AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, PREMIERE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu que l'association de consommateurs "UFC 38 - Que choisir" a, sur le fondement de l'article L. 421-6 du code de la consommation, introduit contre les sociétés Opel Porte de l'Ouest et Opel Majestic une action en suppression de clauses contenues dans les bons de commande de véhicules neufs, habituellement proposés par ces sociétés concessionnaires de la marque Opel, et en réparation de son préjudice personnel, dit associatif, et du préjudice porté à l'intérêt collectif des consommateurs ; que la société General Motors France est intervenue dans l'instance ;
Sur les troisième, quatrième, cinquième et sixième moyens du pourvoi principal de l'association UFC 38 - Que choisir :
Attendu que l'association UFC 38 - Que choisir reproche à l'arrêt de l'avoir déboutée de sa demande de suppression des clauses stipulées aux articles 1er, alinéa 1er, (versions de 1995, 1998, 1999 et 2000), article 2, in fine, 6 a (version 1995) devenu 7 a (versions 1998 et 1999), 6 c (version 1995) devenu 7 c (versions 1998 et 1999), et 6 d (version 1995) devenu 7 d (versions 1998 et 1999) des clauses de garantie, alors que,
1 / selon le troisième moyen, d'une part, une clause est abusive lorsqu'elle est ambiguë, c'est-à-dire lorsqu'elle a pour objet ou pour effet de laisser croire au consommateur qu'il dispose de plus de droits qu'il n'en a ou, au contraire, de le priver de ses droits ; en constatant elle-même que la mention relative à la garantie légale des vices cachés était placée à la fin des conditions générales concernant la garantie contractuelle, circonstance de nature à entraîner, dans l'esprit de l'acheteur, une confusion sur l'étendue exacte de ses droits à garantie de la part du vendeur, tout en déclarant que la clause litigieuse ne contenait aucune équivoque sur la durée respective des deux types de garantie, omettant ainsi de tirer les conséquences légales de ses propres énonciations, la cour d'appel aurait violé les articles L. 132-1 et R. 211-4 du code de la consommation ; et, d'autre part, en se bornant à énoncer que tout défaut de matière ou de fabrication ne relevait pas nécessairement de la garantie légale des vices cachés dès lors que de tels défauts pouvaient être apparents, quand il ressortait pourtant de la clause relative à la garantie légale que celle-ci n'indiquait pas clairement à l'acheteur que cette garantie visait aussi les défauts de matière et de fabrication visés par la garantie contractuelle et que cette imprécision lui conférait un caractère abusif, la cour d'appel aurait violé les articles L. 132-1 et R. 211-4 du code de consommation ;
2 / selon le quatrième moyen, constituent des clauses abusives celle qui permet au professionnel d'exclure de façon inappropriée les droits légaux du consommateur en cas d'inexécution partielle ou totale ou d'exécution défectueuse par le professionnel de l'une quelconque de ses obligations contractuelles et celle qui permet à celui-ci de supprimer ou d'entraver l'exercice d'actions en justice ou des voies de recours par le consommateur, notamment en limitant indûment les moyens de preuve à la disposition de celui-ci ; en considérant que l'UFC 38 Que choisir n'établissait ni que la remise de la pièce défectueuse présentait un intérêt pour le consommateur, ni que l'absence de remise de cette pièce priverait celui-ci d'un moyen de preuve en cas de litige, quand il ressortait au contraire clairement de la clause litigieuse que celle-ci ne prévoyait pas la remise à l'acheteur d'un quelconque document attestant de la défectuosité de la pièce, et en se réfugiant derrière des considérations radicalement inopérantes relatives à la contrepartie de la garantie contractuelle que constituait la remise de la pièce défectueuse au vendeur et à la responsabilité du fabricant du fait des produits défectueux, la cour d'appel aurait violé les paragraphes b et q de l'annexe à l'article L. 132-1 du code de la consommation et l'article R. 132-1 du même code ;
3 / selon le cinquième moyen, constituent des clauses abusives celle qui exclut la garantie contractuelle du constructeur automobile en cas d'utilisation normale du véhicule par le conducteur et celle qui, trop imprécise ou trop ambiguë, a pour objet ou pour effet de priver le consommateur de ses droits ; en déniant tout caractère abusif à une clause qui privait l'acquéreur du bénéfice de la garantie contractuelle offerte par le constructeur pour des cas d'agressions extérieures ordinaires indépendantes de l'action d'un conducteur de véhicule automobile normalement prudent et qui, en outre, ne délimitait pas de façon exhaustive les hypothèses d'agressions extérieures exclusives de la garantie contractuelle, la cour d'appel aurait violé les articles L. 132-1 et R. 132-1 du code de la consommation ;
4 / selon le sixième moyen, est abusive la clause qui limite ou exclut la ou les garanties conventionnelles qu'un constructeur automobile accorde à son client lorsque celui-ci confie l'entretien courant ou les réparations de son véhicule à un professionnel indépendant de son réseau de concessionnaires exclusifs ou d'agents officiels ou se fournit en pièces détachées auprès de lui ; en déniant tout caractère abusif aux clauses litigieuses, la cour d'appel aurait violé l'article L. 132-1 du code de la consommation ;
Mais attendu que, s'agissant de la clause qui prévoyait que "Opel France garantit chaque véhicule neuf comme étant exempt de tout défaut de matière ou de fabrication suivant les standards existants pour ce type de véhicule, pendant une période de douze mois à compter de sa livraison par un concessionnaire Opel ou de sa première immatriculation, selon l'alternative qui se présente la première", la cour d'appel qui, s'étant référée à une autre stipulation selon laquelle "En tout état de cause, la présente garantie contractuelle ne prive pas l'acheteur de détail non professionnel ou consommateur de la garantie légale contre toutes les conséquences des défauts ou vices cachés", a retenu que la convention n'entretenait aucune ambiguïté entre la garantie contractuelle et la garantie légale et que l'UFC 38 soutenait, à tort, que tout défaut de matière ou de fabrication relevait de la garantie légale des vices cachés alors que ces défauts pouvaient être apparents, en a exactement déduit que la clause litigieuse n'était pas abusive, peu important que la stipulation mentionnant clairement et sans restriction la garantie légale fut placée à la fin des conclusions générales ; qu'ayant relevé que l'association n'avait pas rapporté la preuve de l'intérêt du consommateur à conserver la pièce défectueuse, que le transfert de propriété était une contrepartie raisonnable de la garantie fournie et qu'il n'était pas démontré que l'absence de remise de la pièce défectueuse au consommateur priverait celui-ci d'un moyen de preuve en cas de litige, l'arrêt retient exactement que la clause selon laquelle "les pièces remplacées deviennent la propriété de Opel France", qui n'apporte par elle-même aucune entrave à l'exercice d'une action judiciaire, n'était pas abusive ; que l'arrêt qui énonce que la clause, selon laquelle "la garantie (contractuelle) ne s'applique pas si le défaut résulte : a) de l'action de phénomènes mécaniques ou chimiques extérieurs (affectant par exemple la peinture ou la carrosserie du véhicule, tels que jets de gravillons, retombées de rouille, retombées industrielles, agents atmosphériques, etc.), exclut légitimement la garantie du constructeur lorsque les dommages ont pour origine une cause extérieure à la chose garantie et ne remet pas en question le principe de la garantie d'un vice inhérent à la chose, est légalement justifié, une telle clause visant des causes de dommages étrangères, sauf preuve contraire, à l'obligation du constructeur de délivrer un véhicule exempt de vice et conforme à l'usage auquel il est destiné ;
qu'en considération de la clause qui prévoyait que "la garantie contractuelle ne s'applique pas si le défaut caractérisé résulte de ce que le véhicule a été réparé ou entretenu par un tiers qui n'est ni concessionnaire ni un atelier agréé de service Opel et que le propriétaire était au courant de ce fait" et que "la garantie contractuelle ne s'applique pas si le défaut caractérisé résulte de ce que des pièces non homologuées par Opel ont été installées sur le véhicule ou de ce que le véhicule a été modifié d'une façon non approuvée par Opel", la cour d'appel, ayant relevé que le constructeur n'entendait pas garantir les défauts résultant de l'intervention d'un tiers à son réseau ou trouvant leur cause dans des pièces non homologuées ou dans une modification non approuvée par lui, en a exactement déduit que ladite clause n'était pas abusive, celui-ci n'étant pas tenu des conséquences dommageables imputables au fait d'un tiers dont il n'a pas à répondre ; qu'aucun des griefs ne peut être accueilli ;
Et sur les premier et deuxième moyens du même pourvoi, tels que reproduits en annexe :
Attendu que ces moyens ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi ;
Et sur les premier et second moyens du pourvoi incident de la société General Motors France :
Attendu que la société General Motors France fait grief à l'arrêt d'avoir ordonné la suppression des clauses stipulées aux articles 5.1 et 7 (versions 1995-1998-1999 et 2000) de ses conditions générales de vente, alors que :
1 / selon le premier moyen, d'une part, la clause qui confère au vendeur le droit de résilier le contrat conclu avec un consommateur, en cas de rupture des stocks, n'a pas la nature d'une clause exonératoire de responsabilité de telle sorte qu'elle ne saurait être qualifiée d'abusive au prétexte qu'elle aurait pour objet ou pour effet de dispenser le professionnel d'indemniser les préjudices subis par le consommateur en conséquence de l'exercice de ce droit ; en effet, l'exercice d'un droit conféré par le contrat qui ne s'analyse pas en une inexécution ne saurait engager la responsabilité de son auteur ; en l'espèce, en déclarant abusive la clause autorisant le professionnel à annuler la commande lorsque le modèle commandé n'est plus fabriqué au prétexte qu'elle dissuaderait le consommateur d'agir en justice pour obtenir l'indemnisation de son préjudice, la cour d'appel aurait violé l'article L. 132-1 du code de la consommation ; et, d'autre part, n'est pas abusive la clause conférant au professionnel le droit de résilier unilatéralement le contrat, pour une raison valable et spécifiée au contrat, et moyennant restitution de l'acompte versé par le consommateur ; en l'espèce, en considérant que l'article 5-1 des conditions générales autorisant le professionnel à annuler la commande lorsque la fabrication du modèle objet de la commande a cessé depuis la date de la commande, et l'obligeant, en pareil cas, à rembourser l'acheteur de l'acompte reçu, constitue une clause abusive, la cour d'appel aurait violé l'article L. 132-1 du code de la consommation ;
2 / selon le second moyen, le bon de commande remis à l'acheteur indique en première page les "conditions générales de garantie" qui détaillent la garantie contractuelle de Opel France, fabricant des véhicules commandés, et précisent que "la présente garantie contractuelle ne prive pas l'acheteur de détail non professionnel ou consommateur de la garantie légale contre toutes les conséquences des défauts ou vices cachés" ; le même bon de commande détaille "les conditions générales de vente" et précise à son article 7 que le concessionnaire, et non le fabricant, "est seul responsable vis-à-vis de l'acheteur de tous les engagements qu'il souscrit à son égard aux termes des conditions particulières énoncées au présent bon de commande" ;
ainsi, le bon de commande précise clairement que le consommateur peut exiger du fabricant les engagements qu'il peut attendre du concessionnaire ; en estimant que la clause insérée dans l'article 7 des conditions générales de vente "laisse croire au consommateur qu'il est démuni envers le fabricant alors qu'elle ne saurait exonérer celui-ci de la garantie légale des vices cachés", et qu'elle constitue de la sorte une clause abusive, la cour d'appel aurait fait une lecture incomplète du bon de commande remis par le concessionnaire au consommateur et aurait de la sorte violé, outre l'article 1134 du code civil, l'article L. 132-1 du code de la consommation ;
Mais attendu que la cour d'appel, qui, après avoir constaté, par ailleurs, que la faculté de résiliation reconnue au concessionnaire donnait à celui-ci le droit de conserver l'acompte versé sous réserve de toute autre indemnité, a retenu que la clause, selon laquelle "au cas où la fabrication du modèle, objet de la présente commande, a cessé depuis la date de la commande, le concessionnaire pourra annuler la commande et rembourser l'acheteur de l'acompte reçu", donnait à penser au profane que, dans l'hypothèse visée, l'acheteur n'avait droit à rien d'autre que le remboursement de son acompte et le dissuadait d'agir en justice alors même qu'il pouvait subir un préjudice indemnisable, a légalement justifié sa décision, une telle clause créant, dans ces circonstances, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties, au détriment du consommateur ; que l'arrêt qui, par motifs propres et adoptés, retient que la clause, selon laquelle "en aucun cas le concessionnaire n'est le préposé ou le mandataire d'Opel France ou Adam F... ; il est et demeure seul responsable vis-à-vis de l'acheteur de tous les engagements pris par lui" (versions 1995.1998 et 1999) et "le concessionnaire est responsable vis-à-vis de l'acheteur de tous les engagements qu'il a souscrits à son égard aux termes des conditions générales énoncées au présent bon de commande" (version 2000), laissait croire au consommateur qu'il était démuni envers le fabricant alors qu'elle ne saurait exonérer celui-ci de la garantie légale des vices cachés, et qui en ordonne la suppression, est légalement justifié, la formulation générale de cette stipulation, qui laisse entendre que le constructeur ne pourrait encourir aucune responsabilité, lui conférant un caractère abusif ; qu'aucun des moyens n'est fondé ;
Mais sur le septième moyen du pourvoi principal de l'association UFC 38 - Que choisir :
Vu l'article 1154 du code civil ;
Attendu que, pour débouter l'association UFC 38 - Que choisir de sa demande de capitalisation des intérêts produits par les dommages-intérêts qui lui avaient été alloués en première instance, avec exécution provisoire, l'arrêt énonce que, s'agissant de l'indemnisation de préjudices, appréciés au moment où la cour d'appel statue, il n'y a pas lieu à capitalisation des intérêts qui s'analyse en une demande d'indemnité supplémentaire ;
Attendu qu'en se déterminant ainsi, alors que le texte susvisé n'exige pas que, pour produire des intérêts, les intérêts échus des capitaux soient dus au moins pour une année entière au moment où le juge statue, mais exige seulement que la capitalisation soit ordonnée sous les conditions posées par l'article susvisé, la cour d'appel a violé celui-ci ;
Et attendu qu'en application de l'article 627, alinéa 2, du nouveau code de procédure civile, la Cour de cassation est en mesure, en cassant sans renvoi, de mettre fin au litige, par application de la règle de droit appropriée ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a débouté l'association UFC 38 - Que choisir de sa demande de capitalisation, l'arrêt rendu le 16 mars 2004, entre les parties, par la cour d'appel de Grenoble ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
ORDONNE la capitalisation des intérêts afférents aux indemnités allouées à l'association UFC 38 - Que choisir et échus depuis au moins une année entière, dans les conditions prévues à l'article 1154 du code civil ;
Condamne in solidum les sociétés Opel Porte de l'Ouest, Opel Majestic et General Motors France aux dépens ;
Vu l'article 700 du nouveau code de procédure civile, rejette les demandes des sociétés Opel Porte de l'Ouest, Opel Majestic et General Motors France ; les condamne in solidum à payer la somme de 2 000 euros à l'association UFC 38 - Que choisir ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quatorze novembre deux mille six.