LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique, pris en sa deuxième branche :
Vu les articles 1148, 1927 et 1933 du code civil ;
Attendu que, si le dépositaire n'est tenu que d'une obligation de moyens, il lui incombe, en cas de perte ou détérioration de la chose déposée, de prouver qu'il y est étranger, en établissant qu'il a donné à cette chose les mêmes soins que ceux qu'il aurait apportés à la garde de celles qui lui appartiennent ou en démontrant que la détérioration est due à la force majeure ; que, par principe, le fait du débiteur ou de son préposé ou substitué ne peut constituer la force majeure ;
Attendu que des marchandises appartenant aux sociétés l'Oréal, Gemey Paris-Maybelline New-York, Gemey Maybelline Garnier, stockées dans l'entrepôt de la société Giraud logistique, aux droits de qui se trouve la société Premium logistics France, ont été détruites par un incendie criminel ; qu'en qualifiant le fait en force majeure exonératoire de la responsabilité du dépositaire, sans relever, malgré les conclusions dont elle était saisie, qu'il fût dû à une personne étrangère à l'entreprise, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 13 janvier 2009, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ;
Condamne la société Premium logistics France aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quatorze octobre deux mille dix.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par de la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle et Hannotin, avocat aux Conseils pour les sociétés Chartis Europe, l'Oréal, Gemey Paris-Maybelline New York et Gemey Maybelline Garnier ;
Il est reproché à l'arrêt confirmatif attaqué d'avoir dit que l'incendie survenu le 25 avril 2002 dans les locaux d'une société dépositaire (la société PREMIUM LOGISTICS FRANCE anciennement GIRAUD LOGISTIQUE) trouvait sa cause dans un fait criminel constitutif d'un cas de force majeure et d'avoir en conséquence débouté les sociétés propriétaires des marchandises incendiées (L'OREAL, GEMEY PARIS MAYBELINE NEW YORK, GEMEY MAYBELLINE GARNIER) et leur assureur (AIG EUROPE) de leurs demandes indemnitaires ;
AUX MOTIFS PROPRES QU 'il n'existait pas en la cause de document relatif à un dépôt salarié liant les assurées victimes du sinistre et le dépositaire, lequel était donc tenu vis-à-vis des premières d'une simple obligation de moyens ; qu'il résultait des éléments du dossier que l'incendie du 25 avril 2000 avait pris naissance dans la cellule n° 1 d'un entrepôt constitué de 4 cellules mitoyennes isolées par des portes coupe feu ; que le colonel Y..., qui avait été chargé de l'enquête notait dans son rapport (page 21) qu'il existait 2 zones dans lesquelles le feu avait été particulièrement violent, lesquelles zones étaient situées à 80 mètres de distance et séparées par un « monumental stockage de carrelages » ; que l'expert précisait que « entre les deux zones … le bâtiment a gardé son intégrité pratiquement intacte de toute agression thermique », situation qui conduisait l'expert à la conclusion suivante ; «il est donc évident, considérant l'invraisemblance d'une origine électrique et l'impossibilité d'un transfert de feu d'une extrémité à l'autre de la cellule 1 que cet incendie trouve naissance simultanément en deux endroits différents (2 zones de mise à feu) et qu'il ne peut s'agir que d'un acte volontaire et criminel, l'expert ajoutant que « en la matière, l'incendiaire a pu utiliser un accélérant, mais dans tous les cas l'orientation verticale depuis le bas des stockages d'un feu très vif dès l'origine est évidente. La configuration des lieux et notamment la destruction totale des toitures très tôt, permettent bien de visualiser les 2 zones de feu à l'arrivée des secours et de ne relever aucune trace de circulation d'effluents gazeux probants entre les deux secteurs détruits » ; que s'il était exact que la cellule 1 n'était pas munie de sprinklers, à la différence des autres cellules, cette circonstance était sans incidence sur le déclenchement du sinistre lequel avait, en tout état de cause, été signalé par la mise en fonctionnement du sprinkler de la cellule n°3 mitoyenne ; qu'il ne résultait par ailleurs d'aucune des observations contenues dans le rapport de l'expert que le fait qu'une des portes coupe feu séparant la cellule n°1 de la cellule n°3, restée ouverte, (un cariste ayant circulé quelque temps avant l'incendie entre les deux cellules) eût été à l'origine d'une aggravation de la propagation de l'incendie ; qu'il s'ensuivait qu'aucun manquement du dépositaire dans la garde des marchandises qui lui étaient confiées ne pouvait être mis en évidence, ce dont il résultait que c'était à juste titre que les premiers juges avaient retenu que l'origine criminelle de l'incendie constituait une cause exonératoire de la responsabilité dudit dépositaire (arrêt page 4) ;
ET AUX MOTIFS REPUTES ADOPTES QU' en application des dispositions de l'article 1927 du Code civil, le dépositaire devait apporter dans la garde de la chose déposée, les mêmes soins qu'il apportait dans la garde des choses qui lui appartenaient ; que le dépositaire était tenu d'un obligation de moyens, qu'il avait la charge de prouver qu'il était étranger à la détérioration de la chose qu'il avait reçue en dépôt notamment en démontrant la survenance d'un accident de force majeure ; qu'il résultait de l'article 1148 du code civil que la force majeure devait revêtir les caractères d'imprévisibilité, d'irrésistibilité et d'extériorité ; qu'il appartenait donc à la société défenderesse, qui invoquait la force majeure, d'établir que ces trois conditions étaient réalisées ; que la société MMA soutenait que son assurée était exonérée de toute responsabilité en raison de l'existence d'une force majeure due au fait que l'incendie serait d'origine criminelle ; que le rapport du Lieutenant-Colonel Y..., qui était expert près la cour d'appel d'Orléans, qui reposait sur un examen approfondi des éléments soumis à son analyse, méritait de servir de base à l'appréciation du tribunal ; que le Lieutenant-Colonel Y... soulignait : « il est donc évident, considérant l'invraisemblance d'une origine électrique et l'impossibilité d'un transfert du feu d'une extrémité à l'autre de la cellule 1, que cet incendie trouve naissance simultanément dans deux endroits différents et qu'il ne peut s'agir que d'acte volontaire et criminel. En la matière, l'incendiaire a pu utiliser un accélérant, mais dans tous les cas l'orientation verticale depuis le bas des stockages d'un feu très vif dès l'origine est évidente » (page 22) ; qu'il précise en page 23 que « cette source de chaleur a eu pour effet de développer, en deux endroits distincts et opposés, un feu vif, actif, rapide, s'orientant verticalement sur les neuf mètres de hauteur du bâtiment » ; qu'il ajoutait « l'origine du feu n'est ni accidentelle ni le fruit du hasard mais bien la volonté d'un incendiaire ayant vraisemblablement utilisé un accélérant en partie basse des racks stockant les matériels et produits combustibles » (page 24) ; que Monsieur Y... concluait que l'incendie litigieux « n'est pas d'origine accidentelle ni fortuite mais qu'il est la résultante d'un acte de malveillance lui ayant nécessairement donné naissance en deux secteurs distincts, occasionnant de graves dégâts aux structures et aux stockages, générant une perte d'exploitation importante » (page 25) ; que les demanderesses faisaient observer que certains éléments de l'enquête contredisaient cette conclusion ; notamment que Monsieur Z..., responsable de plate-forme pensait qu'un fumeur pourrait être à l'origine de l'incendie ; que Monsieur A..., directeur régional du groupe GIRAUD Logistiques ne pensait pas qu'il s'agissait d'un acte intentionnel ; que Monsieur B..., chef de centre incendie et de secours des sapeurs pompiers avait d'abord émis l'hypothèse de deux départs de feu puis avait indiqué « il peut s'agir d'un même départ de feu qui s'est rapidement propagé sur l'ensemble du bâtiment» «je n'ai rien remarqué de suspect pendant mon intervention » ; que Monsieur C..., chef d'équipe à la société GIRAUD émettait des doutes sur le fait que l'incendie serait un acte volontaire ; que Monsieur D..., employé chez GIRAUD, précisait qu'il y avait des aérosols dans les cartons de cosmétiques qui n'auraient pas dû être stockés dans ce bâtiment 1 qui ne devait pas renfermer de produits dits sensibles et que le feu s'était déclenché dans un endroit où si une personne étrangère au service avait été présente, elle aurait été aperçue ; que cependant, ces éléments étaient insuffisants pour contredire les constatations et les conclusions de l'expert judiciaire ; qu'il s'agissait d'une façon générale de l'opinion de divers témoins ne possédant pas les qualifications requises pour apprécier correctement les origines et causes de l'incendie litigieux ; que le procès-verbal d'enquête de gendarmerie concluait « de l'enquête il ressort qu'aucun renseignement permettant de déterminer l'origine de l'incendie ayant entièrement détruit le bâtiment n°1 et occasionné les dégâts au bâtiment administratif n°2 n'a été recueilli. Aucun élément ne s'oppose aux conclusions du Colonel Y..., expert près la cour d'appel, à savoir que l'origine de cet incendie résulterait d'un acte de malveillance » ; qu'il résulte à l'évidence des éléments du dossier, tant de l'expertise que du rapport de la Gendarmerie, que l'incendie du 25 avril 2002 avait une origine criminelle ; que le caractère criminel de l'incendie qui donnait à cet événement les trois caractères d'extériorité, d'imprévisibilité et d'irrésistibilité, constitutifs de la force majeure serait donc retenu ; qu'il résultait des vérifications opérées par les services de la gendarmerie que des extincteurs se trouvaient sur place (page 3 du procès-verbal de rapport et constatations) ; que le rapport du Colonel Y... relevait que « le bâtiment sinistré s'inscrivait dans un ensemble de quatre cellules mitoyennes et isolées par des murs et portes coupe-feu » (page 6) ; que la cellule n°2 se situait dans le prolongement de la cellule n°1, que « ce volume se trouve sprinklé, qu'il fait la même observation pour les cellules n°3 et 4 » ; que les demanderesses concluaient au défaut de preuve du caractère imprévisible de l'incendie en se fondant sur une observation du Colonel Y..., en page 21 de son rapport qui indiquait « la quantité de produits combustibles était énorme et la charge calorifique représentée très importante en volume » ; que cependant l'expert ajoutait ensuite : « il y a lieu de remarquer toutefois que ces deux secteurs distants de 80 mètres pour le moins séparés par un monumental stockage de carrelages » ; que contrairement aux affirmations des demanderesses, on ne saurait conclure que du fait que des produits « hautement inflammables» étaient stockés, que la survenance de l'incendie était prévisible ; que si l'expert avait noté que les stockages abrités totalisaient un potentiel calorifique énorme, il précisait également que « la charge calorifique constituée par les bâtiments eux-mêmes et notamment par la cellule n°1 est pratiquement nulle compte tenu du type de matériaux utilisés pour la construction » (page 6) ; que le Colonel Y... précisait en page 19 de son rapport que « hormis l'énergie électrique distribuée au sein du local concerné sous la simple forme d'un éclairage par tubes néon, aucune autre énergie capable de produire suffisamment de calories pour générer un incendie n'existait » ; que les demanderesses tiraient argument du fait que la cellule n°1 n'était pas sprinklée ; que cependant le Colonel Y... n'imputait pas cet élément à faute à l'encontre de la société GIRAUD LOGISTIQUE, qu'il précisait en page 19 de son rapport : « hormis l'énergie électrique distribuée au sein du local concerné sous la simple forme d'un éclairage par tubes néon, aucune autre énergie capable de produire suffisamment de calories pour générer un incendie n'existait ; que cet expert ne relevait aucune faute à l'encontre de la société GIRAUD LOGISTIQUE, qu'il n'était donc pas démontré que l'incendie aurait été prévisible ou qu'il n'aurait pas été irrésistible ; que dès lors, le tribunal retiendrait l'existence d'un cas de force majeure exonérant le dépositaire de toute responsabilité ; qu'en conséquence, la responsabilité de la société GIRAUD LOGISTIQUE ne serait pas retenue, que la société MUTUELLES DU MANS IARD n'était donc pas tenue à garantie (jugement pages 5 à 8) ;
1°) ALORS QUE les sociétés appelantes soulignaient qu'aucune des personnes interrogées n'avait remarqué la présence de personnes étrangères à l'entreprise le soir de l'incendie et soutenaient en conséquence qu'il n'était pas démontré que l'incendie était imputable au fait d'une personne extérieure à l'entreprise, de telle sorte que la condition d'extériorité du cas de force majeure exonératoire n'était pas remplie (conclusions pages 6 à 8) ; qu'en ne répondant pas à ce moyen péremptoire, la cour d'appel a violé l'article 455 du Code de procédure civile ;
2°) ALORS QUE si le dépositaire n'est tenu que d'une obligation de moyens, il lui incombe, en cas de détérioration de la chose déposée, de prouver qu'il y est étranger, en établissant qu'il a donné à cette chose les mêmes soins que ceux qu'il aurait apportés à la garde de celles qui lui appartiennent, ou que cette détérioration provient d'un cas de force majeure ; que pour être exonératoire, le cas de force majeure doit notamment revêtir le caractère d'extériorité, ce qui implique que l'événement ne soit pas le fait de personnes liées au débiteur ; qu'en décidant que l'origine certainement criminelle de l'incendie le constituait en un cas de force majeure exonératoire, sans relever l'existence d'éléments propres à établir que l'incendiaire serait une personne étrangère à l'entreprise dépositaire, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1148 et 1927 du Code civil ;
3°) ALORS QUE le dépositaire qui n'a pas pris les mesures nécessaires pour parer à un éventuel incendie, alors qu'il entrepose dans ses locaux des produits hautement inflammables, ne peut s'exonérer de sa responsabilité ; que les appelantes soutenaient que la société GIRAUD LOGISTIQUE, qui entreposait des matériaux hautement inflammables, n'avait pas pris les mesures nécessaires pour se prémunir d'un éventuel incendie et de sa propagation, notamment en ce que la cellule n°1 était dépourvue de système de détection et d'arrosage automatique ; qu'en se bornant à retenir que la charge calorifique constituée par les bâtiments eux-mêmes était pratiquement nulle compte tenu du type de matériaux utilisé et que le fait que la cellule n°1 n'ait pas été munie de sprinklers, n'avait eu aucune incidence sur le déclenchement du sinistre, lequel avait été signalé par la mise en fonctionnement du sprinkler de la cellule n°3 mitoyenne, sans rechercher si l'absence de système d'arrosage automatique dans la cellule n°1 dans laquelle était stockés des produits hautement inflammables, n'avait pas eu pour effet de favoriser la propagation de l'incendie, et si la société GIRAUD LOGISTIQUE avait pris les mesures nécessaires pour parer à un éventuel incendie, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1927 et 1148 du Code civil ;