LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par :
-
X... Halima,
contre l'arrêt de la cour d'appel de VERSAILLES, 18e chambre, en date du 26 mars 2008, qui, pour abus de faiblesse, l'a condamnée à un an d'emprisonnement avec sursis, et a prononcé sur les intérêts civils ;
Vu les mémoires produits, en demande et en défense ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 6 et 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, 66 de la Constitution, 111-3, 111-4 et 223-15-2 du code pénal, préliminaire, 591 et du code de procédure pénale ;
"en ce que l'arrêt infirmatif attaqué a condamné la demanderesse du chef d'abus de faiblesse et alloué 130 000 euros à l'un des ayants droit de Jacques Y... en réparation du préjudice patrimonial subi par ce dernier ;
"aux motifs que, sur la particulière vulnérabilité, qu'il est établi par le dossier qu'Halima X... a bénéficié de la part de Jacques Y..., alors âgé de 86 ans, de sommes d'argent remises par chèques ou virements, d'une donation d'un appartement évalué à 68 602 euros, du don d'un véhicule acheté 11 000 euros, soit au total, 145 534,96 euros, entre le 27 novembre 2002 et le 27 janvier 2004, dont 129 534,96 euros uniquement pour l'année 2003 ; que le juge des tutelles a mis en place une mesure de curatelle renforcée par jugement du 29 avril 2004, soit trois mois après les faits incriminés et a transformé cette curatelle en tutelle par jugement du 15 septembre 2005 ; que depuis 2002, Jacques Y... présentait des troubles qui se sont aggravés en 2003, ce qu'Halima X... ne pouvait raisonnablement ignorer ; que Jacques Y..., trois jours après avoir déposé plainte contre Halima X..., adressait une lettre au commissariat de police pour indiquer que s'il avait déposé une plainte, il la retirait, montrant ainsi qu'il ne se souvenait pas d'une démarche importante accomplie peu de temps auparavant ; qu'il est ainsi démontré que Jacques Y..., à l'époque des faits, se trouvait largement fragilisé et, par conséquent, particulièrement vulnérable et qu'Halima X... avait elle-même pu constater cet état de fait ; que, sur l'abus frauduleux de l'état d'ignorance ou de la situation de faiblesse, après avoir été placée auprès de Jacques Y... par une association, Halima X... acceptera de revenir chez l'intéressé sans contrat et sans percevoir de salaire pendant plusieurs mois, sachant que Jacques Y... devait avoir beaucoup d'argent ; que si Halima X... a nié avoir eu des relations intimes avec Jacques Y..., alors que celui-ci en a rapidement fait état, il n'en demeure pas moins que l'intéressé avait une forte attirance pour Halima X..., laquelle ne saurait faire croire qu'elle ignorait cette attirance ni s'interroger sur les sommes qui lui étaient données et qu'elle avait acceptées ; qu'enfin, sur le caractère gravement préjudiciable, les services de gendarmerie ont établi de façon certaine qu'Halima X... avait bénéficié au cours de l'année 2003 d'une somme totale de 129 534,96 euros ; que si les revenus de Jacques Y... s'élèvent annuellement à environ 500 000 euros, les sommes perçues par Halima X..., sur une période de six mois environ, représentent au minimum un quart de ces revenus annuels, ce qui suffit à démontrer leur caractère gravement préjudiciable même si l'on tient compte du fait qu'il faut déduire la rémunération du travail accompli ; que dès lors, le délit d'abus de faiblesse est constitué, le jugement sera donc infirmé sur la culpabilité ; qu'Halima X... n'a jamais été condamnée et peut dès lors bénéficier du sursis ; qu'une peine d'emprisonnement d'une durée significative sera prononcée avec sursis, ainsi qu'il sera dit au dispositif (arrêt p. 6 à 8) ;
"alors que le délit d'abus frauduleux de l'état d'ignorance ou de la situation de faiblesse n'incrimine que des comportements positifs exprimant la volonté du prévenu de conduire sa victime à un acte ou à une abstention qu'il sait lui être gravement préjudiciable ; qu'un simple comportement d'abstention n'est pas caractéristique de la commission d'un abus reprochable au sens de cette loi spéciale ; qu'échappaient ainsi au champ d'application strict de l'incrimination d'abus de faiblesse les gratifications inspirées par un sentiment libéral que la donataire n'avait pas intentionnellement provoqué, et dont la cour ne constate pas qu'elles provinssent d'une demande ou de manoeuvres préalables et positives de la part de la personne gratifiée ; qu'en se déterminant comme elle l'a fait, la cour a méconnu le principe de légalité commandant une interprétation stricte de la loi pénale" ;
Attendu que les énonciations de l'arrêt attaqué mettent la Cour de cassation en mesure de s'assurer que la cour d'appel a, sans insuffisance ni contradiction, répondu aux chefs péremptoires des conclusions dont elle était saisie et caractérisé en tous ses éléments, tant matériels qu'intentionnel, le délit dont elle a déclaré la prévenue coupable ;
D'où il suit que le moyen, qui se borne à remettre en question l'appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause, ainsi que des éléments de preuve contradictoirement débattus, ne saurait être admis ;
Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 6, 8 et 13 de la Convention européenne des droits de l'homme, de l'article 1° du protocole additionnel n° 1 à ladite Convention, 66 de la Constitution, 223-15-2 du code pénal, 1382 du code civil, 2 et s, 5, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
"en ce que l'arrêt infirmatif attaqué a condamné la demanderesse du chef d'abus de faiblesse et alloué 130 000 euros à l'un des ayants droit de Jacques Y... en réparation du préjudice patrimonial subi par ce dernier ;
"aux motifs que, Claude Y... n'apparaît plus comme poursuivant l'action civile en cause d'appel ; que sa soeur, Muriel Y..., se constitue partie civile en son nom personnel et demande à ce titre des sommes en réparation de son préjudice moral et de son préjudice matériel ; que le délit d'abus de faiblesse reproché à la prévenue ayant été commis au seul préjudice de Jacques Y..., Muriel Y... ne justifie, quant à elle, d'aucun préjudice personnel directement causé par l'infraction de sorte que sa constitution de partie civile en son nom personnel est irrecevable ; qu'en revanche, sa constitution de partie civile, ès qualités d'ayant droit de Jacques Y..., tendant à la réparation du dommage résultant de la remise de biens et de fonds en abusant de sa faiblesse, diffère quant à son objet de l'action en annulation de l'acte de donation d'un appartement et ne saurait dès lors se voir opposer l'exception d'irrecevabilité prévue par l'article 5 du code de procédure pénale ; qu'il y a lieu de déclarer recevable la constitution de partie civile de Muriel Y... en sa qualité d'ayant droit de Jacques Y... ; que la cour est en mesure d'évaluer le préjudice subi par Jacques Y... à la somme de 130 000 euros qu'Halima X... sera condamnée à payer à Muriel Y... en sa qualité d'ayant droit (arrêt p. 8 et 9) ;
"1°) alors que l'action en réparation du préjudice personnel subi par leur auteur ne se divise pas entre les divers ayants droit de ce dernier ; qu'était, en conséquence irrecevable la demande en réparation de la partie civile appelante qui n'avait pas l'agrément de la totalité des ayants droit du de cujus et qui, en tout état de cause, n'était pas habilitée à exercer pareille action « ut singuli » ;
"2°) alors que la partie civile qui a d'abord saisi la juridiction civile d'une demande de restitution est irrecevable ensuite à présenter une demande indemnitaire à raison des mêmes faits devant le juge répressif ; que les deux demandes entre les mêmes parties procédant du même fait et d'une même cause de nature délictuelle, le juge correctionnel, saisi en second lieu, ne pouvait accueillir la demande de la partie civile sans violer l'article 5 du code de procédure pénale ;
"3°) alors, en tout état de cause, que le juge répressif qui a rejeté la fin de non-recevoir de l'article 5 du code de procédure pénale, doit, quand les demandes indemnitaires de la partie civile procèdent des mêmes faits déjà soumis au juge civil à l'encontre d'une même partie dont la responsabilité délictuelle est recherchée, prendre en considération la satisfaction accordée ailleurs à la partie civile avant de statuer sur les mérites et la mesure des prétentions de cette dernière ; que cette « prise en considération » est nécessaire au regard du principe de proportionnalité" ;
Attendu que, d'une part, le moyen qui, en sa première branche, soulève, pour la première fois devant la Cour de cassation, le défaut de qualité à agir de la partie civile, est mélangé de fait et de droit et, comme tel, irrecevable ;
Attendu que, d'autre part, l'arrêt attaqué, pour écarter la fin de non-recevoir tirée de l'article 5 du code de procédure pénale, énonce que l'action, portée devant la juridiction répressive, tendant à la réparation du dommage résultant de la remise de biens et de fonds en abusant de la faiblesse de la victime, diffère, quant à son objet, de l'action en annulation de l'acte de donation d'un immeuble portée devant la juridiction civile ;
Attendu qu'en prononçant ainsi, la cour d'appel n'a méconnu ni l'article susvisé ni les dispositions conventionnelles invoquées, dès lors que les deux actions, successivement engagées, n'ont pas le même objet ;
D'où il suit que le moyen ne peut être admis ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi ;
FIXE à 2 000 euros la somme que Halima X... devra payer à Muriel Y... au titre de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Joly conseiller doyen faisant fonction de président en remplacement du président empêché, M. Finidori conseiller rapporteur, Mme Anzani conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : Mme Randouin ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;