LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique pris en ses trois branches, la deuxième étant recevable :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Bordeaux, 13 octobre 2008), que M. Daniel X... était le commissaire aux comptes de la société ACCE industries (la société Acce) dont son fils Julien était actionnaire et que tous deux étaient actionnaires de la société de conseil juridique Euro consultants que dirigeait ce dernier ; qu'en novembre 1998, sur les conseils de M. Daniel X... et avec le concours de M. Julien X..., la société ACCE a réalisé une transaction intra-communautaire fictive qui lui valu un crédit de taxe à la valeur ajoutée (TVA) ; que, le 17 janvier 2000, l'administration des impôts a notifié à la société ACCE un redressement de TVA avec pénalités ; que, le 27 octobre 2004, la société ACCE a assigné MM. Daniel et Julien
X...
aux fins de reconnaissance de leur responsabilité dans le redressement fiscal et de paiement de diverses sommes correspondant à ce redressement et aux pénalités outre des dommages-intérêts ;
Attendu que MM. Daniel et Julien
X...
font grief à l'arrêt d'avoir accueilli ces demandes alors, selon le moyen :
1° / que ne peut constituer une faute la délivrance d'un conseil conforme à la législation fiscale ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que le caractère frauduleux de l'opération de TVA résultait seulement du caractère fictif du vendeur et de l'acquéreur et du fait qu'aucune facture de transport ou contrat commercial n'avait été passée ; qu'elle ne pouvait dès lors imputer l'entière responsabilité du dommage résultant du redressement à M. Daniel X..., au motif que celui-ci " se devait, avant de fournir les renseignements et surtout avant de procéder à la transaction pour ACCE, de recueillir les informations nécessaires pour informer la société en connaissance de cause, ce qu'il n'a manifestement pas fait ", sans constater qu'il aurait été à l'origine du choix des cocontractants fictifs ayant abouti au redressement ; qu'en statuant de la sorte, la cour d'appel a violé l'article 1382 du code civil ;
2° / qu'à supposer même que M. Daniel X... était tenu de " recueillir les informations nécessaires pour informer la société ACCE en connaissance de cause ", la cour d'appel, qui constatait que la société ACCE était l'auteur de l'opération fictive de TVA, ne pouvait l'exonérer de toute responsabilité dans le dommage intervenu sans constater qu'elle pouvait légitimement ignorer le caractère frauduleux du mécanisme mis en place ; que dès lors en affirmant que la faute de M. Daniel X... serait à l'origine du dommage intervenu, sans se prononcer sur la propre responsabilité de l'auteur de la fraude, la cour d'appel a violé l'article 1382 du code civil ;
3° / que nul ne peut se constituer de preuve à soi-même ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a retenu comme seul élément probant de la participation effective de MM. X... à l'opération fictive de TVA le témoignage de Mme Y..., salariée de la société ACCE ; que la cour d'appel, qui a affirmé que la qualité d'actionnaire de Mme Y...au sein de la société ACCE ne supprimait pas la valeur probante de son témoignage, aurait dû rechercher, comme elle y était précisément invitée, si cette valeur probante pouvait de même être admise au regard de sa qualité de préposée de la société demanderesse ; que, pour s'en être abstenue, la cour d'appel a privé son arrêt de base légale au regard de l'article 1315 du code civil ;
Mais attendu que l'arrêt relève, par motifs propres et adoptés, que M. Daniel X... était l'apporteur de la transaction dont il connaissait seul les tenants et les aboutissants ainsi que le mécanisme fiscal, que les faits sont constitutifs d'une faute commise par lui en sa qualité de personne physique profitant de l'aura et du prestige que ses attributions lui conféraient et que le courrier signé par lui le 24 décembre 1999 confirme qu'il en avait pleine conscience et acceptait le principe d'une indemnisation ; que l'arrêt constate encore que M. Julien X... a adressé au dirigeant de la société ACCE un fax, signé par lui, sur du papier à en tête " Daniel X... commissaire aux comptes ", comportant le modèle de facture à établir, qu'il a déclaré au cours de son audition par le service régional de police judiciaire avoir remis un chèque tiré sur le compte de la société Euro consultants pour cette opération car la société ACCE n'avait pas de trésorerie suffisante ; que l'arrêt retient aussi que la société ACCE n'entrait dans la combinaison que pour la délivrance de factures, que M. Daniel X... a abusé de son incompréhension du mécanisme, qu'il s'est servi d'elle comme le moyen de son enrichissement personnel et de celui de sa proche famille et que, contrairement à ce qu'il soutient, c'est sa faute personnelle qui est cause de la catastrophe financière résultant de cette fraude, et non pas celle de la direction de la société ACCE à qui il est malvenu de reprocher d'avoir été dupée et d'avoir cru dans la mise en scène de son entreprise malhonnête ; qu'en l'état de ces constatations et appréciations, la cour d'appel, qui ne s'est pas fondée sur le seul témoignage de Mme Y...et a procédé aux recherches prétendument omises, a pu statuer comme elle a fait ; que le moyen n'est pas fondé.
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne MM. Daniel et Julien
X...
aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, les condamne à payer à M. Z..., en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société ACCE industries la somme globale de 2 500 euros et rejette leur demande ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du seize février deux mille dix.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par Me Odent, avocat aux Conseils, pour MM. Daniel et Julien
X...
Il est fait grief à l'arrêt attaqué D'AVOIR déclaré MM. Daniel et Julien
X...
solidairement responsables du préjudice subi par la société ACCE et, en conséquence, de les avoir condamnés solidairement à lui verser les sommes de 63. 413, 15 € résultant du redressement fiscal au titre de la TVA fraudée et 159. 113, 78 € au titre des pénalités, avec les intérêts au taux légal à compter du 27 octobre 2004, outre la somme de 15. 000 € au titre des conséquences morales, économiques et financières et les intérêts au taux légal sur cette somme à compter du 19 janvier 2006 ;
AUX MOTIFS PROPRES QUE Mme Y..., comptable de la société ACCE, a témoigné que M. Daniel X..., qu'elle connaissait en sa qualité de commissaire aux comptes de l'entreprise, lui avait téléphoné dans le courant de l'été 1998 pour savoir si l'entreprise se trouvait débitrice de TVA, puis s'était déplacé dans l'entreprise pour lui faire pratiquer une « opération sur la TVA, qui n'avait rien à voir avec mes opérations habituelles » ; que, par la suite, en novembre 1998, pendant l'absence de M. B..., M. Daniel X... était venu au sein de l'entreprise pour mettre en place « l'affaire en question » avec M. C...; qu'il lui avait demandé du papier à en-tête de l'entreprise pour que son fils Julien effectue les factures nécessaires ; que le fait que Mme Y...soit actionnaire de l'entreprise qui l'emploie ne supprime pas la valeur probante de son attestation ; que, dans son procès-verbal d'audition par le SRPJ de Nantes, le 28 septembre 1999, Julien X... explique que la société EUROCONSULTANTS, qui exerce une activité de conseil juridique et fiscal, s'est ajoutée une activité de négoce intra-communautaire par une assemblée générale extraordinaire du 30 décembre 1998 ; que la société ACCE « avait été approchée par mon père du fait des liens privilégiés qu'il entretenait avec un des associés M. C...; la première opération (…) s'est déroulée en novembre 1998 (…) avait été proposée par le nommé Pierre D.... Après avoir reçu et accepté la proposition de ce dernier et qu'ACCE Industries ait donné son accord d'y participer, M. C...et moi avons reçu la visite de Julien E..., porteur d'un chèque Kredietbank de près de 2. 000. 000 F … » ; qu'un banquier a accepté le chèque de banque et que « j'ai établi à partir du compte CIO de EURO-CONSULTANTS un chèque de 250. 000 francs que j'ai remis à M. C...pour qu'il le dépose avec l'autre formule (…) sur son compte. J'ai agi ainsi car ACCE Industries n'avait pas la trésorerie suffisante pour établir le chèque de règlement fournisseur en retour. Suite à cela, ACCE Industries m'a remis le chèque de règlement pour cette opération que j'ai remis au CIO » ; que, par ailleurs, le 9 novembre 1998, un fax établi sur du papier à en-tête « Daniel X... commissaire aux comptes » a été adressé par Julien X... à Bernard C...à l'entreprise, comportant le message suivant : « voici le modèle de facture à établir par ACCE. Rappelles-moi ce matin rapidement. Merci » ; qu'il n'était pas dans les attributions de M. Daniel X... de proposer uen transaction commerciale à la société qu'il surveillait ; que le contractant étranger n'était pas un client de la société ACCE mais était seulement connu de l'apporteur de la transaction et que, dès que la société ACCE s'est vu dotée d'un nouveau président-directeur général, M. B..., et dès qu'elle a pris contact avec son expert-comptable pour étudier la transaction de novembre 1998, elle a refusé la nouvelle opération que lui proposait son commissaire aux comptes ; que la cour considère que ces faits sont constitutifs d'une faute commise par M. Daniel X... non pas en sa qualité de commissaire aux comptes, mais en sa qualité de personne physique profitant de l'aura et du prestige que ses attributions lui conféraient ; qu'apporteur de la transaction, dont il connaissait seul les tenants et les aboutissants ainsi que le mécanisme fiscal, il s'est servi de la société ACCE comme du moyen de son enrichissement personnel et de celui de sa proche famille puisqu'il était intéressé à l'enrichissement corrélatif de la société EURO-CONSULTANT dont il était actionnaire et que son fils était actionnaire de la société ACCE ; Que cette dernière n'entrait dans la combinaison que pour la nécessité de délivrance de factures dont il a lui-même présenté le modèle, ce qui est confirmé par le fait que, lorsque le nouveau responsable de cette société a compris la fraude et refusé sa participation à la seconde opération, il a été obligé d'avoir recours à sa propre société EURO-CONSULTANTS pour l'établissement des factures, se dévoilant encore davantage ; que, contrairement à ce que soutient M. Daniel X..., c'est sa faute personnelle qui est la cause de la catastrophe financière résultant de cette fraude et non pas celle de la direction de la société ACCE à qui il est malvenu de reprocher d'avoir été dupée et d'avoir cru dans la mise en scène de son entreprise malhonnête ; que le courrier signé le 24 décembre 1999 par lui ne fait que confirmer qu'il en avait pleinement conscience et acceptait le principe d'une indemnisation ; que c'est donc par une exacte appréciation des faits et du droit que le premier juge, par une motivation qui est adoptée, a estimé que les conséquences de cette faute devaient être mises à sa charge ;
ET AUX MOTIFS ADOPTES QU'il est établi que celui qui a accepté de donner des renseignements a lui-même l'obligation de s'informer pour informer en connaissance de cause, même en dehors de toute obligation positive conventionnelle ou légale ; que MM. X... n'ont pas contesté les actes matériels effectués par eux dans cette transaction (consignes pour passer les écritures comptables, port des chèques et des factures) ; que, dans ces conditions, M. Daniel X... ne peut sérieusement soutenir avoir donné un simple conseil et n'avoir accompli aucun acte positif ; Qu'en l'espèce, le président-directeur général d'ACCE a accordé crédit à sa proposition, notamment au regard de son métier et de ses compétences supposées ; qu'il convient de rappeler que, selon les informations aux débats et non contestées, c'est Daniel X... et non le président-directeur général de la société ACCE qui a assuré toute la mise en place de cette transaction ; que, dès lors qu'il ne prétend pas avoir reçu mandat du présidentdirecteur général d'ACCE pour ce faire, il a commis une faute en effectuant ces actes de gestion qui n'entraient dans aucune de ses missions ; qu'il est par ailleurs établi par la notification de redressements des services fiscaux du 17 janvier 2000 que la société fournisseur originaire est totalement fictive puisqu'elle ne fait aucun chiffre d'affaires et qu'elle n'a pas d'existence physique ; que la société anglaise supposée acquéreur des cartouches d'encre a des gérants français, domiciliés à Paris, et n'a aucune activité réelle ; qu'aucune facture de transport n'a été passée en comptabilité et qu'il n'y a jamais eu de relation réelle avec les clients ; que s'il pouvait ignorer la fictivité de la société fournisseur originaire, il lui était plus difficile d'ignorer la fictivité du client direct et, surtout, lorsqu'il a donné les instructions comptables, il ne pouvait ignorer que le transport n'était pas facturé puisque ces factures auraient dû passer en comptabilité ; que M. Daniel X... ne peut soutenir que l'opération était de la seule responsabilité du présidentdirecteur général de la société ACCE alors qu'il ne nie pas avoir été tant à l'origine que l'organisateur, tout le moins comptable, de l'opération et qu'il ne pouvait ignorer que la transaction n'avait aucun support contractuel ; que, dans le cas contraire, il serait en mesure aujourd'hui de justifier avoir simplement mis en relation le président-directeur général de la société ACCE avec des fournisseurs et des clients identifiés ; que M. Daniel X... se devait, avant de fournir les renseignements et surtout avant de procéder à la transaction, recueillir les informations nécessaires pour informer la société en connaissance de cause, ce qu'il n'a manifestement pas fait ; qu'il n'est pas nécessaire d'établir la faute pénale ou la mauvaise foi de M. Daniel X... pour conclure qu'il a commis une faute en fournissant des renseignements sur la transaction litigieuse et en instrumentant pour la société ACCE dans cette transaction ; qu'il est établi par l'ensemble des éléments indiqués ci-dessus qu'un homme avisé, de profession comptable et financière, aurait dû faire un certain nombre de vérifications et voir son attention attirée par des éléments de cette transaction pour éviter la réalisation du dommage, au surplus l'accomplissements d'actes positifs de gestion, sans mandat, et en dehors de ses fonctions, est constitutif d'une faute ; que dès lors M. Daniel X... a commis une faute en lien direct avec le redressement fiscal notifié à la société ACCE le 17 janvier 2000 ;
1° / ALORS QUE ne peut constituer une faute la délivrance d'un conseil conforme à la législation fiscale ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que le caractère frauduleux de l'opération de TVA résultait seulement du caractère fictif du vendeur et de l'acquéreur et du fait qu'aucune facture de transport ou contrat commercial n'avait été passée ; qu'elle ne pouvait dès lors imputer l'entière responsabilité du dommage résultant du redressement à M. Daniel X..., au motif que celui-ci « se devait, avant de fournir les renseignements et surtout avant de procéder à la transaction pour ACCE, de recueillir les informations nécessaires pour informer la société en connaissance de cause, ce qu'il n'a manifestement pas fait », sans constater qu'il aurait été à l'origine du choix des cocontractants fictifs ayant abouti au redressement ; qu'en statuant de la sorte, la cour d'appel a violé l'article 1382 du code civil ;
2° / ALORS QU'à supposer même que M. Daniel X... était tenu de « recueillir les informations nécessaires pour informer la société ACCE en connaissance de cause », la cour d'appel, qui constatait que la société ACCE était l'auteur de l'opération fictive de TVA, ne pouvait l'exonérer de toute responsabilité dans le dommage intervenu sans constater qu'elle pouvait légitimement ignorer le caractère frauduleux du mécanisme mis en place ; que dès lors en affirmant que la faute de M. Daniel X... serait à l'origine du dommage intervenu, sans se prononcer sur la propre responsabilité de l'auteur de la fraude, la cour d'appel a violé l'article 1382 du code civil ;
3° / ALORS QUE nul ne peut se constituer de preuve à soi-même ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a retenu comme seul élément probant de la participation effective de MM. X... à l'opération fictive de TVA le témoignage de Mme Y..., salariée de la société ACCE ; que la cour d'appel, qui a affirmé que la qualité d'actionnaire de Mme Y...au sein de la société ACCE ne supprimait pas la valeur probante de son témoignage, aurait dû rechercher, comme elle y était précisément invitée, si cette valeur probante pouvait de même être admise au regard de sa qualité de préposée de la société demanderesse ; que, pour s'en être abstenue, la cour d'appel a privé son arrêt de base légale au regard de l'article 1315 du code civil.