AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le vingt septembre deux mille six, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le rapport de Mme le conseiller CHANET, les observations de la société civile professionnelle MASSE-DESSEN et THOUVENIN, de la société civile professionnelle LYON-CAEN, FABIANI et THIRIEZ, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général CHARPENEL ;
Statuant sur le pourvoi formé par :
- X... Jean-Claude,
contre l'arrêt de la cour d'appel de NANCY, chambre correctionnelle, en date du 12 octobre 2005, qui, pour violences aggravées, l'a condamné à 6 mois d'emprisonnement avec sursis, 750 euros d'amende et a prononcé sur les intérêts civils ;
Vu les mémoires produits, en demande et en défense ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 122-4 et 433-5-1, alinéa 3, du code pénal, 73, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré un enseignant (Jean-Claude X..., le demandeur) coupable d'avoir volontairement commis des violences suivies d'une incapacité inférieure à huit jours, en qualité de personne chargée d'une mission de service public, et l'a condamné à une peine de six mois d'emprisonnement assortie du sursis et au paiement d'une amende de 1 000 euros ;
"aux motifs qu'il était établi qu'après que Stéphanie Y..., devant tous les élèves de la classe, avait déclaré à son professeur "va te faire enculer", Jean-Claude X... avait saisi l'élève par le bras et que tous les deux avaient chuté au sol ; que l'enseignant, qui s'était relevé en premier, avait traîné la jeune fille qui refusait de se rendre au bureau de la vie scolaire, en lui faisant descendre les escaliers sur le dos et en lui donnant quelques légers coups de pied pour la faire se lever ; que la jeune fille avait produit un certificat médical faisant état de plusieurs hématomes et fixant à sept jours l'interruption totale de travail ; qu'elle avait fait l'objet d'une décision d'exclusion temporaire de l'établissement scolaire décidée par le conseil de discipline ; que les violences reprochées à l'enseignant, en sa qualité de personne chargée d'une mission de service public, résultaient suffisamment du témoignage de la surveillante d'externat et du certificat médical produit et n'étaient aucunement justifiées par l'insulte dont il avait fait l'objet ;
"alors qu'il résulte de la combinaison des articles 122-4 et 433-5-1, alinéa 3, du code pénal ainsi que 73 du code de procédure pénale que n'est pas pénalement responsable celui qui accomplit un acte autorisé par des dispositions législatives ou réglementaires ; que les propos orduriers à connotation sexuelle tenus par une élève, pendant un cours, en direction de l'enseignant, constituent un délit d'outrage adressé à une personne chargée d'une mission de service public, commis à l'intérieur d'un établissement scolaire, et sont punissables d'un emprisonnement de six mois, ce qui autorise toute personne, y compris l'enseignant visé, à en appréhender l'auteur pour le conduire devant l'officier de police judiciaire le plus proche ; qu'en l'espèce, le prévenu, invectivé par des propos orduriers portant atteinte à sa dignité, avait appréhendé physiquement la collégienne pour se rendre dans le bureau de la vie scolaire et, ultérieurement, auprès de l'officier de police judiciaire compétent, l'intéressée ayant précédemment refusé de l'y suivre ;
qu'en s'abstenant de s'interroger sur l'application des dispositions de l'article 122-4 du code pénal qui écartent la responsabilité pénale de celui qui accomplit un acte autorisé par la loi, la cour d'appel a omis de tirer de ses propres constatations les conséquences juridiques qui en découlaient nécessairement" ;
Attendu que le moyen, qui invoque pour la première fois devant la Cour de cassation une cause d'irresponsabilité pénale, est mélangé de fait et de droit et est en conséquence irrecevable ;
Mais sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 911-4 du code de l'éducation nationale, des lois des 16 et 24 août 1790, de l'article 11 de la loi n° 1983-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, 1382 du code civil, 385, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré irrecevable l'exception invoquée par le prévenu (Jean-Claude X..., le demandeur) ayant opposé que la demande de dommages-intérêts dirigée contre un fonctionnaire, membre de l'enseignement, était irrecevable, et l'a condamné au paiement de dommages-intérêts ;
"aux motifs que cette exception était soulevée pour la première fois en cause d'appel et qu'en toute hypothèse la mise en cause de l'Etat ne pouvait aboutir qu'à la substitution de l'Etat à l'enseignant au titre des dommages-intérêts alloués, sans pouvoir empêcher la constitution de partie civile de la victime, de sorte que l'exception était déclarée irrecevable ; que, par ailleurs, le tribunal avait, à bon droit, reçu la partie civile en sa constitution, déclaré le prévenu entièrement responsable du préjudice subi par la partie civile et avait justement apprécié celui-ci ainsi que la réparation devant lui être allouée de sorte qu'il y avait lieu de confirmer le montant des dommages-intérêts retenus par les premiers juges ;
"alors que, d'une part, les règles de compétence étant d'ordre public, leur violation peut être soulevée en tout état de la procédure par une partie, et même d'office par la juridiction saisie ;
qu'ainsi l'exception d'incompétence invoquée en cause d'appel par le prévenu était recevable ;
"alors que, d'autre part, l'agent d'un service public n'est personnellement responsable des conséquences de l'acte délictueux qu'il a commis que si cet acte constitue une faute détachable de ses fonctions ; que, s'agissant d'un membre de l'enseignement public dont la responsabilité est recherchée à la suite d'un fait dommageable commis au préjudice d'un élève qui lui a été confié, la responsabilité de l'Etat est toujours substituée à celle de l'enseignant, lequel ne peut jamais être mis en cause devant la juridiction judiciaire par la victime ou ses représentants ; qu'après avoir déclaré le prévenu coupable de violences volontaires sur la personne de l'un de ses élèves, la cour d'appel ne pouvait le condamner à verser des dommages et intérêts à la partie civile" ;
Vu les articles L. 911-4 du code de l'éducation et 591 du code de procédure pénale ;
Attendu que, selon le premier de ces textes, lorsque la responsabilité d'un membre de l'enseignement public se trouve engagée à la suite d'un fait dommageable commis au détriment des élèves qui lui sont confiés, la responsabilité de l'Etat est substituée à celle de l'enseignant qui ne peut jamais être mis en cause devant les tribunaux civils par la victime ou ses représentants ;
Attendu que les règles de compétence des juridictions sont d'ordre public et peuvent être invoquées à tous les stades de la procédure ;
Attendu qu'après avoir déclaré le prévenu coupable de violences sur une de ses élèves, les juges du fond l'ont condamné à payer des dommages-intérêts à la partie civile ;
Mais attendu qu'en statuant ainsi, alors que, si la constitution de partie civile, qui tend seulement à établir la culpabilité du prévenu, était recevable, l'action civile en réparation du dommage ne pouvait être suivie contre l'enseignant, la cour d'appel a méconnu les textes susvisés et les principes ci-dessus énoncés ;
D'où il suit que la cassation est encourue de ce chef ;
Par ces motifs :
CASSE et ANNULE, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Nancy, en date du 12 octobre 2005, en ses seules dispositions civiles, à l'exclusion de la somme allouée au titre de l'article 475-1 du code de procédure pénale, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
DIT n'y avoir lieu à RENVOI ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Nancy, sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;
DIT n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré : M. Cotte président, Mme Chanet conseiller rapporteur, MM. Le Gall, Pelletier, Mme Ponroy, M. Arnould, Mme Koering-Joulin, M. Corneloup conseillers de la chambre, M. Sassoust, Mme Caron conseillers référendaires ;
Avocat général : M. Charpenel ;
Greffier de chambre : Mme Krawiec ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;