'office un moyen tiré de ce qu'une association «n'est pas susceptible d'éprouver un préjudice moral », la cour d'appel a méconnu les exigences de la contradiction et violé l'article du Code de procédure civile ;
4° ALORS QU'une association, personne morale partie à un procès, peut se voir accorder des dommages et intérêts en réparation du préjudice moral causé par la durée excessive de la procédure ; qu'en affirmant qu'une association, en tant que personne morale, « n'est pas susceptible d'éprouver un préjudice moral qui ne pourrait être que celui de ses membres », la cour d'appel a violé les articles L. 141-1 du Code de l'organisation judiciaire et 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, ensemble les principes généraux découlant de l'existence de la personnalité morale ;
5° ALORS QU'il n'était pas contesté que l'association ECHO avait supporté des frais substantiels pour la conduite de la procédure devant les juridictions répressives, seul étant discuté le quantum de ces frais ; que leur réalité était d'autant moins contestable que le tribunal correctionnel avait alloué à l'association une somme de 500.000 € au titre des frais irrépétibles ; qu'en déboutant l'association de sa demande de provision au motif qu'elle ne justifiait pas précisément des sommes qu'elle avait exposées sans rechercher si la prolongation de l'instruction d'une affaire dans laquelle l'association était partie civile n'avait pas nécessairement exposé l'association à un accroissement de ses frais de fonctionnement et des honoraires dus à ses avocats, quitte à ordonner une mesure d'instruction destinée à chiffrer le préjudice afférent, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 141-1 du Code de l'organisation judiciaire et 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme ;
6° ALORS QUE la décision de la juridiction répressive qui écarte l'allocation de toute indemnité au profit de la partie civile soit sur le fondement de l'article 475-1 du Code de procédure pénale, motif pris que de tels frais ne peuvent être mis à la charge que d'une personne pénalement condamnée, soit sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, motif pris que le texte n'est pas applicable devant la juridiction répressive, ne fait nullement obstacle à ce que cette même partie civile se prévale, à l'égard de l'Etat et à l'appui d'une action en responsabilité fondée sur le dysfonctionnement du service public de la justice, de l'accroissement indu des frais d'avocat auxquels elle a été exposée à raison de la durée excessive de la procédure ; qu'en rejetant la demande dont elle était saisie au motif, inopérant, que l'arrêt du 14 mars 2008, «qui a autorité de chose jugée » a rejeté la demande de l'association tant sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile que de l'article 475-1 du Code de procédure pénale, la cour d'appel a violé l'article 1351 du Code civil.