AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIERE ET ECONOMIQUE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Bourges, 29 juin 2005), que la société Etablissements Matenin (les établissements Matenin), ayant pour activité principale la conception et la réalisation d'engins à roues civils et militaires, a conclu, le 28 juillet 1996, avec les Emirats Arabes Unis un contrat d'armement, lequel prévoyait pour garantir sa bonne exécution une caution représentant d'une part 20 % du marché pour la restitution d'avance et d'autre part 10 % du marché en garantie de bonne fin, caution ramenée à 5 % pendant la période de garantie ; que la caisse régionale de crédit agricole mutuel Centre Loire (la caisse) a informé, le 30 janvier 1997, les établissements Matenin de son accord pour délivrer ces cautions, comme chef de file d'un groupement bancaire ; qu'à la suite de difficultés financières, un protocole transactionnel a été signé le 28 janvier 1999 avec la caisse représentant le groupement bancaire ;
que les établissements Matenin ont été mis en redressement puis liquidation judiciaires les 6 juin 2001 et 6 mars 2002 ; qu'ultérieurement, la Selarl Jim X..., liquidateur, a assigné la caisse en responsabilité ;
Sur le premier moyen :
Attendu que le liquidateur fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté son action en responsabilité contre la caisse pour manquement à son obligation de contracter de bonne foi lors de l'octroi en 1997 des garanties exigées par les Emirats Arabes Unis pour la mise en oeuvre du contrat d'armement conclu le 28 juillet 1996, alors, selon le moyen :
1 / que le liquidateur faisait valoir que la caisse, qui avait rapidement donné son accord de principe à l'octroi des garanties et qui savait que celles-ci devaient être émises pour le 2 décembre 1996, avait attendu le 30 janvier 1997 pour soumettre à sa cliente une offre ferme ;
que cette offre était subordonnée au blocage par nantissement d'une somme de 5 128 000 francs sur l'acompte versé par les Emirats Arabes Unis, acompte dont le plan prévisionnel soumis à la banque prévoyait pourtant la disponibilité immédiate, ainsi qu'au paiement de frais de confirmation du crédit documentaire pour un montant de 1 874 460 francs et de primes d'assurance pour 2 500 000 francs ; que le liquidateur faisait valoir que ces exigences, que les établissements Matenin avaient été contraints d'accepter pour ne pas perdre le marché, avaient désorganisé la production et compromis l'équilibre financier de la société ; qu'en refusant de rechercher si la banque n'avait pas ainsi manqué à son obligation de contracter de bonne foi et si cette faute n'avait pas causé un préjudice financier aux établissements Matenin, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du code civil ;
2 / que dans son commentaire du document intitulé "état de rapprochement prévisionnel-réel de la situation de trésorerie au 30 juin 1998", M. Y... soulignait la "différence minime" entre la "situation au 30 juin 1998 suivant plan de trésorerie du 6 novembre 1996 corrigé", intégrant le déficit de trésorerie imputable aux exigences de la caisse, et la situation réelle, ce qui démontrait l'incidence des fautes de la banque sur la situation de la société ; qu'en déduisant de cette annotation de M. Y... que ce dernier considérait lui-même que l'incidence des fautes reprochées à la caisse avait été minime, la cour d'appel a dénaturé ce document et violé l'article 1134 du code civil ;
3 / que la liste des créances établie par le représentant des créanciers au cours de la période d'observation regroupe les créances antérieures à l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire ;
qu'en retenant que la somme de 38 000 000 francs réclamée par le liquidateur sur la base de la liste provisoire des créances au 21 septembre 2001 pouvait provenir pour partie de la poursuite d'une activité déficitaire pendant le redressement judiciaire, la cour d'appel a violé les articles L. 621-43 et L. 621-103 du code de commerce ;
Mais attendu, en premier lieu, qu'après avoir relevé que le liquidateur, pour obtenir la condamnation de la caisse, procède par voie d'affirmation et d'approximation, négligeant de fournir les documents comptables pour la période 1996 à 2002, les rapports des commissaires aux comptes, les procès-verbaux des délibérations des organes dirigeants des établissements Matenin et une analyse comptable et financière rigoureuse mettant en évidence les conséquences des fautes reprochées à la caisse sur la dégradation progressive de l'entreprise en particulier par rapport aux prévisions initiales, l'arrêt en déduit que la preuve du préjudice en lien de causalité avec les fautes reprochées à la caisse n'est pas rapportée par le liquidateur; que la cour d'appel, qui n'avait pas à procéder à une recherche que rendait inutile cette constatation, a, par ce seul motif, légalement justifié sa décision ;
Attendu, en second lieu, que le rejet de la première branche rend sans objet les griefs des deux dernières branches qui se fondent sur un motif surabondant ;
D'où il suit que le moyen, qui n'est pas fondé en sa première branche, ne peut être accueilli pour le surplus ;
Et sur le second moyen :
Attendu que le liquidateur fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté sa demande tendant à voir la caisse condamner à lui payer des dommages-intérêts pour soutien abusif en janvier 1999, alors, selon le moyen :
1 / qu'une banque commet une faute à l'égard des créanciers de l'entreprise en octroyant un crédit à celle-ci quand sa situation est irrémédiablement compromise, peu important que le dirigeant de l'entreprise connaisse lui aussi cette situation ; qu'en l'espèce, le liquidateur soutenait que la caisse, qui avait été avertie de la situation désespérée des établissements Matenin par de nombreux courriers de son dirigeant en 1997 et 1998, avait commis une faute en lui accordant le 28 janvier 1999 des crédits uniquement destinés à éviter le redressement judiciaire de la société et la mise en jeu des garanties qu'elle avait accordées aux Emirats Arabes Unis ; qu'en rejetant l'action en responsabilité du liquidateur contre la caisse pour soutien abusif aux motifs que la banque n'avait pas demandé de garanties, que le taux et les conditions des crédits accordés n'étaient pas précisés, et que "la cour n'est pas en mesure de déterminer la part de préjudice imputable aux éventuelles fautes de la caisse et aux fautes de gestion des dirigeants de la société",
la cour d'appel, qui devait rechercher si la banque connaissait ou aurait dû connaître la situation irrémédiablement compromise de la société, a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du code civil ;
2 / qu' il résulte du protocole d'accord transactionnel en date du 28 janvier 1999 que la caisse consentait aux établissements Matenin "une ligne Dailly d'un montant de 8 000 000 francs à échéance du 31 octobre 2000, garantie par une cession de créance" ; qu'en affirmant cependant que la caisse n'exigeait pas de garantie, la cour d'appel a dénaturé les termes clairs et précis de la transaction et a violé l'article 1134 du code civil ;
3 / que la liste des créances établie par le représentant des créanciers au cours de la période d'observation regroupe les créances antérieures à l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire ;
qu'en retenant que la somme de 38 000 000 francs réclamée par le liquidateur sur la base de la liste provisoire des créances au 21 septembre 2001 pouvait provenir pour partie de la poursuite d'une activité déficitaire pendant le redressement judiciaire, la cour d'appel a violé les articles L. 621-43 et L. 621-103 du code de commerce ;
Mais attendu, en premier lieu, qu'après avoir constaté que le liquidateur ne fournissait aucun élément ni sur la situation exacte au 28 janvier 1999, ni sur la gestion pendant la période courant jusqu'à la saisine du tribunal de commerce, ni sur l'aggravation ou la diminution de l'insuffisance d'actif qui a pu en résulter, l'arrêt en déduit que la preuve du préjudice en lien de causalité avec la faute alléguée de la caisse n'est pas rapportée ; que la cour d'appel, qui n'avait pas à effectuer la recherche rendue inutile par cette constatation, a, par ce seul motif, légalement justifié sa décision ;
Attendu, en second lieu, que le rejet de la première branche rend sans objet les griefs des deux dernières branches, qui se fondent sur un motif surabondant ;
D'où il suit que le moyen, qui n'est pas fondé en sa première branche, ne peut être accueilli pour le surplus ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Jim X..., ès qualités, aux dépens ;
Vu l'article 700 du nouveau code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du deux octobre deux mille sept.