LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que, le 7 octobre 1997, un incendie a détruit complètement le local commercial appartenant à la société civile immobilière (SCI) Cesyro, que celle-ci avait loué à Mme X... pour y exploiter un fonds de commerce de blanchisserie, et a occasionné des dégâts aux lots voisins appartenant à M. et Mme Y... ; que la SCI Cesyro, assurée auprès de la société Axa assurances, aux droits de laquelle vient la société Axa France IARD, ainsi que M. et Mme Y..., ont mandaté la société Cabinet Luc Expert, assuré, pour sa responsabilité civile, par la société Axa France IARD, venue aux droits de la société Axa courtage, afin de procéder à l'évaluation contradictoire des dommages ; que le coût de reconstruction décidé par les copropriétaires ayant été estimé à un montant supérieur à celui évalué par l'expert amiable, un expert a été désigné en référé les 14 et 16 mars 2000 ; qu'une ordonnance du 27 juillet 2000 a rendu communes ces opérations d'expertise à Mme X... ; qu'après dépôt du rapport d'expertise, la SCI Cesyro et M. A..., en sa qualité de syndic bénévole de l'immeuble, ont assigné, le 2 juillet 2002, la société Axa France IARD, assureur des sociétés Cesyro et du Cabinet Luc Expert, la société Cabinet Luc Expert, ainsi que M. et Mme Y... devant le tribunal de grande instance aux fins d'obtenir la condamnation de l'assureur à garantir les conséquences de l'incendie, et subsidiairement de mettre en jeu la responsabilité contractuelle de la société Cabinet Luc Expert ;
Sur le deuxième moyen, tel que reproduit en annexe :
Attendu que la SCI Cesyro fait grief à l'arrêt de la débouter de ses demandes à l'encontre de la société Cabinet Luc Expert ;
Mais attendu que le moyen, qui s'attaque à des motifs surabondants, est inopérant ;
Sur le troisième moyen, tel que reproduit en annexe :
Attendu que la SCI Cesyro fait grief à l'arrêt de la condamner, prise en la personne de son représentant légal, à payer à M. et Mme Y... la somme de 1 000 euros à titre de dommages intérêts pour troubles de voisinage ;
Mais attendu qu'ayant relevé, par motifs propres et adoptés, que M. et Mme Y... sollicitaient la condamnation de la SCI Cesyro au paiement de dommages intérêts en réparation de désagréments de voisinage résultant de traces d'incendie et de fumée, carcasses de voitures, rats, immondices, squatters, la cour d'appel a pu retenir, dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation des éléments de preuve versés aux débats, que la SCI Cesyro en était responsable sur le fondement de l'article 1382 du code civil, sans avoir à rechercher si les désagréments constatés étaient en outre de nature à engager sa responsabilité en tant que dépassant les inconvénients anormaux de voisinage ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Mais sur le premier moyen :
Vu l'article L. 114-2 du code des assurances ;
Attendu que toute décision judiciaire apportant une modification quelconque à une mission d'expertise ordonnée par une précédente décision a un effet interruptif de prescription à l'égard de toutes les parties et pour tous les chefs de préjudice procédant du sinistre en litige ;
Attendu que pour constater l'action de la SCI Cesyro à l'encontre de son assureur la société Axa France IARD éteinte par la prescription biennale, l'arrêt retient que l'ordonnance de référé du 27 juillet 2000 déclarant communes à Mme X... les opérations d'expertise en cours, ne peut être considérée, dans les relations contractuelles entre la société Axa, assureur, et son assurée, la SCI Cesyro, comme acte interruptif de la prescription découlant du contrat d'assurance ; qu'ainsi, eu égard à l'assignation au fond délivrée le 2 juillet 2002 à la société Axa France IARD par la SCI Cesyro, force est de constater que l'action découlant du contrat d'assurance passé entre ces parties est prescrite depuis le 17 mars 2002 ;
Qu'en statuant ainsi, alors qu'il résulte des productions que la société Axa assurances était également partie à l'instance en référé aux fins d'expertise, ayant donné lieu à l'ordonnance du 14 mars 2000, ce dont il résultait que le délai de prescription couru à son égard avait été interrompu par le prononcé de l'ordonnance du 27 juillet 2000, la cour d ‘ appel a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a constaté que l'action de la SCI Cesyro à l'encontre de la société Axa France IARD, prise en sa qualité d'assureur de la SCI Cesyro, était atteinte par la prescription biennale et en ce qu'il a déclaré irrecevable l'action de cette société à l'encontre de la société Axa France IARD, l'arrêt rendu le 24 juin 2008, entre les parties, par la cour d'appel de Montpellier ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Montpellier, autrement composée ;
Condamne la société Axa France IARD aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne la société Axa France IARD à payer à la SCI Cesyro la somme de 2 500 euros ; rejette les autres demandes présentées de ce chef ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix novembre deux mille neuf.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Tiffreau, avocat aux Conseils pour la société civile immobilière (SCI) Cesyro.
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Le moyen reproche à l'arrêt confirmatif attaqué d'AVOIR constaté que l'action de la SCI CESYRO à l'encontre de la SA AXA FRANCE IARD, pris en sa qualité d'assureur de la SCI CESYRO est atteinte par la prescription biennale, et déclaré irrecevable l'action de la SCI CESYRO à l'encontre de la SA AXA FRANCE IARD, pris en sa qualité d'assureur de la SCI CESYRO ;
AUX MOTIFS PROPRES QUE « par des motifs pertinents que la Cour adopte, les premiers juges ont à bon droit retenu : (..) que l'action de la SCI CESYRO contre la SA AXA FRANCE IARD, en sa qualité d'assureur multirisque immeuble, était atteinte par la prescription biennale de l'article L. 114-1 du Code des assurances »
ET AUX MOTIFS REPUTES ADOPTES QUE « Sur la fin de non recevoir tirée de la prescription biennale : la société AXA France lard soulève l'irrecevabilité de l'action de la SCI CESYRO, comme atteinte par la prescription biennale de l'article L. 114-1 du code des assurances ; que la SCI CESYRO s'oppose à cette fin de non recevoir, arguant d'actes interruptifs de prescription ; qu'or, aux termes de l'article L. 114-2 du code des assurances, la prescription biennale est interrompue par une des causes ordinaires d'interruption de la prescription et par la désignation d'experts à la suite d'un sinistre ; qu'en l'espèce, les paiements partiels et successifs de l'indemnité résultant du sinistre faits par l'assureur à la SCI CESYRO, qui caractérisent une reconnaissance du droit de l'assurée, sont interruptifs de prescription, mais font courir un nouveau délai de deux ans à compter de ces actes, soit, compte tenu du dernier paiement en octobre 1998 jusqu'en octobre 2000 ; que de même, la désignation par le juge des référés le 16 mars 2000, de l'expert Jacques C..., en remplacement de Jean Claude D..., a interrompu la prescription jusqu'au 16 mars 2002 ; que toutefois, et contrairement aux affirmations de la SCI CESYRO, l'ordonnance de reféré du 27 juillet 2000 déclarant commune et opposable à Sylvia E... ép. X... les opérations d'expertise en cours, l'ordonnance de référé en rectification d'erreur matérielle du 28 novembre 2000 relative au cabinet Luc Expert, les ordonnances de prorogation du délai pour déposer l'expertise judiciaire établies par le magistrat chargé du contrôle d'expertise en date des 29 mai, 14 juin 2001 et 21 août 2001, de même que l'ordonnance de radiation du 4 juin 2002 faisant suite à une procédure de reféré provision, ne peuvent être considérées, dans les relations contractuelles entre la société AXA, assureur, et son assurée, la SCI CESYRO, comme actes interruptifs de la prescription de l'action découlant du contrat d'assurance ; qu'ainsi, eu égard à l'assignation au fond délivrée le 2 juillet 2002 à la société AXA France lard par la SCI CESYRO, force est de constater que l'action découlant du contrat d'assurance passé entre ces parties est prescrite depuis le 17 mars 2002 ; qu'il convient donc, accueillant la fin de non recevoir soulevée par la SA AXA France lard, de constater que l'action de la SCI CESYRO est atteinte par la prescription biennale de l'article L. 114-1 du code des assurances, de la déclarer irrecevable à l'encontre de la SA AXA France lard, pris en sa qualité d'assureur de la SCI CESYRO »
ALORS QU'en application de l'article L. 114-2 du Code des assurances, toute décision judiciaire apportant une modification quelconque à une mission d'expertise ordonnée par une précédente décision a un effet interruptif de prescription à l'égard de toutes les parties et pour tous les chefs de préjudice procédant du sinistre en litige, ce dont il résulte qu'interrompt la prescription à l'égard de toutes les parties au litige une nouvelle décision de désignation de l'expert ayant pour effet de régulariser l'expertise à l'égard de l'une des parties au litige ; qu'il est constant en l'espèce que par une ordonnance de référé du 27 juillet 2000 le juge des référés du Tribunal de grande instance de NARBONNE a déclaré commune à Madame E... épouse X..., locataire des locaux commerciaux détruits par l'incendie litigieux, les opérations d'expertise pour lesquelles Monsieur C... avait été initialement désigné suivant une précédente ordonnance de référé des 14 et 16 mars 2000 ; qu'une telle décision avait bien pour effet d'interrompre la prescription à l'égard de toutes les parties au litige et pour tous les chefs de préjudice procédant du sinistre et par suite la recevabilité de l'action de la SCI CESYRO introduite par assignation du 2 juillet 2002, soit dans le délai de prescription de deux ans, à l'encontre de la SA AXA ASSURANCES ; qu'en statuant en sens contraire au motif pris que ladite ordonnance « ne pouv (ait) être considéré (e), dans les relations contractuelles entre la société AXA, assureur, et son assurée, la SCI CESYRO, comme act (e) interrupti (f) de la prescription de l'action découlant du contrat d'assurance », la Cour d'appel a violé les dispositions susvisés du Code des assurances.
DEUXIEME MOYEN DE CASSATION :
Le moyen reproche à l'arrêt infirmatif attaqué d'AVOIR débouté la SCI CESYRO de ses demandes à l'encontre de la SARL CABINET LUC EXPERT ;
AUX MOTIFS QUE « Sur l'action de la SCI CESYRO contre la SARL CABINET LUC EXPERT : la SCI CESYRO justifie, par la production de la photocopie de l'acte notarié du 11 février 1981, de sa propriété sur le lot n° 1 de l'ensemble immobilier ; qu'il ressort du rapport d'expertise de Monsieur C... que l'évaluation des dommages faite par la SARL CABINET LUC EXPERT en accord avec les compagnies d'assurance était insuffisante en raison : de la sous évaluation de certains postes, mais surtout du fait qu'initialement la SCI CESYRO avait envisagé de revendre son lot, sans le reconstruire, aux époux Y..., et qu'il n'avait pas alors été tenu compte, dans le cadre de la reconstruction à l'identique, des contraintes résultant de l'obligation d'obtenir un permis de construire, avec application des nouvelles normes de construction ; que cependant le préjudice dont la SCI CESYRO sollicite la réparation n'est pas imputable à la SARL CABINET LUC EXPERT dans la mesure où, en l'absence de transaction, l'indemnisation retenue par cette société n'était pas définitive et qu'à la suite de l'évaluation du coût des travaux faite par son architecte l'appelante avait la possibilité de demander à son assureur un complément d'indemnisation, action qui n'a pu aboutir en raison de l'application de la prescription biennale de l'article L. 114-1 du Code des assurances, non imputable à la SARL CABINET LUC EXPERT ; que la Cour relève également qu'il ne lui est donné aucune explication sur l'absence de recours contre la locataire (alors que l'incendie a pris naissance dans le local commercial) et l'assureur de celle-ci ; qu'en conséquence il convient de débouter la SCI CESYRO de ses demandes à l'encontre de la SARL CABINET LUC EXPERT »
ALORS QUE 1°) la cassation doit porter sur les divers chefs de la décision qui présentent un lien d'indivisibilité ou de dépendance nécessaire ; que, pour écarter l'action de la SCI CESYRO à l'encontre de la SARL CABINET LUC EXPERT, les juges du fond, tout en reconnaissant que « l'évaluation des dommages faite par la SARL CABINET LUC EXPERT en accord avec les compagnies d'assurance était insuffisante », ont considéré cependant que le préjudice subi par la SCI CESYRO n'était pas imputable au CABINET LUC EXPERT dans la mesure où il y aurait toujours eu la possibilité de demander à l'assureur un complément d'indemnisation, « action qui n'a pu aboutir en raison de l'application de la prescription biennale de l'article L. 114-1 du Code des assurances, non imputable à la SARL CABINET LUC EXPERT » ; que la cassation à intervenir sur le premier moyen, relatif précisément à l'inapplicabilité de la prescription biennale à l'encontre de la SCI CESYRO et partant de la possible imputabilité du préjudice à la SARL CABINET LUC EXPERT en cas de réponse défavorable de la Compagnie d'assurances à toute demande de la SCI CESYRO d'indemnisation complémentaire, devra entraîner la cassation de ce chef de décision qui se trouve rattaché au grief du premier moyen par un lien de dépendance nécessaire, conformément aux dispositions de l'article 625 du Code de procédure civile.
ALORS QUE 2°) les conditions de mise en jeu de la responsabilité contractuelle de la SARL CABINET LUC EXPERT par suite de ses manquements dans l'exécution de sa mission d'expertise amiable à l'égard de la SCI CESYRO ne pouvaient être soumises à l'éventuelle responsabilité de la locataire du local commercial et de son assureur dans le sinistre, responsabilité en tout état de cause non démontrée dans le cadre de l'expertise judiciaire ; qu'en retenant, sur l'action en responsabilité de la SCI CESYRO à l'encontre de la SARL CABINET LUC EXPERT, « que la Cour relève également qu'il ne lui est donné aucune explication sur l'absence de recours contre la locataire (alors que l'incendie a pris naissance dans le local commercial) et l'assureur de celle-ci », la Cour d'appel a statué par motif inopérant, privant sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du Code civil.
TROISIEME MOYEN DE CASSATION :
Le moyen reproche à l'arrêt confirmatif attaqué d'AVOIR condamné la SCI CESYRO, prise en la personne de son représentant légal, à payer aux époux Y... la somme de 1. 000 euros à titre de dommages et intérêts pour trouble de voisinage ;
AUX MOTIFS PROPRES QUE « Sur les autres demandes : le Tribunal a à bon droit alloué aux époux Y... la somme de 1. 000 en réparation du trouble anormal de voisinage qu'ils subissaient »
ET AUX MOTIFS ADOPTES QUE « Sur la demande des époux Y... à l'encontre de la SCI CESYRO : (...) en l'état des seules photographies versées aux débats, mais qui ne sont pas contestées, démontrant la réalité des lieux à la suite de l'incendie, il y a lieu, en réparation des désagréments de voisinage occasionnés à la propriété des époux Y..., de leur allouer, toutes causes de préjudice confondues, la somme de mille euros (1. 000) »
ALORS QUE, en matière de trouble de voisinage, seul le caractère anormal du trouble est source de responsabilité ; qu'en se contentant de retenir, sur la condamnation pour trouble anormal de voisinage, « en l'état des seules photographies versées aux débats (...) il y a lieu, en réparation des désagréments de voisinage occasionnés à la propriété des époux Y..., de leur allouer, toutes causes de préjudice confondues, la somme de mille euros », et ce par conséquent sans rechercher si lesdits désagréments justifiaient la démonstration d'un caractère anormal au trouble de voisinage invoqué par les époux Y..., la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil.