LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique, pris en sa première branche :
Vu les articles 4 et 5 du code de procédure civile ;
Attendu selon l'arrêt attaqué, que la société AEPO + 77 a été mise en redressement puis liquidation judiciaires par jugements des 18 septembre et 16 octobre 2006, M. X... étant nommé liquidateur ; que ce dernier a fait assigner Mme Y..., gérante de droit, et M. Z..., gérant de fait (les dirigeants) pour obtenir leur condamnation à supporter le passif de la société et voir prononcer à leur encontre une interdiction de gérer ; que la SCP B... et C... a été désignée en qualité de liquidateur judiciaire en remplacement de M. X... le 13 mars 2008 ; que le tribunal a retenu des fautes de gestion à l'encontre des dirigeants, les a condamnés solidairement au paiement d'une somme représentant une partie du passif social, et a prononcé à leur encontre une interdiction de gérer ;
Attendu que pour annuler le jugement, l'arrêt retient que ce dernier vise expressément " le rapport du juge-commissaire ", lequel n'est pas au dossier, et ne mentionne en aucune façon que M. Z... et Mme Y... ont été en mesure d'en prendre connaissance, et que ce rapport n'a pas pu être développé oralement puisque M. A..., juge-commissaire, ne figure pas parmi les personnes énumérées en dernière page du jugement comme étant présentes à l'audience ;
Attendu qu'en statuant ainsi et en relevant l'absence de rapport du juge-commissaire alors que dans leur conclusions les dirigeants, qui soulevaient la nullité du jugement en raison d'une part de l'absence de désignation d'un juge commis en application de l'article L651-4 du code de commerce, et d'autre part de l'absence de rapport établi par ce juge, soutenaient que les dispositions de l'article 318 du décret du 28 décembre 2005, en ses 1er et dernier alinéas, faisaient obligation au tribunal de désigner un juge qui ne saurait-être le juge-commissaire, la cour a méconnu l'objet du litige et violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 5 novembre 2009, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ;
Condamne M. Z... et Mme Y... aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du premier février deux mille onze.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle et Hannotin, avocat aux Conseils pour la SCP B... et C...
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir annulé le jugement déféré en toutes ses dispositions, d'avoir condamné la SCP B...- C..., en sa qualité de liquidateur à la liquidation judiciaire de l'entreprise AEPO + 77, à verser à M. Marie Z... et à Mlle Delphine Y... la somme de 3. 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, et d'avoir rejeté toutes autres demandes ;
Aux motifs que « la SARL AEPO + 77, ayant pour gérante Mlle Delphine Y..., a été immatriculée au RCS de Melun le 26 décembre 2003 ; qu'elle a pour activité le négoce de véhicules neufs et d'occasion, de pièces détachées, matériel roulant et de manutention, démolition et récupération de tous matériaux et matériel de ré-emploi ; que, par jugement prononcé le 18 septembre 2006, le Tribunal de commerce de Melun a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'égard de cette société en fixant la date de cessation des paiements au 11 octobre 2005 ; que la liquidation judiciaire a été prononcée par jugement du 16 octobre 2006, Maître X... étant désigné en qualité de liquidateur ; que par acte du 14 novembre 2007, Maître X... a fait assigner en comblement de passif M. Marie Z... et Mme Delphine Y... ; que le jugement déféré a retenu à l'encontre du premier, gérant de fait, et de la seconde, gérante de droit, un défaut de comptabilité ou à tout le moins la tenue d'une comptabilité incomplète ainsi que des fautes de gestion ayant consisté à poursuivre abusivement une activité déficitaire devant nécessairement conduire à la cessation des paiements de la personne morale et à ne pas avoir déclaré l'état de cessation des paiements ; que les appelants demandent à la Cour « in limine litis et à titre principal » de prononcer la nullité de l'assignation signifiée le 14 novembre 2007 ainsi que la nullité de la procédure qui a suivi et du jugement prononcé le 24 septembre 2008 tant du chef des demandes de comblement de passif que des demandes d'interdiction de gérer en raison du non respect du délai de citation, de l'absence de mention de ce que les personnes citées doivent comparaître personnellement et du défaut de rapport du juge-commissaire ; que la SCP B...- C..., ès qualités, s'y oppose en soutenant qu'au jour de délivrance de l'assignation, le 14 novembre 2007, le délai de convocation de un mois n'était pas prévu par les textes et qu'en toute hypothèse son non respect n'a causé aucun grief puisque l'affaire a été plusieurs fois renvoyée ; que de plus ce moyen n'a pas été soulevé avant toute défense au fond ; que, pour ces mêmes motifs, doit être rejetée la contestation portant sur l'absence de mention relative à la comparution personnelle ; qu'enfin la désignation du juge rapporteur et le rapport ne constituent que de simples facultés pour le tribunal ; que l'assignation « en comblement de passif » délivrée le 14 novembre 2007 à M. Z... et à Mlle Y... à la requête de Maître X..., ès qualités de liquidateur de la société AEPO + 77, a pour objet une comparution le lundi 10 décembre 2007 à 9 heures devant le Tribunal de commerce de Melun avec faculté de représentation ou d'assistance ; que le corps de l'assignation vise les articles L. 652-1 et L. 653-1 5 du Code de commerce dont il convient de rappeler que le premier se rapporte à « l'obligation aux dettes sociales » et le second à « la faillite personnelle et autres mesures d'interdiction » ; que la partie réglementaire de ces textes, issue du décret du 25 mars 2007, figure aux articles R. 652-1 et suivants et R. 653-1 et suivants du Code de commerce dans leur rédaction au 14 novembre 2007 ; qu'il résulte des dispositions de l'article R. 662-12 que « Le Tribunal statue sur rapport du juge-commissaire sur tout ce qui concerne la sauvegarde (…) y compris l'action en responsabilité pour insuffisance d'actif ou en obligation aux dettes sociales, la faillite personnelle ou l'interdiction prévue à l'article L. 653-8 (…) » ; que, de plus, s'agissant de l'obligation aux dettes sociales, l'article R. 652-2 du Code de commerce prévoit que « les dispositions des articles R. 651-4 à R. 651-6 sont applicables », ces dispositions se rapportant à la responsabilité pour insuffisance d'actif ; que, selon l'article R. 651-5 pris en application des articles L. 651-2 et L. 651-4 du Code de commerce applicables à l'espèce, « (…) Ce rapport (celui du juge commissaire) est déposé au greffe. (…) Le ou les dirigeants mis en cause sont avertis par le greffier, au moins un mois avant la date de l'audience, qu'ils peuvent en prendre connaissance » ; que, dans la présente espèce, le jugement déféré vise expressément le rapport du juge commissaire (page 6) mais ne mentionne en aucune façon que M. Z... et Mlle Y... ont été en mesure d'en prendre connaissance ; que, par courrier du 18 mai 2009 adressé au conseil des appelants, le greffier du Tribunal de commerce de Melun indique que le rapport du juge-commissaire ne figure pas au dossier ; que, de plus, ce rapport n'a pas pu être développé oralement puisque M. A..., juge-commissaire, ne figure pas dans les personnes présentes à l'audience énumérées en dernier page du jugement ; que, dans ces conditions, il convient de prononcer la nullité du jugement sans effet dévolutif puisque la nullité affecte la saisine du Tribunal qui s'est prononcé au vu d'un rapport non communiqué ou inexistant ; » (arrêt attaqué, p. 3) ;
1° Alors que le juge doit respecter les termes du litige tels qu'ils ressortent des conclusions des parties ; qu'au cas présent, dans leurs conclusions d'appel (pp. 9 et 10), M. Z... et Mlle Y... se plaignaient de l'absence de désignation d'un rapporteur distinct du juge-commissaire (« ce juge désigné ne saurait être le juge-commissaire ») ; qu'en considérant (arrêt attaqué, p. 3, alinéas 2 à 4) que le moyen aurait porté sur les conditions d'établissement et de transmission du rapport du juge-commissaire, la cour d'appel a méconnu les termes du litige, en violation des articles 4 et 5 du Code de procédure civile ;
2° Alors que le juge ne peut relever d'office un moyen de droit sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations ; qu'au cas présent, le moyen relatif aux conditions d'établissement du rapport du juge-commissaire ne ressortait pas des conclusions des parties ; qu'en se fondant sur ce moyen, soulevé d'office, sans mettre les parties préalablement en mesure de présenter leurs observations, la cour d'appel a méconnu le principe du contradictoire, en violation de l'article 16 du Code de procédure civile ;
3° Alors en tout état de cause que le rapport qui, aux termes de l'article R. 651-5 du Code de commerce, dans sa rédaction applicable en la cause, doit être déposé au greffe et mis à la disposition des dirigeants, est le rapport éventuellement établi par le juge, distinct du juge-commissaire, que le président du tribunal a la faculté de désigner ; qu'en considérant, au cas d'espèce, que ce dépôt et cette mise à disposition visaient le rapport du juge-commissaire, la cour d'appel a violé l'article R. 651-5 du Code de commerce, dans sa rédaction applicable à la cause ;
4° Alors par ailleurs que les mentions d'un jugement valent jusqu'à inscription de faux ; qu'au cas présent, il ressort des mentions du jugement entrepris que le tribunal s'est prononcé en fonction de ce qui « ressort (…) du rapport de Monsieur le Juge-Commissaire » ; qu'en remettant en cause l'existence de ce rapport, allant jusqu'à dire qu'il serait « inexistant » (arrêt attaqué, page 3, dernier alinéa, in fine), la cour d'appel a violé l'article 457 du Code de procédure civile ;
5° Alors en outre que les pièces sur lesquelles les juges de fond se sont appuyés et dont la production n'a pas donné lieu à incident sont réputées, sauf preuve contraire, avoir été régulièrement versées aux débats ; qu'au cas présent, le rapport visé expressément par le jugement n'a donné lieu à aucun incident en première instance ; qu'en considérant que le rapport du juge-commissaire n'aurait pas été communiqué aux parties aux motifs que ladite communication n'est pas mentionnée dans le jugement, la cour d'appel a violé l'article 16 du Code de procédure civile ;
6° Alors également que les pièces sur lesquelles les juges de fond se sont appuyés et dont la production n'a pas donné lieu à incident sont réputées, sauf preuve contraire, avoir été régulièrement versées aux débats ; que les documents postérieurs au jugement contesté ne sauraient constituer cette preuve contraire ; qu'en se fondant, au cas présent, pour annuler un jugement en date du 24 septembre 2008 sur une lettre de greffe du 18 mai 2009, de huit mois postérieure au jugement entrepris, la cour d'appel a violé l'article 16 du Code de procédure civile ;
7° Alors subsidiairement que lorsqu'un appel tend à l'annulation d'un jugement, et que la cour d'appel accueille le moyen de nullité, elle se trouve saisie, par l'effet dévolutif de l'appel, du litige dans son ensemble ; qu'il n'en va différemment, en matière de sanctions des dirigeants de sociétés en liquidation judiciaire, que quand la nullité affecte l'acte de saisine du tribunal, mais non lorsque la cause de nullité invoquée affecte uniquement la régularité de la procédure suivie, après saisine régulière ; qu'en considérant, au cas présent, que l'inexistence ou la non communication du rapport du juge-commissaire affecterait la saisine du tribunal, de sorte qu'elle ne serait pas saisie du fond de litige, après avoir accueilli le moyen de nullité, cependant que le rapport litigieux n'étant pas l'acte de saisi du tribunal, la cour d'appel a violé l'article 562 du Code de procédure civile ;
8° Alors de la même façon que l'absence ou le défaut de communication du rapport, quand il est établi, affecte, au pire, la régularité de la procédure suivie, mais non la saisine du juge, le rapport n'étant pas un acte de saisine du juge ; qu'au cas présent, en considérant au contraire que la régularité de la saisine du tribunal serait affectée par l'irrégularité retenue concernant le rapport, la cour d'appel a violé l'article 562 du Code de procédure civile.