AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, DEUXIEME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur la demande de mise hors de cause :
Met hors de cause la société Butagaz ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, qu'un hôtel-restaurant exploité par Mme X..., qui était approvisionné en gaz liquide par la société Rastello, mandataire de la société Butagaz, a été détruit par une explosion survenue lors d'un ravitaillement effectué à partir d'un camion-citerne que cette société avait loué, avec chauffeur, à la société Auxiliaire de transports et de matériels (la SATM), assurée pour sa flotte automobile par la société GAN incendie accidents, devenue GAN eurocourtage IARD (le GAN), et en responsabilité civile auprès de la société la Mutuelle de l'Est - La Bresse assurances ; que Mme X... a assigné la SATM et ses deux assureurs, ainsi que les sociétés Rastello et Butagaz, devant le tribunal de grande instance, en responsabilité et indemnisation ;
Sur le premier moyen du pourvoi principal :
Attendu que le GAN fait grief à l'arrêt d'avoir dit qu'au moment de l'accident la SATM avait la garde du camion et était le commettant du chauffeur de celui-ci, et d'avoir mis hors de cause la société Rastello, alors, selon le moyen :
1 / que la responsabilité du dommage causé par le fait d'une chose est liée à l'usage et aux pouvoirs de surveillance et de contrôle qui caractérisent la garde ; que, sauf l'effet de stipulations contraires valables entre les parties, le propriétaire de la chose, la confiant à un tiers, cesse d'en être responsable lorsqu'il est établi que ce tiers a reçu corrélativement toute possibilité de prévenir lui-même le préjudice qu'elle peut causer ; qu'en l'espèce, si le contrat conclu entre la société SATM, loueur du camion citerne, et la société Rastello, locataire de celui-ci, stipulait (article 2-1) que le loueur assurait la maîtrise des opérations de conduite pour lesquelles il fournissait un personnel apte professionnellement à conduire ce type de véhicule, il stipulait expressément par ailleurs (article 3-2) que le locataire avait la maîtrise des opérations de transport ; qu'il résultait des propres constatations de la cour d'appel que, d'après les conclusions des rapports d'expertise qu'elle homologuait, le sinistre était survenu à l'occasion de la livraison du propane, c'est-à-dire au cours d'une opération de transport, dont la société Rastello, locataire du camion-citerne, avait la charge, et non d'une opération de conduite ; qu'en retenant néanmoins que cette dernière n'avait ni la garde ni la direction du camion au moment de l'accident, la cour d'appel n'a pas déduit de ses constatations les
conséquences légales qui s'en évinçaient et a violé l'article 1384, alinéa 1er, du code civil ;
2 / qu'aux termes du contrat de location passé entre la société SATM (loueur) et la société Rastello (locataire), le loueur assurait la maîtrise des opérations de conduite pour lesquelles il fournissait un personnel apte professionnellement à conduire ce type de véhicule et le locataire avait la maîtrise des opérations de transport; qu'il résultait des propres constatations de la cour d'appel que, d'après les conclusions des rapports d'expertise qu'elle homologuait, le sinistre était survenu à l'occasion de la livraison du propane, c'est-à-dire au cours d'une opération de transport, dont la société Rastello, locataire du camion-citerne, avait la charge, et non d'une opération de conduite ; qu'en retenant néanmoins que la société SATM avait la qualité de commettant du chauffeur du camion sans constater que celle-ci avait en fait conservé sur ce chauffeur les pouvoirs de lui donner des ordres et des instructions et d'en surveiller l'exécution au cours de ces opérations de transport, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article 1384, alinéa 5, du code civil ;
Mais attendu que l'arrêt retient, par motifs propres, que le camion-citerne utilisé pour la livraison avait été pris en location longue durée avec chauffeur par la société Rastello ; qu'il est stipulé au contrat de location que le loueur, en l'espèce la SATM, assume la maîtrise des opérations de conduite, s'assure de la conformité aux normes en vigueur pour le transport et fournit un personnel apte professionnellement à conduire le type de véhicule considéré et formé pour ce faire, dès lors qu'il s'agit de transport de matières inflammables et donc dangereuses ;
que l'étude des différents rapports d'expertise permet de retenir et ce, sans équivoque, que l'explosion de gaz à l'origine du sinistre subi par Mme X... a pour cause l'erreur humaine du chauffeur de l'entreprise SATM, lequel n'a pas respecté la procédure sécuritaire du " dépotage" au moment de la livraison du propane, occasionnant, de ce fait, la surpression à l'origine de la rupture du flexible, déjà usé par ailleurs mais dont l'usure n'avait pas, et ce encore fautivement, été signalée par le même chauffeur ; que l'arrêt retient encore, par motifs adoptés, que le loueur s'engage à ce que le personnel qu'il fournit se conforme à tous les règlements en vigueur au centre emplisseur, au dépôt Frontenex chez les revendeurs ou les clients du locataire et applique les consignes de sécurité ; que, de son côté, le locataire, la société Rastello, fixe la nature et la quantité des marchandises à transporter, les points de chargement et de déchargement ainsi que les itinéraires ; qu'il résulte du rapprochement de ces dispositions que si la société Rastello organisait les tournées du camion et de son chauffeur, ces derniers restaient sous la responsabilité de la SATM, ce que confirme le contrat de location qui stipule " Au titre des risques couverts, le loueur prend à sa charge les garanties suivantes : Responsabilité civile vis-à-vis des tiers en circulation et hors circulation ";
Qu'en l'état de ces constatations et énonciations, la cour d'appel a pu décider, qu'au moment de l'accident, la société Rastello, d'une part, n'était pas gardienne du camion-citerne, et d'autre part, n'avait pas la qualité de commettant du chauffeur de ce véhicule, de sorte qu'il y avait lieu de la mettre hors de cause ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le moyen unique du pourvoi incident de Mme X... :
Attendu que Mme X... fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté sa demande tendant à être indemnisée de la perte d'une subvention destinée à financer le passage de son établissement dans une catégorie supérieure, alors, selon le moyen, que le principe de la réparation intégrale impose aux juges d'ordonner l'indemnisation de chacun des chefs de préjudice subis par la victime d'un dommage ; qu'en l'espèce, Mme X... sollicitait l'indemnisation de la perte d'une subvention destinée à financer le passage de son établissement de la catégorie deux étoiles à la catégorie trois étoiles ; que la cour d'appel a écarté ce chef de préjudice au prétexte que sa prise en compte ferait double emploi avec l'indemnisation versée pour la reconstruction de l'hôtel ; que cependant son montant a été fixé sur la base d'une reconstruction à l'identique, donc d'un hôtel deux étoiles, en tenant simplement compte de contraintes techniques et administratives occasionnant un surcoût, sans envisager l'aménagement de l'hôtel conformément aux normes d'un hôtel trois étoiles; que la perte de la subvention permettant l'aménagement de l'établissement en hôtel trois étoiles a donc généré un préjudice distinct, non inclus dans la réparation allouée au titre de la reconstruction et que la cour d'appel ne pouvait pas refuser d'indemniser ; qu'il en résulte que la cour d'appel a violé le principe de la réparation intégrale et les articles 1384, alinéa 1er, et 5 du code civil et 1er de la loi du 5 juillet 1985 ;
Mais attendu que la cour d'appel, ayant constaté que la subvention qui devait être attribuée à Mme X... était destinée à couvrir les frais de rénovation de chambres de l'hôtel, et qu'il allait être procédé à sa reconstruction à neuf, a pu en déduire, faisant une exacte application du principe de réparation intégrale, que la perte de cette subvention n'était pas génératrice de préjudice pour Mme X... ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Mais sur le second moyen du pourvoi principal :
Vu l'article 1er de la loi du 5 juillet 1985 ;
Attendu que, pour décider que l'accident relevait de l'application de cette loi, partant, que la garantie du GAN était due en application de l'article 3 des conditions générales de la police d'assurance automobile souscrite par la SATM, l'arrêt énonce qu'au moment du sinistre le camion-citerne était stationné sur la voie publique, moteur en marche, étant au demeurant observé que c'est le moteur du camion qui sert à actionner la pompe servant au transvasement du gaz liquide de la citerne installée sur celui-ci à la cuve de stockage du client ;
qu'il s'ensuit que le camion-citerne, qui constitue un véhicule terrestre à moteur, est impliqué dans l'accident au sens de la loi du 5 juillet 1985 ;
Qu'en statuant ainsi, alors qu'elle constatait que le camion-citerne était immobile au moment du sinistre, et que seule était en cause la pompe servant au transvasement du gaz liquide de sa citerne vers la cuve de stockage externe, élément d'équipement utilitaire étranger à sa fonction de déplacement, ce dont il résultait que ce véhicule n'était pas impliqué dans un accident de la circulation, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a décidé que la société GAN était tenue de garantir le sinistre survenu le 21 août 1996, l'arrêt rendu le 18 janvier 2005, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ;
Condamne les défendeurs aux dépens ;
Vu l'article 700 du nouveau code de procédure civile, rejette l'ensemble des demandes présentées de ce chef ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix-neuf octobre deux mille six.