LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Dit n'y avoir lieu à mettre la société Electricité de France hors de cause ;
Sur le moyen unique :
Vu l'article 1382 du code civil ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que, dans la nuit du 7 au 8 janvier 1999, un incident est survenu dans le transformateur de la société Tenthorey qui fournissait de l'électricité à la société Electricité de France (EDF), entraînant plusieurs coupures d'alimentation du courant et causant des dommages matériels et des pertes d'exploitation à un client d'EDF, la société Arjo Wiggins ; que la société Arjo Wiggins a assigné la société Tenthorey en responsabilité et indemnisation ; que cette dernière a appelé EDF en garantie ;
Attendu que pour débouter la société Arjo Wiggins de ses demandes et dire que le préposé de la société Tenthorey n'avait commis aucune faute, l'arrêt retient que depuis un temps "immémorial", le préposé de la société Tenthorey procédait toujours au réenclenchement du disjoncteur en cas de déclenchement de la protection et que EDF n'avait jamais réagi contre cette pratique ; que le préposé a déconnecté à tour de rôle les différents appareils pouvant avoir provoqué le déclenchement du disjoncteur et, à chaque fois, a essayé de réenclencher ; que, finalement, la vérification du transformateur révélait qu'il était défectueux; que le préposé, ayant trouvé la cause du déclenchement, a renoncé à réenclencher une nouvelle fois le disjoncteur, remettant à plus tard une intervention sur le transformateur ; que ni l'expert, ni EDF, ni la société Arjo Wiggins n'établissent autrement que par leurs simples affirmations que le préposé de la société Tenthorey aurait enfreint gravement une règle ou une consigne applicable en matière d'entretien d'une installation électrique ; que d'ailleurs EDF ne se réfère à aucune norme en ce sens applicable dans ses services ; qu'au surplus, le décret n° 88-1506 du 14 novembre 1988, régissant la protection des travailleurs dans les établissements qui mettent en oeuvre des courants électriques ne comporte aucune disposition à cet égard ;
Qu'en se déterminant ainsi, en se bornant à relever l'absence de tout manquement aux prescriptions édictées par les textes et consignes applicables, sans rechercher si, comme il lui était demandé, le préposé de la société Tenthorey n'avait pas commis une faute en réenclenchant sept à huit fois le disjoncteur sans chercher la cause du dysfonctionnement, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 11 février 2009, entre les parties, par la cour d'appel de Nancy ; remet, en conséquence la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Metz ;
Condamne la société Tenthorey aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne la société Tenthorey à payer à la société Arjo Wiggins la somme de 3 000 euros ; rejette toutes les autres demandes présentées de ce chef ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du douze mai deux mille dix.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Boullez, avocat aux Conseils pour la société Arjo Wiggins
Le pourvoi fait grief à l'arrêt attaqué D'AVOIR écarté l'action en responsabilité que la société ARJO WIGGINS a formée contre la société TENTHOREY ;
AUX MOTIFS QU' il résulte des pièces versées aux débats les faits suivants : Attendu que la centrale hydro-électrique de la S.A.S. TENTHOREY est installée à 5 km de son site principal d'ELOYES et fonctionne automatiquement ; Qu'un report d'alarme est assuré entre la centrale et l'usine de la SA.S. TENTHOREY à ELOYES ; Que, selon le "procès-verbal de constatations relatives aux causes et circonstances et à l'évaluation des dommages "établi contradictoirement par l'assureur de l'ELECTRICIIE DE FRANCE, il est acquis que le 7 janvier 1999 à 20 h 43, un défaut sur le transformateur de 630 kVA de la centrale TENTHOREY provoquait l'ouverture (c'est à dire l'arrêt) du disjoncteur et le fonctionnement des protections au poste E.D.F. voisin, ce qui entraînait une coupure sur le " départ DOCELLES " et un " écrasement " (une baisse) de tension sur les départs voisins ; Qu'après avoir été avisé du déclenchement du disjoncteur de la centrale par le report d'alarme, un préposé de la S.A.S. TENTHOREY se rendait sur le site de la centrale et réenclenchait le disjoncteur à 22 h; Que le défaut persistant entraînait une nouvelle fois l'arrêt du disjoncteur ; Que le préposé de la S.A. S. TENTHOREY tentait à nouveau de rebrancher le disjoncteur à 22 h 03' 59", 22 h 05' 05", 22 h 05' 43" et 22 h 21'57" (pièce N° 5 de l'appelante) ; Que cette description des faits est reprise par le rapport d'expertise amiable établi par M. X... du cabinet POLYEXPERT, intervenu à la demande de l'assureur de l'ELECTRICITE DE FRANCE (pièce N°6 de l'appelante) ;
Attendu que l'expert judiciaire affirme que la S.A. ARJO WIGGINS n'a pas subi « de coupure de son alimentation électrique mais des perturbations (chutes de tension et surtensions" et que" les phénomènes ont été violents et de très courte durée (pour la plupart de moins .d'une seconde) rapport, p.7) ; Que M. Y... précise plus loin : " Les réglages effectués par E.D.F. sont ajustés de sorte qu'un défaut chez le client entraîne l'ouverture du disjoncteur à l'entrée du poste client, sans interruption de la ligne d'alimentation. "L'incident du 7 janvier 1999 a provoqué des coupures à la ligne DOCELLES au poste de POUXEUX avant l'ouverture du disjoncteur de TENTHOREY. La temporisation de la protection au poste de POUXEUX étant plus longue que celle du poste client, la conséquence fut la durée des perturbations plus longues après chaque réenclenclement effectué par TENTHOREY " (rapport, p. 8) ;
Attendu que, dans le rapport sus-visé, M. X..., du cabinet POLYEXPERT (intervenant à la demande de l'assureur de l'ELECTRICITE DE FRANCE) précise que " les incidents successifs ont nécessité, à l'usine de la S.A. ARJO WIGGINS, le réarmement des automates. Ils ont également provoqué la détérioration d'organes de protection et certain b r i s mécaniques "(pièce N° 6 de l'appelante, p. 8) ;
Attendu que le Cabinet SERI-EXPERT, intervenu à la demande de l'assureur de la S. ARJO WIGGINS, n'a pas pris position sur les circonstances et l'origine technique ailes détériorations et dommages subis pas cette dernière, se bornant à évaluer le préjudice (rapport du 24 octobre 2001, pièce N° de la S.A. ARJO WIGGINS) ;
Attendu que M. Z..., du Cabinet POLYEXPERT, intervenant cette fois-ci aux côtés de l'assureur de la S.A.S. TENTHOREY, ne s'est pas davantage expliqué sur la cause des dégâts matériels constatés à l'usine de la S.A. ARJO WIGGINS (pièce N° 1 de la S.A.S. TENTHOREY) ; Qu'en l'état de ces éléments, la Cour observe que M. Y..., expert judiciaire, impute les dégâts subis par la S.A. ARJO WIGGINS non pas à des coupures de son alimentation électrique mais à des phénomènes violents de baisses de tension et surtensions consécutives aux tentatives de réenclenchement du disjoncteur dans les installations de la S.A.S. TENTHOREY ;
Attendu que, contrairement à la position initialement proposée par le Cabinet SERI-EXPERT, mandaté par son assureur (rapport « protection juridique » du 24 octobre 2001), la SA ARJO WIGGINS ne formule aucune demande sur la base du contrat EMERAUDE ; que les parties s'accordent à reconnaître que les incidents de distribution électrique survenus le soir du 7 janvier 1999 ne dépassent pas les seuils de tolérance en matière de coupures brèves et longues prévues dans les conditions générales et particulières et les annexes du contrat EMERAUDE ;
Mais attendu que, pour des raisons qui la concernent, la S.A. ARJO WIGGINS n'a pas davantage mis en cause la responsabilité contractuelle de 1'ELECTRICITE DE FRANCE pour manquement à la qualité des fournitures tels que définis à l'annexe 2 du contrat EMERAUDE, fluctuations lentes et rapides de tension (rubrique 2.3 et 2.4) ou déséquilibres de la tension (2.5) ; Qu'il s'ensuit que l'ELECTRICITE DE FRANCE - qui dénie évidemment toute responsabilité - n'a versé aux débats aucun élément définissant ses relations contractuelles avec la S.A.S. TENTHOREY, tels que le contrat du 10 juillet 1998, pourtant annexé sous le N° 2 au rapport d'expertise amiable établi par M. X... du cabinet POLYEXPERT, intervenu à la demande de l'assureur de l'ELECTRICITE DE FRANCE (pièce N° 6 de l'appelante, p. 2) ;
Attendu que la S.A. ARTO WIGGINS se fonde uniquement sur la responsabilité délictuelle et quasi-délictuelle de la S.A.S. TENTHOREY ; Qu'à cet égard, la S.A. ARJO WIGGINS, renonçant à incriminer la S.A.S TENTHORE Y pour la vétusté ou le défaut d'entretien de son matériel, invoque : - l'absence de formation suffisante de son personnel, - l'omission de consignes de surveillance des installations, - l'absence d'installation d'un disjoncteur sélectif sur le transformateur, - au titre de l'article 1384 alinéa 5 du Code civil, les manoeuvres inadéquates du préposé de la S.A.S. TENTHOREY consistant à réitérer ses tentatives de réenclenchement du disjoncteur ;
Attendu que, contrairement aux affirmations de la S.A. ARJO WIGGINS dans ses dernières conclusions (p, 16), la Cour n'a trouvé dans le rapport d'expertise de M. Y... aucun grief visant l'absence de disjoncteur sélectif dans le transformateur ; Qu'en outre, la S.A. ARJO WIGGINS s'est abstenue d'invoquer la responsabilité de la S.A.S. TENTHOREY du fait des choses placées sous sa garde (la centrale et le transformateur) au titre de l'article 1384 alinéa 1 du Code civil ; Qu'il n'appartient pas à la Cour de suppléer une partie dans l'énonciation d'un moyen ;
Attendu que les fautes imputées à la SAS TENTHOREY se rapportent donc exclusivement aux vaines tentatives de réenclenchement du disjoncteur du transformateur ; Que, selon M. Y..., cette manoeuvre n'aurait pas dû être effectuée et encore moins renouvelée sans avoir pris connaissance de la cause du déclenchement ; Qu'il en concluait qu' il ne semble pas que les manoeuvres du poste TENTHOREY aient été effectuées par une personne compétente ";
Que, toutefois, M. Y..., qui avait, entre autres, mission d'entendre tout sachant, n'a rien entrepris pour entendre le préposé de la S.A.S. TENTHOREY qui est intervenu sur le transformateur le soir de l'incident et dont l'identité ne résulte d'aucune pièce de la procédure ; Qu'il résulte d'un dire à expert formulé par le Cabinet PIERRAT EXPERTISES dans l'intérêt de la S.A.S. TENTHOREY que, depuis temps immémorial, le préposé de la S.A.S. TENTHOREY procédait toujours au réenclenchement du disjoncteur en cas de déclenchement de la protection et que l'ELECTRICITE DE FRANCE n'a jamais réagi contre cette pratique ; Que, le 7 janvier 1999, le préposé a déconnecté à tour de rôle les différents appareils pouvant avoir provoqué le déclenchement du disjoncteur et, à chaque fois, a essayé de réenclencher ; Que, finalement, la vérification du transformateur 63 0 Kva révélait qu'il était défectueux ; Que ni l'expert ni l'ELECTRICITE DE FRANCE ni la S.A. ARJO WIGGINS n'établissent, autrement que par leurs simples affirmations, que le préposé de la S.A.S. TENTHOREY aurait enfreint gravement une règle ou une consigne applicable en matière d'entretien d'une installation électrique ; Que d'ailleurs, l'ÉLECTRICITÉ DE FRANCE ne se réfère à aucune norme en ce sens applicable dans ses services ; Qu'au surplus, le décret N° 88-1056 du 14 novembre 1988, régissant la protection des travailleurs dans les établissements qui mettent en oeuvre des courants électriques, invoqué par la S.A. ARJO WIGGINS, ne comporte aucune disposition à cet égard ; Qu'il s'ensuit qu'aucune faute n'est établie à la charge de la S.A.S. TENTHOREY ou de l'un de ses préposés ; Qu'en conséquence, le débouté de la S.A. ARJO WIGGINS s'impose ; Que l'appel en garantie dirigé par la S.A.S TENTHOREY contre 1'ELECTRICITE DE FRANCE est sans objet ;
ALORS QUE constituent une faute, les comportements qui, bien que non prévus par un texte particulier, sont contraires aux normes générales de conduite qu'il appartient au juge de définir ; qu'il résulte des conclusions du rapport d'expertise, telles que citées par l'exposante dans ses propres écritures (p. 18 et 19), que le préposé de la société TENTHOREY, dont son employeur devait répondre pour avoir refermé le disjoncteur sans savoir quelle a été la cause du déclenchement, puis pour avoir effectué de nombreux ré-enclenchements sans se rendre compte que les installations desquelles il avait la charge étaient en défaut ; qu'en énonçant que la victime n'établirait pas que la société TENTHOREY aurait enfreint gravement une règle ou une consigne applicable en matière d'entretien d'une installation électrique, et, en particulier, que le décret n° 88-1056 du 14 novembre 1988 régissant la protection des travailleurs dans des établissements qui mettent en oeuvre des courants électriques ne pose à cet égard aucune règle, la Cour d'appel qui n'a pas recherché, ainsi qu'elle y était invitée, si un tel comportement était fautif d'après une règle de conduite qu'il lui appartenait de définir, a violé l'article 1382 du Code civil.