LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique, pris en sa première branche :
Vu les articles 370-3 du code civil, L. 512-4, L. 531-1 et L. 531-3 du code de la sécurité sociale ;
Attendu, selon le premier de ces textes, que les conditions de l'adoption sont soumises à la loi nationale de l'adoptant ou, en cas d'adoption par deux époux, par la loi qui régit les effets de leur union mais que l'adoption ne peut être prononcée si la loi nationale de l'un et l'autre époux la prohibe et que l'adoption d'un mineur étranger ne peut être prononcée si sa loi personnelle prohibe cette institution, sauf si ce mineur est né et réside habituellement en France ; que les suivants subordonnent le droit aux prestations familiales qu'ils prévoient à l'adoption d'un enfant ou à son accueil en vue de l'adoption ;
Attendu, selon le jugement attaqué, rendu par un tribunal des affaires de sécurité sociale statuant en dernier ressort, que M. X..., qui est de nationalité algérienne et réside en France, a accueilli à son foyer en mai 2006 l'enfant Hana, née le 14 juillet 2004, qui lui avait été confiée par un jugement de kafala prononcé par le tribunal d'Annaba (Algérie) ; que la caisse d'allocations familiales de la Drôme (la caisse) lui a versé l'allocation de base de la prestation d'accueil du jeune enfant jusqu'à ce que celle-ci ait atteint l'âge de trois ans ; qu'il a demandé à bénéficier de l'allocation de base pendant trois ans à compter de l'arrivée de l'enfant à son foyer ; qu'il a contesté le refus de la caisse d'allocations familiales devant la juridiction de sécurité sociale ;
Attendu que pour faire droit à son recours, le jugement énonce, d'une part, que la kafala est très proche de l'institution de l'adoption française, d'autre part, que le seul fait que M. X... n'ait pas été en mesure d'adopter l'enfant en raison de la prohibition de sa législation nationale et de celle de l'enfant, totalement indépendantes de sa volonté, n'est pas de nature à priver celui-ci du bénéfice de la prestation sociale litigieuse ;
Qu'en statuant ainsi, alors que l'enfant n'avait été ni adoptée par l'intéressé ni confiée à celui-ci en vue de son adoption, de sorte que les conditions de versement de l'allocation de base de la prestation d'accueil du jeune enfant pendant une durée de trois ans à compter de son arrivée au foyer n'étaient pas réunies, le tribunal a violé les textes susvisés ;
Et vu l'article 627 du code de procédure civile ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, le jugement rendu le 21 mars 2008, entre les parties, par le tribunal des affaires de sécurité sociale de Valence ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
Rejette le recours de M. X... ;
Condamne M. X... aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la caisse d'allocations familiales de la Drôme ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite du jugement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du onze juin deux mille neuf.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
;Moyen produit par la SCP Boré et Salve de Bruneton, avocat aux Conseils, pour la CAF de la Drôme ;
Il est fait grief au jugement attaqué d'AVOIR dit que Monsieur Ahmed X... devait bénéficier de l'allocation de base de la prestation d'accueil du jeune enfant pour la période restant à courir entre le troisième anniversaire de "son enfant Hana", recueillie suivant la procédure de kafala et le trente sixième mois suivant sa date d'arrivée au foyer ;
AUX MOTIFS QUE "il résulte des dispositions des articles L.531-1 et L.531-3 du Code de la sécurité sociale que l'allocation de base est attribuée sous condition de ressources, à compter de la naissance de l'enfant et jusqu'à ses trois ans ou, à compter de sa date d'arrivée au foyer s'il a été adopté, sans cependant excéder trente six mois ;
QU'en l'espèce, il est constant que les époux X... ont légalement recueilli par "kafala" l'enfant Hana arrivée en France à compter du 30 avril 2006 suivant la procédure de regroupement familial alors qu'elle était âgée de vingt et un mois comme étant née le 14 juillet 2004 ; qu'il convient de souligner que, par ordonnance rendue par le Tribunal d'Annaba (Algérie), l'acte de naissance de l'enfant Hana Y... a été rectifié en ce sens que l'enfant est devenue Hana X... ;
QUE certes si, au sens de l'arrêt rendu par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation le 10 octobre 2006, la kafala n'est pas une adoption, cette institution étant formellement prohibée par la loi algérienne, loi personnelle de l'enfant et du demandeur, il convient de constater, toutefois, que la solution adoptée par la Haute Cour visait le fondement juridique spécifique de l'adoption, et plus particulièrement celle d'un mineur étranger, en vertu de l'article 370-3 alinéa 2 du Code civil (qui intéresse l'état des personnes), fondement juridique distinct de celui qui concerne le présent litige, à savoir l'attribution des prestations familiales en vertu des articles L.531-1 du Code de la sécurité sociale (qui intéresse les droits sociaux) ;
QU'en effet, l'interdiction de l'adoption dans les Etats de Droit coranique résulte d'une interprétation du verset 4 de la Sourate XXXIII du Coran intitulée "les Alliances" et qui énonce que "Dieu ne loge pas deux coeurs dans la poitrine de l'Homme (…) non plus qu'il ne fait vos fils de ceux que vous adoptez" ; que pour autant, la kafala est très proche de l'institution de l'adoption française, en ce qu'elles procèdent toutes deux de la même volonté et poursuivent le même but, l'accueil d'un enfant dans un foyer, considéré comme le sien et dans son intérêt ; que la kafala contient donc les attributs qui découlent du lien de filiation, c'est-à-dire l'engagement unilatéral par le "kafil" d'entretenir, d'éduquer l'enfant et d'assurer sa surveillance ; que de surcroît en l'espèce, le caractère de permanence de la filiation est d'autant plus appuyé qu'il résulte de la rectification de l'acte de naissance de l'enfant, qui porte désormais le nom patronymique de son "kafil" ;
QUE les articles L.531-1 et suivants du Code de la sécurité sociale prévoient l'attribution d'une prestation d'accueil du jeune enfant au profit de l'enfant à naître et de l'enfant né dont l'âge est inférieur à un âge limite ; que c'est ainsi que notamment l'allocation de base, qui vise à compenser le coût lié à l'entretien de l'enfant, est versée aux ménages dont les revenus sont modestes ; qu'en l'espèce, il est établi que les époux X... ont des revenus modestes, Monsieur percevant une faible retraite et Madame ne percevant aucune ressource ;
QUE la Caisse d'allocations familiales de la Drôme a servi l'allocation de base de la prestation d'accueil du jeune enfant jusqu'au troisième anniversaire de l'enfant soit durant quatorze mois, et refuse désormais de poursuivre le versement au-delà, jusqu'au trente sixième mois au seul motif que l'enfant n'a pas été adoptée, tandis que par ailleurs, l'ensemble des conditions d'attribution de la prestation sont réunies ;
QUE pour autant, ce motif doit être examiné en tenant compte des conventions internationales ratifiées par l'Etat français et notamment des articles 8 et 14 de la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales relatifs, respectivement, au droit au respect de la vie privée et familiale et à l'interdiction de discrimination, ainsi que de l'article 3-1 de la Convention internationale des droits de l'enfant du 26 janvier 1990, qui érige en considération primordiale l'intérêt supérieur de l'enfant pour toutes les décisions le concernant ;
QU'en l'espèce, le seul fait que Monsieur X... n'ait pas été en mesure d'adopter l'enfant en question en raison de la prohibition de sa législation nationale, et de celle de l'enfant, totalement indépendantes de sa volonté, n'est pas de nature, au regard des conventions susvisées, à priver celui-ci du bénéfice de la prestation sociale litigieuse, l'exigence d'une adoption stricto sensu étant manifestement disproportionnée par rapport au but d'aide sociale recherché dès lors qu'il est dans l'intérêt supérieur de l'enfant que ses parents puissent continuer à percevoir une allocation destinée à compenser le coût de son entretien et de son éducation ; qu'à cet égard, il n'est pas inintéressant de relever que, sur le fondement de l'intérêt supérieur de l'enfant et du respect de la vie familiale, le juge administratif français fait produire effet au lien juridique de "kafala" pour permettre le regroupement familial et s'opposer à une mesure de refoulement ou d'expulsion ; qu'ainsi, alors que le droit français réserve le regroupement familial aux enfants ayant une filiation légalement établie, le Conseil d'Etat retient une conception plus généreuse de la famille en se référant aux textes européens (CE 24 mars 2004 - RTCiv. 2004. 722, observations. J. Hauser ; CE 19 décembre 2007, n° 297417) ; que l'enfant Hana X... a d'ailleurs bénéficié du regroupement familial pour entrer et séjourner en France dans la famille de son "kafil" sans être adoptée ;
QU'en conséquence, il convient de déclarer recevable et bien fondé le recours formé par Monsieur Ahmed X... et de faire droit à sa demande d'attribution d'allocation de base de la prestation d'accueil du jeune enfant pour la période restant à courir entre le troisième anniversaire de l'enfant Hana et le trente sixième mois suivant sa date d'arrivée au foyer des époux X... " (jugement p.3 et 4) ;
1°) ALORS QUE l'allocation de base visée à l'article L.531-1 du Code de la sécurité sociale est attribuée à compter du 1er jour du mois suivant la naissance de l'enfant et jusqu'au dernier jour du mois suivant la date de son troisième anniversaire ; qu'elle est versée à compter du 1er jour du mois suivant l'arrivée au foyer pour chaque enfant adopté ou confié en vue d'adoption et pendant une durée de trois ans ; que l'enfant recueilli par la mise en oeuvre de la procédure de kafala, qui ne crée aucun lien de filiation entre lui-même et le kâfil, n'étant ni adopté, ni confié en vue d'adoption, les allocataires l'ayant recueilli ne peuvent se prévaloir de cette disposition, qui ne leur est pas applicable ; qu'en décidant le contraire aux motifs inopérants pris du caractère "très proche" des deux institutions, le Tribunal des affaires de sécurité sociale a violé les articles L.531-1, L.531-3 et D.531-3 du Code de la sécurité sociale, 370-3 du Code civil ;
2°) ALORS subsidiairement QU'il est défendu aux juges de se prononcer par voie de disposition générale et réglementaire sur les causes qui leur sont soumises ; que s'il appartient aux juges du fond de rechercher la compatibilité de dispositions de droit interne subordonnant le report, au jour de l'arrivée au foyer, du point de départ du versement de l'allocation de base à la circonstance que l'enfant soit "adopté ou confié en vue de son adoption" avec la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales et la Convention internationale des droits de l'enfant, cette recherche ne peut s'effectuer qu'en fonction des circonstances particulières relatives à la situation de l'enfant et de l'allocataire ; qu'en l'espèce le Tribunal des affaires de sécurité sociale, pour ordonner le versement pendant une durée de trois ans à compter de l'arrivée "son" enfant Hana au foyer de Monsieur X..., a énoncé " le seul fait que Monsieur X... n'ait pas été en mesure d'adopter l'enfant en question en raison de la prohibition de sa législation nationale, et de celle de l'enfant, totalement indépendante de sa volonté, n'est pas de nature, au regard des conventions susvisées, à priver celui-ci du bénéfice de la prestation sociale litigieuse, l'exigence d'une adoption stricto sensu étant manifestement disproportionnée par rapport au but d'aide sociale recherché dès lors qu'il est dans l'intérêt supérieur de l'enfant que ses parents puissent continuer à percevoir une allocation destinée à compenser le coût de son entretien et de son éducation" ; qu'en se prononçant ainsi par voie de disposition générale et réglementaire, condamnant par principe l'exigence d'une adoption comme contraire à l'intérêt supérieur de l'enfant, le Tribunal des affaires de sécurité sociale a violé l'article 5 du Code civil ;
3°) ALORS QU'en se déterminant aux termes de motifs qui ne démontrent, ni que les époux X... n'auraient pas été en mesure de subvenir aux besoins de l'enfant Hana pendant la période restant à courir entre son troisième anniversaire et le troisième anniversaire de sa date d'arrivée au foyer, ni que la décision litigieuse, justifiée par des considérations objectives déduites de la nécessité de réserver les prestations familiales aux allocataires unis à l'enfant par un lien de filiation, aurait eu pour objet ou effet de restreindre l'accès de l'enfant Hana à l'entretien et à l'éducation dont doit bénéficier tout enfant, ni enfin que cette décision, indépendante des conditions d'entrée et de séjour en France de l'enfant et des allocataires, qui avaient pu bénéficier de la procédure de regroupement familial, porterait atteinte à la vie privée et familiale du requérant, le Tribunal a privé sa décision de base légale au regard des articles 8 et 14 de la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et 3-1 de la Convention internationale relative aux droits de l'enfant du 26 janvier 1990.