AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIERE ET ECONOMIQUE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Riom, 20 octobre 2004), que la SNC LIDL, qui exploite à Thiers une grande surface sous l'enseigne LIDL, a constaté, en décembre 2001, que le supermarché à l'enseigne Leclerc, situé à environ 400 mètres de son propre magasin, et exploité par la société Thiers distribution, avait procédé à l'affichage d'une étude comparative de prix pratiqués par les deux enseignes sur un certain nombre de produits génériques ; que cette étude se présentait sous la forme de deux tableaux de couleur fluorescente, le premier tableau faisant état de prix relevés dans les deux magasins le 17 décembre 2001 et le second de prix relevés le 29 décembre 2001; que les affiches étaient assorties de la mention "comparez !" ainsi que du slogan "ceci n'est qu'un extrait de relevés, faîtes votre comparaison" ; qu'à l'appui d'un constat d'huissier établi le 17 janvier 2002, la société LIDL a demandé à la société Thiers distribution le retrait de la publicité comparative, faisant notamment valoir que les comparaisons effectuées étaient inexactes ;
que la société Thiers distribution a opposé une fin de non-recevoir à la demande de la SNC LIDL ; que par acte en date du 28 juin 2002, la société LIDL a assigné la société Thiers distribution aux fins de la voir condamnée à lui payer des dommages-intérêts en raison du caractère illicite de la publicité et de l'atteinte à l'image qui en est résultée ; que le tribunal de commerce a débouté la société LIDL de l'ensemble de ses prétentions, considérant que la comparaison pouvait exclusivement porter sur le prix et que la société Thiers distribution avait pu justifier de l'exactitude matérielle des énonciations contenues dans la publicité ; que la cour d'appel infirmé cette décision ;
Attendu que la société Thiers distribution fait grief à l'arrêt d'avoir constaté l'illicéité de la publicité comparative et de l'avoir condamnée à payer à la SNC LIDL une somme de 5 000 euros à titre de dommages-intérêts, alors, selon le moyen :
1 / que dans sa rédaction issue de l'ordonnance du 23 août 2001, libéralisant les conditions de licéité d'une publicité comparative, la loi n'exigerait plus que la comparaison porte sur des produits de même nature ou, s'agissant de la comparaison des prix, sur des produits identiques mais seulement sur des biens ou services répondant aux mêmes besoins ou ayant le même objectif, de sorte qu'en déclarant que n'était pas licite la publicité comparative ne faisant aucune référence à l'origine ou à la qualité des produits, la cour d'appel aurait ajouté au texte nouveau des conditions qu'il ne comporte pas, la cour d'appel a violé l'article L. 121-8.2 du code de la consommation en sa rédaction issue de l'ordonnance du 23 août 2001 ;
2 / qu'une publicité peut comparer une seule caractéristique qui peut être le prix ; qu'en érigeant en principe que n'était pas licite une publicité comparative ne faisant aucune référence à l'origine ou à la qualité du produit, ce qui reviendrait à exiger que la comparaison porte également sur une autre caractéristique que le prix, la cour d'appel a violé l'article L. 121-8.3 du code de la consommation en sa rédaction issue de l'ordonnance du 23 août 2001 ;
3 / que la publicité comparative est licite si elle porte sur des biens ou des services répondant aux mêmes besoins ou ayant le même objectif et met en parallèle objectivement une ou plusieurs caractéristiques essentielles, pertinentes, vérifiables et représentatives de ces biens et services dont le prix peut faire partie ; qu'en retenant que cette dernière condition n'était pas remplie lorsque la publicité "visait des produits de faible intérêt pour la consommation quotidienne", si bien que la publicité comparative ne serait licite que si elle portait sur des produits ayant un intérêt important pour la consommation quotidienne, la cour d'appel a violé l'article L. 121-8.3 du code de la consommation en sa rédaction issue de l'ordonnance du 23 août 2001 ;
4 / que ce qui doit être représentatif au sens de la loi n'est pas la liste des produits comparés mais la ou les caractéristiques essentielles des produits que l'annonceur a choisi de comparer, tel le prix ; qu'en retenant que les panneaux litigieux ne visaient qu'une seule viande de consommation humaine, un seul plat cuisiné, quatre conserves de légumes, trois fromages, des condiments, assaisonnements, conserves d'usage plutôt rare, des boissons non exclusivement alcoolisées mais qui ne figuraient pas dans la liste, ni les fruits ou légumes frais ni les produits habituellement exigés par les enfants, ni les desserts lactés, ni l'eau plate, ni les produits frais de la mer, ni les produits recherchés par les familles à l'approche des fêtes de fin d'année, en sorte qu'il n'était pas permis de dire que la liste comparative était représentative au sens de la loi, mettant ainsi à la charge de l'annonceur certaines obligations quant au nombre de produits et présumant que ce qui devrait être représentatif serait la liste des produits choisis par l'annonceur, quand, selon la loi, ce qui doit l'être est la ou les caractéristiques des produits choisis pour la comparaison. la cour d'appel a violé l'article L. 121-8.3 du code de la consommation ;
5 / qu'ainsi qu'elle le faisait valoir, le panneau du 17 décembre 2001 révélait que le poids ou le volume des produits comparés était bien mentionné, ce que, dans des écritures contradictoires, la SNC LIDL avait admis, lui reprochant seulement d'avoir comparé des poids et des volumes qui n'étaient pas identiques ; qu'en retenant que la société Thiers avait manqué d'objectivité puisque, dans le panneau du 17 décembre 2001, elle avait fait état de prix bruts sans les ramener à un poids ou à un volume pour chacun des produits considérés, la cour d'appel aurait dénaturé ce document en violation de l'article 1134 du code civil ;
6 / qu'en relevant que la société Thiers distribution n'était pas en mesure d'établir que ses relevés de prix dans les deux magasins avaient été faits de manière probante et remplissaient donc la condition d'être vérifiables à partir du moment où les tickets de caisse qu'elle produisait n'étaient pas probants ayant pu être précédés d'un ajustement provisoire de certains prix, raisonnant ainsi par pure hypothèse et en méconnaissance du principe selon lequel la bonne foi est présumée, la cour d'appel a privé sa décision de tout motif, ne satisfaisant pas ainsi aux prescriptions de l'article 455 du nouveau code de procédure civile ;
7 / qu'en constatant que le concurrent ne justifiait pas de son préjudice, tout en se référant à une jurisprudence qui, selon elle, aurait affirmé que le dénigrement dolosif et la contrefaçon de marque ne pouvaient manquer d'occasionner un préjudice, pour allouer à l'intéressée une réparation qualifiée de "symbolique", la cour d'appel a violé l'article 1315 du code civil ;
Mais attendu, en premier lieu, que, conformément à la jurisprudence de la Cour de justice des communautés européennes qui, interprétant la directive n° 97-55 à l'origine du nouvel article L.121-8 du code de la consommation, a considéré que la publicité comparative doit contribuer à mettre en évidence de manière objective les avantages des différents produits comparables et qu'une telle objectivité implique que les personnes auxquelles s'adresse la publicité puissent avoir connaissance des différences réelles de prix des produits comparés et pas seulement de l'écart moyen entre les prix pratiqués par l'annonceur et ceux pratiqués par le concurrent (CJCE 8 avril 2003, affaire C 44/01), la cour d'appel s'est attachée à rechercher si les produits comparés étaient identifiés ou désignés avec suffisamment de précision pour que la comparaison effectuée en terme de prix exclusivement soit pertinente pour le consommateur et a constaté qu'un produit alimentaire d'un certain type peut couvrir des besoins très divers selon qu'il est de qualité simple ou au contraire remarquable ; que les tableaux comparatifs litigieux visaient "l'huile d'olive, le maïs, le thon listao, le café déca moulu, les croquettes de viande, la bière blonde, le cassoulet, la pâte à tartiner, le camembert, le champagne" sans autre précision, alors que la comestibilité de chacun de ces produits, en tout cas le plaisir qu'on a à les consommer, varie du tout au tout selon les conditions et les lieux de leur fabrication, selon les ingrédients mis en oeuvre, selon l'expérience du fabricant ; qu'il résulte de ces constatations que la cour d'appel, loin d'ajouter une condition à la licéité de la publicité comparative, a fait la juste application des dispositions légales précitées, la publicité telle qu'elle était formulée ne permettant pas de s'assurer que les produits répondaient à un même besoin ;
Attendu, en deuxième lieu, que la Cour de justice des communautés européennes a décidé que l'objectivité de la publicité impliquait que les personnes auxquelles elle s'adresse puissent avoir connaissance des différences de prix des produits comparés ; que l'arrêt retient que si le prix peut être la caractéristique principale sur laquelle la publicité entend faire porter l'attention du consommateur, il n'en reste pas moins que l'exigence d'objectivité suppose que le consommateur puisse avoir connaissance des caractéristiques propres à justifier les différences de prix ; qu'il ne s'agit pas alors de faire porter la comparaison sur ces derniers éléments mais simplement d'informer objectivement le consommateur lorsque le prix est la seule caractéristique comparée ;
qu'ainsi, en dénonçant l'absence de ces indications objectives qui permettaient au consommateur, destinataire de la publicité, d'avoir pleinement connaissance des raisons conduisant à la différence des prix pratiqués, l'arrêt n'encourt pas le grief de la deuxième branche ;
Attendu, en troisième lieu, que la comparaison des caractéristiques de chacun des produits doit être objective, pertinente, vérifiable et représentative au sens de l'article L. 121-8 du code de la consommation et que lorsque la publicité consiste en un tableau de concordance ou d'équivalence, mettant en lumière les prix pratiqués sur plusieurs produits, l'objectivité de la comparaison commande que la publicité soit elle-même représentative ; qu'en relevant que sous couvert d'une comparaison de produits dits de consommation courante, la société Thiers distribution avait entrepris une démarche contraire consistant à rechercher des prix inférieurs pratiqués par son enseigne par rapport à ceux de la société LIDL alors que l'exigence d'objectivité aurait impliqué de sélectionner préalablement un panel représentatif des produits couramment consommés, puis d'en faire ensuite la comparaison, en termes de prix, la cour d'appel qui constate que la publicité comparative manquait d'objectivité, loin d'avoir ajouté une condition à la loi, a justifié sa décision au regard des termes mêmes de l'article L.121-8 du code de la consommation ;
Attendu, en quatrième lieu, que le moyen développé à la cinquième branche manque en fait, la cour d'appel n'ayant nullement dénaturé les panneaux litigieux en considérant que la publicité en cause manque d'objectivité dès lors qu'elle ne fait apparaître pour chacun des produits ni le poids ni le volume ;
Attendu, en cinquième lieu, que c'est dans l'exercice de son pouvoir souverain que la cour d'appel a considéré que la seule production des tickets de caisse nétait pas suffisamment probante, les relevés effectués sur la base desquels la publicité comparative a été élaborée, pouvant cacher un ajustement provisoire de certains prix et ce pour les seuls besoins de la cause ;
Attendu, en sixième lieu, que l'arrêt retient que même si la société n'a pas démontré un fléchissement de son chiffre d'affaires, il n'en reste pas moins que "le dénigrement dolosif et la contrefaçon de marque ne peuvent manquer d'occasionner un préjudice du commerçant qui subit ces comportements anti-concurrentiels" ; qu'en retenant que la publicité comparative illicite était constitutive de concurrence déloyale qui avait causé un trouble commercial, la cour d'appel en a déduit à bon droit que la société Leclerc avait manqué aux obligations imposées par la loi sur la publicité comparative ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé en aucune de ses branches ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Thiers distribution aux dépens ;
Vu l'article 700 du nouveau code de procédure civile, condamne la société Thiers distribution à payer à la société LIDL la somme de 3 000 euros et rejette sa demande ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du trente et un octobre deux mille six.