AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, PREMIERE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu que les époux X... se sont mariés, en 1975, sous le régime de la séparation de biens ; qu'un jugement de séparation de corps est intervenu, le 25 octobre 1994, décision entérinant l'accord des parties quant à la fixation de la pension alimentaire à la charge du mari au bénéfice de l'épouse, sous forme d'un capital, l'abandon par lui-même, en pleine propriété, de ses droits portant sur trois immeubles situés à Plan de Cuques (B.d. Rh.) achetés, au cours du mariage, en indivision par l'un et l'autre des époux, chacun pour moitié ;
que ce jugement a été transcrit sur les registres de l'état civil le 17 janvier 1995 ; que le 3 juin 1998, la Caisse de crédit mutuel des professions de santé de Provence (CMPS), créancière de M. Y..., caution solidaire d'un emprunt qu'avait souscrit auprès de cet organisme financier la SCI Poissonnerie, a fait inscrire une hypothèque judiciaire provisoire, en garantie des sommes qui lui étaient dues, sur les trois immeubles susmentionnés, hypothèque provisoire transformée en hypothèque définitive, le 17 juillet 1998 ; que les 24 juin et 13 octobre 1998, la Caisse d'épargne et de prévoyance Alpes Corse (la Caisse d'épargne), créancière de M. Y..., caution de la SARL Delta G, dont il était le gérant, a fait, elle aussi, inscrire sur ces trois mêmes immeubles une hypothèque judiciaire provisoire, puis définitive pour le paiement des sommes dues ; que le 25 juin 1998, M. Z..., notaire, a établi un acte de dépôt constatant qu'en vertu du jugement de séparation de corps des époux X..., Mme A... était devenue seule propriétaire des trois immeubles, acte publié, le 3 juillet suivant à la conservation des hypothèques ;
Sur la première branche du moyen unique du pourvoi principal :
Vu les articles 28 et 30 du décret n° 55-22 du 4 janvier 1955 portant réforme de la publicité foncière ;
Attendu qu'il résulte de ces textes que le défaut de publicité des actes déclaratifs portant sur des immeubles n'a pas pour sanction leur inopposabilité aux tiers ;
Attendu que pour dire n'y avoir lieu à ordonner la mainlevée des hypothèques inscrites par la CMPS et la caisse d'épargne sur les trois biens immobiliers dont s'agit, et que le jugement du 25 octobre 1994 qui attribuait la pleine propriété de la part de M. Y... sur ces biens à Mme A... et l'acte établi, le 25 juin 1998, par M. Z..., notaire, n'étaient opposables aux tiers qu'à compter de la date de leur publication, le 3 juillet 1998, l'arrêt attaqué retient que le jugement de 1994 n'avait fait qu'opérer, au profit de Mme A..., une cession forcée des droits de M. Y... sur les immeubles litigieux et que cette attribution constituait une mutation de droits réels immobiliers soumise, pour être opposable aux tiers, à la publicité foncière ;
Qu'en statuant ainsi, alors que la cession de la quote-part des droits indivis à un coïndivisaire a un effet déclaratif de sorte que les actes en cause étaient opposables aux créanciers hypothécaires inscrits, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
Sur le moyen unique du pourvoi incident, pris en ses trois premières branches :
Vu les articles 1351 et 1167 du code civil ;
Attendu que pour écarter la demande d'annulation de l'abandon consenti par M. Y... à Mme A... de ses droits indivis portant sur les immeubles susmentionnés, l'arrêt retient par motif adopté que cette attribution résulte d'un jugement ne pouvant être attaqué que par la tierce opposition et, par motifs propres, que l'abandon de ses droits par M. Y... ne pouvait constituer une donation déguisée, ni que Mme A... pouvait savoir à l'époque où est intervenu le jugement "de divorce" que M. Y... allait faire l'objet de poursuites de la part de la CMPS ou de la Caisse d'épargne ;
Mais attendu qu'en statuant ainsi, alors, d'une part, que le juge aux affaires familiales, qui a prononcé, le 25 octobre 1994, la séparation de corps des époux X..., en condamnant M. Y... à payer à son épouse une pension alimentaire sous forme d'un capital constitué par l'abandon à cette dernière de ses droits dans les immeubles en question, a entériné l'accord intervenu entre eux, de sorte que ce contrat judiciaire est dépourvu de l'autorité de la chose jugée, d'autre part, que la fraude paulienne peut être réalisée par tout acte dont il résulte un appauvrissement du débiteur, enfin, que la fraude paulienne résulte de la seule connaissance que le débiteur et son cocontractant ont du préjudice causé au créancier par l'acte litigieux, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS, sans qu'il y ait lieu de statuer sur les deux dernières branches du moyen du pourvoi principal et sur la quatrième branche du moyen du pourvoi incident :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 3 février 2004, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence, autrement composée ;
Laisse à chaque partie la charge de ses propres dépens ;
Vu l'article 700 du nouveau code de procédure civile, rejette la demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du douze décembre deux mille six.