LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Versailles, 5 décembre 2007), que la société Concurrence, estimant abusive la rupture par la société Sony France (Sony) de leurs relations commerciales et se plaignant de fautes imputables à cette société, l'a assignée à jour fixe afin d'obtenir la poursuite de leurs relations et des mesures d'indemnisation ;
Sur le premier moyen :
Attendu que la société Concurrence fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté sa demande d'indemnisation fondée sur un refus abusif de vente et une rupture abusive des relations contractuelles, alors, selon le moyen :
1°/ que le refus de vente animé par une intention de nuire est abusif et caractérise une faute engageant la responsabilité délictuelle de son auteur ; qu'en ne recherchant pas comme elle y était invitée si un tel abus ne pouvait résulter de la volonté de rétorsion envers la société Concurrence exprimée par la société Sony dans sa décision de mettre un terme à ses relations avec elle en raison des procédures les opposant, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article 1382 du code civil ;
2°/ qu'en ne recherchant pas, comme elle y était invitée, si l'abus dans le refus de vente ne pouvait résulter de la volonté de la société Sony d'empêcher la société Concurrence d'accéder au marché de la distribution de ses produits, ce dont témoignait le refus de livrer les produits dans un entrepôt de la société Concurrence sous la responsabilité de la société Alifax et le refus de communiquer par écrit les informations utiles sur les prix et sur les produits, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article 1382 du code civil ;
3°/ que si dans un contrat à durée déterminée reconductible tacitement, chaque contractant est libre de dénoncer le contrat à son terme, le refus de renouvellement de ce contrat peut engager la responsabilité de son auteur en cas d'abus ; qu'en affirmant que la pertinence des motifs de la rupture est sans incidence sur sa validité, tout en observant que ne saurait constituer un juste motif le fait pour la société Sony de mettre un terme au contrat la liant à la société Concurrence par mesure de rétorsion ou d'intimidation liée aux actions en justice encore pendantes les opposant, ce dont il résulte que la rupture litigieuse revêtait un caractère abusif, la cour d'appel a violé l'article 1134, alinéa 3 du code civil ;
4° / qu'aucune disposition légale ne fait obstacle à la conclusion forcée de contrats de vente ; qu'en affirmant qu'il ne peut être fait obligation de contracter avec la société Concurrence, la cour d'appel a violé, par fausse application, l'article 1142 du code civil ;
5°/ qu'en toute hypothèse, il appartient au juge d'apprécier le mode de réparation adéquate du préjudice subi ; qu'en se bornant à refuser de faire droit à l'exécution en nature, sans accorder une réparation par équivalent en dommages-intérêts, la cour d'appel a méconnu son office en méconnaissance de l'article 4 du code civil ensemble les articles 4 et 5 du code de procédure civile ;
Mais attendu, en premier lieu, qu'ayant souverainement estimé que la société Sony était fondée à considérer comme dégradées les relations commerciales qu'elle entretenait avec la société Concurrence, la cour d'appel a pu décider que cette dernière ne justifiait pas du caractère abusif de la rupture desdites relations par la société Sony et a légalement justifié sa décision de rejeter la demande de la société Concurrence tendant à ce qu'il soit fait obligation à la société Sony de contracter directement avec elle ;
Attendu, en deuxième lieu, qu'ayant relevé que depuis la rupture des relations commerciales directes ayant lié les sociétés Concurrence et Sony, cette dernière ne s'est pas opposée aux relations entretenues par la première avec la société Alifax, grossiste de la marque Sony, la cour d'appel, qui n'avait pas à entrer dans le détail de l'argumentation des parties, a répondu aux conclusions prétendument délaissées ;
Attendu, en dernier lieu, qu'ayant exclu toute faute de la société Sony dans la rupture des relations commerciales, la cour d'appel n'a pas, en rejetant la demande de la société Concurrence tendant à la poursuite de ces relations, méconnu les textes invoqués par les deux dernières branches ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le deuxième moyen :
Attendu que la société Concurrence fait grief à l'arrêt d'avoir écarté sa demande d'indemnisation fondée sur l'abus de relation de dépendance commis par la société Sony, alors, selon le moyen :
1° / que la relation de dépendance, pour un distributeur, se définit comme la situation d'une entreprise qui ne dispose pas de la possibilité de substituer à son ou ses fournisseurs un ou plusieurs autres fournisseurs répondant à sa demande d'approvisionnement dans des conditions techniques et économiques comparables ; que la société Concurrence soutenait dans ses conclusions que l'émergence d'un marché propre à l'internet, modifiant les pratiques d'achat du consommateur en matière de matériel hifi-vidéo et informatique, la plaçait dans une situation de dépendance envers la société Sony, dès lors que les internautes recherchent essentiellement des produits de la marque Sony et qu'il n'est pas possible sur un tel marché de proposer uniquement des produits provenant d'autres marques à l'exclusion des produits Sony ; qu'en ne recherchant pas si la société Concurrence n'était pas en relation de dépendance vis-à-vis de la société Sony sur le marché de la vente en ligne de matériel hifi-vidéo et informatique, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 442-6, I, 2°, b) du code de commerce ;
2°/ que le fait pour un fabricant de refuser de vendre directement à un distributeur ses produits en lui imposant de se fournir auprès d'autres détaillants ces mêmes produits est fautif lorsque ce refus, procédant d'un abus de dépendance, a pour effet de placer ce distributeur dans des conditions juridiques et économiques défavorables par rapport à celles dont bénéficient ses cocontractants ; qu'en se bornant à affirmer que la société Concurrence pouvait s'approvisionner auprès de la société Alifax qui lui rétrocédait les avantages dont elle bénéficiait auprès de la société Sony, sans rechercher si la société Concurrence n'était pas privée d'avantages propres aux revendeurs agréés de la société Sony, de telle sorte qu'elle se voyait imposer par la société Sony, dont elle dépendait, des conditions commerciales injustifiées, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article L. 442-6, I, 2°, b) du code de commerce ;
Mais attendu qu'ayant relevé que l'abus de dépendance économique invoqué par la société Concurrence ne saurait résulter de la seule impossibilité alléguée par cette société de s'approvisionner en produits Sony auprès de grossistes dans des conditions identiques à celles qui lui étaient consenties dans le cadre des relations commerciales directes rompues sans faute par la société Sony, la cour d'appel, qui n'avait pas à procéder aux recherches prétendument omises, a légalement justifié sa décision ; que le moyen n'est pas fondé ;
Et attendu que le troisième moyen ne serait pas de nature à permettre l'admission du pourvoi ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Concurrence aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la société Concurrence et la condamne à payer à la société Sony France la somme de 2 500 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du seize décembre deux mille huit.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat aux Conseils pour la société Concurrence.
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
:IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'avoir débouté la société Concurrence de sa demande d'indemnisation fondée sur un refus abusif de vente et une rupture abusive des relations contractuelles ;
AUX MOTIFS QUE les relations entre les parties se sont développées dans le cadre du contrat EMA à durée déterminée renouvelable tacitement pour une année du 31 mars au 1er avril de l'année civile suivante, dont l'article 10 prévoit le non-renouvellementt sous réserve d'un préavis de trente jours et sa résiliation à tout moment et sans motif par chacune des parties, sous réserve d'un préavis de soixante jours et d'accords commerciaux annuels fixant les conditions commerciales applicables année après année, dont le dernier pour la période du 1er avril au 31 mars 2007, a été signé en juin 2006 par la société Concurrence ; que la société Sony France a décidé de rompre les relations commerciales, notamment en ne renouvelant par le contrat EMA et les accords commerciaux annuels, décision notifiée par écrit à la société Concurrence, une année avant sa date d'effet ; que les vingt-sept années de relations commerciales entre les parties ont été ponctuées par de nombreuses procédures engagées par la société Concurrence, sans que par ailleurs, celles-ci puissent constituer un juste motif, dès lors qu'avancer l'existence de procédures judiciaires peut constituer une mesure de rétorsion ou d'intimidation visant des actions en justice dont certaines sont encore pendantes ; que néanmoins, la société Sony France est fondée à considérer que les relations commerciales qu'elle entretenait avec la société Concurrence sont dégradées ; que les relations commerciales établies peuvent être rompues sans motif en respectant un préavis écrit et, dès lors que la société Sony France n'avait pas à indiquer le motif de la rupture, la pertinence de celui-ci est sans incidence sur la validité de la rupture ; qu'il ne peut être fait obligation à la société Sony France de contracter avec la société Concurrence et la demande de cette dernière tendant à la poursuite des relations commerciales ne peut prospérer (arrêt, p.9-10) ;
1°) ALORS QUE le refus de vente animé par une intention de nuire est abusif et caractérise une faute engageant la responsabilité délictuelle de son auteur ; qu'en ne recherchant pas comme elle y était invitée si un tel abus ne pouvait résulter de la volonté de rétorsion envers la société Concurrence exprimée par la société Sony France dans sa décision de mettre un terme à ses relations avec elle en raison des procédures les opposant, la Cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article 1382 du Code civil ;
2°) ALORS QU'en ne recherchant pas comme elle y était invitée si l'abus dans le refus de vente ne pouvait résulter de la volonté de la société Sony France d'empêcher la société Concurrence d'accéder au marché de la distribution de ses produits, ce dont témoignait le refus de livrer les produits dans un entrepôt de la société Concurrence sous la responsabilité de la société Alifax et le refus de communiquer par écrit les informations utiles sur les prix et sur les produits, la Cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article 1382 du Code civil ;
3°) ALORS QUE si dans un contrat à durée déterminée reconductible tacitement, chaque contractant est libre de dénoncer le contrat à son terme, le refus de renouvellement de ce contrat peut engager la responsabilité de son auteur en cas d'abus ; qu'en affirmant que la pertinence des motifs de la rupture est sans incidence sur sa validité, tout en observant que ne saurait constituer un juste motif le fait pour la société Sony France de mettre un terme au contrat la liant à la société Concurrence par mesure de rétorsion ou d'intimidation liée aux actions en justice encore pendantes les opposant, ce dont il résulte que la rupture litigieuse revêtait un caractère abusif, la Cour d'appel a violé l'article 1134, alinéa 3 du Code civil ;
4°) ALORS QU'aucune disposition légale ne fait obstacle à la conclusion forcée de contrats de vente ; qu'en affirmant qu'il ne peut être fait obligation de contracter avec la société Concurrence, la Cour d'appel a violé, par fausse application, l'article 1142 du Code civil ;
5°) ALORS QU'en toute hypothèse, il appartient au juge d'apprécier le mode de réparation adéquate du préjudice subi ; qu'en se bornant à refuser de faire droit à l'exécution en nature, sans accorder une réparation par équivalent en dommages-intérêts, la Cour d'appel a méconnu son office en méconnaissance de l'article 4 du Code civil ensemble les articles 4 et 5 du Code de procédure civile.
DEUXIEME MOYEN DE CASSATION :
:IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'avoir écarté la demande d'indemnisation de la société Concurrence fondée sur l'abus de relation de dépendance commis par la société Sony France ;
AUX MOTIFS QUE les produits Sony constituent la part prépondérante des ventes réalisées par la société Concurrence et de son chiffre d'affaires ; que l'état de dépendance économique suppose une impossibilité de substituer à un fournisseur donné un ou plusieurs autres pouvant répondre à sa demande d'approvisionnement dans des conditions techniques et économiques comparables et qu'en l'espèce la société Concurrence ne bénéficiait pas de conditions exclusives ; que si la société Concurrence justifie que la vente de produits Sony a atteint au cours des dernières années une proportion extrêmement importante des ventes réalisées, elle ne peut prétendre que l'impossibilité de s'approvisionner en produits Sony dans des conditions identiques à celles qui lui étaient faites dans le cadre des relations commerciales directes établit son état de dépendance économique à l'égard de la société Sony France et l'abus de celle-ci ; que l'argument selon lequel les ventes réalisées en 2006 démontrent que Sony n'est pas substituable et se situe toujours dans les trois premières marques selon les produits, ce qui la rend incontournable, ne peut être retenu au regard des statistiques de parts de marché dressées par l'institut GFK sur la période de mai 2007 ; que les parts de marché Sony par rapport à ses concurrents restent inférieures à celles de la période 2000-2001, au cours de laquelle l'état de dépendance de la société Concurrence vis-à-vis de la société Sony France a été écarté par les décisions rendues entre les parties par le Conseil de la concurrence, la Cour d'appel de Paris et la Cour de cassation ; que la société Concurrence outre les produits Sony commercialise les produits de marques Philips, Samsung, LG, Panasonic, Yamaha, Pioneer et Denon qui, ensemble, couvent toutes les familles du secteur commercial en cause ; qu'il apparaît dès lors que la société Concurrence qui n'apporte pas la démonstration de son impossibilité de s'approvisionner en produits équivalents auprès d'autres marques s'est elle-même placée dans cette situation à l'égard de la société Sony France en axant principalement son activité sur la vente des produits Sony ; que depuis la rupture des relations commerciales directes existant avec la société Sony France, cette dernière ne s'est pas opposée à ce que la société Alifax lui fasse les conditions commerciales qu'elle entendait lui faire, en rétrocédant les avantages concédés dans le cadre des accords commerciaux existant entre la société Sony France et Alifax ; que l'état de dépendance économique n'est pas avéré et en conséquence, la société Concurrence, qui ne démontre pas être dans l'impossibilité de trouver d'autres sources d'approvisionnement en produits Sony ou en produits similaires lui permettant de poursuivre son activité commerciales, doit être déboutée de ses prétentions de ce chef (arrêt, p.10-11) ;
1°) ALORS QUE la relation de dépendance, pour un distributeur, se définit comme la situation d'une entreprise qui ne dispose pas de la possibilité de substituer à son ou ses fournisseurs un ou plusieurs autres fournisseurs répondant à sa demande d'approvisionnement dans des conditions techniques et économiques comparables ; que la société Concurrence soutenait dans ses conclusions que l'émergence d'un marché propre à l'internet, modifiant les pratiques d'achat du consommateur en matière de matériel hifi-vidéo et informatique, la plaçait dans une situation de dépendance envers la société Sony, dès lors que les internautes recherchent essentiellement des produits de la marque Sony et qu'il n'est pas possible sur un tel marché de proposer uniquement des produits provenant d'autres marques à l'exclusion des produits Sony ; qu'en ne recherchant pas si la société Concurrence n'était pas en relation de dépendance vis-à-vis de la société Sony France sur le marché de la vente en ligne de matériel hifi-vidéo et informatique, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 442-6, I, 2°, b) du Code de commerce ;
2°) ALORS QUE le fait pour un fabricant de refuser de vendre directement à un distributeur ses produits en lui imposant de se fournir auprès d'autres détaillants ces mêmes produits est fautif lorsque ce refus, procédant d'un abus de dépendance, a pour effet de placer ce distributeur dans des conditions juridiques et économiques défavorables par rapport à celles dont bénéficient ses cocontractants ; qu'en se bornant à affirmer que la société Concurrence pouvait s'approvisionner auprès de la société Alifax qui lui rétrocédait les avantages dont elle bénéficiait auprès de la société Sony France, sans rechercher si la société Concurrence n'était pas privée d'avantages propres aux revendeurs agréés de la société Sony France, de telle sorte qu'elle se voyait imposer par la société Sony France, dont elle dépendait, des conditions commerciales injustifiées, la Cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article L. 442-6, I, 2°, b) du Code de commerce.
TROISIEME MOYEN DE CASSATION :
:IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'avoir déclaré irrecevables les demandes en indemnisation relatives au refus de compensation pour baisse de prix, aux retards de livraison au mois d'août 2007 et au refus de livrer des téléviseurs LCD ;
AUX MOTIFS QUE les demandes d'indemnisation relatives au refus de compensation pour baisse des prix en juillet 2007, aux conditions de la livraison à compter du 1er août 2007, au refus de vendre des téléviseurs LCD correspondant à des faits postérieurs au terme du préavis qui n'ont pas été évoquées devant le premier juge, sont irrecevables comme formulées pour la première fois en cause d'appel (arrêt, p.13) ;
ALORS QUE les parties peuvent soumettre à la Cour d'appel de nouvelles prétentions pour faire juger les questions nées de la survenance ou de la révélation d'un fait ; qu'en se prononçant comme elle l'a fait, quant il résultait tant de ses énonciations que des écritures d'appel de la société Concurrence que les demandes litigieuses étaient fondées sur des faits postérieurs au jugement entrepris du Tribunal de commerce du 22 juin 2007, la Cour d'appel a violé l'article 564 du Code de procédure civile.