LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Toulouse, 21 mai 2008), que M. X..., associé des sociétés de commissaires aux comptes Fid Sud Audit et X..., Boulze, Perruchet, Riu, Colombini, Gaset (les sociétés de commissaires aux comptes), a certifié les comptes de la sociétés EMBF au titre de ses exercices 1997 et 1998 ; que cette dernière a été mise en liquidation judiciaire, le 31 octobre 2002 ; que la société Banque d'escompte, estimant lui avoir consenti des concours sur la foi de ces comptes certifiés, a assigné M. X..., les sociétés de commissaires aux comptes ainsi que leur assureur, les Mutuelles du Mans IARD, en responsabilité aux fins d'obtenir des dommages intérêts ;
Attendu que la société Banque d'escompte fait grief à l'arrêt d'avoir déclaré irrecevable sa demande, alors, selon le moyen :
1°/ qu'en jugeant que la SA Banque d'escompte n'établit pas que M. X... ait pu avoir connaissance entre 1997 et 2001, en sa qualité de commissaire aux comptes, d'une discordance entre les comptes certifiés par lui et la situation réelle de l'entreprise, pour juger qu'en l'absence de dissimulation l'action en responsabilité était prescrite, sans vérifier, comme il lui était demandé, si la bonne foi alléguée par M. X... était possible compte tenu d'un passif au jour du dépôt de bilan en 2002 de 77 066.044 euros, les comptes certifiés par M. X... jusqu'en 2001 faisant systématiquement apparaître une situation bénéficiaire et un actif largement supérieur au passif, établissant ainsi que M. X... avait à tout le moins sciemment omis de procéder aux vérifications qu'il attestait avoir effectuées en certifiant les comptes, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 225-242 ancien, L. 822-18 et L. 225-254 du code de commerce ;
2°/ qu'en jugeant qu'il pouvait être statué "sans disposer au préalable" des documents de travail de M. X..., "dont la production n'apparaît pas pertinente et utile car, en raison de leur nature, ils ne paraissent pas susceptibles d'avoir une incidence sur le sort juridique de ces deux fins de non recevoir", et en écartant ainsi des débats des documents qui lui auraient permis de rechercher si M. X... n'avait pas dissimulé ses fautes et auxquels la Banque d'escompte n'avait pas accès avant l'introduction de son action en responsabilité puisque ceux-ci étaient jusque-là couverts par le secret professionnel, justifiant ainsi de retarder le point de départ de la prescription de l'action en responsabilité à l'encontre du commissaire aux comptes, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 225-242 ancien, L. 822-18 et L. 225-254 du code de commerce, ensemble l'article 132 du code de procédure civile ;
3°/ que pour justifier d'un préjudice propre, distinct de celui causé aux autres créanciers du débiteur en liquidation judiciaire, la société Banque d'escompte alléguait que les fautes de M. X... lui avaient fait perdre une chance de ne pas entrer en relation avec la société EMBF ; qu'en considérant, pour juger que l'action de la société Banque d'escompte tendrait à obtenir réparation d'un préjudice subi collectivement par l'ensemble des créanciers de la société EMBF et qu'elle serait dès lors irrecevable, que ladite action se résumerait à celle, pourtant différente, d'un défaut de paiement de sa créance, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 621-39 du code de commerce, dans sa rédaction applicable à la cause ;
Mais attendu, d'une part, que l'arrêt retient que le point de départ de la prescription triennale de l'action en responsabilité contre M. X... ne pouvait être retardé au jour de la révélation du fait dommageable, dès lors que la société Banque d'escompte ne rapportait pas la preuve d'une dissimulation de la part de ce professionnel, de simples négligences de sa part commises lors des contrôles ne pouvant y être assimilées ; qu'il retient encore que les insuffisances de diligences et de contrôles, à les supposer même caractérisées à l'encontre de M. X..., ne sauraient à elles seules constituer une dissimulation, laquelle implique la volonté du commissaire aux comptes de cacher des faits dont il a connaissance par la certification des comptes ; qu'il retient enfin qu'il n'était pas établi que M. X... avait pu avoir connaissance, lors des certifications litigieuses intervenues les 13 mai 1998 et 2 juin 1999, d'une discordance entre la valeur comptable et la valeur réelle du stock ou ait pu découvrir toute irrégularité ou anomalie qu'il se serait volontairement abstenu de révéler; qu'en l'état de ces constatations et énonciations, desquelles il ressort que l'action de la société Banque d'escompte, engagée le 17 février 2003, était prescrite, les certifications litigieuses étant intervenues depuis plus de trois ans, la cour d'appel, qui n'avait pas à procéder aux recherches inopérantes visées par la première branche du moyen, a légalement justifié sa décision ;
Attendu, d'autre part, que c'est dans l'exercice du pouvoir laissé par la loi à sa discrétion d'ordonner ou non la production d'un élément de preuve détenu par une partie que la cour d'appel, sans être tenue de s'expliquer sur une telle demande, a statué comme elle a fait ;
Et attendu, enfin, que la troisième branche critique un motif surabondant ;
D'où il suit que le moyen, qui ne peut être accueilli en sa troisième branche n'est pas fondé sur le surplus ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Banque d'escompte aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette sa demande ; la condamne à payer à M. X... et aux sociétés de commissaires aux comptes Fid Sud Audit et X..., Boulze, Perruchet, Riu, Colombini, Gaset et la société Assurances les Mutuelles du Mans la somme globale de 2 500 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du quinze septembre deux mille neuf.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Lyon-Caen, Fabiani et Thiriez, avocat aux Conseils pour la société Banque d'escompte.
Le moyen fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR déclaré irrecevable l'action de la SA BANQUE D'ESCOMPTE ;
AUX MOTIFS QUE, aux termes de l'arrêt attaqué, « sur la recevabilité de l'action, les deux moyens d'irrecevabilité de l'action en responsabilité exercée par la SA BANQUE D'ESCOMPTE à l'encontre des commissaires aux comptes de la SA EMBF soulevés par ces derniers pour défaut du droit d'agir de la banque tiré de son défaut de qualité et de la prescription doivent être examinés en l'état des pièces régulièrement versées aux débats par l'une et l'autre des parties ; qu'il peut, en effet, être statué sans disposer au préalable des conclusions dont la production n'apparaît pas pertinente et utile car, en raison de leur nature, ils ne paraissent pas susceptibles d'avoir une incidence sur le sort juridique de ces deux fins de non recevoir ; que la demande de communication de ces pièces dont donc être rejetée conformément aux articles 11 et 132 à 142 du code de procédure civile ; que sur la qualité à agir, aux termes des articles L. 621-39 et L. 622-4 du code de commerce dans sa rédaction antérieure à la loi de sauvegarde des entreprises du 26 juillet 2005 le représentant des créanciers dont les attributions sont dévolues au liquidateur a seul qualité pour agir contre un tiers en réparation du préjudice collectif subi du fait de ce dernier par les créanciers ; que l'exercice individuel par un créancier d'une telle action n'est admis qu'à condition de justifier d'un préjudice propre, distinct de celui causé aux autres créanciers ; que l'action en responsabilité exercée par la SA BANQUE D'ESCOMPTE ne peut se voir reconnaître ces caractères ; que le préjudice particulier invoqué en cause d'appel est « la perte d'une chance de ne pas entrer en rapport avec la SA EMBF » pour reprendre l'expression de cette banque et, en réalité et plus exactement, celle de ne pas lui consentir des crédits et donc la perte d'une chance de ne pas prendre un risque financier ; qu'or ce préjudice n'est pas véritablement différent du préjudice général né du défaut de paiement de sa créance ; que l'avantage perdu est, en effet, celui qu'aurait procuré cette chance si elle s'était réalisée, à savoir l'absence de perte financière ; qu'il n'est donc pas radicalement distinct du montant de la créance impayée résultant du non remboursement des concours divers octroyés qui en constitue nécessairement la mesure ; que ce préjudice est inhérent à l'ouverture de la procédure collective et aux règles qui la régissent et collectivement subi par l'ensemble des créanciers ; qu'il n'est pas particulier à la SA BANQUE D'ESCOMPTE et ne procède pas d'une cause qui lui soit spécifique ; que les informations prétendument erronées figurant sur les bilans certifiés par le commissaire aux comptes qui auraient laissé croire à la bonne santé de l'entreprise sont publiées, de sorte que tous les créanciers sont dans la même situation à cet égard ; que toutes les autres banques, au nombre d'une dizaine, en relation avec la société EMBF s'étaient engagées sur la base de ces mêmes données des exercices 1997 et 1998 ; que certaines d'entre elles l'ont fait pour la première fois en 1998 (CIC, BRED) et 1999 (BANQUE OBC) et donc au vu des mêmes bilans que ceux critiqués par la SA BANQUE D'ESCOMPTE ; que d'autres l'étaient depuis 1994 (NATEXIS et BP NORD DE PARIS) 1995 (SOCIETE GENERALE, CREDIT LYONNAIS), 1997 (BNP PARIBAS, CREDIT AGRICOLE SUD ALPES ET ILES DE FRANCE, MONTE PASCHI, EUROBANK, INTESA) mais elles ont maintenu leurs crédits ou les ont augmentés ou en ont accordé de nouveaux au cours des années 1998 et 2000, ainsi qu'il ressort des indications figurant sur l'assignation introductive d'instance délivrée le 26 octobre 2004 par le liquidateur à l'encontre de l'ensemble des banques pour soutien abusif ; que le passif bancaire représente d'ailleurs 86% du passif total ; qu'au demeurant ces bilans n'étaient qu'un élément parmi les documents fournis par la SA EMBF ainsi que précisé en la page 36 des écritures de la banque qui comportait une étude intitulée « Evolution du Groupe Brun Frères pour l'année 2000 » établie par son PDG et ses commentaires sur le bilan et l'exploitation au 31/12/1998 ; que sur la prescription, aux termes des articles L. 225-242 et L. 225-254 du code de commerce l'action en responsabilité contre les commissaires aux comptes se prescrit par trois ans à compter du fait dommageable ou, s'il a été dissimulé, de sa révélation ; que le fait dommageable s'entend comme étant la certification fautive qui clôt les investigations du commissaire aux comptes ; et que la dissimulation implique de sa part la volonté de cacher les faits dont il a connaissance par la certification des comptes ; que les seuls comptes sociaux critiqués par la SA BANQUE D'ESCOMPTE dans le cadre de la présente instance sont ceux des années 1997 et 1998 certifiés par M. Claude X... suivant rapports en date respectivement du 13 mai 1998 et 2 juin 1999 ; que l'action diligentée par la SA BANQUE D'ESCOMPTE par assignation délivrée (par) acte du 17 février 2003 est donc tardive pour avoir été introduite bien après l'expiration du délai de prescription ; que son point de départ ne peut, en effet, être retardé dès lors que cette banque ne rapporte pas la preuve, à sa charge, d'une dissimulation émanant du commissaire aux comptes ; que de simples négligences commises lors des contrôles ne peuvent y être assimilées ; qu'or, les insuffisances de diligence et de contrôles reprochées à M. Claude X..., si elles étaient établies, seraient peut-être susceptibles de constituer une faute engageant sa responsabilité mais ne sauraient à elles seules, être regardées comme une dissimulation ; que l'élément intentionnel, qui ne se présume pas, n'est en aucune façon démontré ; que rien ne permet de retenir que M. Claude X... ait pu avoir connaissance en mai 1998 et en juin 1999 d'une discordance entre la valeur comptable et la valeur réelle du stock ou ait pu découvrir toute autre irrégularité ou anomalie et qu'il se serait volontairement abstenu de la révéler , que la carence de la SA BANQUE D'ESCOMPTE à l'établir est totale ; que les prétendues mobilisations multiples d'une même créance par les dirigeants de la société EMBF sont postérieures à la période concernée ; que le sinistre russe est consécutif à un contrat passé au cours du second semestre 2001 ; que la provision sur stock se rattache suivant procès-verbaux de réunions du 26 juin 2002 et du 22 juillet 2002 tenues sous l'égide du mandataire ad hoc à la réalisation d'un inventaire physique et au passage à la norme ISO 9001 (version 2000) depuis le 1 er janvier 2002 pour l'ensemble de ses activités qui a rendu la vente du matériel de second choix plus aléatoire car incompatible avec cette procédure qualité ; et qu'aucune donnée contraire de nature à remettre en cause ces explications n'est produite ; que le fait que M. Claude X... ait pu indiquer dans ses conclusions de première instance du 25/11/2003 que « la banque d'escompte est intervenue dans le financement de la société BRUN FRERES environ trois ans avant le dépôt de bilan et qu'il y a lieu de préciser que lorsque les relations se sont nouées, la situation de la société BRUN FRERES était beaucoup plus obérée qu'au 31 décembre 2001 » ne peut, d'évidence, être analysé comme un aveu judiciaire ni de la fausseté des comptes des exercices 1997 et 1998 ni de sa dissimulation par le commissaire aux compte ; que ces écritures visent, en effet, une période différente soit janvier 2000/décembre 2001, étant souligné que devant le premier juge la SA BANQUE D'ESCOMPTE critiquait le rapport de certification des comptes du 31 mai 2002 relatif à l'exercice clôturé au 31/12/2001 ; qu'elles ne portent aucunement sur un comportement du commissaire au compte, un fait matériel de sa part ; qu'elles ne font pas référence à d'autres données que celles figurant sur les comptes 2000 et 2001, comme l'a fait également le liquidateur dans son assignation en soutien abusif délivrée à l'encontre des banques après un référé expertise au vu d'un mémorandum de son avocat du 25/11/2002 produit dans le cadre de la présente instance par la SA BANQUE D'ESCOMPTE elle-même (pièce 26 du bordereau du 3/08/2007) ; qu'ainsi la SA BANQUE D'ESCOMPTE doit être déclarée irrecevable à rechercher la responsabilité des commissaires aux comptes pour défaut de droit d'agir, tant par absence de qualité que par expiration du délai » ;
ALORS en premier lieu QU'en jugeant que la SA BANQUE D'ESCOMPTE n'établit pas que Monsieur X... ait pu avoir connaissance entre 1997 et 2001, en sa qualité d'expert comptable, d'une discordance entre les comptes certifiés par lui et la situation réelle de l'entreprise, pour juger qu'en l'absence de dissimulation l'action en responsabilité était prescrite, sans vérifier, comme il lui était demandé, si la bonne foi alléguée par Monsieur X... était possible compte tenu d'un passif au jour du dépôt de bilan en 2002 de 77.066.044 , les comptes certifiés par Monsieur X... jusqu'en 2001 faisant systématiquement apparaître une situation bénéficiaire et un actif largement supérieur au passif (conclusions de la BANQUE D'ESCOMPTE, p. 22 et s.), établissant ainsi que Monsieur X... avait à tout le moins sciemment omis de procéder aux vérifications qu'il attestait avoir effectuées en certifiant les comptes, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 225-242 ancien, L. 822-18 et L. 225-254 du Code de commerce ;
ALORS en deuxième lieu QU'en jugeant qu'il pouvait être statué « sans disposer au préalable » des documents de travail de Monsieur X..., « dont la production n'apparaît pas pertinente et utile car, en raison de leur nature, ils ne paraissent pas susceptibles d'avoir une incidence sur le sort juridique de ces deux fins de non recevoir » (arrêt, p.10), et en écartant ainsi des débats des documents qui lui auraient permis de rechercher si Monsieur X... n'avait pas dissimulé ses fautes et auxquels la BANQUE D'ESCOMPTE n'avait pas accès avant l'introduction de son action en responsabilité puisque ceux-ci étaient jusque-là couverts par le secret professionnel, justifiant ainsi de retarder le point de départ de la prescription de l'action en responsabilité à l'encontre du commissaire aux comptes, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 225-242 ancien, L. 822-18 et L. 225-254 du Code de commerce, ensemble l'article 132 du Code de procédure civile ;
ALORS en troisième lieu QUE pour justifier d'un préjudice propre, distinct de celui causé aux autres créanciers du débiteur en liquidation judiciaire, la SA BANQUE D'ESCOMPTE alléguait que les fautes de Monsieur X... lui avaient fait perdre une chance de ne pas entrer en relation avec la SA EMBF ; qu'en considérant, pour juger que l'action de la SA BANQUE D'ESCOMPTE tendrait à obtenir réparation d'un préjudice subi collectivement par l'ensemble des créanciers de la société EMBF et qu'elle serait dès lors irrecevable, que ladite action se résumerait à celle, pourtant différente, d'un défaut de paiement de sa créance, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 621-39 du Code de commerce, dans sa rédaction applicable à la cause.