LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Joint les pourvois n° W 08-16.611 et G 08-16.668 ;
Sur le moyen unique du pourvoi n° G 08-16.668 :
Vu l'article 40 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998 dans sa rédaction antérieure à l'article 102 de la loi n° 2008-1330 du 17 décembre 2008, et applicable devant la Cour de cassation ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, qu'ayant exercé son activité professionnelle au sein d'Electricité de France (EDF) du 1er mai 1972 au 1er novembre 1988, M. X... a formulé, le 20 novembre 1997, une demande de prise en charge d'une maladie professionnelle au titre du tableau n° 30 B à laquelle il a été fait droit par la caisse primaire d'assurance maladie de Dunkerque ; qu'il a ensuite engagé une action en reconnaissance de la faute inexcusable d'EDF ; que sa demande ayant été rejetée, il a saisi d'un recours la juridiction de la sécurité sociale ;
Attendu que, pour déclarer recevable l'action en reconnaissance de faute inexcusable engagée par M. X... et en mettre les conséquences financières à la charge de la Caisse nationale des industries électriques et gazières, l'arrêt retient que l'article 40 de la loi du 23 décembre 1998 rouvre les droits des victimes de l'amiante sans distinction selon les catégories de salariés et n'imputent que pour ce qui la concerne la charge en résultant à la branche accidents du travail du régime général ;
Qu'en statuant ainsi, alors que M. X... était affilié au régime spécial des personnels des industries électriques et gazières de sorte que sa demande ne relevait pas du champ d'application de l'article 40 de la loi du 23 décembre 1998, dans sa rédaction avant modification dont les effets sont limités aux victimes affiliées au régime général au titre des accidents du travail et au régime des accidents du travail des salariés agricoles, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le moyen unique du pourvoi n° W 08-16.611 :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 30 avril 2008, entre les parties, par la cour d'appel de Douai ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel d'Amiens ;
Condamne la Caisse nationale des industries électriques et gazières aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette l'ensemble des demandes présentées de ce chef ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-huit mai deux mille neuf.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP TIFFREAU, avocat aux Conseils pour la Caisse nationale des industries électriques et gazièrs, demanderesse au pourvoi n° W 08-16.611
La Caisse Nationale des Industries Electriques et Gazières (CNIEG) reproche à la Cour d'appel d'AVOIR, par infirmation du jugement entrepris, « mis hors de cause la CPAM de DUNKERQUE » et « dit que les conséquences financières de la faute inexcusable seront à la charge de la CNIEG (…) »,
AUX MOTIFS QUE « Sur la demande d'affectation des dépenses au compte spécial en vertu de l'article 40 : en vertu de l'article R. 711-1 du Code de la sécurité sociale, les exploitations de production, de transport et de distribution d'énergie électrique et de gaz sont soumises à une organisation spéciale de sécurité sociale ; l'article R. 711-1 précise que l'organisation spéciale de sécurité sociale assure aux travailleurs des branches concernées, pour l'ensemble des prestations de chaque risque, des prestations équivalentes aux prestations du régime général de sécurité sociale ; l'article 16-1 de la loi du 9 août 2004, relative au service public de l'électricité et du gaz et aux entreprises électriques et gazières dispose qu'à compter du 1er janvier 2005, le fonctionnement du régime d'assurance vieillesse, invalidité, décès, accidents du travail et maladies professionnelles des industries électriques et gazières est assuré par la Caisse nationale des industries électriques et gazières (CNIEG) qui est chargée de verser aux affiliés les prestations en espèces correspondantes, de recouvrer et de contrôler les cotisations ; il résulte de la combinaison de ces textes que la charge des prestations en espèces consécutives à la reconnaissance du caractère professionnel d'une maladie contractée par un salarié d'EDF incombe à la CNIEG ; lorsque la maladie est due à une faute inexcusable de l'employeur, il appartient à la CNIEG de régler à l'assuré une rente majorée ainsi que les indemnités correspondant à ses préjudices extra-patrimoniaux, à charge pour elle d'en recouvrer le remboursement auprès de l'employeur ; la question qui se pose est de savoir si l'article 40 de la loi du 23 décembre 1998, exorbitant du droit commun en ce qu'il rouvre les droits prescrits, est de nature à modifier ce dispositif de prise en charge ; cet article dispose en son paragraphe IV (…) L'article D 242-6-3 du Code de la sécurité sociale prévoit dans ce cas l'inscription à un compte spécial des dépenses engagées par les caisses, ce qui a pour conséquence d'extraire ces dépenses de la valeur du risque propre d'un établissement, dans un souci de mutualisation du risque ; l'idée du législateur était que, s'il apparaissait juste, côté victimes, de rouvrir les droits prescrits, compte tenu notamment du temps d'incubation de la maladie et du défaut d'information à une certaine époque, il devenait inique d'en faire peser le coût sur le seul employeur fautif ; la CNIEG tire de l'article 40 que les dépenses engendrées par la faute inexcusable d'EDF, dans le cas de réouverture des droits, seraient à la charge définitive de la branche accidents du travail et maladies professionnelles du régime général de sécurité sociale ; or, cet article précise bien que la branche accidents du travail et maladies professionnelles du régime général de la sécurité sociale, pour ce qui la concerne, supporte définitivement la charge des prestations versé »es en vertu de l'article 40 ; la CPAM, s'agissant d'un salarié soumis à un régime spécial, n'est pas concernée par le versement des prestations en espèces, ni par l'indemnisation des préjudices extrapatrimoniaux (…) Sur la demande d'affectation des dépenses au compte spécial en vertu de l'article 2 de l'arrêté du 16 octobre 1995 : en vertu de l'article 2 de l'arrêté du 16 octobre 1995 pris pour l'application de l'article D 242-6-3 du Code de la sécurité sociale (…) la CNIEG demande sa mise hors de cause dans le présent litige, soutenant que M. Michel X... aurait travaillé au sein de plusieurs entreprises, dont une relevant du régime général ; elle souligne que M. Michel X... a déclaré avoir travaillé pendant huit ans au sein des établissements VANDERLUYS ; cependant, la maladie doit être considérée comme contractée au service du dernier employeur chez lequel la victime a été exposée au risque, avant sa constatation médicale et il appartient à cet employeur d'en rapporter, le cas échéant, la preuve contraire ; or, en l'espèce, la CNIEG ne rapporte nullement cette preuve, qui ne saurait résulter du seul fait que le salarié a déclaré avoir travaillé au sein des établissements VANDERLUYS, sans même indiquer l'emploi précis qu'il y occupait et étant observé par ailleurs que toute la procédure de reconnaissance de faute inexcusable n'a été menée qu'à l'égard de la société EDF, qui n'a d'ailleurs même pas mis en cause l'autre employeur ; dans ces conditions, il y a lieu de dire que la maladie professionnelle dont est atteint M. Michel X... est bien due à sa période d'exposition au risque au sein de la société EDF ; il n'y a donc pas lieu à application de l'article 2 de l'arrêté du 16 octobre 1995 concernant la multi-exposition (…) ».
ALORS QUE 1°), en application des dispositions combinées des article 40 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998 et 1er du décret n° 99-1129 du 28 décembre 1999, les branches accidents du travail et maladies professionnelles du régime général de sécurité sociale et du régime des salariés agricoles supportent définitivement la charge des dépenses, liées à la réouverture des droits à prestations en nature ou en espèces, indemnités et majorations de rente stipulée en faveur des victimes d'affections professionnelles consécutives à l'inhalation de poussières d'amiante ou provoquées par elles, constatée entre le 1er janvier 1947 et la date d'entrée en vigueur de la loi ; que ces dispositions dérogatoires au droit commun, qui conduisent à l'inscription des dépenses sur le compte spécial visé à l'article D. 242-6-3 du Code de la sécurité sociale et financé par l'ensemble de la communauté des employeurs, y compris ceux dont les salariés relèvent d'un régime spécial, tel celui des industries électriques et gazières (v. art. D. 242-6-14 et D. 242-6-3 du Code de la sécurité sociale), s'inscrivent dans un souci de solidarité nationale et de mutualisation du risque entre l'ensemble des employeurs devant bénéficier à toute victime de l'amiante quelque soit le régime dont celle-ci relève, régime général, régime agricole, régime spécial ; qu'ainsi, en sa qualité d'organisme payeur pour le compte de la branche du travail et maladies professionnelles du régime général de sécurité sociale, la Caisse primaire d'assurance maladie de Dunkerque, auprès de laquelle était immatriculée la victime, était tenue de régler les prestations en nature ou en espèces, indemnités et majorations ; qu'en décidant le contraire, à l'encontre de la Caisse nationale des industries électriques et gazières, la Cour d'appel a violé les articles 40 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998 et 1er du décret n° 99-1129 du 28 décembre 1999, ensemble les articles R. 711-1-8°, R. 711-17, L. 413-14 du Code de la sécurité sociale, 16 de la loi du 9 août 2004 et 1er du décret du 10 décembre 2004.
ALORS QUE 2°), dans ses conclusions d'appel, la CNIEG faisait valoir (p. 3) que « Monsieur X... a travaillé (…) de juillet 1949 à mars 1957 au sein des Etablissements VANDERLUYS en tant que chaudronnier », qu'elle ajoutait (p. 17) que « Monsieur X... a déclaré avoir travaillé pendant 8 ans au sein d'autres sociétés avant d'entrer au service de la société EDF (…) » et « a lui-même reconnu avoir été exposé au risque dans ces entreprises ne relevant pas de la branche garantie par la CNIEG (Déclaration de Monsieur X...)», de sorte qu'il « a fait l'objet d'une multi-exposition au risque de la maladie professionnelle au sein de plusieurs entreprises de sorte que le mécanisme de mutualisation de l'article 2 de l'arrêté du 16 octobre 1995 doit être appliqué » ; que, par suite (p. 26), « la Cour déclarera que les sommes éventuellement allouées à Monsieur X... seront inscrites au compte spécial du régime général de la sécurité sociale et définitivement prises en charge par la branche AT/MP, comme le prévoit clairement l'arrêté du 16 octobre 1995, ces sommes seront avancées par la CPAM de DUNKERQUE, en conséquence, la Cour mettra la CNIEG hors de cause sur le fondement de l'arrêté susvisé » ; que la Cour d'appel n'écarte pas l'existence de cette multiexposition au risque de la maladie professionnelle ; que dès lors, en écartant l'application de l'arrêté précité, au motif erroné et inopérant que « la maladie doit être considérée comme contractée au service du dernier employeur chez lequel la victime a été exposée au risque, avant sa constatation médicale et il appartient à cet employeur d'en rapporter, le cas échéant, la preuve contraire ; or, en l'espèce, la CNIEG ne rapporte nullement cette preuve, qui ne saurait résulter du seul fait que le salarié a déclaré avoir travaillé au sein des établissements VANDERLUYS, sans même indiquer l'emploi précis qu'il y occupait », la Cour d'appel a violé l'article 2 de l'arrêté du 16 octobre 1995.
Moyen produit par la SCP DEFRENOIS et LEVIS, avocat aux Conseils pour la société Electricité de France, demanderesse au pourvoi n° G 08-16.668
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR jugé que M. X... était recevable à solliciter la réouverture des droits prescrits, instituée par l'article 40 de la loi du 23 décembre 1998, et d'AVOIR rejeté en conséquence la fin de non-recevoir soulevée par la société EDF ;
AUX MOTIFS QUE l'article 40 de la loi du 23 décembre 1998, tel que modifié par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2002 du 21 décembre 2001, dispose en son paragraphe 2 : « par dérogation aux dispositions de l'article L. 431-2 et L. 461-5 du code de la sécurité sociale, les droits aux prestations, indemnités et majoration prévus par les dispositions du livre IV dudit code et par les dispositions du chapitre 1er du titre V du livre VII du code rural, y compris en cas de faute inexcusable de l'employeur, au profit des victimes d'affections professionnelles consécutives à l'inhalation de poussières d'amiante ou provoquées par elles, et ceux de leurs ayants droit, sont rouverts dès lors qu'ils ont fait l'objet d'une première constatation médicale entre le 1er janvier 1947 et la datée d'entrée en vigueur de la présente loi » ; que ce texte permet ainsi aux victimes de l'amiante, qui ont fait l'objet d'une première constatation médicale entre le 1er janvier 1947 et le 21 décembre 2001, date d'entrée en vigueur de la loi du 23 décembre 1998, de présenter une demande, au-delà du délai de prescription de deux ans ; que la société EDF soutient que ce dispositif dérogatoire ne serait pas applicable aux bénéficiaires de régimes spéciaux ; que cependant, l'article 40 en son paragraphe II vise « la réouverture des droits aux prestations, indemnités et majorations prévus par les dispositions de l'article du livre IV » ; qu'or, en vertu de l'article R. 711-17 du code de la sécurité sociale, l'organisation spéciale de sécurité sociale relative aux exploitations de production, de transport et de distribution d'énergie électrique et de gaz (les régimes spéciaux) assure « pour l'ensemble des prestations de chaque risque, des prestations équivalentes aux prestations du régime général de sécurité sociale » ; que le régime spécial dont bénéficient les salariés d'EDF offrant à ceux-ci les mêmes droits aux prestations, indemnités et majorations prévus par les dispositions de l'article du livre IV, ces derniers doivent pouvoir également bénéficier de la réouverture desdits droits ; que d'ailleurs, la volonté du législateur n'a pas été de distinguer suivant les catégories de salariés mais bien de traiter toutes les victimes de l'amiante à égalité ; que la société EDF considère que la Cour de cassation, par les arrêts rendus les 11 et 25 octobre 2007, a entendu exclure du bénéfice de l'article 40 les salariés relevant du régime spécial de sécurité sociale des industries électriques et gazières ; que, cependant, une lecture attentive desdits arrêts amène à considérer que la Cour de cassation s'est exclusivement prononcée sur l'application de l'article 40 § 4 relatif à l'affectation des conséquences financières de la faute inexcusable ; qu'en conséquence, M. Michel X..., qui a vu sa maladie constatée la première fois le 30 octobre 1997, est fondé à revendiquer le bénéfice de la réouverture des droits prescrits instituée par l'article 40 de la loi du 23 décembre 1998 ; que la fin de non-recevoir soulevée par la société EDF est, dans ces conditions, rejetée ;
ALORS QUE les dispositions de l'article 40 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998, tel que modifié par la loi de financement de la sécurité sociale du 21 décembre 2001, ne sont pas applicables aux victimes affiliées au régime spécial de sécurité sociale des personnels des industries électriques et gazières ; qu'en jugeant au contraire qu'un salarié relevant du régime spécial des industries électriques et gazières était recevable à invoquer les dispositions de l'article 40 de la loi précitée pour solliciter la réouverture de ses droits prescrits sur le fondement du droit commun, la cour d'appel a violé l'article 40 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998, tel que modifié par la loi de financement de la sécurité sociale du 21 décembre 2001, ensemble l'article L. 431-2 du code de la sécurité sociale.