LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt attaqué, statuant en matière de référé, que la société Coudoum a été autorisée à créer un supermarché ; que M. X... qui exploite un commerce dans la même zone de chalandise, après le rejet irrévocable de sa demande de suspension de l'autorisation administrative, a formé un recours tendant à son annulation ; que la société Coudoum ayant obtenu un permis de construire, a fait édifier les bâtiments du supermarché qui a été exploité par la société Aspis ; que la juridiction administrative ayant annulé l'autorisation accordée à la société Coudoum, celle-ci a relevé appel de cette décision et obtenu une nouvelle autorisation ; que se prévalant du jugement d'annulation, M. X... a assigné la société Aspis devant le juge des référés afin d'obtenir la fermeture sous astreinte du supermarché et sa condamnation à payer, à titre de provision, des dommages-intérêts pour concurrence déloyale ; que M. X... a été mis en redressement judiciaire, M. Y... étant désigné comme mandataire judiciaire ;
Sur le moyen unique, pris en sa deuxième branche :
Vu l'article 873 du code de procédure civile ;
Attendu que pour statuer comme il fait, l'arrêt retient que le trouble résultant de l'ouverture et de l'exploitation du supermarché jusqu'à l'octroi de la seconde autorisation est illégitime et engage la responsabilité de la société Aspis envers M. X... dès lors que le jugement d'annulation de l'autorisation initiale est exécutoire, nonobstant appel ;
Attendu qu'en statuant ainsi, alors que le début de l'exploitation du supermarché par la société Aspis a été effectué en vertu d'une autorisation administrative d ‘ ouverture et avant son annulation par une décision non définitive de la juridiction administrative, la cour d ‘ appel a violé le texte susvisé ;
Et sur le moyen, pris en sa troisième branche :
Vu l'article 873 du code de procédure civile ;
Attendu que pour statuer encore comme il fait, l'arrêt retient que la société Aspis a commis une faute par l'ouverture et l'exploitation de son commerce jusqu'à l'obtention de la nouvelle autorisation qui a causé un préjudice à M. X... dont il recherche le lien de causalité ;
Attendu qu'en se prononçant sur la responsabilité de la société Aspis, la cour d'appel, qui a tranché une contestation sérieuse se rapportant à l'existence de l'obligation alléguée, a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a condamné la société Aspis à verser à M. X..., à titre de provision à valoir sur la réparation de son préjudice, la somme de 20 000 euros, l'arrêt rendu le 19 mars 2009, entre les parties, par la cour d'appel de Pau ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Bordeaux ;
Condamne M. X... et M. Y..., en qualité de mandataire judiciaire au redressement judiciaire de ce dernier, aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la société Aspis ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-neuf juin deux mille dix.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par Me Odent, avocat aux Conseils pour la société Aspis.
Il est fait grief à l'arrêt attaqué, qui a débouté par voie de confirmation M. Jean-Claude X... et Me François Y... de leur demande en référé de fermeture du supermarché exploité par la société ASPIS et les a déboutés de leur demande tendant à la réduction de la surface de vente de cette dernière, D'AVOIR, réformant sur ce point l'ordonnance rendue le 7 février 2008 par le tribunal de commerce de Pau, condamné ladite société à verser à M. X..., à titre de provision à valoir sur la réparation de son préjudice, la somme de 20. 000 € ;
AUX MOTIFS QUE, selon les dispositions de l'article 873 alinéa 2 du code de procédure civile, le président du tribunal de commerce peut notamment accorder une provision au créancier lorsque l'obligation n'est pas sérieusement contestable ; que du fait de l'effet rétroactif attaché au jugement d'annulation de l'autorisation qui avait été donnée par la CDEC, l'implantation et l'exploitation du commerce de la société ASPIS se sont faites, tout au moins jusqu'à la nouvelle décision de la CDEC du 5 mai 2008, puis la modification du droit applicable, par l'effet de la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l'économie, entrée en vigueur le 1er janvier 2009, en méconnaissance des conditions légales et administratives posées pour leur régularité ; que le caractère exécutoire du jugement d'annulation, malgré l'appel, conduit à retenir encore qu'en dépit du fait que ce jugement ait donné lieu à un recours pendant devant la cour administrative d'appel, M. Jean-Claude X... et Me François Y... sont, en l'état, fondés à invoquer le caractère illicite de cette ouverture et de l'exploitation, tout au moins jusqu'au 5 mai 2008, du commerce faisant concurrence à celui de M. X... ; que, de ce seul fait encore, le trouble qui en a résulté jusqu'à cette date dans l'exploitation du commerce de M. X... doit être jugé illégitime et engageant la responsabilité de la société ASPIS à son égard ; que, pour établir ce préjudice, M. X... et Me Y... invoquent les résultats d'une étude qui a mis en lumière une baisse de chiffre d'affaires et une perte de marge ; que l'ouverture d'un nouveau supermarché spécialisé dans le commerce alimentaire et station essence à 500 m du magasin de M.
X...
, dont l'objet est identique, a nécessairement attiré une partie de la clientèle de ce dernier ; qu'on été constatées la baisse du chiffre d'affaires de M. X... (constatée par l'expert comptable) et l'indication d'un chiffre encourageant pour la société ASPIS ; que cependant ces seuls éléments ne peuvent suffire à définir le lien de causalité effectif entre la perte de marge invoquée par M. X... et Me Y... et l'exploitation du commerce de la société ASPIS ; que tous les rapports accompagnant les demandes présentées à la CDEC ont souligné le besoin de modernisation des commerces existants, dont celui de M. X... dont l'état pouvait expliquer une certaine désaffection de sa clientèle ; que le jugement d'ouverture du redressement judiciaire de ce dernier est intervenu avant le début de l'exploitation de la société ASPIS ; que M. X... et Me Y... n'établissent pas les conditions dans lesquelles le premier a géré ses relations avec ses fournisseurs ; qu'ainsi, il ne peut être établi qu'il ait correctement approvisionné son magasin afin que les clients n'aient pas été conduits à s'approvisionner ailleurs ; que dès lors l'incidence sur la marge qui peut être retenue comme relevant de l'obligation non sérieusement contestable pesant sur la société ASPIS de réparer les dommages occasionnés par son exploitation irrégulière doit être fixée à 20. 000 € ;
1° / ALORS QUE le président du tribunal de commerce peut, dans les limites de sa compétence, et même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite ; qu'il peut, lorsque l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, accorder une provision au créancier ou ordonner l'exécution de l'obligation même s'il s'agit d'une obligation de faire ; qu'en l'espèce, la cour, juge de l'évidence, a jugé que l'exploitation actuelle du commerce dans le supermarché considéré n'occasionnait pas de trouble manifestement illicite ; qu'en décidant dès lors de condamner la société ASPIS à payer une provision au titre d'un dommage dont elle a pourtant constaté qu'il n'existait pas au jour où le juge a été appelé à statuer sur ce point, la cour a violé l'article 873 alinéa 2 du code de procédure civile ;
2° / ALORS QUE, dès lors, d'une part, qu'une société a édifié un hypermarché conformément à l'autorisation d'ouverture et au permis de construire et qu'aucune décision administrative définitive n'est intervenue pour annuler ces actes et qu'il n'est pas établi, d'autre part, qu'il y ait eu résistance abusive au jugement administratif qui a annulé l'autorisation d'exploitation et l'arrêté préfectoral relatif au permis de construire, la poursuite de l'activité commerciale ne peut pas constituer un trouble manifestement illicite ; qu'en l'espèce, la construction et le début de l'exploitation sont intervenus par application de l'autorisation administrative accordée, et avant son annulation par le jugement administratif non définitif du 20 novembre 2007, de sorte qu'ils sont intervenus en toute légalité ; qu'il s'ensuit que l'exploitation du commerce ne pouvait pas, en l'état, constituer, a fortiori, un trouble manifestement illicite alors surtout que la demande de suspension avait été rejetée ; qu'en jugeant le contraire, la cour a violé l'article 873 du code de procédure civile ;
3° / ALORS QU'il n'appartient pas au juge, dans le cadre des pouvoirs qu'il tient de l'article 873 alinéa 2 du code de procédure civile, pour décider qu'une partie est tenue à paiement d'une provision à l'autre partie, de trancher la question de fond consistant à déterminer l'existence et l'étendue de sa responsabilité ; qu'en décidant dès lors que la société ASPIS avait commis une faute par l'ouverture et l'exploitation de son commerce jusqu'au 5 mai 2008, que cette faute avait provoqué un préjudice M. X... et en examinant le lien de causalité entre ces éléments, la cour a tranché une question de fond, en violation de l'article 873 du code de procédure civile ;
4° / ALORS, en toute hypothèse, QUE la cour, après avoir retenu que la société ASPIS avait commis une faute par son exploitation prétendument irrégulière et que M. X... en avait subi un préjudice, a explicitement constaté qu'aucun des éléments dont ce dernier et Me Y... se prévalaient n'était imputable à la société ASPIS ou n'était en lien de causalité avec ce préjudice ; qu'il en était ainsi de la proximité des commerces et de leur nature, de l'attrait exercé conjointement sur la clientèle, de la baisse du chiffre d'affaires de M. X..., rattachée à son propre fait, et de l'augmentation de celui de la société ASPIS ; qu'en décidant dès lors de condamner cette dernière au paiement à M. X... d'une somme de 20. 000 €, « à valoir sur la réparation de son préjudice », après avoir pourtant constaté que ce dernier ne justifiait d'aucun préjudice dont la société ASPIS pouvait être cause, la cour, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé, derechef, l'article 873 alinéa 2 du code de procédure civile ;
5° / ALORS, en toute hypothèse, QU'en décidant de condamner la société ASPIS à payer à M. X... et à Me Y... une somme de 20. 000 € au titre d'une responsabilité consécutive à une faute prétendument commise par elle et d'un préjudice prétendument subi par M. X..., sans avoir retenu aucun élément de préjudice, tous ceux qui étaient invoqués par ce dernier ayant été écartés, la cour a privé sa décision de base légale au regard de l'article 873 alinéa 2 du code de procédure civile.