LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que la société Philippe Dumas a été affiliée à la Caisse de congés payés du bâtiment de la région de Toulouse (CCPBRT) à compter du 22 mai 1999 ; qu'elle a cessé de lui adresser les déclarations relatives à ses effectifs salariés et aux salaires versés à compter du 2e trimestre 2002 et a elle même procédé au paiement des congés payés de son personnel ; que la CCPBRT a saisi la juridiction commerciale d'une demande en paiement des cotisations impayées ;
Sur le premier moyen :
Attendu que la société Philippe Dumas fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté l'exception d'incompétence soulevée au profit de la juridiction prud'homale alors, selon le moyen, que le conseil de prud'hommes est compétent pour statuer sur tous les litiges qui s'élèvent à l'occasion du contrat de travail, sans qu'ils s'inscrivent nécessairement entre un employeur et son salarié ; que l'obligation d'affiliation d'une entreprise à la Caisse de congés payés et les conséquences qui en découlent sont accessoires aux contrats de travail conclus par les entreprises du bâtiment, en sorte que les litiges auxquels elles donnent lieu relèvent de la compétence exclusive du conseil des prud'hommes ; qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a violé l'article L. 1411-1 du code du travail ;
Mais attendu qu'ayant relevé que le litige n'oppose pas l'employeur et son salarié mais une entreprise à une caisse des congés payés du bâtiment pour non-paiement des cotisations, la cour d'appel a, à bon droit, écarté l'exception d'incompétence ; que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le deuxième moyen :
Attendu que la société fait grief à l'arrêt de l'avoir condamnée au paiement de diverses sommes au profit de la CCPBRT, au titre des déclarations non régularisées du 2e trimestre 2002 au 2e trimestre 2007 inclus, et à celui des majorations de retard alors, selon le moyen :
1°/ que constitue une atteinte disproportionnée et injustifiée au patrimoine de la société, l'obligation qui lui est faite de payer à une Caisse de congés payés des cotisations correspondant à des congés qu'elle a déjà directement payés à ses salariés ; qu'en condamnant l'entreprise à un tel paiement, la cour d'appel a violé l'article 1er du premier protocole additionnel de la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
2°/ que caractérise une rupture de l'égalité entre entreprises dans l'exercice du droit au respect de leur patrimoine social, l'obligation faite à certaines d'entre elles d'avoir à cotiser une année en avance pour le paiement des congés payés de leurs salariés ; que cette obligation, résultant de la seule nature de leur activité, légitimement exercée, n'est pas justifiée par un quelconque impératif de société démocratique ; qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a violé les articles 14 de la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 1er du premier protocole additionnel de cette convention ;
Mais attendu, d'une part, qu'aux termes de l'article 1er du protocole additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, le principe du droit au respect des biens de toute personne physique ou morale ne porte pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ;
Et attendu que l'adhésion obligatoire prévue en France par les articles L. 3141-30 et D. 3141-12 du code du travail aux caisses de congés payés est une mesure nécessaire à la protection de la santé, des droits et libertés d'autrui au sens de l'article 11 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; que l'entreprise, se devant de respecter les règles de cette affiliation en réglant ses cotisations, n'est pas fondée à se prévaloir d'un paiement direct et libératoire des congés payés à ses salariés pour prétendre à une atteinte excessive et injustifiée à son patrimoine ;
Attendu, d'autre part, qu'ayant relevé que l'appel des cotisations en début d'année était destiné à garantir les congés payés des salariés dans un secteur qui connaît des interruptions d'activité et des changements fréquents d'employeurs, de sorte que la différence de traitement opérée entre les entreprises du bâtiment et les entreprises exerçant dans d'autres domaines d'activité était objectivement rendue nécessaire conformément à l'article 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales la cour d'appel a fait l'exacte application des dispositions conventionnelles visées au moyen ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Mais sur le troisième moyen, pris en sa première branche :
Vu l'article 41, alinéa 3 de la loi du 29 juillet 1881 ;
Attendu que pour condamner la société Philippe Dumas à payer à la CCPBRT une somme pour préjudice moral, la cour d'appel a relevé que les imputations contenues dans les conclusions de l'entreprise étaient injurieuses ;
Qu'en statuant ainsi, alors que les écrits incriminés ne présentaient aucun caractère d'extranéité à la cause, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
Et attendu qu'il y a lieu de faire application de l'article 627, alinéa 1er, du code de procédure civile ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les deuxième et troisième branches du troisième moyen :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce que qu'il a condamné la société Philippe Dumas à payer à la Caisse de congés payés du bâtiment de la région de Toulouse la somme de 2 000 euros pour préjudice moral, l'arrêt rendu le 21 mai 2008, entre les parties, par la cour d'appel de Toulouse ;
Dit n'y avoir lieu à renvoi ;
Déboute la Caisse de congés payés du bâtiment de la région de Toulouse de sa demande en paiement de dommages-intérêts pour préjudice moral ;
Laisse à chaque partie la charge de ses propres dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne la société Philippe Dumas à payer à la Caisse de congés payés du bâtiment de la région de Toulouse la somme de 2 500 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du dix-sept février deux mille dix.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat aux conseils pour la société Philippe Dumas ;
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt attaqué D'AVOIR REJETE l'exception d'incompétence soulevée au profit de la juridiction prud'homale ;
AUX MOTIFS QUE le conseil de prud'hommes ne peut connaître que des litiges entre employeurs et salariés nés à l'occasion du contrat de travail ; que le présent litige n'oppose pas un employeur et son salarié ;
ALORS QUE le conseil de prud'hommes est compétent pour statuer sur tous les litiges qui s'élèvent à l'occasion du contrat de travail, sans qu'ils s'inscrivent nécessairement entre un employeur et son salarié ; que l'obligation d'affiliation d'une entreprise à la caisse de congés payés et les conséquences qui en découlent sont accessoires aux contrats de travail conclus par les entreprises du bâtiment, en sorte que les litiges auxquels elles donnent lieu relèvent de la compétence exclusive du conseil des prud'hommes ; qu'en statuant comme elle l'a fait, la Cour d'appel a violé l'article L. 1411-1 du Code du travail.
DEUXIEME MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué D'AVOIR CONDAMNE l'EURL Philippe Dumas au paiement de diverses sommes au profit de la caisse de congés payés du bâtiment de la région de Toulouse, au titre des déclarations non régularisées du 2ème trimestre 2002 au 2ème trimestre 2007 inclus, décomptées sur la base de la dernière déclaration effectuée au 1er trimestre 2002, et à celui des majorations de retard ;
AUX MOTIFS QUE les congés payés que l'EURL Philippe Dumas aurait versés directement à ses salariés ne sont nullement libératoires puisque l'affiliation à la caisse est une obligation ;
ALORS D'UNE PART QUE constitue une atteinte disproportionnée et injustifiée au patrimoine de la société, l'obligation qui lui est faite de payer à une caisse de congés payés des cotisations correspondant à des congés qu'elle a déjà directement payés à ses salariés ; qu'en condamnant l'entreprise à un tel paiement, la Cour d'appel a violé l'article 1er du premier protocole additionnel de la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
ALORS D'AUTRE PART QUE caractérise une rupture de l'égalité entre entreprises dans l'exercice du droit au respect de leur patrimoine social, l'obligation faite à certaines d'entre elles d'avoir à cotiser une année en avance pour le paiement des congés payés de leurs salariés ; que cette obligation, résultant de la seule nature de leur activité, légitimement exercée, n'est pas justifiée par un quelconque impératif de société démocratique ; qu'en statuant comme elle l'a fait, la Cour d'appel a violé les articles 14 de la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 1er du premier protocole additionnel de cette convention.
TROISIEME MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt attaqué D'AVOIR CONDAMNE l'EURL Philippe Dumas à payer à la caisse de congés payés du bâtiment de la région de Toulouse la somme de 2000 euros pour préjudice moral ;
AUX MOTIFS QUE sur le préjudice moral, les imputations de l'EURL Philippe Dumas de crédit constitué sur le dos des entreprises et d'exercice illégal de la profession bancaire sont injurieuses à l'égard d'un organisme qui fonctionne sous un régime mutualiste et sans but lucratif ; qu'il sera alloué 2000 euros à la caisse à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral ;
ALORS D'UNE PART QUE les écrits produits devant les tribunaux, sauf s'ils sont étrangers à la cause et excèdent ainsi les droits de la défense, ne peuvent donner lieu à aucune action en diffamation, injure ou outrage ; que dans ses conclusions d'appel l'EURL Philippe Dumas, pour se défendre d'avoir à payer des cotisations à la caisse en plus des congés payés versés à ses salariés, a énoncé qu'un tel paiement, « outre le fait de permettre à celle-ci (la caisse) de se constituer du crédit sur le dos des entreprises et d'exercer illégalement la profession de banque, heurterait les dispositions de l'article 1376 relatives à la répétition de l'indu et de l'article 1371 relatives à l'enrichissement sans cause » (conclusions p.4 in fine : production) ; qu'en condamnant l'entreprise au paiement de dommages et intérêts en raison de tels propos, qui n'étaient pas étrangers à la cause, la Cour d'appel a violé les articles 41 alinéa 3 de la loi du 29 juillet 1881, ensemble les articles 6 et 10 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et les droits de la défense ;
ALORS D'AUTRE PART QUE seuls des discours injurieux, outrageants ou diffamatoires tenus devant les tribunaux, dont la suppression a été demandée par la partie qui en a été victime, peuvent donner lieu par les juges saisis de la cause et statuant sur le fond, en plus de leur suppression, au paiement de dommages et intérêts ; qu'en allouant une réparation au regard du contenu prétendument injurieux d'un extrait de conclusions, lequel d'une part ne constituait pas un « discours » et d'autre part, n'avait pas fait l'objet d'une demande de suppression, la Cour d'appel a violé les articles 41 alinéa 4 de la loi du 29 juillet 1881, ensemble les articles 6 et 10 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
ALORS ENFIN QUE les abus de la liberté d'expression protégés par l'immunité judiciaire instituée par l'article 41 alinéa 3 de la loi du 29 juillet 1881, ne peuvent être sanctionnés sur le fondement de la responsabilité civile ; que de ce chef encore, la Cour d'appel a violé le texte précité et, par fausse application, l'article 1382 du Code civil.