LA COUR DE CASSATION, PREMIERE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique :
Vu l'article 18 de la Convention de Londres du 19 novembre 1976, ensemble les articles 2 et 19 de la Convention de Vienne du 23 mai 1969, prise en tant que coutume internationale ;
Attendu qu'aux termes de l'article 2 § d de la Convention de Vienne du 23 mai 1969, sur le droit des traités, non ratifiée par la France mais codifiant sur ce point le droit international coutumier, l'expression " réserve " s'entend d'une déclaration unilatérale, quel que soit son libellé, faite par un Etat quand il signe, ratifie, accepte ou approuve un traité ou y adhère, par laquelle il vise à exclure ou à modifier l'effet juridique de certaines dispositions du traité dans leur application à l'Etat ;
Attendu que le navire " Jerba ", appartenant à la société tunisienne " Tunisian Sea transport ", ayant perdu le 24 janvier 2002 au large du port autonome de Rouen huit cents billes de bois, le préfet maritime de la Manche et de la Mer du Nord a mis en oeuvre des mesures de prévention ; qu'en application de l'article 2 § 1 d et e de la Convention de Londres du 19 novembre 1976, le propriétaire du navire a été autorisé à constituer un fonds de limitation de responsabilité au titre de l'événement de mer ; que faisant valoir que la France, autorisée par l'article 18 de ce traité, avait réservé l'application de cette dernière disposition de sorte qu'aucune limitation de responsabilité ne pouvait lui êre opposée, l'agent judiciaire du Trésor a obtenu, en garantie de la créance de l'Etat, la saisie conservatoire du navire ;
Attendu que pour en donner main-levée, en considérant que la réserve relative à cette limitation de responsabilité émise par la France lors de la ratification du Traité de Londres, n'était pas effective, l'arrêt attaqué retient que la France s'est seulement réservée la faculté pour l'avenir d'avoir recours à cet article 18, que cette réserve ne peut avoir d'autres effets que celle qu'elle exprime, que la France n'a pas notifié au secrétaire général de l'Organisation maritime internationale, qui en est dépositaire, l'exercice effectif de son droit de la mettre en oeuvre et d'exclure l'application de l'article 2 § 1 d et e de la Convention, et, enfin, que les dispositions de l'article 59 de la loi du 3 janvier 1967, dans sa rédaction résultant de la loi du 31 décembre 1984, sur le statut des navires, qui exclut la possibilité pour le propriétaire du navire d'opposer la limitation de sa responsabilité aux créances de l'Etat, est une disposition d'ordre interne qui n'est pas applicable lorsque les conditions d'application de la Convention de Londres sont, comme en l'espèce, réunies de sorte que cet article ne peut pas être opposé à ceux qui bénéficient de la limitation de ce traité ;
Qu'en statuant ainsi, alors que l'instrument d'approbation de la Convention de Londres du 19 novembre 1976, signée par la France, a été déposé, le 1er juillet 1981, au secrétariat général de l'Organisation maritime internationale, organisation dépositaire de la Convention, avec l'indication suivante : " conformément à l'article 18 § 1 le gouvernement de la République française se réserve le droit d'exclure l'application des alinéas d) et e) du § 1 de l'article 2 ", dont le texte a été ensuite publié par le décret du 23 décembre 1986 avec mention de cette réserve et que, malgré le caractère ambig de cette formulation dans la langue française, elle constituait de la part de l'Etat français, non pas une simple déclaration d'intention dépourvue d'effet juridique mais une décision unilatérale visant à exclure, comme l'ont fait d'autres pays signataires, l'application du texte précité, de sorte que l'agent judiciaire du Trésor ne pouvant se voir opposer une limitation de responsabilité, la cour d'appel a violé, par refus d'application, le premier des textes susvisés ;
Par ces motifs :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 5 septembre 2002, entre les parties, par la cour d'appel de Rouen ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris.