LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Agen, 13 octobre 2009), que M. X..., directeur de la Mutuelle médico-chirurgicale, aux droits de laquelle vient la société Mutuelle de France Sud, et délégué syndical, a été convoqué le 25 juillet 2003 à un entretien préalable à un licenciement pour motif économique ; qu'il a signé le même jour avec son employeur un acte prévoyant le versement à son profit, en conséquence de son licenciement économique, d'une somme de 152 000 euros ; que le licenciement ayant été autorisé par décision de l'inspecteur du travail, le salarié a été licencié le 3 novembre 2003 et n'a perçu qu'une somme de 84 725,29 euros ; qu'il a saisi la juridiction prud'homale d'une demande en paiement du complément cependant qu'il contestait devant le juge administratif l'autorisation de licenciement qui avait été délivrée par l'inspecteur du travail ; que par arrêt infirmatif du 9 mai 2006, devenu irrévocable, la cour d'appel a jugé que le document du 25 juillet 2003 s'analysait en un engagement unilatéral de l'employeur de verser la somme fixée en cas de licenciement économique, condamné en conséquence l'employeur à verser au salarié le solde dû, soit 67 274,71 euros, sursis à statuer sur un autre engagement souscrit par l'employeur le 26 décembre 2001 ainsi que sur la demande de réintégration formée par M. X... jusqu'à décision du juge administratif ; que celui-ci, par décision devenue irrévocable, ayant annulé l'autorisation de licenciement de l'inspection du travail, le salarié a demandé au juge judiciaire de condamner la Mutuelle à lui payer des indemnités par application des articles L. 1235-3 et L. 2422-4 du code du travail ; que la Mutuelle a, de son côté, sollicité reconventionnellement qu'une compensation soit ordonnée entre sa condamnation et la somme de 67 274, 71 euros versée au salarié en exécution de l'arrêt du 9 mai 2006 ;
Sur le premier moyen :
Attendu que la Mutuelle fait grief à l'arrêt de la déclarer irrecevable en sa demande reconventionnelle en paiement par compensation de la somme de 67 274, 71 euros et de fixer en conséquence à 136 411, 45 euros le montant de l'indemnité due par l'employeur sur le fondement de l'article L. 2422-4 du code du travail, alors selon le moyen, que l'autorité de la chose jugée ne peut être opposée lorsque des événements postérieurs sont venus modifier la situation antérieurement reconnue en justice ; qu'en se fondant sur l'autorité de la chose jugée de l'arrêt rendu par la cour d'appel d'Agen le 9 mai 2006, lequel avait condamné la Mutuelle de Fance Sud à verser au salarié la somme complémentaire de 67 274,71 euros au titre d'un «engagement unilatéral de l'employeur de verser à Jean-Pierre X..., en raison de son licenciement économique, la somme de 152 000 euros», pour déclarer irrecevable la demande reconventionnelle de la Mutuelle en restitution de cette somme, quand la décision rendue postérieurement par la juridiction administrative et annulant l'autorisation de licenciement délivrée par l'inspecteur du travail constituait un fait juridique nouveau privant l'arrêt du 9 mai 2006 de l'autorité de la chose jugée à l'égard de la seconde instance, la cour d'appel d'Agen a violé l'article 1351 du code civil ;
Mais attendu que l'arrêt du 9 mai 2006 ayant retenu que l'engagement de payer la somme de 152 000 euros avait été pris par l'employeur sans condition, la cour d'appel était fondée à juger irrecevable la demande de l'employeur tendant à la restitution de la somme qu'il a été condamné à payer à ce titre, dès lors que l'annulation de l'autorisation de licenciement ne remettait pas en cause les droits reconnus par ce premier arrêt, nés de la seule rupture du contrat de travail ; que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le second moyen :
Attendu que la Mutuelle fait grief à l'arrêt de dire le licenciement de M. X... dépourvu de cause réelle et sérieuse et de la condamner à lui verser des dommages-intérêts pour licenciement injustifié, alors selon le moyen, que dans le cadre de son obligation de reclassement interne du salarié, l'employeur n'est tenu de proposer que les postes disponibles au sein de l'entreprise ; qu'en se bornant à affirmer que «l'employeur ne justifie pas avoir effectivement et sérieusement tenté de reclasser le salarié au sein de l'entreprise en recherchant les emplois disponibles de même catégorie ou, à défaut, de catégorie inférieure, et en lui proposant, au besoin, une modification de son contrat de travail», pour déclarer le licenciement de M. X... sans cause réelle et sérieuse, sans cependant rechercher si, comme le soutenait la Mutuelle de France Sud dans ses conclusions d'appel, l'absence de toute proposition concrète et précise de reclassement interne du salarié n'était pas justifiée par l'inexistence avérée d'un quelconque poste de travail disponible, même de qualification inférieure, au sein de la Mutuelle, la cour d'appel d'Agen a privé sa décision de toute base légale au regard de l'article L. 1233-4 du Code du travail ;
Mais attendu que la décision du juge administratif se prononçant sur la cause économique du licenciement ayant retenu que celle-ci n'était pas établie, s'oppose à ce que le juge judiciaire, appréciant les mêmes faits, décide que le licenciement reposait sur une cause réelle et sérieuse ; que par ce motif de pur droit substitué à celui critiqué, et après avis donné aux parties, l'arrêt se trouve justifié ; que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Mutuelle de France Sud aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, la condamne également à payer à M. X... la somme de 2 500 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du premier février deux mille onze.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Lyon-Caen, Fabiani et Thiriez, avocat aux Conseils pour la société Mutuelle de France Sud
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir déclaré la MUTUELLE DE FRANCE SUD irrecevable en sa demande reconventionnelle en paiement par compensation de la somme de 67 274,71 € et d'avoir, en conséquence, fixé à 136 411,45 € le montant de l'indemnité due par l'employeur sur le fondement de l'article L2422-4 du Code du travail ;
AUX MOTIFS QUE la MUTUELLE DE FRANCE SUD fait valoir qu'en exécution de l'arrêt rendu par cette cour le 9 mai 2006, elle a versé à Jean-Daniel X... la somme de 67 274,71 € au titre de son engagement unilatéral du 25 juillet 2003 et ce, alors que, selon son analyse, cet engagement aurait perdu sa cause par suite de l'annulation de l'autorisation administrative de licenciement ; qu'elle en déduit qu'elle est fondée à demander la restitution de cette somme, par compensation avec la somme due à Jean-Daniel X... ; or, comme le relève celui-ci, cette demande se heurte à l'autorité de la chose jugée attachée à l'arrêt du 9 mai 2006, conformément aux dispositions de l'article 480 du Code de procédure civile ;
ALORS QUE l'autorité de la chose jugée ne peut être opposée lorsque des événements postérieurs sont venus modifier la situation antérieurement reconnue en justice ; qu'en se fondant sur l'autorité de la chose jugée de l'arrêt rendu par la Cour d'appel d'Agen le 9 mai 2006, lequel avait condamné la MUTUELLE DE FRANCE SUD à verser au salarié la somme complémentaire de 67 274,71 € au titre d'un « engagement unilatéral de l'employeur de verser à Jean-Pierre X..., en raison de son licenciement économique, la somme de 152 000 euros », pour déclarer irrecevable la demande reconventionnelle de la Mutuelle en restitution de cette somme, quand la décision rendue postérieurement par la juridiction administrative et annulant l'autorisation de licenciement délivrée par l'inspecteur du travail constituait un fait juridique nouveau privant l'arrêt du 9 mai 2006 de l'autorité de la chose jugée à l'égard de la seconde instance, la Cour d'appel d'Agen a violé l'article 1351 du Code civil.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
Il est reproché à l'arrêt attaqué d'avoir jugé que le licenciement de Monsieur X... était dépourvu de toute cause réelle et sérieuse et d'avoir, en conséquence, condamné la MUTUELLE DE FRANCE SUD à verser au salarié la somme de 50 375 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement injustifié ;
AUX MOTIFS QUE selon la lettre adressée au salarié le 3 novembre 2003, l'employeur a procédé au licenciement pour les motifs suivants : « (…) nous sommes contraints de procéder à votre licenciement pour motif économique. En effet, les difficultés économiques que rencontre notre mutuelle, difficultés confirmées par les conclusions de l'audit des cabinets HSD ERNST et YOUNG et AGEAL que nous avons reçu le 5 septembre 2003, et l'obligation de trouver un partenaire agréé en matière d'assurance pour permettre à notre mutuelle de suppléer l'absence d'agrément pourtant indispensable à l'exercice de l'activité nous obligent à supprimer votre poste de directeur. C'est donc avec regret que nous sommes contraints de nous séparer de vos services afin d'essayer de restreindre lesdites difficultés susceptibles de mettre en cause la poursuite de l'activité de notre mutuelle. Compte tenu de votre statut de salarié protégé, nous avons demandé l'autorisation à l'inspection du travail qui nous a notifié sa décision d'acceptation en date du 27 octobre 2003. Cette autorisation délivrée par l'inspection du travail dispose notamment que "les éléments complémentaires fournis par la direction de MMC permettent d'établir la réalité des difficultés économiques susceptibles de mettre en cause la poursuite de l'activité de la mutuelle…aucun poste vacant ne permet d'envisager la poursuite du contrat de travail (…) »; que s'agissant d'un licenciement économique, l'article L 1233-4 (ancien article L 321-1 alinéa 3 issu de la loi n°2002-73 du 17 janvier 2002) dispose qu'il ne peut intervenir que lorsque tous les efforts de formation et d'adaptation ont été réalisés et que le reclassement de l'intéressé ne peut être opéré dans l'entreprise ou dans les entreprises du groupe auquel l'entreprise appartient ; que ces dispositions précisent que le reclassement du salarié s'effectue sur un emploi relevant de la même catégorie que celui qu'il occupe ou sur un emploi équivalent et qu'à défaut, et sous réserve de l'accord exprès du salarié, le reclassement s'effectue sur un emploi d'une catégorie inférieure ; qu'il en résulte que l'employeur doit justifier qu'il a effectivement recherché les possibilités de reclassement du salarié avant de lui notifier son licenciement ; que faute pour l'employeur d'avoir satisfait à cette obligation, le licenciement du salarié est dépourvu de cause réelle et sérieuse ; qu'en l'espèce, pour justifier qu'elle a satisfait à son obligation, la MUTUELLE DE FRANCE SUD se borne à produire les réponses négatives que lui ont adressées deux autres mutuelles qu'elle a contactées pour envisager le reclassement externe de Jean-Daniel X... ; que ce faisant, l'employeur ne justifie pas avoir effectivement et sérieusement tenté de reclasser le salarié au sein de l'entreprise en recherchant les emplois disponibles de même catégorie ou, à défaut, de catégorie inférieure, et en lui proposant, au besoin, une modification de son contrat de travail ;
ALORS QUE dans le cadre de son obligation de reclassement interne du salarié, l'employeur n'est tenu de proposer que les postes disponibles au sein de l'entreprise ; qu'en se bornant à affirmer que « l'employeur ne justifie pas avoir effectivement et sérieusement tenté de reclasser le salarié au sein de l'entreprise en recherchant les emplois disponibles de même catégorie ou, à défaut, de catégorie inférieure, et en lui proposant, au besoin, une modification de son contrat de travail », pour déclarer le licenciement de Monsieur X... sans cause réelle et sérieuse, sans cependant rechercher si, comme le soutenait la MUTUELLE DE FRANCE SUD dans ses conclusions d'appel, l'absence de toute proposition concrète et précise de reclassement interne du salarié n'était pas justifiée par l'inexistence avérée d'un quelconque poste de travail disponible, même de qualification inférieure, au sein de la Mutuelle, la Cour d'appel d'Agen a privé sa décision de toute base légale au regard de l'article L 1233-4 du Code du travail.