AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le dix-neuf septembre deux mille six, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le rapport de Mme le conseiller GUIRIMAND, les observations de la société civile professionnelle VUITTON, et de la société civile professionnelle GATINEAU, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général CHARPENEL ;
Statuant sur le pourvoi formé par :
- LE COMITE D'ETABLISSEMENT DE LA FORCE DE VENTE DE LA SOCIETE NESTLE FRANCE SAS, partie civile,
contre l'arrêt n 1 de la cour d'appel de PARIS, 11e chambre, en date du 28 octobre 2005, qui, après relaxe d'Andréas X..., de Philippe Y..., de Michel Z..., d'Aimé A... et de la société NESTLE FRANCE SAS du chef d'entrave au fonctionnement régulier du comité d'établissement, l'a débouté de ses demandes ;
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles L. 411-11, L. 432-1, L. 432-3, L. 431-5, L. 435-1, L. 435-2, et L. 483-1 du code du travail, 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt infirmatif a déclaré Michel Z..., Philippe Y..., Andréas X... et Aimé A..., et Nestlé France SAS non coupables du délit d'entrave au fonctionnement du comité d'établissement, les a renvoyés des fins de la poursuite et, en conséquence, a débouté le comité d'établissement de la force de vente Nestlé France SAS, partie civile, de ses demandes ;
"aux motifs que la mise en oeuvre du projet Cible s'est inscrite dans le calendrier initial tel qu'il avait été annoncé au comité d'établissement entre les 13 mai et 20 octobre 2003 ; que la prise d'effet le 1er janvier 2004 d'une première partie du projet Cible n'a pas, dans ces conditions, constitué une remise en cause du projet initial ; qu'en conséquence, l'employeur n'était pas tenu de consulter à nouveau le comité d'établissement postérieurement à ses délibérations des 24 juin et 20 octobre 2003 ; qu'aucune entrave au fonctionnement du comité d'établissement n'a donc été en l'espèce commise ;
"alors, d'une part, que le délit d'entrave est caractérisé lorsque le chef d'entreprise a manifestement placé le comité d'établissement devant un fait accompli ; qu'en l'espèce, il résulte des constatations de l'arrêt que la seconde phase du projet Cible prévoyait notamment le passage de 14 à 12 régions progressivement du mois de janvier au mois de septembre 2004, ayant pour effet des suppressions d'emploi et une redistribution des attributions ; que, cependant, la nouvelle organisation des régions a été mise en place pour sa totalité dès le 1er janvier 2004, sans information ni consultation préalable du comité d'établissement ; que cette attitude de l'employeur caractérise les éléments constitutifs du délit d'entrave au fonctionnement du comité d'établissement ; qu'en déclarant autrement, l'arrêt a violé les textes visés au moyen ;
"alors, d'autre part, que toute information parcellaire équivaut à l'absence au moins partielle d'information et met obstacle à la connaissance de l'intégralité de la situation économique et sociale de l'entreprise auquel a droit le comité d'établissement ;
qu'en l'espèce, l'information donnée au comité, partie civile, de la mise en place par étapes successives du 1er janvier à la fin septembre 2004 d'un plan de restructuration est nécessairement parcellaire dès lors qu'elle n'inclut pas la possibilité de suppression du caractère progressif du plan de restructuration et la mise en place dudit plan en son intégralité avec toutes conséquences économiques et sociales dès le 1er janvier 2004, pour qu'il en soit discuté par les organes de représentation ; qu'en estimant que l'information de la partie civile avait été complète et sincère, la Cour a violé les textes visés au moyen ;
"alors, en tout état de cause, que l'information donnée aux organes de représentation du personnel doit être suffisamment précise et complète ; qu'en l'espèce, la Cour, qui a statué sans rechercher si la présentation au comité d'établissement de la deuxième phase du projet Cible de restructuration des régions de 14 à 12 n'avait pas été volontairement insuffisante et incomplète pour avoir été décrite comme progressive du mois de janvier au mois de septembre 2004, masquant ainsi la réalité d'une décision de mise en place de ce projet en sa totalité au 1er janvier 2004, pour priver, en conséquence, le comité d'établissement d'informations essentielles sur la marche de l'entreprise et de l'emploi et de son droit de consultation sur ce point, n'a pas donné de base légale à sa décision au regard des articles visés au moyen ;
"alors, enfin, que dans ses conclusions délaissées, le comité d'établissement faisait valoir que l'avancement du calendrier de restructuration de la deuxième phase du projet Cible aurait dû donner lieu à une information et une consultation du comité d'établissement et que Philippe Y..., président dudit comité, en avait convenu lors d'une réunion extraordinaire le 12 février 2004, proposant une relance de l'information et de la consultation sur l'anticipation du projet Cible, comme il aurait dû le faire, et comme ce point résultait de la décision du juge des référés près le tribunal de grande instance de Meaux en date du 14 janvier 2000, devenue définitive, ayant estimé caractérisée l'entrave constitutive d'un trouble manifestement illicite et ordonné en conséquence la suspension du projet Cible jusqu'à la réalisation de la consultation préalable sous astreinte de 10 000 euros par infraction constatée ;
qu'en ne répondant pas à ce chef péremptoire des conclusions de la partie civile, la Cour a violé les textes visés au moyen" ;
Vu les articles L. 432-1 du code du code du travail et 593 du code de procédure pénale ;
Attendu que, selon le premier de ces textes, dans l'ordre économique, le comité d'entreprise est obligatoirement informé et consulté sur les questions intéressant l'organisation, la gestion et la marche générale de l'entreprise, et notamment sur les mesures de nature à affecter le volume et la structure des effectifs, la durée du travail, les conditions d'emploi, de travail et de formation professionnelle du personnel ;
Attendu que, selon le second de ces textes, tout jugement ou arrêt doit être motivé ; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ;
Attendu qu'il ressort de l'attaqué et des pièces de procédure que la société Nestlé France SAS, ainsi qu'Andréas X... et Philippe Y..., respectivement président de la société et président du comité d'établissement, Michel Z..., directeur commercial et Aimé A..., directeur national des ventes de la société, ont été cités à comparaître devant le tribunal correctionnel, sur le fondement de l'article L. 483-1 du code travail, par le comité d'établissement de la force de vente de la société Nestlé France SAS, pour avoir omis d'informer et de consulter le comité sur la mise en place, effective dès le 1er janvier 2004, de mesures de réorganisation incluses dans un projet, dénommé "Cible", qui devait être mis en oeuvre progressivement jusqu'au mois de septembre 2004 et impliquait, par sa combinaison avec un projet précédent, dit "Union", la suppression de soixante emplois, du fait de la disparition de cinq régions et de vingt-neuf secteurs ; que le tribunal a déclaré la prévention établie, en retenant que le calendrier de la restructuration avait été avancé et que cette nouvelle décision aurait dû être précédée d'une information et d'une consultation du comité d'établissement ;
Attendu que, pour infirmer le jugement, relaxer les prévenus et débouter la partie civile de ses demandes, l'arrêt, après avoir relevé que le plan de restructuration n'excluait pas sa mise en place partielle dès le 1er janvier 2004, et qu'à cette date, seul le passage de 14 à 12 régions avait été réalisé sans que soit achevée la réduction du nombre des secteurs qui s'est poursuivie au cours du premier semestre de l'année 2004, énonce que l'exécution du plan "Cible" est bien intervenue par étapes au cours de l'année 2004, et qu'en conséquence, l'infraction reprochée n'est pas constituée, aucune nouvelle consultation du comité d'établissement n'étant nécessaire ;
Mais attendu que, si la responsabilité pénale de la société Nestlé France SAS ne pouvait être recherchée à défaut de disposition spéciale autorisant la poursuite des personnes morales ainsi que le prévoyait l'article 121-2 du code pénal, dans sa rédaction applicable aux faits en cause, la cour d'appel a méconnu les textes susvisés et le principe ci-dessus rappelé en se déterminant comme elle l'a fait à l'égard des autres prévenus, à l'occasion de la mise en oeuvre d'un plan de restructuration, échelonné dans le temps, qui imposait, en cas d'avancement de calendrier, l'information et la consultation préalables du comité d'établissement, une telle modification ayant nécessairement une répercussion sur la marche générale de l'entreprise au sens de l'article L. 432-1 du code du travail ;
D'où il suit que la cassation est encourue de ce chef ;
Par ces motifs :
CASSE et ANNULE, en ses seules dispositions civiles visant Andréas X..., Philippe Y..., Michel Z... et Aimé A..., l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Paris, en date du 28 octobre 2005, toutes autres dispositions dudit arrêt étant expressément maintenues,
Et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi, dans les limites de la cassation prononcée ;
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Versailles, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
DIT n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Paris et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l'article L. 131-6, alinéa 4, du code de l'organisation judiciaire : M. Cotte président, Mme Guirimand conseiller rapporteur, M. Joly conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : M. Souchon ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;