Arrêt n° 266 P + B + R + I Pourvois n° Z 08-86. 304 T 09-13. 944 JONCTION
LA COUR DE CASSATION, siégeant en CHAMBRE MIXTE, a rendu l'arrêt suivant :
REJET du pourvoi n° 08-86. 304 formé par la société civile immobilière (SCI) Verica, dont le siège est 27 avenue Kennedy, 93320 Les Pavillons-sous-Bois, contre l'arrêt rendu le 17 juin 2008 par la cour d'appel de Paris (6e chambre de l'instruction), confirmant la décision rendue le 3 juillet 2007 par le juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance de Bobigny qui a rejeté la demande de mainlevée d'inscription d'hypothèque judiciaire présentée par la SCI Verica ;
ANNULATION sans renvoi sur le pourvoi n° 09-13. 944 formé par le procureur général près la cour d'appel de Paris, 34, quai des Orfèvres, 75001 Paris, contre :
1°) l'arrêt rendu le 17 juin 2008 par la cour d'appel de Paris (6e chambre de l'instruction),
2°) l'arrêt rendu le 19 février 2009 par la cour d'appel de Paris (2e chambre, section B),
concernant la SCI Verica ;
M. le premier président a, par ordonnance du 15 juin 2009, renvoyé les pourvois devant une chambre mixte et, par ordonnance du 23 novembre 2009, indiqué que cette chambre mixte serait composée des deuxième et troisième chambres civiles et de la chambre criminelle ;
La demanderesse au pourvoi n° Z 08-86. 304 invoque devant la chambre mixte le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt ;
Ce moyen a été formulé dans un mémoire déposé au greffe de la Cour de cassation par Me Spinosi, avocat de la SCI Verica ; Me Spinosi a également déposé des observations complémentaires ;
Le procureur général près la cour d'appel de Paris, demandeur au pourvoi n° T 09-13. 944, invoque devant la chambre mixte le moyen unique de cassation déposé au greffe de la Cour de cassation et annexé au présent arrêt ;
Un mémoire en réponse a été déposé au greffe de la Cour de cassation par Me Spinosi ;
Le rapport écrit de M. Rouzet, conseiller, et l'avis écrit de M. Boccon-Gibod, avocat général, ont été mis à la disposition des parties ;
Sur quoi, LA COUR, siégeant en chambre mixte, en l'audience publique du 27 novembre 2009, où étaient présents : M. Lamanda, premier président, MM. Pelletier, Lacabarats, présidents, M. Mazars, conseiller doyen remplaçant M. le président Gillet empêché, M. Rouzet, conseiller rapporteur, MM. Joly, Cachelot, Mmes Lardet, Foulon, MM. Barthélemy, Guérin, Mme Bardy, M. Finidori, conseillers, M. Boccon-Gibod, avocat général, Mme Tardi, directeur de greffe ;
Sur le rapport de M. Rouzet, conseiller, assisté de Mmes Cohen et Georget, auditeurs au Service de documentation et d'études, les observations de Me Spinosi, l'avis de M. Boccon-Gibod, avocat général, tendant à la cassation des arrêts, auquel Me Spinosi, invité à le faire, a répliqué, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Joint les pourvois n° 08-86. 304 et 09-13. 944 ;
Attendu qu'un juge des libertés et de la détention ayant autorisé sur le fondement de l'article 706-103 du code de procédure pénale, l'inscription provisoire d'une hypothèque sur un immeuble appartenant à la société civile immobilière Verica (la SCI), ce même juge a rejeté la demande de mainlevée de cette mesure ; que, par arrêt du 17 juin 2008, la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris a confirmé cette décision ; que par arrêt du 19 février 2009, la chambre civile de la cour d'appel de Paris, également saisie par la SCI d'un recours contre la même décision, a ordonné la mainlevée de la mesure ;
Sur le moyen unique du pourvoi n° 08-86. 304, dirigé contre l'arrêt du 17 juin 2008, qui est préalable :
Attendu que la SCI Verica fait grief à l'arrêt de la chambre de l'instruction du 17 juin 2008 de rejeter sa demande, alors, selon le moyen :
1° / qu'il résulte de l'article 706-103 du code de procédure pénale que les mesures provisoires susceptibles d'être ordonnées par le juge des libertés et de la détention doivent répondre aux modalités prévues par les voies civiles d'exécution ; que la chambre de l'instruction ne pouvait se borner à affirmer que l'inscription d'hypothèque dont la mainlevée était demandée n'était pas excessive au regard des peines encourues, sans caractériser, conformément aux exigences de l'article 67 de la loi du 9 juillet 1991, qu'il existait des circonstances de nature à mettre en péril le recouvrement de la créance ;
2° / qu'en refusant d'ordonner la mainlevée autorisant une inscription d'hypothèque sur un bien d'une valeur de 661 832 euros lorsqu'il résulte des pièces de la procédure que seule la provenance de 228 191 euros, montant au demeurant contesté, est indéterminée, la chambre de l'instruction a porté une atteinte disproportionnée au droit de propriété de la SCI Verica ;
3° / qu'il résulte de la décision du Conseil constitutionnel n° 2004-492 du 2 mars 2004 qu'en matière d'atteinte aux biens ne présentant pas de danger pour les personnes, il appartient au juge judiciaire d'apprécier l'existence d'éléments de gravité justifiant les procédures exceptionnelles prévues aux articles 706-73 et suivants du code de procédure pénale ; que la chambre de l'instruction ne pouvait, pour s'abstenir de procéder à cette recherche, se borner à indiquer que la réserve d'interprétation émise par le Conseil constitutionnel ne concerne que l'infraction de vol en bande organisée ;
Mais attendu qu'ayant, par motifs propres et adoptés, retenu à bon droit que le juge des libertés et de la détention peut ordonner des mesures conservatoires afin de garantir le paiement des amendes encourues et que la réserve d'interprétation invoquée par la SCI avait été émise par le Conseil constitutionnel à propos de l'infraction de vol en bande organisée relevant de l'article 706-73 du code de procédure pénale et non quant aux autres infractions qui y sont visées, la chambre de l'instruction, qui a relevé que l'inscription d'hypothèque à hauteur d'une somme de 661 832 euros n'était pas une mesure excessive au regard des amendes encourues, et qui était seulement tenue de s'assurer que les modalités prévues par les procédures d'exécution avaient été respectées, en a exactement déduit que la demande de mainlevée devait être rejetée ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Sur la recevabilité du pourvoi n° 09-13. 944, contestée par la défense :
Attendu que la SCI conteste la recevabilité du pourvoi au motif qu'il ne vise qu'une seule des deux décisions prétendues inconciliables, en l'espèce l'arrêt (n° 2007 / 05611) rendu par la cour d'appel de Paris (6e chambre de l'instruction) le 17 juin 2008 ;
Mais attendu que le pourvoi visant aussi l'arrêt (n° RG 07 / 12919) rendu par la cour d'appel de Paris (2e chambre, section B) le 19 février 2009, le moyen manque en fait ;
D'où il suit que le pourvoi est recevable ;
Sur la recevabilité du moyen unique du pourvoi n° 09-13. 944, contestée par la défense :
Attendu que la SCI conteste la recevabilité du moyen au motif qu'il ne précise pas la partie critiquée de la décision attaquée et que le ministère public n'ayant pas soulevé la fin de non-recevoir tirée de l'autorité de la chose jugée devant la chambre civile, le moyen est nouveau ;
Mais attendu que le procureur général près la cour d'appel de Paris invoquant une contrariété entre les dispositifs des deux décisions dont le caractère inconciliable aboutit à un déni de justice, le moyen est recevable ;
Sur le moyen unique du pourvoi n° 09-13. 944 :
Vu l'article 4 du code civil, ensemble l'article 618 du code de procédure civile ;
Attendu que le pourvoi dirigé contre deux décisions, dont l'une émane du juge pénal et l'autre du juge civil, est recevable lorsque, même non rendues en dernier ressort et alors qu'aucune d'elles n'est susceptible d'un recours ordinaire, elles sont inconciliables dans leur exécution et aboutissent à un déni de justice ;
Attendu que du rapprochement des dispositifs des deux arrêts, il résulte que la mainlevée de l'inscription provisoire d'hypothèque est refusée par l'un et accordée par l'autre ; que ces décisions sont inconciliables dans leur exécution et aboutissent à un déni de justice ;
Et attendu que dès lors que la première décision de la chambre de l'instruction, rendue, à défaut de disposition particulière dérogatoire, par la juridiction compétente pour connaître de l'appel d'une décision du juge des libertés et de la détention, est conforme à la doctrine de la Cour de cassation, il convient d'annuler la seconde, rendue par la chambre civile ;
Attendu qu'en application de l'article 627, alinéa 1er, du code de procédure civile, l'annulation encourue n'implique pas qu'il soit à nouveau statué sur le fond ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi formé par la SCI Verica contre l'arrêt rendu le 17 juin 2008 par la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris ;
ANNULE, l'arrêt rendu le 19 février 2009 par la 2e chambre, section B de la cour d'appel de Paris ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
Laisse les dépens à la charge de la SCI Verica ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la SCI Verica ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera remis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, siégeant en chambre mixte, et prononcé par le premier président en son audience publique du onze décembre deux mille neuf.
MOYENS ANNEXES :
Moyen produit par Me Spinosi, avocat aux Conseils, pour la SCI Verica, demanderesse au pourvoi n° 08-86. 304
Violation des articles 67 de la loi du 9 juillet 1991, 706-73 et 706-74, 706-103, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
En ce que la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris a déclaré mal fondée la demande de mainlevée d'inscription d'hypothèque formulée par la SCI Verica;
Aux motifs que “ Considérant que ce texte dispose qu'en cas d'information ouverte pour l'une des infractions entrant dans le champ d'application des articles 706-73 et 706-74 du code de procédure pénale et afin de garantir le paiement des amendes encourues ainsi que, le cas échéant, l'indemnisation des victimes et l'exécution de la confiscation, le juge des libertés et de la détention, sur requête du procureur de la République, peut ordonner, aux frais avancés du Trésor et selon les modalités prévues par les procédures civiles d'exécution, des mesures conservatoires sur les biens, meubles ou immeubles, divis ou indivis, de la personne mise en examen " ;
Que le critère retenu par le législateur pour permettre une telle voie d'exécution est l'ouverture d'une information pour des faits compris dans la liste des infractions relevant des textes procéduraux spécifiques prévus par la loi du 09 mars 2004 sur la criminalité organisée et la grande délinquance financière ; qu'est en effet inopérante la saisine ou non de la JIRS, l'initiative du dessaisissement du juge d'instruction appartenant exclusivement au procureur de la République de la juridiction non spécialisée, à qui revient l'appréciation de la notion de grande complexité ;
Que la SCI Verica, comme Verica X... et nombre de membres de sa famille, est mise en examen notamment pour des faits visés par l'article 706-73 du code de procédure pénale s'agissant de l'infraction d'association de malfaiteurs, et pour des faits visés à l'article 706-74 dudit code, s'agissant des infractions d'escroquerie en bande organisée et de blanchiment en bande organisée du produit des escroqueries ; qu'elle n'est pas recevable à solliciter dans le présent cadre procédural, la nullité de ses chefs de mise en examen ;
Que la circonstance que les personnes mises en examen appartiennent à la même famille et le fait que l'information initiale contre X n'ait pas été ouverte sur le fondement des articles 706-73 et suivants du code de procédure pénale ne sont pas exclusifs de l'applicabilité de la procédure critiquée dans un dossier qui révèle une organisation structurée regroupant des personnes appartenant à la communauté yougoslave ;
Qu'il convient de souligner que la réserve d'interprétation invoquée par la SCI Verica a été émise par le Conseil constitutionnel à propos de l'infraction de vol en bande organisée relevant de l'article 706-73 et non quant aux autres infractions qui y sont visées, ni à celles prévues à l'article 706-74 du code de procédure pénale ; qu'au demeurant, dans sa décision du 2 mars 2004, ledit Conseil rappelle qu'il est loisible au législateur de prévoir des règles de procédure pénale différentes selon les faits, les situations et les personnes auxquelles elles s'appliquent, à la condition que ces différences ne procèdent pas de discriminations injustifiées et que soient assurées aux justiciables des garanties égales notamment quant au respect du principe des droits de la défense ;
Considérant que l'information ouverte pour blanchiment de fonds et escroquerie en bande organisée révèle le déséquilibre entre les revenus officiels de la famille X... et l'ampleur de son patrimoine notamment immobilier, obtenu à partir de fonds d'origine frauduleuse ou douteuse ;
Que ces éléments et l'importance des amendes encourues imposent la prise d'une garantie par l'inscription d'une hypothèque provisoire sur l'immeuble acquis frauduleusement par le biais de la SCI Verica constituée pour la circonstance et ayant usé de faux documents pour accréditer des revenus réguliers de nature à ouvrir un droit à prêt ; que les conditions définies aux articles 250, 251, 255 et 259 du décret n° 92-755 du 31 juillet 1992 instituant de nouvelles règles relatives aux procédures civiles d'exécution pour l'application de la loi n° 91-650 du 9 juillet 1991 portant réforme des procédures civiles d'exécution ont été respectées ;
Qu'il s'ensuit que la mesure conservatoire de nature civile, telle que prévue à l'article 706-103 du code de procédure pénale, est justifiée ”,
Alors que d'une part, il résulte de l'article 706-103 du code de procédure pénale que les mesures conservatoires susceptibles d'être ordonnées par le juge des libertés et de la détention doivent répondre aux modalités prévues par les voies civiles d'exécution ; que la chambre de l'instruction ne pouvait se borner à affirmer que l'inscription d'hypothèque dont la mainlevée était demandée n'était pas excessive au regard des peines encourues, sans caractériser, conformément aux exigences de l'article 67 de la loi du 9 juillet 1991, qu'il existait des circonstances de nature à mettre en péril le recouvrement de la créance ;
Alors que d'autre part, en refusant d'ordonner la mainlevée autorisant une inscription d'hypothèque sur un bien d'une valeur de 661 832 euros lorsqu'il résulte des pièces de la procédure que seule la provenance de 228 191 euros, montant au demeurant contesté, est indéterminée, la chambre de l'instruction a porté une atteinte disproportionnée au droit de propriété de l'exposante ;
Alors qu'enfin, il résulte de la décision du Conseil constitutionnel n° 2004-492 du 2 mars 2004 qu'en matière d'atteinte aux biens ne présentant pas de danger pour les personnes, il appartient au juge judiciaire d'apprécier l'existence d'éléments de gravité justifiant les procédures exceptionnelles prévues aux articles 706-73 et suivants du code de procédure pénale ; que la chambre de l'instruction ne pouvait, pour s'abstenir de procéder à cette recherche, se borner à indiquer que la réserve d'interprétation émise par le Conseil constitutionnel ne concerne que l'infraction de vol en bande organisée.
Moyen produit par le procureur général près la cour d'appel de Paris, demandeur au pourvoi n° 09-13. 944
L'article 618 du code de procédure civile dispose :
" La contrariété de jugements peut aussi, par dérogation aux dispositions de l'article 605, être invoquée lorsque deux décisions, même non rendues en dernier ressort, sont inconciliables et qu'aucune d'elles n'est susceptible d'un recours ordinaire ; le pourvoi en cassation est alors recevable, même si l'une des décisions avait déjà été frappée d'un pourvoi en cassation et que celui-ci avait été rejeté.
En ce cas, le pourvoi peut être formé même après l'expiration du délai prévu à l'article 612. Il doit être dirigé contre les deux décisions ; lorsque la contrariété est constatée, la Cour de cassation annule l'une des décisions ou, s'il y a lieu, les deux. "
Le moyen unique de cassation est tiré de ce que deux décisions contradictoires ont été rendues, dont le caractère inconciliable aboutit à un déni de justice, ce qui justifie, par application des dispositions de l'article 618 précité, l'annulation de l'une ou l'autre ou des deux décisions par la Cour de cassation.
Il faut en effet constater que les deux décisions en cause statuant sur la même demande de mainlevée de la mesure d'hypothèque provisoire déposée le 4 avril 2007 à la demande du procureur de la République près le tribunal de grande instance de Bobigny et portant sur le pavillon, situé ... à 93320- Les Pavillons-sous-Bois, cadastré Section S n° 125, à hauteur de la somme de 661 832 euros, ledit pavillon appartenant à la SCI Verica sise même adresse, sont en contrariété.
L'hypothèque provisoire a été ordonnée par le juge des libertés et de la détention de Bobigny le 31 janvier 2007 en application des dispositions de l'article 706-103 du code de procédure pénale. Elle a été dénoncée par acte d'huissier en date du 11 avril 2007.
La demande de mainlevée de cette mesure a été rejetée par la 6eme chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris par arrêt du 17 juin 2008, frappé de pourvoi le 20 juin 2008 par la société Verica, ce précédent recours ne faisant pas obstacle au présent pourvoi.
Le 19 février 2009, elle a été admise par la 2eme chambre section B de la cour d'appel de Paris qui a considéré comme nul l'acte de dénonciation de la mesure et a en conséquence prononcé la caducité de celle-ci.
Il y a donc lieu pour la Cour de cassation de constater la contrariété des deux décisions manifestement incompatibles.
Il appartient en outre à la Cour de cassation de prononcer l'annulation de l'une ou l'autre ou des deux décisions.
En l'espèce, seul doit être annulé l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 19 février 2009, dès lors qu'il n'a pu être rendu qu'à raison de la dissimulation, par la partie appelante, du précédent appel qu'elle avait formé contre la même ordonnance et pour les mêmes motifs, et de l'arrêt rendu par la chambre de l'instruction le 17 juin 2008 rejetant son recours, et dès lors que la seconde décision a été rendue en méconnaissance de l'autorité de la chose jugée.