LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que la société GLS a cédé à la société Parsys le 16 septembre 1999 pour le prix de 7 470 000 euros la société EFSI qu'elle détenait et qui avait pour activité la location longue durée de matériel informatique ; que la société Parsys et le commissaire à l'exécution de son plan de continuation ont mis en oeuvre la procédure arbitrale prévue au contrat, soutenant que la société GLS avait dissimulé, lors de la négociation, l'existence de contre-lettres consenties par EFSI à certains de ses locataires afin de leur permettre d'acquérir le matériel loué à un prix résiduel avantageux en fin de contrat ; que la cour d'appel a confirmé la sentence arbitrale en ce qu'elle avait retenu, au visa des articles 1116 et 1382 du code civil, l'existence d'une réticence dolosive pré-contractuelle et, l'infirmant sur le montant du préjudice indemnisable, a condamné la société GLS à payer à ce titre, à la société Parsys la somme de 10 000 000 euros avec intérêts au taux légal à compter de sa décision outre celle de 75 000 € au titre du remboursement des honoraires des arbitres et celle de 150 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Sur le premier moyen, pris en sa première branche
Vu l'article 1134 du code civil ;
Attendu que pour évaluer le préjudice subi par la société Parsys du fait de la réticence dolosive de la société GLS, la cour d'appel retient qu'il résulte de l'arrêt avant dire droit du 6 juillet 2006 que le préjudice réparable constaté par la cour consiste, dans son principe, dans la perte de chance d'obtenir les gains attendus de l'acquisition des actions d'EFSI en raison des contre-lettres ;
Qu'en statuant ainsi la cour d'appel a dénaturé les termes clairs et précis de cette décision qui se borne à retenir que le préjudice né de cette réticence dolosive avait consisté à amener la société Parsys à contracter alors qu'elle ne l'aurait pas fait ou l'aurait fait dans des conditions différentes si elle avait été complètement informée, et violé l'article 1134 du code civil ;
Sur le premier moyen, pris en sa troisième branche :
Vu les articles 1116 et 1382 du code civil ;
Attendu que pour évaluer le préjudice subi par la société Parsys du fait de la réticence dolosive de la société GLS l'arrêt retient encore que le vendeur a caché à l'acquéreur lors des négociations l'existence d'options d'achat du matériel loué en fin de contrat consenties par la société cédée à certains de ses clients, que "le préjudice résultant de la dissimulation se confond nécessairement avec celui résultant du fait dissimulé, l'un n'existant pas sans l'autre et qu'ainsi GSL ne peut sérieusement prétendre que ces options d'achat ne lui étant pas directement imputables elle ne serait pas responsable de leurs conséquences" ;
Qu'en statuant ainsi, alors que le préjudice ne pouvait, en l'espèce, résulter que de la perte d'une chance de ne pas contracter ou de contracter à des conditions plus avantageuses que celles qu'a acceptées la société Parsys, et non de la perte d'une chance d'obtenir les gains attendus par elle qu'interdisaient les contre-lettres litigieuses, même si elles n'avaient pas été dissimulées, la cour d'appel a replacé la société Parsys dans une situation qui n'aurait jamais pu exister même en l'absence de réticence dolosive de la société GLS, et violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il soit nécessaire de statuer sur la deuxième branche du premier moyen ni sur le second moyen :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a condamné la société GLS à payer à la société Parsys la somme de 10 000 000 € avec intérêts au taux légal à compter de sa décision, outre celle de 75 000 € au titre du remboursement des frais d'arbitrage et celle de 150 000 € au titre de l'article 700, l'arrêt rendu le 12 mars 2009, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ;
Condamne la société Parsys aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la société Parsys ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-cinq mars deux mille dix.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Thomas-Raquin et Bénabent, avocat aux Conseils pour la société Gestion location service (GLS).
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir condamné la société GLS à payer à la société PARSYS la somme de dix millions d'euros avec intérêts au taux légal à compter de la décision ; outre 75.000 € au titre du remboursement des frais d'arbitrage et 150.000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
AUX MOTIFS QU' « il résulte de l'arrêt du 6 juillet 2006 et notamment des termes de la mission confiée à l'expert que le préjudice réparable retenu par la Cour, résultant de la réticence dolosive imputable à GLS, consiste dans son principe, non dans la différence entre le prix payé pour l'acquisition d'EFSI et celui qui aurait pu l'être dans le cas où l'existence des contre-lettres aurait été révélée, mais dans la perte de chance d'obtenir les gains attendus de l'acquisition des actions d'EFSI en raison des contre-lettres dont l'économie a induit une diminution de durée de location des matériels par tacite reconduction et une moins value sur le montant de leur revente par rapport au prix du marché, ce que PARSYS traduit par «perte sur prolongation» et «perte sur revente» ; que ce préjudice résultant d'une perte de chance n'est ni incertain ni hypothétique comme tente de le soutenir GLS ; que celle-ci n'est pas plus fondée à prétendre que les postes de préjudice allégués par PARSYS ne seraient pas réparables faute de lien de causalité entre la faute et le dommage, étant au demeurant observé que la distinction que tente GLS entre le fait dissimulé – les options d'achat – et la faute qui lui est imputée – la dissimulation des options d'achat – est un sophisme, le préjudice résultant de la dissimulation se confondant nécessairement avec le préjudice résultant du fait dissimulé, l'un n'existant pas sans l'autre ; qu'ainsi GLS ne peut sérieusement prétendre que les options d'achat consenties par EFSI ne lu étant pas directement imputables, elle ne serait pas responsable de leurs conséquences ; que c'est par ailleurs vainement que GLS fait valoir que le préjudice ne serait pas personnel à PARSYS en ce qu'elle n'a acquis que les titres d'EFSI e non son fonds de commerce, alors que EFSI a été absorbée par PARSYS aux termes d'une fusion-absorption du 28 novembre 2001 avec effet rétroactif au 1er octobre 2000 ; que GLS ne peut non plus sérieusement soutenir que EFSI qui n'a pas acquis ses propres actions auprès d'elle et qui a elle-même consenti les options d'achat ne possédait aucune action à son encontre qu'elle ait pu transmettre à PARSYS à l'occasion de la fusion, alors que c'est GLS qui a cédé à PARSYS la totalité des actions d'EFSI qu'elle détenait et que le préjudice résulte, comme il a été dit, de la diminution des gains attendus de l'acquisition de ces titres, de telle sorte que PARSYS n'exerce pas une action qu'elle aurait trouvée dans le patrimoine de EFSI mais une action propre, en tant qu'acheteur, à l'encontre de son vendeur ; que, sur l'indemnisation du préjudice, l'expert distingue un «scénario liquidatif» et un «scénario locatif» ; que le premier est fondé sur les conséquences des contre-lettres ; qu'en effet, les conditions générales de location prévoyaient une poursuite de contrat par tacite reconduction sauf notification au bailleur par LRAR au moins trois mois avant le terme de la décision de ne pas poursuivre et de restituer le matériel et en cas de reconduction que la location se poursuivrait aux conditions initiales ; qu'ainsi, le bailleurs bénéficiait soit d'une poursuite de la location soit d'une revente du matériel au prix du marché ; qu'en raison des contre-lettres permettant au locataire de racheter le matériel en fin de contrat à un prix attractif inférieur au prix du marché, le bailleur perdait les loyers liés à la poursuite de la location et une partie du prix de revente, ce qui est constitutif du préjudice invoqué ; que le second scénario, suggéré par GLS, développe l'idée qu'en réalité, les contre-lettres n'auraient pas été appliquées et que par esprit commercial, pour conserver sa clientèle et favoriser la conclusion de nouveaux contrats, EFSI n'aurait pas facturé systématiquement les loyers des reconductions tacites si elles avaient eu lieu ; que seul le premier scénario dit liquidatif peut être retenu puisque aussi bien rien ne démontre que des clients qui avaient pris la précaution de demander des contre-lettre auraient renoncé spontanément ou par négligence aux avantages que celles-ci leur procuraient ; que l'expert a procédé à l'étude exhaustive des pièces communiquées, a organisé plusieurs réunions d'expertise, a entendu les sachants, a reçu de nombreuses notes et dires et y a répondu, a examiné avec soin la position de chacune des parties assistées de conseils techniques et à l'issue d'un rapport particulièrement circonstancié répondant exactement aux termes de sa mission, a conclu que les pertes sur prolongation peuvent être estimées dans le scénario liquidatif à 11,3 M€ et les pertes sur revente à 4,1 M€, soit au total 15,4 M€ ; que devant la Cour, la société GLS n'apporte aucun élément technique permettant de remettre en cause le montant avancé par l'expert, sa prétention de voir limiter l'indemnisation à une somme comprise entre zéro et 1,88 M€, montant de la contre-valeur du portefeuille des clients litigieux dans le prix de cession, ne pouvant qu'être rejetée compte tenu de ce qui a été dit précédemment sur la nature du préjudice, de même que doit être rejetée, pour le même motif, sa demande très subsidiaire de désignation d'un nouvel expert ; que toutefois le montant retenu par l'expert représente les sommes que PARSYS pouvait espérer obtenir en l'absence de contre-lettres tant par la prolongation des locations selon les conditions contractuelles que par la revente des matériels au prix du marché ; qu'il est rappelé que le préjudice indemnisable consiste dans la perte de chance d'obtenir les gains escomptés, n'étant nullement démontré que pour chaque contrat, des prolongations auraient effectivement eu lieu et que les reventes de matériel auraient toujours été faites au meilleur prix ; que la Cour trouve dans l'expertise et les explications des parties les éléments pour fixer la réparation du préjudice subi par PARSYS à 10 M€ ; qu'il convient, réformant sur ce point la sentence arbitrale, de condamner GLS à payer à PARSYS 10 M€ avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt fixant le montant de la créance de réparation» ;
ALORS QUE, D'UNE PART, l'arrêt du 6 juillet 2006 a défini le préjudice subi par la société PARSYS comme celui «résultant d'une réticence dolosive qui (l') a amenée (…) à contracter, alors qu'elle ne l'aurait pas fait ou l'aurait fait à des conditions différentes si elle avait été complètement informée» ; que cette décision ne définit par ailleurs à aucun moment, que ce soit de manière explicite ou implicite, le préjudice allégué par la société PARSYS comme la perte de chance d'obtenir les gains attendus de l'acquisition des actions d'EFSI en raison de l'existence de contre-lettres ; qu'en retenant cependant qu'il résulte «de l'arrêt du 6 juillet 2006 (…) que le préjudice réparable retenu par la Cour (…) consiste dans son principe (…) dans la perte de chance d'obtenir les gains attendus de l'acquisition des actions d'EFSI en raison des contre-lettres », la Cour d'appel a dénaturé les termes clairs et précis de sa décision avant dire droit et violé l'article 1134 du Code civil ;
ALORS QUE, D'AUTRE PART, l'autorité de la chose jugée n'a lieu qu'à l'égard de ce qui a fait l'objet du jugement et a été tranché dans son dispositif ; qu'en conséquence, ce qui a été décidé relativement à la mission de l'expert ne s'impose pas au juge appelé à trancher le fond de l'affaire ; qu'en retenant cependant qu'il résulte « des termes de la mission confiée à l'expert que le préjudice réparable retenu par la Cour (…) consiste dans son principe (…) dans la perte de chance d'obtenir les gains attendus de l'acquisition des actions d'EFSI en raison des contre-lettres », la Cour d'appel a violé les articles 1351 du Code civil et 480 du Code de procédure civile ;
ALORS QU'EN OUTRE, le propre de la responsabilité est de replacer la victime dans la situation où elle serait si l'acte dommageable ne s'était pas produit ; qu'en cas de réticence dolosive du vendeur d'un bien, l'acquéreur, replacé dans la situation où il se serait trouvé s'il avait été complètement informé, soit n'aurait pas acheté, soit aurait contracté, mais à un prix inférieur à celui qui a été payé ; qu'en conséquence, dans cette dernière hypothèse, le préjudice subi par l'acquéreur équivaut à l'excès de prix consenti sous l'empire du dol et ne peut consister qu'en une fraction du prix d'achat, nécessairement inférieure à son montant ; qu'en retenant cependant, pour condamner la société GLS à verser à la société PARSYS la somme de dix millions d'euros en réparation du préjudice liée à la réticence dolosive concomitante à la cession des actions d'EFSI pour un prix de 7.470.000 euros, que le préjudice subi par la société PARSYS consistait «non dans la différence entre le prix payé pour l'acquisition d'EFSI et celui qui aurait pu l'être dans le cas où l'existence des contre-lettres aurait été révélée, mais dans la perte de chance d'obtenir les gains attendus de l'acquisition des actions d'EFSI en raison des contre-lettres», la Cour d'appel a replacé la société PARSYS dans une situation qui n'aurait jamais pu exister, même en l'absence de réticence dolosive de la société GLS, et violé par là même les articles 1116 et 1382 du Code civil ;
ALORS QU'ENFIN, le préjudice réparable est exclusivement celui qui est en relation causale avec l'acte dommageable ; qu'en cas de réticence dolosive, le vendeur d'un bien n'est responsable que des conséquences de sa dissimulation et non de celles inhérentes au fait dissimulé lui-même ; qu'en l'espèce, la réticence dolosive imputée à la société GLS consiste à avoir tu l'existence d'options d'achat (contre-lettres) assortissant certains contrats de location de matériel conclus par la société EFSI, dont les actions ont été cédées à la société PARSYS ; que si cette omission a pu, éventuellement, conduire à une majoration du prix de cession des actions d'EFSI, elle n'a en revanche aucun lien de causalité, ni avec l'existence même des contre-lettres – qu'elle n'a en aucune manière contribué à créer –, ni a fortiori avec les gains manqués pouvant en découler pour la société PARSYS ; qu'en décidant cependant que «le préjudice résultant de la dissimulation se confond nécessairement avec le préjudice résultant du fait dissimulé» et que la société GLS «ne peut sérieusement prétendre que les options d'achat consenties par EFSI ne lui étant pas directement imputables, elle ne serait pas responsable de leurs conséquences », la Cour d'appel a indemnisé un préjudice sans lien de causalité avec la réticence dolosive imputée à l'exposante, et violé les articles 1116 et 1382 du Code civil.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir condamné la société GLS à payer à la société PARSYS la somme de dix millions d'euros avec intérêts au taux légal à compter de la décision ; outre 75.000 € au titre du remboursement des frais d'arbitrage et 150.000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
AUX MOTIFS QUE «le montant retenu par l'expert représente les sommes que PARSYS pouvait espérer obtenir en l'absence de contre-lettres tant par la prolongation des locations selon les conditions contractuelles que par la revente des matériels au prix du marché ; qu'il est rappelé que le préjudice indemnisable consiste dans la perte de chance d'obtenir les gains escomptés, n'étant nullement démontré que chaque contrat des prolongations auraient effectivement eu lieu et que les reventes de matériels auraient toujours été faites au meilleur prix ; que la Cour trouve dans l'expertise et les explications des parties les éléments pour fixer la réparation du préjudice subi par PARSYS à 10 M €»
ALORS QUE, D'UNE PART, en décidant que «le préjudice indemnisable consiste dans la perte d'une chance d'obtenir les gains escomptés», cependant qu'aucune des parties n'avait invoqué ce moyen, sans inviter au préalable les parties à présenter leurs observations à cet égard, la Cour d'appel a méconnu les exigences de l'article 16 du Code de procédure civile ;
ALORS QUE, D'AUTRE PART, l'indemnisation de la perte d'une chance requiert que je juge évalue d'abord le préjudice invoqué ; puis apprécie à quelle fraction de ce préjudice devait être évaluée la perte de chance indemnisée ; qu'en se bornant à affirmer qu'elle « trouve dans l'expertise et les explications des parties les éléments pour fixer la réparation du préjudice subi par PARSYS à 10 M € » sans aucune autre explication ni analyse, la Cour d'appel a procédé par simple affirmation et privé sa décision de motifs en violation de l'article 455 du Code de procédure civile ;