LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Amiens, 4 septembre 2008), que M. X... a été engagé le 1er avril 1993 par la société Les Assurances mutuelles de Picardie en qualité de chargé de clientèle dans un secteur recouvrant celui pour lequel il intervenait auparavant pour le compte de l'UAP en tant qu'agent d'assurances ; qu'il a été condamné à payer des dommages et intérêts pour concurrence déloyale à l'UAP ; qu'un accord a été signé le 21 mars 2003, aux termes duquel la société Les Assurances mutuelles de Picardie prenait en charge 90 % de l'indemnité réclamée à M. X..., ce dernier s'engageant à ne pas démissionner pendant une durée de 5 ans et, en cas de démission avant cette date, à rembourser la somme payée par la société Les Assurances mutuelles de Picardie, réduite d'1/5e par année complète de présence à compter de la signature de l'accord ; que par lettre du 29 septembre 2005, M. X... a informé son employeur qu'il faisait valoir ses droits à la retraite à compter du 31 décembre 2005 ; que l'employeur a saisi la juridiction prud'homale pour voir condamner M. X... au payement du solde dû en exécution de l'accord ;
Sur le moyen unique du pourvoi incident du salarié, qui est préalable :
Attendu que M. X... fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté sa demande en nullité de l'accord du 21 mars 2003 alors, selon le moyen :
1°/ que le droit à la démission du salarié dans le cadre d'un contrat de travail à durée indéterminée est un droit d'ordre public, auquel il ne peut en conséquence, hormis le cas spécifique des clauses de dédit-formation, être fait échec par aucune convention entre les parties, et les salariés ne peuvent renoncer, par avance, aux règles protectrices qui gouvernent la rupture du contrat de travail ; qu'en déboutant, dès lors, M. Daniel X... de sa demande d'annulation du protocole d'accord du 21 mars 2003 et en rejetant, en conséquence, sa demande de condamnation de la société Assurances mutuelles de Picardie à lui payer la somme de 2 409 euros, quand elle relevait que le protocole d'accord du 21 mars 2003 comportait l'engagement de M. Daniel X... envers son employeur de ne pas démissionner pendant une durée de cinq ans et quand cet engagement ne pouvait s'analyser en une clause de dédit-formation, la cour d'appel a violé les dispositions des articles L. 1231-4 et 1237-1du code du travail ;
2°/ qu' à titre subsidiaire, sont nulles les clauses contractuelles restreignant la liberté du salarié de démissionner qui ne sont pas indispensables à la protection des intérêts légitimes de l'entreprise ; qu'en déboutant, dès lors, M. Daniel X... de sa demande d'annulation du protocole d'accord du 21 mars 2003 et en rejetant, en conséquence, sa demande de condamnation de la société Assurances mutuelles de Picardie à lui payer la somme de 2 409 euros, sans relever que la clause de ce protocole par laquelle M. Daniel X... avait pris l'engagement envers son employeur de ne pas démissionner pendant une durée de cinq ans était indispensable à la protection des intérêts légitimes de la société Assurances mutuelles de Picardie, la cour d'appel a violé le principe fondamental du libre exercice d'une activité professionnelle et les dispositions de l'article L. 1121-1 du code du travail ;
3°/ qu' à titre subsidiaire, sont nulles les clauses contractuelles restreignant la liberté du salarié de démissionner qui limitent, de manière disproportionnée, la liberté du salarié de démissionner par rapport à ce qui est nécessaire à la protection des intérêts légitimes de l'entreprise ; qu'en déboutant, dès lors, M. Daniel X... de sa demande d'annulation du protocole d'accord du 21 mars 2003 et en rejetant, en conséquence, sa demande de condamnation de la société Assurances mutuelles de Picardie à lui payer la somme de 2 409 euros, sans indiquer en quoi la clause de ce protocole par laquelle M. Daniel X... avait pris l'engagement envers son employeur de ne pas démissionner pendant une durée de cinq ans ne limitait pas, de manière disproportionnée, la liberté de M. Daniel X... de démissionner par rapport à ce qui est nécessaire à la protection des intérêts légitimes de la société Assurances mutuelles de Picardie, la cour d'appel a violé le principe fondamental du libre exercice d'une activité professionnelle et les dispositions de l'article L. 1121-1 du code du travail ;
Mais attendu qu'ayant relevé que dans l'instance en concurrence déloyale, une condamnation définitive était intervenue contre M. X... seul, la responsabilité de la société Les Assurances mutuelles de Picardie ayant été écartée, et que celle-ci n'avait nulle obligation de prendre en charge cette condamnation, la cour d'appel a pu en déduire qu'assumant une charge supérieure à ses obligations, la société Les Assurances mutuelles de Picardie était fondée à imposer en contrepartie au salarié une restriction au droit de résiliation unilatérale du contrat de travail dans des conditions n'ayant nullement pour effet d'interdire à celui-ci l'exercice effectif de ce droit ; que le moyen, irrecevable comme nouveau en ses deuxième et troisième branches, n'est pas fondé pour le surplus ;
Sur le moyen unique du pourvoi principal de l'employeur :
Attendu que la société Les Assurances mutuelles de Picardie fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté sa demande de remboursement de la somme restant due en exécution de l'accord du 21 mars 2003, alors, selon le moyen, que dans leurs écritures d'appel, les Assurances mutuelles de Picardie avaient fait valoir que le protocole d'accord, signé le 21 mars 2003, et qui prévoyait une durée d'amortissement de la dette contractée par M. X... de 5 années, soit jusqu'à l'année précédant son soixantième anniversaire, avait pour objet de conférer à l'employeur la garantie de se conserver les services du salarié pendant cette durée ; qu'en l'état de la législation de l'époque, ce protocole ne pouvait laisser hors de l'engagement pris par le salarié de ne pas démissionner l'hypothèse d'un départ volontaire, anticipé, à la retraite qui n'allait être permis aux salariés "longue carrière" que par la loi postérieure du 21 août 2003 ; qu'en ne répondant pas à ce chef déterminant des écritures de la société intimée, la cour d'appel, qui a privé sa décision de motifs, a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
Mais attendu qu'ayant retenu que l'accord du 21 mars 2003, qui était parfaitement clair sur ce point, visait expressément la démission, notion juridique distincte des autres modes de rupture à l'initiative du salarié, la cour d'appel, qui a répondu aux conclusions, a légalement justifié sa décision ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE les pourvois principal et incident ;
Dit que chacune des parties conservera la charge des dépens par elle exposés ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-quatre mars deux mille dix.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Boré et Salve de Bruneton, avocat aux Conseils pour la société Les Assurances mutuelles de Picardie (demanderesse au pourvoi principal).
Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'AVOIR "dit qu'à défaut de démission de la part du salarié, les conditions de remboursement par celui-ci des sommes prises en charge par l'employeur stipulées par l'accord du 21 mars 2003 (n'étaient) pas réunies ; débout(é) en conséquence la Société ASSURANCES MUTUELLES DE PICARDIE de sa demande en remboursement (…)" ;
AUX MOTIFS QUE " concernant le fond et l'application du protocole considéré, (…) celui-ci ne mentionne pas, comme cela aurait pu être le cas, toute rupture de quelque nature qu'elle soit, à l'initiative du salarié, mais ne vise expressément que la démission, notion juridique distincte des autres modes de rupture à l'initiative du salarié ; que parfaitement clair sur ce point, l'acte n'appelle par conséquent aucune interprétation ; qu'à supposer même qu'il y ait matière à interprétation, il existerait en toute hypothèse un doute quant à la commune intention des parties, dès lors que le départ à la retraite ne peut être assimilé purement et simplement à une démission et que les circonstances ayant entouré la conclusion de l'accord ne permettent pas de tenir pour certain que les parties aient entendu procéder à une telle assimilation, en sorte que, par application de la règle posée par l'article 1162 du Code civil, la convention devrait, en toute hypothèse, s'interpréter contre celui qui a stipulé et en faveur de celui qui a contracté l'obligation ;
QU'en l'état, le salarié n'ayant pas démissionné, les conditions d'application de l'obligation de remboursement mise à sa charge dans une telle hypothèse par la convention ne peuvent être considérées comme réunies ; que le jugement entrepris sera par conséquent infirmé en toutes ses dispositions (…)" (arrêt p.5 dernier alinéa, p.6) ;
ALORS QUE dans leurs écritures d'appel, les ASSURANCES MUTUELLES DE PICARDIE avaient fait valoir que le protocole d'accord, signé le 21 mars 2003, et qui prévoyait une durée d'amortissement de la dette contractée par Monsieur X... de 5 années, soit jusqu'à l'année précédant son soixantième anniversaire, avait pour objet de conférer à l'employeur la garantie de se conserver les services du salarié pendant cette durée ; qu'en l'état de la législation de l'époque, ce protocole ne pouvait laisser hors de l'engagement pris par le salarié de ne pas démissionner l'hypothèse d'un départ volontaire, anticipé, à la retraite qui n'allait être permis aux salariés "longue carrière" que par la loi postérieure du 21 août 2003 ; qu'en ne répondant pas à ce chef déterminant des écritures de la Société intimée, la Cour d'appel, qui a privé sa décision de motifs, a violé l'article 455 du Code de procédure civile.
Moyen produit par la SCP Yves et Blaise Capron, avocat aux Conseils pour M. X... (demandeur au pourvoi incident).
Le pourvoi incident fait grief à l'arrêt attaqué D'AVOIR rejeté les moyens de nullité du protocole d'accord du 21 mars 2003 conclu entre M. Daniel X... et la société Assurances mutuelles de Picardie et D'AVOIR, en conséquence, débouté M. Daniel X... de ses demandes tendant à l'annulation de ce protocole d'accord et tendant à la condamnation de la société Assurances mutuelles de Picardie à lui payer la somme de 2 409 euros, augmentée des intérêts au taux légal à compter du 27 février 2003 ;
AUX MOTIFS QUE « concernant les moyens de nullité du protocole d'accord du 21 mars 2003 que par jugements définitifs du tribunal de grande instance d'Amiens des 14 février 1996 et 22 mars 2000, rendus dans l'instance en concurrence déloyale opposant l'Uap, les Amp et Monsieur X..., la responsabilité des Amp a été écartée et cette compagnie mise hors de cause, Monsieur X... étant en revanche condamné à payer à la société d'assurances Axa (aux droits de l'Uap) la somme principale de 155 656 F pour concurrence déloyale ; / attendu qu'en l'état de cette condamnation définitive mise à sa charge, Monsieur X... a pu valablement et licitement conclure avec la société Amp le protocole d'accord du 21 mars 2003, protocole aux termes duquel cette dernière, qui n'avait nulle obligation de le faire compte tenu de sa mise hors de cause dans l'instance en concurrence déloyale, consentait à prendre en charge 90 % des condamnations mises à la charge du salarié envers son ancien employeur, moyennant l'engagement de ce dernier de ne pas démissionner pendant une durée de cinq ans, sauf à être redevable du remboursement des sommes payées en ses lieu et place ; / qu'assumant une charge supérieure à ses obligations, les Amp étaient fondées à imposer en contrepartie au salarié une restriction à son droit de résiliation unilatéral du contrat de travail, dans des conditions n'ayant nullement pour effet d'interdire à celui-ci l'exercice effectif de ce droit ; / … attendu que les moyens de nullité du protocole étant écartés, la demande de Monsieur X... tendant au remboursement de la partie des condamnations laissées à sa charge ne peut être accueillie» (cf., arrêt attaqué, p. 5) ;
ALORS QUE, de première part, le droit à la démission du salarié dans le cadre d'un contrat de travail à durée indéterminée est un droit d'ordre public, auquel il ne peut en conséquence, hormis le cas spécifique des clauses de dédit-formation, être fait échec par aucune convention entre les parties, et les salariés ne peuvent renoncer, par avance, aux règles protectrices qui gouvernent la rupture du contrat de travail ; qu'en déboutant, dès lors, M. Daniel X... de sa demande d'annulation du protocole d'accord du 21 mars 2003 et en rejetant, en conséquence, sa demande de condamnation de la société Assurances mutuelles de Picardie à lui payer la somme de 2 409 euros, quand elle relevait que le protocole d'accord du 21 mars 2003 comportait l'engagement de M. Daniel X... envers son employeur de ne pas démissionner pendant une durée de cinq ans et quand cet engagement ne pouvait s'analyser en une clause de déditformation, la cour d'appel a violé les dispositions des articles L. 1231-4 et 1237-1du code du travail ;
ALORS QUE, de deuxième part et à titre subsidiaire, sont nulles les clauses contractuelles restreignant la liberté du salarié de démissionner qui ne sont pas indispensables à la protection des intérêts légitimes de l'entreprise ; qu'en déboutant, dès lors, M. Daniel X... de sa demande d'annulation du protocole d'accord du 21 mars 2003 et en rejetant, en conséquence, sa demande de condamnation de la société Assurances mutuelles de Picardie à lui payer la somme de 2 409 euros, sans relever que la clause de ce protocole par laquelle M. Daniel X... avait pris l'engagement envers son employeur de ne pas démissionner pendant une durée de cinq ans était indispensable à la protection des intérêts légitimes de la société Assurances mutuelles de Picardie, la cour d'appel a violé le principe fondamental du libre exercice d'une activité professionnelle et les dispositions de l'article L. 1121-1 du code du travail ;
ALORS QUE, de troisième part et à titre subsidiaire, sont nulles les clauses contractuelles restreignant la liberté du salarié de démissionner qui limitent, de manière disproportionnée, la liberté du salarié de démissionner par rapport à ce qui est nécessaire à la protection des intérêts légitimes de l'entreprise ; qu'en déboutant, dès lors, M. Daniel X... de sa demande d'annulation du protocole d'accord du 21 mars 2003 et en rejetant, en conséquence, sa demande de condamnation de la société Assurances mutuelles de Picardie à lui payer la somme de 2 409 euros, sans indiquer en quoi la clause de ce protocole par laquelle M. Daniel X... avait pris l'engagement envers son employeur de ne pas démissionner pendant une durée de cinq ans ne limitait pas, de manière disproportionnée, la liberté de M. Daniel X... de démissionner par rapport à ce qui est nécessaire à la protection des intérêts légitimes de la société Assurances mutuelles de Picardie, la cour d'appel a violé le principe fondamental du libre exercice d'une activité professionnelle et les dispositions de l'article L. 1121-1 du code du travail.