LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Vu leur connexité, joint les pourvois J 07-18.206 et T 07-18.214 ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 14 juin 2007) qu'Angelo X..., salarié de la société Ballestrero, aux droits de laquelle vient la société Bouygues bâtiment IDF, du 10 mars 1958 au 30 juin 1991 en qualité de maçon, a travaillé à la démolition, à la construction et à la maintenance des bâtiments de l'usine de la société Everite ; qu'il a déclaré le 10 août 2002 être atteint d'une affection due à l'inhalation des poussières d'amiante que la caisse primaire d'assurance maladie de Seine et Marne (la caisse) a pris en charge au titre du tableau n° 30 des maladies professionnelles par décision du 11 février 2003 ; qu'il a formé une demande en indemnisation complémentaire en raison de la faute inexcusable de la société Everite comme étant substituée à son employeur ; qu'il est décédé le 14 juin 2004 des suites de sa maladie et que ses ayants droit ont repris l'instance ; que la cour d'appel a dit que la maladie professionnelle d'Angelo X... était la conséquence de la faute inexcusable de la société Everite qu'elle a maintenu en la cause, déclaré la société Bouygues bâtiment IDF, venant aux droits de la société Ballestrero, en sa qualité d'employeur, responsable des conséquences de la faute inexcusable commise par la société Everite, déclaré opposable à la société Bouygues bâtiment IDF la reconnaissance par la caisse du caractère professionnel de la maladie d'Angelo X..., fixé au maximum la majoration de la rente servie à ce dernier à compter du 1er octobre 2003 jusqu'à son décès ainsi que de la rente servie à sa veuve et fixé la réparation des préjudices au titre de l'action successorale et des préjudices moraux des ayants droit de la victime ;
Sur les deux moyens réunis du pourvoi n° J 07-16.206 :
Attendu que la société Bouygues bâtiment IDF fait grief à l'arrêt de lui déclarer opposable la décision de la caisse de prendre en charge cette maladie à titre professionnel alors, selon le moyen :
1°/ qu' il résulte des dispositions de l'article R. 441-11, alinéa 1er, du code de la sécurité sociale que la caisse primaire d'assurance maladie, avant de se prononcer sur le caractère professionnel d'un accident ou d'une maladie, doit informer l'employeur de la fin de la procédure d'instruction, des éléments susceptibles de lui faire grief, de la possibilité de consulter le dossier et de la date à laquelle elle prévoit de statuer ; qu'ainsi, en énonçant «qu'aucune disposition légale ou réglementaire n'impose à l'organisme social de préciser à l'employeur la date à laquelle elle entend prendre sa décision», la cour d'appel a violé l'article R. 441-11, alinéa 1er, du code de la sécurité sociale ;
2°/ que le délai donné à l'employeur pour prendre connaissance du dossier et faire valoir sa défense courait à compter de la date de la lettre de la caisse et non à la date de réception de celle-ci ; que la réception de cette lettre étant intervenue en l'espèce quatre jours avant l'expiration de ce délai, le contradictoire n'avait pas été respecté, d'autant que l'employeur n'avait pu consulter le dossier qu'après l'expiration du délai de dix jours, ce qui ne le mettait pas en mesure de faire valoir utilement des observations avant l'expiration du délai ; qu'en statuant comme elle, malgré l'atteinte au principe du contradictoire, la cour d'appel a violé l'article R. 441-11, alinéa 1er, du code de la sécurité sociale ;
3°/ que le tribunal avait relevé que dès lors que le délai donné à l'employeur pour prendre connaissance du dossier et faire valoir sa défense courait à compter de la date de la lettre de la caisse et non à la date de réception de celle-ci -qui était intervenue en l'espèce quatre jours avant l'expiration de ce délai- le contradictoire n'avait pas été respecté, puisque l'employeur n'avait pu consulter le dossier qu'après l'expiration du délai de dix jours, ce qui ne le mettait pas en mesure de faire valoir utilement des observations avant l'expiration du délai ; qu'en ne recherchant pas, à tout le moins, en réfutation des motifs du jugement et des conclusions de l'exposante, si la fixation du point de départ du délai au jour de la date de la lettre et non de sa réception permettait un respect effectif du contradictoire et des dispositions impératives de la loi, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article R. 441-11, alinéa 1er, du code de la sécurité sociale ;
4°/ que la caisse primaire d'assurance maladie, avant de se prononcer sur le caractère professionnel d'un accident ou d'une maladie, doit informer l'employeur de la fin de la procédure d'instruction, des éléments susceptibles de lui faire grief, de la possibilité de consulter le dossier et de la date à laquelle elle prévoit de statuer ; qu'en l'occurrence, la caisse primaire d'assurance maladie n'avait pas adressé à la société Bouygues bâtiment IDF avant décision : - du double de la déclaration de maladie professionnelle, - des certificats médicaux attestant de la maladie du demandeur, - des moyens susceptibles de lui faire grief - de la date à laquelle elle envisageait de prendre sa décision - de la décision de prise en charge ; qu'en statuant comme elle l'a fait en dépit de ce défaut de communication préalable des documents obligatoires, la cour d'appel a violé l'article R. 441-11 du code de la sécurité sociale ;
5°/ que la caisse primaire d'assurance maladie, avant de se prononcer sur le caractère professionnel d'un accident ou d'une maladie, doit informer l'employeur de la fin de la procédure d'instruction, des éléments susceptibles de lui faire grief, de la possibilité de consulter le dossier et de la date à laquelle elle prévoit de statuer ; que, sur l'obligation de la caisse d'informer l'employeur des éléments qui lui sont défavorables, qui est distincte de la possibilité de consulter le dossier, la société Bouygues bâtiment IDF avait montré n'avoir pas reçu communication avant décision : - du double de la déclaration de maladie professionnelle, - des certificats médicaux attestant de la maladie du demandeur, - des moyens susceptibles de lui faire grief - de la date à laquelle elle envisageait de prendre sa décision - de la décision de prise en charge ; qu'en ne recherchant pas, pour le moins, en réfutation des conclusions de la société Bouygues bâtiment IDF, si la CPAM de Seine-et-Marne avait respecté ses obligations à informer l'employeur des éléments susceptibles de lui faire grief, la cour d'appel n'a pas justifié légalement sa décision au regard de l'article R. 441-11, alinéa 1er, du code de la sécurité sociale ;
6°/ que la cour d'appel, qui a assimilé obligation d'informer sur les éléments faisant grief à l'employeur et possibilité pour celui-ci de consulter le dossier, n'a pas justifié légalement sa décision au regard de l'article R. 441-11, alinéa 1er, du code de la sécurité sociale ;
Mais attendu que l'arrêt relève que le 24 janvier 2003 la caisse a adressé à la société Ballestrero un courrier l'informant de la fin de l'instruction et de la possibilité de consulter les pièces du dossier dans le délai de dix jours à compter de la date d'établissement de ce courrier et qu'un représentant de cette société est venu consulter le dossier le 4 février 2003 ;
Que de ces constatations et énonciations, la cour d'appel a exactement déduit que la société employeur qui avait été avisée de la date à compter de laquelle la caisse envisageait de prendre sa décision avait été mise en mesure de connaître les éléments susceptibles de lui faire grief et que la caisse avait ainsi satisfait à son obligation d'information à son égard préalablement à sa décision de prise en charge intervenue le 11 février 2003 ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le premier moyen du pourvoi n° T 07-18.214, qui est recevable :
Attendu que la société Everite fait grief à l'arrêt de l'avoir maintenue en cause, d'avoir déclaré la société Bouygues bâtiment IDF responsable de sa faute inexcusable et confirmé sa condamnation au paiement d'une certaine somme à chacun des consorts X... au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, alors, selon le moyen :
1°/ qu'en vertu de l'article L. 452-1 du code de la sécurité sociale, la victime ou ses ayants droit ont droit à une indemnisation complémentaire en cas de faute inexcusable de l'employeur ou de ceux qu'il s'est substitués dans la direction ; que la substitution dans la direction implique nécessairement que la personne dont la faute inexcusable est recherchée soit investie d'un pouvoir de direction à l'égard du salarié lors des travaux à l'origine de l'accident ou de la maladie ; qu'en l'espèce, pour considérer que la société Everite s'était substituée à la société Ballestrero dans la direction de M. X..., la cour d'appel se borne à énoncer que ce salarié «employé par la société Ballestrero, sous-traitant de la société Everite, a, en fait, travaillé dans les locaux de cette dernière en régie» ; qu'en statuant de la sorte, sans indiquer en quoi ce mode de gestion octroyait à la société Everite des prérogatives de direction à l'égard de M. X..., la cour d'appel n'a pas mis la Cour de cassation en mesure d'exercer son contrôle, privant sa décision de toute base légale au regard de l'article L. 452-1 du code de la sécurité sociale ;
2°/ que la substitution dans la direction implique nécessairement que la personne dont la faute inexcusable est recherchée soit investie d'un pouvoir de direction à l'égard du salarié lors des travaux à l'origine de l'accident ou de la maladie ; qu'en énonçant dès lors que la société Everite ne pouvait «au motif qu'elle n'avait aucun pouvoir de direction, échapper à la déclaration de sa faute inexcusable» , la cour d'appel a violé l'article L. 452-1 du code de la sécurité sociale ;
3°/ que les décisions de justice doivent être motivées et que la contradiction entre les motifs équivaut à une absence de motifs ; qu'en l'espèce, il existait une contestation entre les parties concernant la nature de la prestation de M. X... ; que la société Bouygues bâtiments IDF soutenait que le salarié exécutait des travaux auprès de la société Everite en «régie contrôlée», qu' «il ne s'agissait pas de sous-traitance» mais d'un «cadre juridique permettant à l'entreprise de louer le salarié de manière temporaire, pour réaliser le travail souhaité par le client et sous son contrôle» ; que la société Everite exposait, au contraire, que la société Ballestrero était une société sous-traitante et que M. X... était resté sous la direction de cette dernière ; qu'en estimant néanmoins tout à la fois que la société Ballestrero était «sous-traitante de la société Everite» et que M. X... a «travaillé dans les locaux de cette dernière en régie», la cour d'appel a entaché sa décision d'une contradiction de motifs, violant ainsi l'article 455 du code de procédure civile ;
4°/ qu'en énonçant que la société Everite ne contestait pas que M. X... avait travaillé au sein de ses locaux«en régie», la cour d'appel a dénaturé les termes du litige en violation de l'article 4 du code de procédure civile ;
5°/ que le jugement doit être motivé et que méconnaît cette exigence le juge qui se détermine sans viser la moindre pièce versée aux débats ni analyser, même sommairement, les éléments de preuve sur lesquels il se fonde ; qu'en se bornant, pour considérer que la société Everite s'était substituée à la société Ballestrero dans la direction de M. X... à affirmer que le salarié «a été placé sous la direction de la société Everite qui était tenue à son égard d'un certain nombre d'obligation déclaratives et d'information» , sans exposer ni, a fortiori, analyser le moindre élément de preuve à l'appui de cette affirmation, les juges du fond n'ont pas motivé leur décision, violant ainsi l'article 455 du code de procédure civile ;
Mais attendu que l'arrêt relève, par motifs propres et adoptés, qu'il est établi qu'Angelo X..., salarié de la société Ballestrero, a été mis à la disposition de la société Everite de 1958 à 1991 afin de procéder à des travaux de démolition, de construction et de maintenance des bâtiments de l'usine de cette dernière société dans lesquels étaient stockés des tuyaux en amiante et qu'il a ainsi été placé sous la direction de la société Everite qui était tenue à son égard d'un certain nombre d'obligations déclaratives et d'informations, notamment en matière d'hygiène et de sécurité ;
Qu'en retenant ainsi, dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation des éléments de la cause et, par une décision motivée, que la société Everite s'était trouvée substituée à la société Ballestrero dans la direction de son salarié au sens des dispositions de l'article L. 452-1 du code de la sécurité sociale mais que cette dernière, en tant qu'employeur, devait répondre des conséquences de la faute inexcusable commise par la première, peu important la qualification juridique donnée à la prestation entre les deux sociétés, la cour d'appel a, sans encourir les griefs du moyen, légalement justifié sa décision ;
Et sur le second moyen du pourvoi n°T 07-18.214 :
Attendu que la société Everite fait encore grief à l'arrêt d'avoir dit la décision de la caisse de prise en charge de la maladie professionnelle de M. X... opposable à la société Bouygues bâtiment IDF et jugé que la maladie de M. X... était due à la faute inexcusable de la société Everite, alors, selon le moyen :
1°/ que lorsqu'une entreprise est mise en cause dans un contentieux de sécurité sociale en tant que «substituée à l'employeur» en vertu de l'article L. 452-1 du code de la sécurité sociale, elle est fondée à se prévaloir de l'article R. 441-10 et suivants et à soulever l'inopposabilité d'une prise en charge irrégulière intervenue hors de sa présence, de sorte qu'en refusant de faire droit à la demande d'inopposabilité formulée par la société Everite, tout en la maintenant dans la cause, la cour d'appel a violé ensemble les textes susvisés ;
2°/ qu'en vertu des articles L. 442-1 et L. 442-2, alors en vigueur, la CPAM est tenue, lorsque la lésion est susceptible d'entraîner la mort, de procéder à une enquête afin de rechercher la cause, la nature et les circonstances de la maladie, la nature de la maladie et les éléments de nature à permettre à la CPAM de statuer sur le caractère professionnel de la maladie ; qu'en vertu de l'article R. 442-6 du code de la sécurité sociale l'enquêteur est tenu de convoquer l'employeur, la victime ou ses ayants droit et, plus généralement, toute personne qui lui paraîtrait susceptible de fournir des renseignements utiles ; qu'au cas présent, il était constant que M. X... avait travaillé de 1958 à 1991 dans les locaux de la société Everite, de sorte que celle-ci devait nécessairement être entendue lors de l'enquête ; qu'en s'abstenant de rechercher, comme il lui était demandé, si la société avait été entendue dans le cadre de l'enquête légale, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard des dispositions susvisées en déduisant le caractère professionnel de la maladie de M. X... de la décision de la caisse ;
3°/ que la société Everite exposait dans ses conclusions que l'enquête légale permettant d'établir le caractère professionnel de la maladie n'avait pas été menée régulièrement ; qu'en se dispensant totalement de répondre à ce chef de conclusion déterminant s'agissant du lien de causalité entre l'affection du salarié et la prétendue faute de l'employeur, la cour d'appel a méconnu l'article 455 du code de procédure civile ;
4°/ que si l'instruction de la maladie professionnelle n'exige pas la présence de l'entreprise susceptible d'être «substituée à l'employeur», en application de l'article L. 452-1 du code de la sécurité sociale, la prise en charge est, de droit, inopposable à cette dernière ; qu'il incombe, alors, à la juridiction saisie de rechercher dans le cadre d'un débat contradictoire si la maladie a bien un caractère professionnel ; de sorte qu'en s'abstenant d'établir le caractère professionnel de la maladie de M. X... à l'égard de la société Everite, qui contestait la manière dont la CPAM de Seine-et-Marne avait à l'origine établi ce caractère professionnel et notamment le fait de n'avoir pas été associée même en tant que tiers à l'enquête légale, la cour d'appel a violé les articles L. 452-1, L. 452-2, L. 452-3 et L. 461-1 du code de la sécurité sociale, ensemble l'article 1147 du code civil ;
Mais attendu qu'il résulte des dispositions de l'article R. 441-11 du code de la sécurité sociale que l'obligation d'information qui incombe à la caisse dans le cadre de la procédure de reconnaissance du caractère professionnel d'un accident ou d'une maladie ne concerne que la victime, ses ayants droit et la personne physique ou morale qui a la qualité juridique d'employeur ;
Qu'ayant constaté que la société Ballestrero, aux droits de laquelle vient la société Bouygues bâtiment IDF, était demeurée l'employeur d‘Angelo X... et que la société Everite, substituée, n'avait jamais eu cette qualité, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de répondre à des conclusions que ses constatations rendaient inopérantes, a, par ces seuls motifs, légalement justifié sa décision ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE les pourvois ;
Condamne, in solidum, les sociétés Bouygues bâtiment IDF et Everite aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne la société Everite à payer aux consorts X... la somme de 2 500 euros ; condamne la société Bouygues, venant aux droits de la société Ballestrero, à payer aux consorts X... la somme de 2 500 euros ; rejette l'ensemble des autres demandes présentées de ce chef ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du treize novembre deux mille huit.